Près de 16 000 000 de tonnes de déchets urbains sont produites en France chaque année ; à titre d'illustration, les valeurs moyennes d'analyses récentes effectuées sur plusieurs grandes villes montrent les caractéristiques suivantes (source : ministère de l'Environnement) :
— composition moyenne (massique) papier carton : 25 à 35 % matières végétales et animales : 15 à 35 % éléments fins (20 mm) : 10 à 20 % verre : 10 à 12 % métaux : 5 à 8 % plastique : 3 à 6 % textile : 3 à 4 % — densité : 0,25 à 0,35 t/m³ — taux moyen d’humidité : 37,5 % — taux moyen de matières organiques : 31,25 % (soit 50 % MS) — pouvoir calorifique inférieur : 1 860 kWh/t (1 600 th/t).
Ces déchets dont l'élimination pose un grave problème aux administrateurs des collectivités locales représentent aussi un potentiel énergétique et agronomique énorme qui peut être valorisé. Les solutions les plus fréquemment utilisées pour leur traitement sont : la décharge (sauvage ou contrôlée), l'incinération, avec ou sans récupération de chaleur, et le compostage.
Ces solutions peuvent être comparées suivant différents critères : protection de l'environnement, rendement énergétique, valorisation agronomique et coût du traitement (lié aux possibilités de valorisation des sous-produits).
La filière que nous avons mise au point et que nous explicitons ci-après cherche à concilier ces divers aspects, en associant deux procédés qui tiennent compte de la composition des déchets urbains :
— la fermentation méthanique à forte concentration de matière sèche en continu de la partie biodégradable (matière végétale, papiers, cartons...) ;
— la combustion avec traitement des fumées des refus de méthanisation (bois, tissus... à pouvoir calorifique élevé).
La fermentation méthanique
C’est un processus qui comporte la fermentation de matières organiques réalisée en l'absence d’oxygène par des populations bactériennes, généralement dans des conditions de mésophilie (température du substrat proche de 35 °C) et de neutralité. Cette dégradation biologique s’accompagne de la production de biométhane, gaz combustible constitué d’environ 60 % de méthane et 40 % de gaz carbonique, et de la restitution d'environ 50 % de la matière organique, sous forme plus ou moins minéralisée selon la conduite de la méthanisation.
La fermentation méthanique comprend grossièrement les trois phases suivantes :
— l’hydrolyse de la matière organique, où les macromolécules sont cassées sous l’action d’enzymes synthétisées par des bactéries qui se multiplient ;
— l’acidogénèse, au cours de laquelle les réactions de l’hydrolyse se poursuivent mais avec production par synthèse d’acides gras volatils ;
— la méthanogenèse, avec apparition de populations méthanogènes qui transforment les acides gras en molécules de méthane.
Chaque phase est réalisée par des populations bactériennes distinctes et complémentaires.
Les procédés existants
Jusqu'à présent, deux voies ont été largement expérimentées :
- - la méthanisation en continu d'effluents,
- - la méthanisation en discontinu de déchets solides.
La première a plus souvent pour objet la dépollution par réacteur (par exemple méthanisation des lisiers), suivant divers procédés tels que : infiniment mélangé, piston, contact, IRIS, filtre bactérien, lit de boue ascensionnel, lit fluidisé...
La seconde vise généralement la production d'énergie, mais avec une faible productivité due à une faible activité bactérienne, en raison des redémarrages successifs de la fermentation à chaque cuvée.
En ce qui concerne plus particulièrement les déchets urbains, les seuls procédés proposés (aux États-Unis en particulier) fonctionnent à faible concentration de matières sèches (5 à 10 %) ; ce qui nécessite une dilution importante des déchets (lesquels comportent initialement de 60 à 70 % en matières sèches), dilution qui augmente le volume de cuverie nécessaire et aggrave les problèmes de traitement des jus résiduels en aval. Parallèlement à cette voie, des recherches sont menées pour la récupération du méthane dans les décharges et quelques réalisations ont vu le jour.
