Une première approche est effectuée grâce à une phase d’étude pilote. On y constate que le rendement de la digestion qui est habituellement de 55 % se stabilise avec l’apport des matières de vidange au voisinage de 40 %, mais que le taux de MVS dans la liqueur de digestion demeure stable pendant toute l’expérimentation (48 %).
Cette étude montre la faisabilité d’un tel procédé pour le traitement des matières de vidange et permet une approche industrielle du problème.
[Photo : Schéma de principe du pilote de digestion.]
Dans certaines zones de la Communauté Urbaine de Bordeaux, l’ancienneté de l’habitat et les contraintes topographiques rendent difficile la mise en place de réseaux de collecte des eaux usées.
Deux modes d’assainissement sont alors mis en œuvre : d’une part, l’assainissement autonome, constitué par une fosse septique suivie d’un épandage souterrain, et, d’autre part, le stockage des effluents dans une fosse étanche.
Les fosses sont curées suivant les besoins, et leur contenu est évacué vers la station d’épuration « Louis Fargue » (300 000 équivalents-habitants). Un site de dépotage est spécialement aménagé : de l’eau décantée sert à la dilution des matières de vidange ; après un dessablage, cet effluent s’écoule vers le poste de relèvement en tête de station.
Ce mode de fonctionnement engendre deux problèmes majeurs : une augmentation de plus de 10 % de la pollution reçue par la station, et une forte contribution aux nuisances induites (odeurs, couleur…) ; aussi, dans un souci d’amélioration des conditions générales de fonctionnement de la station, nous avons étudié un procédé de traitement des matières de vidange par mélange avec les boues des traitements primaires et secondaires. La digestion est une étape qui nécessite une attention particulière, ce qui justifie une étude-pilote préalable. Son objectif est de montrer la faisabilité du procédé et d’évaluer son impact sur les principaux paramètres d’exploitation de la digestion.
Tableau 1
Caractéristiques globales des matières de vidange
Paramètres |
Matières de vidange |
Boues mixtes épaissies envoyées en digestion |
Débit (m³/j) |
250 |
250 |
pH |
7,0 à 8,3 |
5,6 à 6,2 |
MeS (g/l) |
1 à 10 |
50 à 60 |
MVS (% MeS) |
42 à 87 |
55 à 70 |
DCO (mg O₂/l) |
16 000 |
145 000 |
DBO₅ (mg O₂/l) |
8 000 |
|
NH₄⁺ (mg N/l) |
950 à 1 350 |
200 à 300 |
Sulfures totaux (mg S/l) |
50 |
|
Caractéristiques des matières de vidange
La station d’épuration reçoit quotidiennement environ 250 m³ de matières de vidange.
Le tableau 1 résume leurs caractéristiques comparées à celles observées sur les boues mixtes épaissies envoyées en digestion.
Le pH des matières de vidange est proche de celui rencontré dans les digesteurs (6,8 à 7,4). La teneur en MES est faible, mais le taux de MVS est voisin de celui des boues mixtes épaissies. On constate aussi une teneur élevée en ions ammonium dans les matières de vidange. Notons que les digesteurs admettent des concentrations en ammonium de l’ordre de 1,2 à 1,7 g N/l sans perturbation pour des pH de 7,2 à 7,8 ; au-delà on observe une inhibition du développement bactérien. La teneur en sulfures totaux est quant à elle sans danger pour la digestion : seuls les sulfures libres perturbent la digestion, à des teneurs supérieures à 50 mg S/l [1] [2].
D’autres analyses montrent la présence de faibles traces d’hydrocarbures ou de métaux lourds.
Les installations de digestion
La digestion en place à la station Louis Fargue est du type anaérobie mésophile (35 °C) (figure 1). La station est équipée de deux digesteurs primaires dont les caractéristiques sont les suivantes :
- — volume : 10 000 m³,
- — débit journalier : 250 m³/j,
- — temps de séjour : 40 jours,
- — température : 35 °C.
