Ressource précieuse et convoitée, l'eau devient par ses enjeux, ce que l'énergie a pu être à l'occasion des chocs pétroliers. Chacun souhaite maîtriser les dépenses liées à une eau potable qui doit être considérée comme un service et non un simple bien marchand . Cette maîtrise du coût de l'alimentation passe par deux approches complémentaires : une maîtrise du prix du m3 (via notamment le contrôle des services délégués ou l'optimisation de certaines gestions en régie) mais également grâce à une maîtrise des volumes consommés.
Élément vital, l'eau a toujours été associée à des valeurs essentielles.
Synonyme de prospérité économique, de richesse, et source de loisir, elle a longtemps attiré les populations et conditionné l’émergence des agglomérations.
Mais l’homme est devenu prisonnier d’un système dans lequel la ressource en eau reste soumise aux aléas climatiques ainsi qu’aux caprices de nos civilisations animées de convoitises, et de tensions permanentes.
Les schémas de gestion de l'eau qui se dessinent sur le bassin méditerranéen illustrent un climat de tension dont l'effervescence ne
Les experts sont formels : sur le pourtour méditerranéen, d'ici 25 ans, ce sont 600 millions d'habitants qui devront faire face à de graves et régulières pénuries d'eau. Des pénuries qui pourraient provoquer la colère de nombreux exploitants agricoles. Les risques de conflit concernent les pays du Maghreb, la Syrie et Israël pour les eaux du Golan, la Turquie et la Syrie pour les eaux de l’Euphrate, l'Algérie et la Libye pour leurs nappes fossiles ou encore l’Égypte et le Soudan pour les eaux du Nil.
Une médiation internationale s'avère indispensable si l'on veut éviter le pire.
Dans ce contexte de raréfaction de la ressource, le mouvement de fond qui se dessine tend à faire assimiler l'eau potable à une marchandise monnayable. On pourrait être tenté d'instituer un prix mondial de l’eau comme il existe un prix du baril de pétrole. Mais on ne vend pas l’eau courante comme on vend du pétrole. Les utilisateurs payent une prestation, un service. Il faudrait évoquer le prix des prestations liées à l’eau qui, outre la matière première, inclut son traitement, sa livraison, son assainissement et la qualité des services indissociables. Des systèmes de péréquation ont vu le jour ça et là, à l’échelon local, mais ils sont rapidement confrontés à d’inévitables limites politiques. Une généralisation au niveau international n'est pas pour demain.
La France présente des exemples éloquents au niveau départemental, à l'image du Morbihan qui offre pour la majeure partie de ses communes rurales un tarif unique de l'eau potable.
Le prix de l'eau inclut un ensemble de services
Les réflexions menées dans l’Hexagone, cité comme pays d’avant-garde et modèle d’organisation institutionnelle dans la gestion de l’eau, n'ont pas empêché la progression des tarifs ces dernières années.
En France, de 1992 à 1995, « le prix de l’eau » aurait augmenté de 36 % en moyenne. On a par ailleurs constaté ces dernières années une multiplication des restrictions sur les consommations : un contexte qui explique le nombre grandissant d’associations de consommateurs d’eau.
Leur revendication vise à réduire le prix de l’eau, à contenir son augmentation, à établir un juste prix… Mais que faut-il entendre par là ? Le manque d'information relatif à l’augmentation du prix des services de l’eau et de l’assainissement a entraîné une interprétation erronée de la part des usagers. Peu nombreux sont ceux qui parlent du même contenu pour le prix de l’eau et quand bien même ils évoquent les mêmes services, les comparaisons faites ne tiennent pas compte des différences du contexte local.
L'usager, qui constate l'augmentation de sa facture et ne perçoit aucune amélioration dans le service qui lui est fourni, pourra légitimement être critique.
En effet, comment mesurer la diminution d’un taux de nitrate dans l’eau consommée tous les jours dont l’odeur et la couleur ne présentent aucun changement ?
On comprend encore la réaction de l’usager lorsqu'il constate qu’une ville de taille comparable à la sienne offre un prix de l’eau deux fois inférieur au sien.
Malheureusement la comparaison s’arrête au prix de l’eau. À quoi correspond ce prix et dans quel contexte sont fournis les services qui lui sont rattachés ? Voilà les questions que cet usager aurait dû se poser. Encore aurait-il fallu qu’il soit sensibilisé à la problématique.
L’appréciation et la comparaison des prix de l’eau de deux collectivités doit s'appuyer sur une décomposition détaillée des factures et sur une analyse comparative des contextes. En effet, il convient dans un premier temps de dissocier l’eau de l’assainissement, de parler du prix de chaque service et de décomposer l'ensemble des paramètres de la facture pour s’apercevoir, par exemple, qu'une collectivité n'a pas de facturation assainissement (assainissement autonome uniquement) ou encore que deux collectivités voisines ne payent pas les mêmes taxes ou redevances.