Le procédé Valorga
C'est donc dans ce domaine du traitement par fermentation méthanique et en réacteur continu de substrats fortement chargés en matières sèches qu'un programme de recherche-développement a été mené, associant des universitaires et un industriel, la société Valorga. Celui-ci a été soutenu, en particulier, par l'AFME, l'ANVAR, l'ANRED et l'INODEV. Il associe d'autres industriels, dont G.D.F.
La première phase des études a comporté la mise au point en laboratoire de digesteurs pilotes d'une capacité de 20 à 30 l adaptés au traitement en continu de déchets urbains à un taux de matières sèches compris entre 30 et 35 %.
Elle a permis de maîtriser les différents paramètres indiqués ci-dessous, qui influent sur la fermentation méthanique afin d'en assurer une conduite optimale :
Tableau 1 : Méthanisation de déchets urbains en réacteur ouvert de laboratoire
Temps de séjour hydraulique .............................................. | 15 |
Taux de matières sèches (%) ............................................. | 57,6 |
Taux de matières organiques (%) ..................................... | 54,1 |
Matières sèches introduites (%) ......................................... | 31,7 |
Charge organique volumique instantanée (g l⁻¹ j⁻¹) ......... | 16,3 |
Charge volumique moyenne (g l⁻¹ j⁻¹) .............................. | 11,6 |
Rendement volumique (l gaz l⁻¹ j⁻¹) .................................... | 4,9 |
Rendement de gazéification (%) ....................................... | 53,0 |
Rendement (l CH₄/kg MO) ................................................. | 241,0 |
Composition du gaz (% CH₄) ............................................. | 73 |
pH ......................................................................................... | 7,3 |
- — le temps de séjour de la matière : il détermine son taux de gazéification ainsi que le degré de minéralisation du digestat ; par conséquent il fixe la production de biogaz par unité de matière introduite ainsi que la qualité agronomique du digestat ;
- — la concentration en matière sèche : elle se répercute sur la vie des populations bactériennes, une trop faible humidité agissant en tant que facteur limitant des fermentations ;
- — les concentrations en éléments de compositions : en particulier celles des éléments carbonés et azotés qui influent sur la densité des populations bactériennes utiles aux fermentations ;
- — la qualité du brassage : elle a des répercussions sur l'aptitude des bactéries à se nourrir et sur la qualité des échanges thermiques ;
- — la régularité d'alimentation : elle conditionne le maintien du meilleur équilibre entre les différentes populations, c'est-à-dire entre les trois phases fondamentales.
Nous avons reporté dans le tableau 1 les valeurs moyennes des divers facteurs de la fermentation méthanique de déchets urbains menée dans un réacteur en régime stationnaire.
Après une expérimentation menée dans une seconde phase en digesteur pré-industriel de 5 m³, une unité de traitement d'une capacité de 8 000 t/an a été installée sur le site de La Buisse (Isère). Ce digesteur, qui fonctionne depuis avril 1984, utilise l'infrastructure d'une unité de compostage déjà existante. Il traite les ordures ménagères, après leur passage dans une chaîne primaire de broyage-tri, c'est-à-dire l'ancien compost.
Les caractéristiques propres du digesteur sont données ci-après.
Dimensionnement de l'unité de méthanisation :
- — capacité utile du réacteur : 400 m³ ;
- — capacité de traitement : 20 à 28 tonnes de déchets urbains après traitement primaire/jour.
Paramètres de fonctionnement :
- — temps de séjour : 15 jours ;
- — régime mésophile ;
- — charge organique volumique : entre 12 et 15 kg matières organiques/m³/j ;
- — taux de matières sèches : 35 % à 40 %.
Production gazeuse :
- — taux de dégradation de la matière volatile introduite : 50 % ;
- — rendement volumique moyen : 55 m³ biogaz/m³/j ;
- — production : 125 m³ biogaz/tonne matières brutes.
Digestat :
- — 10 à 14 tonnes/j (après pressage et affinage).
Le premier bilan du suivi est très largement positif et les productivités atteintes et le fonctionnement sont conformes aux prévisions.
