La production d’eau potable à partir des eaux superficielles n'est pas sans risques lorsque l’on connaît les dangers des pollutions accidentelles, phénomènes imprévisibles et brutaux qui constituent une menace constante pour la sécurité de l'approvisionnement en eau.
Le Syndicat des eaux d’Île-de-France (S.E.D.I.F.), le plus grand service de distribution d’eau d’Europe avec une capacité de production de plus de 1,7 million de mètres cubes pour une population de 4 millions d’habitants, est aussi le plus exposé à ces aléas, 95 % de ses ressources en eau provenant de trois des rivières les plus industrialisées de France : la Seine, la Marne et l'Oise. Ainsi, en dix ans, le S.E.D.I.F. a dû faire face à 257 pollutions accidentelles.
Devant cette situation préoccupante, le Syndicat et son régisseur, la Compagnie générale des eaux, entreprennent depuis plusieurs années des actions pour lutter efficacement contre la pollution par la prévention des risques d’accidents et la surveillance continue de la qualité des eaux des rivières.
Si les campagnes de sécurité menées en collaboration avec les pouvoirs publics et les industriels permettent de dresser l'inventaire, tant qualitatif que quantitatif, des risques de pollutions à l'amont des usines de production d’eau potable, et de prévoir l'impact d’une pollution au droit des prises d’eau, la détection en temps réel des pollutions accidentelles constitue un des maillons essentiels de la chaîne de sécurité à mettre en place à l’amont des captages. Le producteur d’eau doit disposer de tous ces éléments pour mieux faire face à une situation de crise.
Dès le début des années 70, le Syndicat a commencé à mettre au point une technologie pour le suivi en continu de la qualité de l’eau des rivières. Cette action s’est alors concrétisée par la mise en place d'une première génération de stations d’alerte : les postes automatiques d’observation de la qualité de l’eau, installés à Boran-sur-Oise et Ablon-sur-Seine.
Ne permettant de suivre que quelques paramètres représentatifs des caractéristiques générales de l’eau (température, turbidité, résistivité, oxygène dissous, pH et rH), cet instrument primitif et peu adapté constitua une première expérience de la gestion du capteur en milieu hostile.
Dès 1975, au vu de ces expériences positives, le Syndicat lance un programme de haut niveau scientifique visant à mettre au point des capteurs plus spécifiques, capables de détecter des pollutions accidentelles.
Les points essentiels de ce programme portent sur trois facteurs :
L’analyse du « besoin vrai » en capteurs
La notion d’utilité du capteur semble évidente ; cependant la tentation d’installer des capteurs « qui existent et qui serviront toujours », mais dont l’intérêt n’est pas toujours démontré, est grande et elle est renforcée par la difficulté concrète de bâtir un programme analytique.
Il convient donc d’appuyer ses choix sur les conclusions des études de prévention des risques qui sont fondées sur l’analyse historique des pollutions déjà subies par le captage, et l'inventaire des risques industriels potentiels menaçant la prise d’eau (stockage, transport de produits dangereux...).
La définition du programme analytique utile et nécessaire est alors possible.
La nécessité de fiabiliser le capteur
L’analyseur automatique et la station d’alerte doivent être des instruments d'une grande fiabilité ; sans cela le dispositif d’analyse est inexploitable et ses gestionnaires l’abandonnent rapidement.
Il convient donc de mettre en place autour du capteur :
- — un système de détection des anomalies de fonctionnement, qui donnera valeur de crédibilité à la mesure effectuée ;
- — un système de nettoyage, qui lui confèrera une bonne autonomie de fonctionnement ;
- — un système automatisé d’étalonnage, pour s’affranchir des dérives et des fluctuations inhérentes à tout dispositif de mesure.
Des méthodes de mise au point
Pour répondre à ces contraintes, il faut faire appel à la micro-informatique qui va permettre la mise en œuvre de tous les systèmes précédemment énoncés, tout en disposant d’un appareil intelligent capable de s’autocontrôler et avec lequel le dialogue est possible, tout en « prédigérant » les informations.
Le choix du capteur est fondamental. L’analyse des paramètres chimiques peut se faire à partir de méthodes de dosage très diversifiées. La priorité doit être donnée à l'utilisation de méthodes particulièrement bien adaptées pour les mesures en eaux de rivière. En cela, les méthodes électrochimiques sont à privilégier car elles présentent l’avantage d’être indépendantes de la turbidité et de la coloration des eaux brutes, sources d’interférences importantes dans le cas des méthodes basées sur la spectrophotométrie.
* Compagnie générale des eaux. ** Syndicat des eaux d’Île-de-France.
Lorsque l'emploi de l'électrochimie est impossible (manque de sensibilité, mauvaise fiabilité du capteur pour le paramètre considéré) les méthodes utilisées font l'objet d'une adaptation particulière, par exemple mesure colorimétrique à multilongueurs d'ondes ou après une phase d'extraction.
Ainsi en dix ans, ont été mis au point :
— les analyseurs à électrodes spécifiques : ils permettent l'analyse de l'ammoniaque, des nitrites, des nitrates, des cyanures, des fluorures, des chlorures et du carbone organique total.