Pour donner un sens aux comparaisons, une solution intéressante a été apportée par le décret du 6 mai 1995 relatif à l'élaboration du rapport annuel¹.
Il propose la présentation d'une facture-type eau et d'une facture-type assainissement pour un volume de 120 m³. Ainsi, on ne raisonne plus sur un m³ dont on distinguait difficilement les composantes (abonnement, partie fixe…).
Dans un deuxième temps, la comparaison des contextes locaux s’impose. Une collectivité disposant d’une ressource de montagne d'excellente qualité, sous pression et s’appuyant uniquement sur l’assainissement autonome, ne présentera pas la même facture à ses usagers qu'une autre collectivité qui doit apporter un traitement sophistiqué de la ressource ou encore collecter et traiter les eaux usées de manière drastique avant de les rejeter dans un milieu récepteur très sensible.
La ressource, le milieu récepteur, les conditions climatiques, la vétusté des équipements, l'histoire de la gestion du service, la mise en conformité des équipements avec la réglementation, l’équilibre et l’autonomie des budgets ainsi que l’exploitation des services sont autant de paramètres qui dans leur diversité expliquent l'impossible comparaison des prix des services de l'eau.
Devant l'exemple évoqué ci-dessus, on convient finalement qu'une comparaison efficace reposerait sur l’analyse simultanée des factures-types de 120 m³ et des contextes locaux (par service). Il restera cependant toujours un certain nombre d’inconnues pour savoir si le montant global annoncé sur la facture type correspond à la réalité des dépenses du service (surfacturation pour certaines gestions déléguées, paiement d'une partie du service par le contribuable et non par l'usager et réciproquement, …).
Maîtriser l’évolution des tarifs
En dépit des incertitudes sur l’appréciation du prix des services, on ne remettra pas en question la progression des tarifs et les réactions unanimes devant la nécessité d'une maîtrise des dépenses.
La raréfaction de la ressource accompagnée d’une dégradation de sa qualité et du renforcement des exigences réglementaires sanitaires sont les facteurs qui ont rendu cette progression des tarifs inéluctable.
Dans cette optique de maîtrise des dépenses, l’optimisation de la gestion des investissements et de l'exploitation est certainement la première piste à suivre. Elle passe par la formation des personnels et par le suivi des contrats, dans le cas des gestions déléguées.
L’amélioration de la gestion du service ou le
¹ Rapports annuels du Maire ou du Président de la collectivité sur le prix et la qualité des services d'alimentation en eau et d'assainissement.
rééquilibrage du contrat de délégation peuvent générer des économies se traduisant par une diminution des tarifs. Ils peuvent aussi permettre d’améliorer la qualité du service mais ces deux approches ne doivent impérativement pas être antagonistes. Certaines collectivités prétendront réduire la facture en ne renouvelant plus systématiquement les équipements, ou aux dépens de la qualité des services annexes. Ces comportements sont contraires aux principes de bonne gestion qui, notamment, prépare l'avenir. Politiquement comme économiquement, ce type de gains générés à court terme se payera dans l'avenir.
Maîtriser les consommations
Une deuxième source d’économie réside dans la réduction de la facture en limitant la consommation des usagers et non plus le prix du m³.
Si les appareils économiseurs d'eau constituent des sources d’économie importantes, la résorption des fuites est capitale quand on sait qu’elles peuvent doubler, voire tripler la facture.
À court terme, ces économies entraîneront de manière évidente une réduction de la facture. À plus long terme, elles permettront de préserver la ressource, ce qui accompagne et de toute évidence grossit les gains économiques de la démarche.
Dans cet esprit, une solution originale pourrait être apportée directement par le service. D’un coût modéré, équiper les releveurs d'un outil informatique qui suit pour chaque abonnement l’évolution de la consommation et le volume global rapporté à l’habitant permettrait d’informer l'usager sur d’éventuelles anomalies de consommation. Chaque relevé de compteur pourrait être accompagné d’une courbe d’évolution de l’indice et d’un calcul de la consommation ramenée par habitant. Cette démarche permettrait de formuler des observations et des recommandations sur les éléments à contrôler (robinets, chasses d'eau, moyens d’effectuer ces contrôles...).
Ordres de grandeur
On peut retenir les ordres de grandeur suivants : un robinet qui goutte peut consommer 4 litres par heure (35 m³ par an), une chasse d’eau qui fuit peut consommer jusqu’à 80 litres par heure (700 m³/an).
Simulation pour une collectivité de 10 000 habitants
Une simulation sur une collectivité de 10 000 habitants permet d’identifier des économies en retenant les hypothèses suivantes :
- consommation moyenne annuelle de 60 m³ par habitant,
- un robinet par usager et une chasse d’eau pour deux usagers,
- un robinet sur 15 qui fuit à raison de 4 l/h et une chasse d'eau sur 30 qui fuit à raison de 80 l/h,
- et un prix du m³ à 16 francs TTC (eau et assainissement inclus).