Une variante est actuellement proposée, dans laquelle la méthanisation est assurée par des bactéries thermophiles à 55 °C. Par rapport au régime mésophi-
le à 35-40 °C, une telle installation impose des équipements thermiques plus importants : chaudières plus puissantes, isolation plus poussée. La dégradabilité de la matière est par contre plus rapide et la durée du passage dans le digesteur peut être réduit jusqu'à 8 jours (les essais ont démontré une optimisation à 10 jours).
Le temps de séjour étant plus faible, on peut diminuer le volume de cuverie ou introduire plus de déchets pour le même volume.
La combustion des refus
Un complément intéressant à cette technologie consiste à valoriser les refus de la fermentation méthanique obtenus au stade de la chaîne primaire et d'affinage ; en effet une partie de ces rebuts (bois, plastiques, chiffons...) constitue une matière combustible sèche à pouvoir calorifique relativement constant et élevé, de l'ordre de 3 200 kWh/t (P.C.I.).
L'association d'une chaîne de combustion conçue spécialement pour valoriser cette matière sans nuisance pour l'environnement, permet ainsi :
- - de générer une importante quantité de vapeur, ou eau surchauffée disponible pour l'industrie ;
- - de récupérer un très fort potentiel en calories basse température (55 °C) utilisées pour concentrer par évaporation les jus excédentaires et chauffer le digesteur, le reste étant disponible pour le chauffage de serres ;
- - de rejeter dans l'atmosphère des fumées froides, traitées, neutralisées et non saturées en eau, avec des caractéristiques bien inférieures aux normes européennes récemment imposées.
Description de la chaîne
En conclusion, nous décrirons sommairement la chaîne de valorisation Valorga, laquelle peut être décomposée en cinq sous-ensembles :
- - chaîne primaire,
- - méthanisation,
- - chaîne d’affinage,
- - combustion des refus,
- - traitement du gaz.
Chaîne primaire
Sa finalité est la préparation de la matière qui sera introduite dans l'unité de méthanisation. Elle comprend les fonctions essentielles : stockage et reprise des ordures, broyage, tri des métaux ferreux et des inertes lourds.
Méthanisation
Elle assure la fermentation anaérobie de la matière biodégradable, et elle comprend l'introduction de la matière organique après malaxage, la digestion avec production de gaz, l'extraction et le pressage du digestat.
Chaîne d'affinage
Elle a pour objectif la production d'un amendement organique de qualité et assure la séparation de la matière combustible, la séparation des inertes lourds résiduels, le stockage et le conditionnement du digestat.
Combustion des refus
Elle valorise la matière par la combustion à effet pyrolytique, la post-combustion, la récupération de chaleur, le traitement des fumées.
Traitement du gaz
Son objectif est de produire un gaz de même qualité que le gaz naturel, pour être distribué par Gaz de France. Il inclut le stockage tampon, la décarbonatation-désulfuration, la déshydratation, la compression (pour l'injection dans le réseau).
La méthanisation des déchets urbains apporte donc une valorisation maximum des déchets, valorisation d'abord énergétique avec la production de méthane à partir de la matière biodégradable des déchets, celle-ci très humide, étant plus favorable à une fermentation qu'à une combustion.
Il convient d’ajouter la production de chaleur par la combustion de la partie organique non dégradable, relativement sèche et à haut PCI, deux conditions favorables à l'opération.
La valorisation est également efficace sur le plan agricol en rendant possible une restitution de la partie organique stabilisée, après fermentation et affinage, sous la forme d'un amendement organique à haut pouvoir fertilisant.
Cette filière apporte aux collectivités locales la solution des trois problèmes clefs posés par leurs déchets :
- - solution énergétique : par la production de gaz (injecté dans le réseau urbain après épuration ou utilisé tel quel) de vapeur ou d'eau surchauffée (débouchés industriels ou en réseau urbain) et de basses calories (chauffage de serres...) ;
- - solution agronomique : production d'un fertilisant organique de haute qualité pour les sols ;
- - solution sanitaire : traitement des fumées de combustion des refus conformément aux nouvelles normes européennes et absence de rejets liquides.