Ce dernier est la forme la plus complète de cette série d'analyseurs puisqu'il associe l'analyse électrochimique du dioxyde de carbone par une électrode spécifique, deux préparations préalables de l'échantillon que sont l'élimination du carbone minéral par strippage en milieu acide et l'oxydation photochimique des composés organiques (figure 1) ;
— les analyseurs de métaux par polarographie (figure 2) : la polarographie, technique électrochimique très sensible, est particulièrement bien adaptée pour la détection des métaux lourds, produits toxiques qu'il convient de surveiller étroitement. Les métaux suivants sont ainsi dosés : le zinc, le cadmium, le plomb, le cuivre, le chrome hexavalent et le mercure ;
— les analyseurs spectrophotométriques : dans la majorité des cas, les mesures sont conduites après une phase d'extraction liquide-liquide, qui accroît la sensibilité de la mesure et permet de s'affranchir de l'interférence de la turbidité. C’est ainsi que sont dosés les phénols, les détergents et les hydrocarbures.
Lorsque l'extraction ne peut être réalisée, l'analyse colorimétrique est effectuée à plusieurs longueurs d’ondes pour masquer l'interférence de la turbidité par l'emploi de la méthode de correction d'Allen : c’est le cas de l'analyseur d'aluminium.
— l'analyseur des pesticides par une électrode à enzyme : cette électrode est basée sur le couplage d’un capteur électrochimique (électrode de pH) et d'une membrane porteuse d'activité enzymatique que la présence de pesticides organo-phosphorés inhibe.
La mise au point de cette instrumentation performante, adaptée et répondant aux besoins de distributeurs d'eau a donné lieu à une série d'expériences décisives.
Des stations d’alerte automatiques chargées de protéger les prises d'eau ont été conçues. Leur réalisation est le fruit d'études menées à tous les niveaux pour leur conférer une grande autonomie de fonctionnement, une fiabilité maximale et une facilité d'entretien. Un calculateur central gère l'ensemble de la station et reçoit les données mesurées par les différents analyseurs indépendants auxquels sont confiés la conduite des mesures et leur contrôle.
Le programme de protection des prises d'eau des trois usines de la banlieue de Paris est vaste : les stations d'alerte de Gournay-sur-Marne et de Méry-sur-Oise sont déjà en place ; la station de Gournay (figure 3), opérationnelle depuis 1984, a été le banc d'essais de cette nouvelle conception de l'analyse automatique.
À terme, les usines de Choisy-le-Roi, de Neuilly-sur-Marne et de Méry-sur-Oise bénéficieront de la mise en place de véritables réseaux d'alerte constitués de stations principales chargées de protéger la prise d'eau, et de stations secondaires, postes de détection avancée des pollutions accidentelles, chargés de surveiller les zones à risques situées plus en amont.
L'expérience du S.E.D.I.F. et de la Compagnie générale des eaux dans ce domaine intéresse d'autres régions, tant en France qu’à l'étranger : c’est ainsi qu'ont pu être installées des stations pour le compte des villes de Paris et Marseille, de la région de Venise à Badia Polesine (figure 4) et à Padoue.
Pour élargir le domaine d'utilisation des analyseurs développés, des études ont été entreprises en vue de les adapter au fonctionnement sur des effluents urbains et industriels. Il s'avère qu'après quelques modifications, les analyseurs par électrodes spécifiques sont tout à fait utilisables en eaux chargées et les essais effectués, tant en stations d'épuration urbaine que sur
Des rejets industriels, sont tout à fait concluants. Un analyseur du carbone organique total a ainsi été récemment acquis par l'usine TREDI de Saint-Vulbas spécialisée dans le traitement des déchets industriels, où il donne entière satisfaction sur des effluents pourtant fortement chargés en chlorures.
Devant l'étendue et la diversité des besoins des distributeurs d'eau et des industriels dans le domaine du suivi de la qualité des eaux, le développement de nouveaux capteurs est une nécessité. Il a donné lieu, au sein de la Compagnie générale des eaux, à la création d’un service Instrumentation qui étudie et met au point (principalement pour le compte du S.E.D.I.F.) des analyseurs qui correspondent aux besoins des exploitants, lesquels sont ensuite fabriqués en série sous licence du S.E.D.I.F. et de la Compagnie générale des eaux, par une société du groupe de la Générale des eaux : la S.E.I.T.
Un capteur nouveau est mis au point en moyenne chaque année et le programme à court terme porte sur le développement :
- — d'un analyseur d’azote organique par la méthode d’oxydation photochimique, déjà utilisée avec succès dans l’analyseur du carbone organique total ;
- — d'un détecteur de toxicité globale par l'automatisation du test Microtox, test de toxicité reconnu comme le plus rapide et le plus sensible actuellement commercialisé, basé sur la baisse de luminescence émise par des bactéries en présence de substances toxiques ;
- — d’un capteur de présence de germes par anticorps monoclonaux.
L'ensemble de cette politique apparaît comme une nécessité, compte tenu des paris qualitatifs en cours, liés en particulier à la promulgation des nouvelles normes de potabilité qui exigeront un effort de vigilance sans précédent que seule l'analyse qualitative continue permettra de mener à bien, quelles que soient les filières de traitement qui seront mises au point lors de la prochaine décennie.