Elle comporte deux digesteurs secondaires.
L’addition des matières de vidange aux boues mixtes épaissies double le débit journalier et divise le temps de séjour par deux, ce qui le ramène à 20 jours, diminution qui, selon Pfeffer (1979) et Van Velsen et Lettinga (1979) ne devrait pas provoquer de perturbations dans la digestion.
Le dispositif expérimental du pilote est schématisé sur la figure. Le digesteur est un réacteur parfaitement agité d’une contenance de 18 l, maintenu à la température constante de 35 °C. Le gaz produit au cours de la digestion est évacué dans un gazomètre de 20 l.
Les essais-pilotes respectent les conditions de température, d’anaérobiose, de charge et de temps de séjour imposées par les caractéristiques de l’installation de la station d’épuration.
Déroulement de l’expérimentation
Après une phase préparatoire de 27 jours, où le pilote n’a été alimenté qu’en boues mixtes épaissies, le procédé a été mis en œuvre dans son intégralité, puis graduellement le débit maximal de matières de vidange a été atteint.
Le débit global (boues mixtes et matières de vidange) est introduit en une seule manipulation, le système fonctionnant en régime continu.
Chaque jour, les paramètres suivants sont contrôlés : pH, teneur en AV (acides volatiles), TAC (titre alcalimétrique complet), teneur en MeS, teneur en MVS, NH₄⁺, et pour la phase gaz : volume produit, teneur en CO₂.
Résultats et commentaires
Phase préparatoire
Durant les 27 premiers jours de digestion sans apport de matières de vidange, le pH des boues mixtes épaissies injectées en entrée a oscillé entre 5,7 et 6,2 (figure 2).
Bien que la bibliographie rapporte des valeurs optimales de pH comprises entre 6 et 6,2, la valeur moyenne observée dans le cadre de l’expérimentation au sein du digesteur a été de 7,2. Le pH a été maintenu constant par un apport ponctuel de bicarbonates, qui confèrent au milieu un effet tampon lorsqu’il y a variation de la concentration en acides volatiles (AV). Le TAC est resté élevé (de 4 500 à 5 000 mg d’équivalent CaCO₃/l) et la teneur en AV a oscillé autour de 300 mg d’équivalent CH₃COOH/l.
La production de biogaz par kilogramme de matières volatiles introduites (MVI) est restée supérieure à la production-limite de 450 l/kg MVI (figure 3) [3] [2]. Le taux de CO₂ s’est stabilisé autour de 21 %.
Au démarrage, le digesteur pilote a été ensemencé avec les boues du digesteur de la station. Alors que dans la première phase ne sont injectées que des boues mixtes, la figure 4 montre que le taux de NH₄⁺ est d’environ 1 200 mg N/l : c’est une teneur habituelle dans les digesteurs, sans influence sur le métabolisme des bactéries présentes.
Pendant cette phase d’observation, le rendement de digestion a oscillé entre 50 et 55 % (figure 5).
Phase active
Au 27ᵉ jour de digestion ont démarré les essais par addition de matières de vidange aux boues mixtes. La figure 2 montre que le pH à l’intérieur du digesteur (« pH boues digérées ») est resté constant à 7,3. En effet, la teneur en AV comme le TAC n’évolue pas de manière significative.
La production de gaz par kg de MVI diminue légèrement, jusqu’à une valeur limite de 450 l. Cette évolution a eu lieu parallèlement à la réduction du temps de séjour de 40 à 20 jours. Pourtant, après 110 jours d’expérience, la production de gaz par kg de MV augmente.
[Photo : Évolution des pH]
[Photo : Fig. 3 : Production de gaz par kg de MV introduit.]
[Photo : Fig. 4 : Teneur en NH₄⁺.]
[Photo : Fig. 5 : Rendement moyen de la digestion.]
