La gestion de la pollution des eaux pluviales est devenue une priorité publique. Si les systèmes de traitement de la pollution chronique, décanteurs ou séparateurs éliminent une bonne partie de la pollution particulaire due aux hydrocarbures, il est difficile, par contre, de mesurer et de gérer les pollutions accidentelles dues à des déversements inopinés d'hydrocarbures flottants. Pour permettre de contenir au plus vite ce type de pollution, l'IFP et Néréides ont mis au point un détecteur d'hydrocarbures par membrane polymère sensible qui présente des temps de réaction très courts et permet une bonne détection de la plupart des hydrocarbures existants et de certains solvants chlorés. Placé en aval des bassins de rétention et séparateurs industriels, ou avant rejet des effluents dans le milieu naturel, ce système de détection Saphir permet de stopper la pollution en déclenchant une alarme et en actionnant des vannes d'obturation ainsi que de caractériser et localiser au plus vite le polluant.
La loi sur l’eau de 1992 et la directive du 21 mai 1991 sur les eaux résiduaires urbaines imposent le traitement des surverses de réseaux unitaires et délimitent par commune les zones de maîtrise des eaux de ruissellement.
La séparation des eaux pluviales des eaux usées en cours dans notre pays constitue un progrès incontestable car elle évite d’avoir à financer des ouvrages de collecte et de traitement disproportionnés. Et pourtant séparer n’est pas traiter, et de nombreuses études menées aux USA et en Europe montrent que la quantité moyenne annuelle de pollutions issues des eaux pluviales rejetées dans le milieu naturel est comparable à celle des rejets urbains après traitement, 2 à 5 % des branchements d’eaux usées effectués par erreur sur le réseau des eaux pluviales suffisant à y déverser un flux de matières polluantes comparable à celui des réseaux de surverse unitaires.
La gestion de cette pollution spécifique des eaux pluviales est donc devenue une priorité publique. Ainsi s’élaborent dans certaines collectivités locales de véritables stratégies de maîtrise des eaux de pluies en milieu urbain. Dans le Bas-Rhin il n’existe pas moins de 120 bassins d’orage correspondant à 30 000 m³ de stockage(1).
Pour gérer cette pollution on a été amené à en dresser une typologie simple permettant de mettre en face de chaque problème la solution adéquate. Afin de mettre des solutions pertinentes en adéquation avec les différentes sources de pollution, deux types de pollution présentes dans les eaux pluviales peuvent être distinguées :
- les pollutions « épisodiques », liées à la charge normale des eaux de pluie en éléments polluants due au lessivage des surfaces urbaines et industrielles ; - les pollutions « accidentelles » dues aux déversements et fuites inopinées provenant d’installations industrielles, par nature imprévisibles et difficiles à caractériser.
Pour mémoire on peut rappeler quelques ordres de grandeur concernant le premier type de pollution (tableau I).
La part des hydrocarbures dans la pollution des eaux de pluie est relativement importante puisqu’ils contribuent pour 30 % environ à la pollution globale des eaux de ruissellement : en 1983 la masse totale des émissions polluantes dues aux hydrocarbures et susceptibles d’être reprises par les eaux pluviales est estimée à 2 310 000 tonnes.
Pour fixer cette pollution, les industriels fabricants de séparateurs ont élaboré des outils de plus en plus sophistiqués qui permettent actuellement de décanter 35 à 90 % des hydrocarbures en pollutions particulaires (matériaux solides, inférieures à 50 microns).
(1) Jean Pierre Tabuchi, Agence de l'Eau Seine-Normandie, « État de la pollution urbaine par temps de pluie », Les dossiers des collectivités, Les problèmes de l'eau, tome 2.
(2) François Valron, Jean Pierre Tabuchi, « Maîtrise de la pollution urbaine par temps de pluie », Éditions Lavoisier.
Tableau I
Éléments | Concentrations moyennes annuelles (mg/l) | |
---|---|---|
Séparatif pluvial | Unitaire | |
DBO5 | 25 | 65 |
DCO | 180 | 310 |
MES Totales | 235 | 485 |
Hydrocarbures | 5,5 | 6,5 |
Pb | 10,35 | 0,4 |
Source : J.P. Philippe, Campagne de mesure sur dix bassins versants de la Région Parisienne (Direction Régionale de l’Équipement d’Île-de-France).