On identifie ainsi, pour les 10 000 habitants, un potentiel d’économie de 140 000 m³ d'eau.
En considérant que le prix moyen du m³ (eau et assainissement) charges fixes exclues se limite à 8 francs (sur les 16 francs), on identifie un potentiel de 1 120 000 francs d'économie sur les 600 000 m³ payés. Les surcoûts relatifs à l'équipement informatique des releveurs et quant au temps qu’ils pourraient consacrer à cette mission sont rapidement amortis. Ce calcul grossier, déduction faite des surcoûts (releveurs notamment), permet d’identifier une économie voisine de 10 % sur la facture globale. Cette économie sur la facture est à comparer avec celle apportée par une amélioration de la gestion ou la renégociation du contrat de délégation.
Il convient cependant de tenir compte des équipements à amortir. Si la diminution du volume consommé est importante, le report des frais fixes des services pèsera d’autant plus lourd. En contrepartie, le prix du m³ risque donc d'augmenter.
Se pose dans ces conditions le problème des collectivités qui disposent d’équipements d'une capacité importante, dimensionnés par rapport à une population dont l’évolution démographique a été surestimée. Comme les consommations poursuivaient jusqu’alors une courbe de croissance, les dimensionnements se sont appuyés sur des schémas prévisionnels optimistes en volume de production. Si la population n’a pas progressé comme prévu et si les volumes consommés stagnent, voire diminuent, comme on l’a constaté ces dernières années, l’imputation de l’amortissement des équipements risque de neutraliser les sources d’économie identifiées.
En outre, l’effet pervers de ce cas de figure peut se ressentir sur le fonctionnement des équipements d’assainissement. Fonctionnant en dessous de leur capacité nominale, leurs performances risquent de chuter et les coûts d’exploitation (et non plus seulement d’amortissement) de s’élever.
À l'inverse, une collectivité disposant d’équipements fonctionnant à pleine charge, pour lesquels il conviendrait d’envisager des extensions, la réduction des consommations peut être salvatrice.
Pour les mêmes équipements amortis sur un volume à peu près constant, avec une exploitation optimisée et des usagers dont la consommation individuelle se voit réduite, la facture finale sera moins élevée.
Toutefois, la réduction des consommations peut s’avérer difficile dans certains cas. Une
étude montre par exemple qu’en milieu HLM, toute une catégorie de la population du logement social contrôle déjà sévèrement ses consommations.
Ces locataires ont d’ailleurs le sentiment que des économies d’eau supplémentaires occasionneraient des problèmes sanitaires incompatibles avec les règles d’hygiène. Cependant cette étude témoigne d’importantes disparités dans les consommations et identifie des économies significatives possibles pour certains consommateurs (figure 1).
La responsabilisation individuelle par la pose de compteurs divisionnaires là où seul un compteur général existe (près de 30 % du parc HLM n’est pas équipé de compteurs divisionnaires) et la sensibilisation des consommateurs importants est une piste à creuser pour initier aux économies d’eau. La facture s’en trouvera allégée et la disponibilité des ressources en partie préservée.
En conclusion : gestion rigoureuse contrôlée et transparente envers les usagers
Finalement, dans un contexte mondial où la gestion « globale » et maîtrisée de la ressource s’affirme, la progression du prix de l’eau, en France, a été, et semble inévitable. L’origine essentielle de cette évolution tient moins aux « affaires » qu’aux exigences réglementaires, allant dans le sens d’une recherche de qualité du service et de sauvegarde pour l’environnement. Le mécontentement des usagers apparaît compréhensible face à un manque d’information qui fait se tourner les regards vers les quelques affaires qui ont défrayé la chronique. Dans un souci de protection des ressources et du milieu naturel, tout en s’attachant à la maîtrise de la facture d’eau, la recherche d’économies des consommations est une voie intéressante à explorer. Il convient cependant de tenir compte des répercussions que cela peut engendrer en termes d’amortissement des installations, d’exploitation des équipements d’assainissement et d’hygiène pour certaines catégories de population.
S’il en va parfois d’intérêts antagonistes (facture et environnement) il faut trouver le moyen de les concilier. Globalement, en limitant les pertes d’eau, la facture et la ressource s’en trouvent soulagées.
Par ailleurs, l’exercice de la démocratie locale impose d’informer davantage les citoyens. L’explication tangible et pédagogique des progressions du prix de l’eau ainsi que la transparence dans la gestion de ces services sont deux voies permettant d’accéder à une approche pacifiée de l’ensemble de la problématique autour du montant de la facture d’eau.