[Photo : Fig. 6 : Évolution des MVS.]
jusqu’à un nouveau palier de 600 l/kg MVI. Comme l’indique Pfeffer (1979) et Van Velsen et Lettinga (1979), il semble donc qu’un temps de séjour supérieur à 20 jours n’influence pas les variations de la production de gaz.
Avec l’addition de matières de vidange, la teneur en NH₄⁺ aurait dû être multipliée par cinq. Or, dans le digesteur, la teneur en NH₄⁺ est restée constante jusqu’au 50ᵉ jour (1 200 mg N/l), passant au 70ᵉ jour, par une valeur élevée à 1 300 mg N/l (mais non dangereuse pour la digestion), puis diminuant de nouveau. Puisque la concentration est demeurée constante, il est possible d’admettre l’hypothèse de consommation de l’ion ammonium pendant la digestion comme précurseur d’azote N.
Enfin, à l’addition des matières de vidange, le rendement a chuté rapidement jusqu’à environ 25 % aux environs du 50ᵉ jour. Puis le rendement a augmenté de nouveau, lentement, pour atteindre une valeur-limite, mais constante, de 40 %.
Il faut noter qu’entre le 30ᵉ et le 50ᵉ jour d’expérience, une baisse globale du taux de MVS dans les boues mixtes a été observée à l’alimentation. Ce taux est passé de 67-70 % à 55 %, sans induire de perturbations majeures au niveau de la digestion (figure 6).
Conclusion
Le rendement de la digestion des matières de vidange mélangées aux boues mixtes atteint au cours de cette étude pilote est de 40 %. Par rapport à la digestion classique de boues mixtes épaissies, le rendement est réduit de 15 %. On peut toutefois observer que le rendement ne constitue qu’un indicateur du fonctionnement de la digestion, comme on le voit sur le graphique de la figure 6, où l’on constate que le taux de MVS à la sortie de l’installation reste constant.
Le traitement des matières de vidange par digestion anaérobie est donc possible en unité-pilote. On peut noter les points suivants :
- - les analyses quotidiennes du mélange à digérer par le pilote ne montrent aucune variation brutale des paramètres. Or ce sont les variations brutales qui sont souvent à l’origine de la déstabilisation d’un digesteur anaérobie ;
- - les charges en boues mixtes épaissies dans la station ainsi que les charges en matières de vidange dépotées quotidiennement sont constantes ;
- - l’addition quotidienne de matières de vidange aux boues mixtes épaissies induit une diminution du temps de séjour dans le digesteur de 40 à 20 jours, ce qui est encore compatible avec une bonne efficacité de la digestion.
La digestion anaérobie des matières de vidange dans les digesteurs de boues des stations d’épuration à un taux élevé (50 % de la charge hydraulique) est donc possible, sans risque important de déstabilisation du procédé bactérien, avec un rendement tout à fait acceptable.
Bibliographie
- [1] Isa Z. et al., Sulfate Reduction Relative to Methane Production in High-Rate Anaerobic Digestion : Technical Aspects, Appl. Environ. Microbiol., 51, n° 3, 1986, p. 572-579.
- [2] Oleszkiewicz J. A. et al., Effects of pH on Sulphide Toxicity to Anaerobic Processes, Environ. Technol. Lett., 10, n° 9, 1989, p. 815-822.
- [3] Pfeffer J. T., Anaerobic Digestion Process, 1st Int. Symp. Anaerobic Digestion, Cardiff, 1979, p. 15-33.
- [4] Van Velsen A. F. M. et Lettinga G., Effect of Feed Composition on Digester Performance, 1st Int. Symp. Anaerobic Digestion, Cardiff, 1979, p. 113-129.
- [5] Kouzeli-Katsiri A. et Kartsmas N., Inhibition of Anaerobic Digestion by Heavy Metals, Anaerobic Dig. Sewage Sludge Org. Agri Wastes, 1986, p. 104-119.
- [6] Mac Carty P. L. et Mac Kinney R. E., Volatile Acid Toxicity in Anaerobic Digestion, Jour. Water Poll. Control Fed., 33, 1961, p. 399-415.