Les pollutions accidentelles
Par nature imprévisibles, en fréquence comme en ampleur, les pollutions accidentelles sont difficiles à estimer, tout comme il est difficile de dimensionner des ouvrages de séparation adaptés. En outre, les ouvrages de prévention sont généralement installés après un premier épisode d’une telle pollution. Il est donc nécessaire que l’exploitant de l’ouvrage soit averti le plus rapidement possible de l’arrivée de la pollution. En effet, il leur faut tout d’abord stopper et traiter au plus vite la pollution, mais aussi identifier le pollueur responsable en remontant la piste des réseaux de collecte.
Dans les séparateurs, des flotteurs différentiels permettent l’obturation du réseau de traitement avant surcharge. En cas de pollution épisodique (fortes précipitations), des bassins de retenue des flux d’orage permettent également de maintenir un traitement régulier et un débit différé et constant dans les bassins de décantation. Par contre, ces moyens de traitement sont nettement plus fragilisés lors de déversement accidentel, le risque de saturation des réseaux d’exploitation ne pouvant être écarté.
C’est pourquoi un système de détection et d’alerte des pollutions accidentelles doit être envisagé en complément des traitements habituels :
- en accompagnement des systèmes de traitement, dont les mécanismes n’offrent pas une dépollution totale en cas de déversement excessif, en raison du type d’hydrocarbures traités ;
- en complément des systèmes de traitement des hydrocarbures flottants classiques : déshuileurs, séparateurs après bassin d’orage, etc., comme élément intégré d’indicateur de maintenance et de vérification en cas de saturation ;
- en alerte active auprès des industriels, pour stopper au plus tôt les pollutions accidentelles, avant une contamination trop importante des réseaux collectifs d’eaux pluviales.
La détection des pollutions accidentelles doit être envisagée à deux niveaux : au plus près de la source de pollution potentielle, c’est-à-dire généralement en aval des bassins de rétention implantés dans les zones industrielles, et d’autre part en indicateur de contrôle, en aval des stations de traitement des effluents urbains, avant leur déversement dans le milieu naturel.
Détection par membrane polymère sensible
Le système de détection est basé sur l’utilisation d’une membrane polymère(3) sensible à la présence d’hydrocarbures flottants et maintenue en faible tension par des ressorts. Elle est stable à l’air ou lors d’une immersion dans l’eau, mais, par contre, au contact de traces d’hydrocarbures flottants, elle se dissout rapidement et, en se rompant, active un signal d’alarme. Selon la formulation du polymère et l’épaisseur de la membrane, il est possible de faire jouer la sensibilité du capteur. Pour l’instant, une membrane standard de 0,1 mm est seule commercialisée ; les résultats et tests effectués en laboratoire donnent des résultats positifs sur un grand nombre d’hydrocarbures (aromatiques comme aliphatiques) (tableau II).
Des tests réalisés successivement par de nombreux organismes, dont le BRGM et le CEDRE (voir encadrés), confirment la grande sensibilité de cette membrane à des films d’hydrocarbures d’épaisseur de l’ordre de 0,1 mm en ce qui concerne l’essence, le benzène, le toluène, le xylène, le gasoil et le kérosène.
Elle constitue ainsi un système de détection sensible, fiable et très simple d’utilisation. Contrairement aux autres modes de détection, elle permet de détecter un spectre d’hydrocarbures très large (notamment certains aliphatiques) de manière précise et rapide (5 secondes de détection pour le benzène, mais aussi entre 5 et 10 secondes pour les solvants chlorés) (tableau II).
(3) Réalisée conjointement par Néréides et l’IFP.
Tableau II
Temps de sensibilité du capteur sous tension normale (environ 150 g) dans divers produits à 20 °C
(Seuil de détection : 0,025 mm à 0,1 mm d’épaisseur de film surnageant)
Hydrocarbures
Essence | 4 s |
Gasoil et fuel domestique | 2 à 3 min |
Pétrole brut | 2 à 3 min |
Kérosène | 26 s |
Benzène | 5 s |
Iso-octane | 90 s |
Styrène | 15 s |
Toluène | 7 s |
Xylènes | 10 s |
Solvants chlorés
Chloroforme | 10 s |
Chlorure d’allyle | 8 s |
1,1 ou 1,2 Dichloroéthylène | 5 s |
1,2 Dichloroéthane | 5 s |
1,1,2 Trichloroéthane | 10 s |
Trichloroéthylène | 10 s |
Divers
Acétate d’octyle | 48 s |
Acétone | 10 s |
β-Picoline | 30 s |
Méthacrylate de méthyle | 13 s |
Ce procédé ne dérive pas, ne nécessite ni réglage ni outils analytiques complémentaires, contrairement aux systèmes de prélèvement usuels (analyse spectrale par exemple).
