Professeur à l’Institut de Génie Chimique de Toulouse
Directeur de l’Institut de la Filtration et des Techniques Séparatives
Le traitement des eaux de surface pour leur utilisation comme eaux potables ou comme eaux industrielles comporte généralement une floculation-décantation suivie d’une filtration sur lit de sable.
Deux réunions récentes (1, 2) mettent en évidence l’intérêt manifesté dans certains pays pour ce qu’on peut appeler la filtration directe ou la floculation sur filtre.
En fait deux types de procédé sont envisageables :
- — le premier consiste à injecter le réactif de floculation juste en amont du lit de sable de telle façon que les flocs se forment au sein du lit : il est bien connu en effet (3, 4) qu’un lit de sable peut constituer un floculateur ;
- — le second consiste à réaliser des microflocs avant l’entrée dans le lit : l’injection de polyélectrolytes en conduite en amont du filtre est une technique souvent préconisée.
L’intérêt de ce type de technique est lié essentiellement aux grandes vitesses de passage qui peuvent être atteintes.
BAUMAN (5) annonce des vitesses de passage de 40 m/h soit des temps de séjour de 3 minutes environ, qui peuvent être comparés aux temps de floculation-décantation de 1 à 2 heures dans le cas d’une installation classique ou d’une vingtaine de minutes dans le cas d’un décanteur lamellaire ou tubulaire.
Il est incontestable que la compacité est un facteur à prendre en compte notamment pour le traitement des eaux industrielles.
Sans exclure de façon absolue l'utilisation de réactifs minéraux, la filtration directe est fortement liée à l'utilisation des polyélectrolytes à faible masse moléculaire (de l'ordre de 100 000) et ceci pour deux raisons :
— l'utilisation de polyélectrolytes se traduit par un taux de traitement très faible (figure 1) : l’augmentation de la masse de boues due au réactif est négligeable ;
— les polyélectrolytes utilisés ont, par rapport aux réactifs minéraux classiques (Fe³⁺, Al³⁺), l’avantage :
• d’augmenter la capacité de rétention du filtre et donc d’augmenter la durée du cycle (figure 2),
• de rendre plus faible la variation de la perte de charge avec la quantité de matières en suspension retenues (figure 3).
Ces caractéristiques sont certainement liées à la nature des flocs formés avec des polyélectrolytes : moindre teneur en eau et, de ce fait, moindre volume occupé au sein du filtre.
Il est certain que ces caractéristiques particulières ne peuvent modifier les propriétés inhérentes à chaque procédé.
— le volume disponible pour le dépôt des particules retenues reste faible dans un filtre à sable (quelques % du volume total) : avec les techniques actuelles, ce dépôt ne peut être éliminé que par un lavage à contre-courant qui rend l’opération discontinue (des cycles de filtration de 8 heures ont été préconisés (5)) ;
— le décanteur a l’avantage de permettre une élimination continue des boues : il est ainsi mieux adapté aux suspensions concentrées.
Dans l'état actuel de la technique on peut sans doute limiter le domaine d'utilisation de la filtration directe à des eaux peu chargées (quelques dizaines de mg/l de matières en suspension).
Toutefois le développement récent de filtres à sable continus pourrait modifier cette conclusion.
Deux filtres de ce type (figure 4) sont apparus sur le marché récemment (6, 7).
Des études se poursuivent en Angleterre et en France (8, 9).
L'objectif est de mieux comprendre les mécanismes de cette filtration continue afin d'aboutir à une conception et à une mise en œuvre optimale de ces filtres : ainsi un matériel de coût inférieur à ceux actuellement commercialisés pourrait être mis au point prochainement.
Des résultats prometteurs ont été obtenus aussi bien en épuration directe d’eaux usées (figure 5) qu’en épuration tertiaire en vue d'un recyclage et en traitement d'eaux de surface.
Toutefois, la nécessité de recueillir le sable au bas du filtre pour le recirculer conduit à des formes tronconiques ou pyramidales, ce qui limite la taille des unités.
Conclusion
La filtration directe n'est pas une panacée. Elle s'adresse aux suspensions faiblement concentrées sur des installations classiques. Si les filtres continus permettent d’éliminer cette contrainte, leur utilisation n'est envisageable que pour de faibles débits.
Toutefois l'intérêt manifesté pour la floculation directe sur filtre pourrait se traduire par un développement parallèle des filtres continus, donnant ainsi une nouvelle impulsion à une technique ancienne mais qui n'a cessé d’évoluer au fur et à mesure qu'elle était mieux maîtrisée.
REFERENCES
- 1 — Nato Advanced Study Institute : « Mathematical models and design methods in solid-liquid separation », Lagos, Portugal, 4-15 janvier 1982.
- 2 — Symposium on Water Filtration, Anvers, 21-23 avril 1982.
- 3 — IVES (K.J.) : Coagulation and Flocculation, Part II. Orthokinetic flocculation in « Solid-liquid separation », 2ᵉ édition, L. Svarovsky, Butterworths, 1981.
- 4 — BEN AIM (R.), VIGNESVARAN (S.) : Deep bed filtration : Models and Realities. Nato Advanced Study Institute, Lagos, Portugal, 4-15 janvier 1982.
- 5 — BAUMAN (E.R.) : Optimisation of deep filters. Nato Advanced Study Institute, Lagos, Portugal, 4-15 janvier 1982.
- 6 — ALLANSON (J.I.), AUSTIN (E.P.) : Development of a continuous inclined bed sand filter. Filt. Sep. 13, 2, 165 (1976).
- 7 — FLARSSON (H.), HJELMERU : Continuous filtration — a new adaptation of an old technique for water purification. Kem. Tidskv 91, 6, 26 (1979).
- 8 — FOURIE (J.), IVES (K.J.) : Continuous Countercurrent Filtration, Symposium on Water Filtration, Anvers, 21-23 avril 1982.
- 9 — BEN AIM (R.) : Développement d'un filtre à sable continu. Rapport interne I.F.T.S., mars 1982.
- 10 — AL ALOUSI (M.) : La filtration dans la masse en épuration tertiaire d’eaux résiduaires. Université des Sciences et Techniques du Languedoc, Montpellier, 14 décembre 1979.
- 11 — ADIN (Avner) et REBHUN (Menahem) : High-Rate contact flocculation-filtration with cationic polyelectrolytes. American Water Works Association, vol. 66, n° 2, février 1974.
- 12 — SCHIPPERS (J-C.), KOSTENSE (A.) et VERDOUW (J.) : « Colloid Removal by in line coagulation ». Symposium on Water Filtration, Anvers, 21-23 avril 1982.