La membrane semble plus particulièrement sensible aux hydrocarbures aromatiques mais n’offre pas de possibilité de détection des hydrocarbures accrochés aux particules solides. D’autre part, son caractère cumulatif entraîne parfois des déclenchements en cas d’absorption régulière inférieure au seuil de détection. La membrane doit donc être remplacée tous les six mois pour obtenir une meilleure optimisation de ses capacités.
Après plusieurs années d’expériences en laboratoire et sur le terrain, le dispositif s’est progressivement affiné, notamment en ce qui concerne la stabilisation de la membrane dans le temps.
Le système de détection Saphir
La membrane fusible est placée dans un coupe-circuit cylindrique en PVC, résistant à la corrosion, et bientôt en aluminium (figure 1). La membrane est maintenue en tension entre une tige fixe et une tige sur ressort, sous une tension nominale de 150 g. On peut modifier la tension pour accélérer le temps de réaction dans certaines applications particulières : une tension de 700 g, par exemple, permet de détecter en moins de quatre minutes tout écou-
Rapport CEDRE (Centre de Documentation, de Recherche et d’Expérimentations sur les pollutions accidentelles des Eaux)
Premier semestre 1993/1994
Le CEDRE a choisi de tester la détection des hydrocarbures à la surface de l’eau appliquée aux installations fixes : raffineries, terminaux, stockages etc. L’objectif était de connaître le comportement du détecteur Saphir face aux différents hydrocarbures versés dans différentes quantités et de mesurer les temps de réponse obtenus.
Ne pouvant recréer les conditions réelles de pollutions en sortie de raffineries, les passages de polluants étant constitués de nappes non homogènes, deux méthodes de mesure ont été retenues :
- Une mesure sans courant
- Une mesure avec courant (dispositif constitué d’une cuve, d’un fût de 200 l et d’un moteur électrique à hélice créant un courant continu), avec immersion à la moitié de la membrane.
Les principaux résultats sont récapitulés dans le tableau I.
Tableau I
Hydrocarbures | Sans courant | Avec courant | ||
---|---|---|---|---|
Épaisseur | Temps de réponse | Épaisseur | Temps de réponse | |
Essence | 0,05 mm | 6 s | 0,1 mm | 8 s |
Gas oil | 0,05 mm | 2 min 58 | 0,1 mm | 2 min 33 |
Brut | 0,05 mm | 4 min 2 | 0,1 mm | 6 min 27 |
Kérosène | 0,1 mm | 26 s | 0,1 mm | 55 s |
Élément continu de pétrole brut, consécutif à un déversement accidentel. Le capteur peut être monté sur minibouées pour suivre les variations du niveau d’eau et il ne nécessite aucun calibrage.
Le détecteur intègre une électronique de transmission radio ou téléphonique permettant des installations en réseau, avec des distances de transmission s’étageant de quelques mètres à plusieurs kilomètres. La station d’alarme supporte les trois modes de transmissions filaire, téléphonique et radio et peut gérer jusqu’à 99 détecteurs en mode radio ou téléphonique. Elle fournit une alarme sonore ou visuelle et peut être connectée à un système de supervision général par RS232.
Rapport du BRGM
(Bureau de Recherches Géologiqueset Minières)réalisé en septembre 1992
Le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) a réalisé des tests comparatifs de détecteurs d’hydrocarbures flottants à la surface de nappes souterraines. Les expériences se sont déroulées en deux phases : sur colonne en laboratoire, et sur le terrain sur un site pollué par les hydrocarbures.
Parmi les hydrocarbures les plus fréquemment rencontrés dans les pollutions organiques des nappes souterraines, on trouve les composés suivants :
- Paraffines : dérivés aliphatiques saturés ou alcanes
- Naphtènes : dérivés polycycliques saturés ou cyclanes
- Oléfines : dérivés insaturés ou alcènes
- Acétylènes : dérivés insaturés ou alcynes
- Aromatiques : benzène, toluène, xylène, naphtalène, diphényle... et, plus globalement, les dérivés du pétrole et du gaz naturel : essence, kérosène, gasoil, fuel.
On trouve par exemple, dans une essence « super plus » :
- Aromatiques : 50 %
- Oléfines : 7 % (en volume)
- Saturés : 25 %
- MTBE : 10 % (additif)
- Benzène : 1 %
Les caractéristiques testées correspondent aux caractéristiques métrologiques du capteur :
précision : degré d’approximation entre les valeurs mesurées et les valeurs réelles. Elles intègrent les concepts de linéarité, hystérésis et répétabilité. Étant donné que le capteur ne réalise qu’une détection qualitative du polluant (« tout ou rien »), la précision a été évaluée en fonction du nombre de réponses positives obtenues.
spécificité : capacité du capteur à déceler différentes substances.
Les polluants retenus pour réaliser les expériences sont portés au tableau I :
– La membrane Saphir est moins sensible aux fractions dissoutes dans l’eau. La présence du produit en sursaturation (film en surface) est nécessaire pour entraîner la dissolution de la membrane.
Résultats obtenus en laboratoire
D’après les résultats obtenus la précision du capteur est bonne puisque seules deux réponses négatives sur 16 ont été enregistrées. Parmi les produits testés le capteur décèle les essences, le benzène, le toluène, le xylène et le gasoil. Il est sensible à des films dont l’épaisseur est supérieure ou égale à 0,5 mm avec des temps de réponse très faibles (pour des films de 0,5 mm) : toluène en 8 secondes, essence en 25 secondes, benzène en 13 secondes, xylène en 19 secondes... Le capteur est capable de déceler les formes solubles du benzène à la concentration de saturation (1800 ppm) mais avec des temps de réponse assez élevés.
Résultats sur le terrain
Le capteur a été testé sur un puits de grand diamètre pollué par du fuel. Les différents essais réalisés ont permis d’identifier un temps de réponse moyen de dix secondes.
Tableau I
Produit | Poids spécifique | Solubilité (mg/l) |
---|---|---|
Essence auto | 0,7321 | — |
Gasoil | 0,80 – 0,85 | — |
Kérosène | 0,81 – 0,86 | — |
Benzène | 0,8737 | 1780 |
Toluène | 0,8623 | 535 |
Xylène | 0,86 – 0,88 | 130 – 190 |
Des réalisations publiques et industrielles
Les principales applications de ce système de détection ont été réalisées pour surveiller des installations pétrolières. La préoccupation environnementale a depuis permis l’extension et la multiplication de ses possibilités d’adaptation et il est désormais de plus en plus utilisé également par les collectivités locales et les industries pour déceler la présence d’hydrocarbures flottants dans les bassins de retenue d’eaux pluviales (figure 2).
À Orléans par exemple, un dispositif (figure 3) a été mis en place en aval d’un décanteur à fort débit (800 l/s) afin de contrôler les effluents avant déversement dans un étang protégé. Après modification du système de traitement, remplacement par un décanteur, et réajustement des dimensions du bassin pour tenir compte des pluies décennales, la municipalité a voulu surveiller la qualité de ses effluents de sortie. En cas de pollution, le système de détection actionne une vanne motorisée qui ferme le bassin.
Certains industriels ont également opté pour cette formule de détection qui a permis, comme c’est le cas à Orléans, de signaler et donc de contenir des pollutions accidentelles avant déversement dans les réseaux publics.
D’autres applications se développent actuellement autour de la version piézométrique permettant l’installation en surveillance de nappes phréatiques (dans les stations-services par exemple ou à la protection des captages) : le détecteur est alors installé dans un tube. La membrane est fixée à un flotteur qui suit la nappe phréatique et soutient un contrepoids. Lorsqu’elle se déchire, le contrepoids se libère et un relais Reed situé sur la partie supérieure du piézomètre ouvre un contact sec.
Le système est disponible au niveau international dans une trentaine de pays. Parmi les applications nouvelles, Saphir est utilisé également pour la protection des prises d’eau des usines de désalinisation des Émirats du Golfe Persique (figure 4). Dans cette application, les détecteurs sont placés sur des bouées alimentées par panneaux solaires, munis d’une transmission radio et situés à 1 kilomètre de la station centrale, laquelle génère l’alarme de pollution et actionne les différents processus de protection de la prise d’eau.
Conclusion
Le procédé de détection Saphir présente de nombreux avantages : simplicité d’utilisation et d’installation, efficacité et rapidité dans la capacité de détection, large gamme d’hydrocarbures concernés. Sa souplesse de conception lui permet de convenir à de nombreuses applications, souterraines ou en surface. Des outils de détection de ce type deviennent aujourd’hui de plus en plus indispensables dans la prévention des pollutions accidentelles et contribuent à une meilleure gestion des risques industriels. Les efforts entrepris par les collectivités locales et les industriels en matière de protection et de traitement des eaux pluviales vont dans ce sens.