L’eau est une voie potentielle de transmission de maladies humaines d'origine virale ou bactérienne. La préoccupation principale des traiteurs d’eau est d’assurer et de maintenir une désinfection efficace des eaux destinées à l’alimentation humaine, non pas seulement au niveau de l’usine de traitement d’eau, mais également sur l’ensemble des réseaux de distribution. Pour atteindre ce but, le traiteur d’eau dispose de plusieurs types de désinfectants parmi lesquels l’ozone, qui présente une action germicide très importante mais une faible rémanence, est utilisé depuis de très nombreuses années, essentiellement en Europe.
Le but principal de cet article est de faire le point sur les connaissances des principaux mécanismes de la désinfection par l’ozone et leurs implications au niveau pratique.
Facteurs fondamentaux et modélisation de la désinfection
Dans la désinfection des eaux, plusieurs paramètres fondamentaux interviennent ; il s’agit :
- de la quantité de désinfectant qui est efficace sous sa forme active ;
- du temps de contact entre le désinfectant et l'eau à désinfecter ;
- de l’efficacité propre du désinfectant (appelée pouvoir létal) ;
- de la susceptibilité du micro-organisme à détruire ou à inactiver ;
- de facteurs physico-chimiques de l'eau à désinfecter tels que le pH, la température, la force ionique...
Depuis de très nombreuses années la loi de Chick est utilisée pour modéliser l’efficacité de la désinfection ; celle-ci peut être représentée sous la forme :
Nₜ = N₀ exp (—ACt)
- N₀ représente le nombre de micro-organismes initialement présents ;
- Nₜ le nombre de micro-organismes survivants au temps t ;
- A le coefficient spécifique de létalité dépendant du type de micro-organisme et du désinfectant ;
- C la concentration de désinfectant sous sa forme active ;
- t le temps d’inactivation.
La relation exponentielle met particulièrement en évidence l'importance de la concentration en désinfectant et du temps de contact. Ainsi le passage du pourcentage de micro-organismes survivants de 10 % à 1 % nécessite un doublement du temps de contact pour une même concentration initiale en désinfectant.
La détermination des coefficients spécifiques de létalité permet de comparer de façon plus rigoureuse l’efficacité des désinfectants vis-à-vis d’un micro-organisme donné. Les valeurs de coefficients données par Morris (1975) mettent particulièrement en évidence le pouvoir inactivant de l’ozone vis-à-vis des principaux types de micro-organismes (tableau 1). L’importante action germicide de l’ozone peut être reliée au fort pouvoir oxydant de l’ozone caractérisé par son potentiel d’oxydo-réduction élevé (tableau 2).
Mécanismes de la désinfection par l’ozone
Influence des diverses espèces générées par l’ozone
La décomposition de l’ozone dans l’eau est bien connue et a fait l’objet de très nombreuses études. L’ozone est détruit rapidement en milieu aqueux ; les temps de demi-vie dépendent de la nature de l'eau et sont généralement de l’ordre de quelques dizaines de minutes (Hoigné, 1976). La compréhension des mécanismes de désinfection par l’ozone passe donc nécessairement par la connaissance des diverses espèces oxydantes générées au cours de la décomposition. Peleg (1976) après une revue bibliographique de la chimie de l’ozone en milieu aqueux, suggère les étapes de décomposition de
Tableau 1 : Valeurs des coefficients spécifiques de létalité des principaux désinfectants (mg·l⁻¹·min⁻¹)
Désinfectant | Bactérie entérique | Cystes d'amibe | Virus | Spores |
---|---|---|---|---|
O₃ | 500 | 0,5 | 5 | 2 |
HOCl (Cl₂) | 20 | 0,05 | 1 | < 0,05 |
OCl⁻ (Cl₂) | 0,2 | 0,0005 | < 0,02 | < 0,0005 |
NH₂Cl (Cl₂) | 0,1 | 0,02 | 0,005 | 0,001 |
Tableau 2 : Potentiels d’oxydo-réduction normaux apparents des principaux oxydants
Oxydants | E (Volts) | Oxydants | E (Volts) |
---|---|---|---|
O₃ + 2H⁺ + 2e⁻ = O₂ + H₂O | 2,07 | ClO₄⁻ + e⁻ = ClO₃⁻ | 0,95 |
HOCl + H⁺ + e⁻ = Cl⁻ + H₂O | 1,49 | OCl⁻ + H₂O + 2e⁻ = Cl⁻ + 2OH⁻ | 0,90 |
Cl₂ + 2e⁻ = 2Cl⁻ | 1,36 | OBr⁻ + H₂O + 2e⁻ = Br⁻ + 2OH⁻ | 0,70 |
HOBr + H⁺ + 2e⁻ = Br⁻ + H₂O | 1,33 | I₂ + 2e⁻ = 2I⁻ | 0,54 |
O₂ + H₂O + 2e⁻ = 2OH⁻ | 1,24 | S₄ + 2e⁻ = 3I⁻ | 0,53 |
ClO₃⁻ + e⁻ = ClO₂⁻ | 1,15 | OI⁻ + H₂O + 2e⁻ = I⁻ + 2OH⁻ | 0,49 |
Br₂ + 2e⁻ = 2Br⁻ | 1,07 |
l’ozone suivantes, caractérisées par des durées de vie très faibles et des réactivités variables :
O₃ + HO — O₂ + 2 OH O₃ + OH — O₂ + HO₂ O₃ + HO₂ — 2 O₂ + OH OH + OH — H₂O₂ OH + OH — O· + H₂O
Hoigné et Bader (1976) suggèrent que l’ozone moléculaire et les radicaux hydroxyles (OH) très réactifs sont les espèces prédominantes dans les processus d’ozonation.
S’il est bien connu que l’ozone moléculaire O₃ possède un fort pouvoir désinfectant et que l’efficacité de la désinfection est liée à sa concentration en phase aqueuse (figures 1 et 2), par contre, à l’heure actuelle, il n’est pas possible d’affirmer que les radicaux hydroxyles ont un effet désinfectant important dans les conditions d’ozonation habituelles. Si le radical hydroxyle a un fort pouvoir oxydant qui lui conférerait une action germicide importante, sa réactivité avec les divers composants des eaux à traiter (matières organiques, bicarbonates...) est susceptible de réduire son efficacité désinfectante.
Mécanisme d’action de l’ozone sur les micro-organismes
Avant d’aborder l’étude des mécanismes de la désinfection par l’ozone, il est absolument nécessaire de connaître les
structures des bactéries et virus qui sont susceptibles de provoquer après oxydation une inactivation irréversible.
Dans le cas des bactéries, plusieurs structures peuvent être distinguées : les bactéries gram- (E. coli, coliformes, salmonelles) sont constituées d’une enveloppe formée de deux membranes : la membrane cytoplasmique interne et la membrane externe constituée de phospholipides, de protéines et de lipopolysaccharides ; ces deux membranes déterminent un espace occupé par des protéines solubles et par du peptidoglycane. Le tout peut être recouvert d’une structure polysaccharidique ou par une barrière protéique. Les bactéries gram+ (streptocoques, clostridium) ne possèdent pas de membrane externe ; par contre, la membrane cytoplasmique est recouverte par des chaînes polysaccharidiques reliées par des chaînes peptidiques. Falla (1984) a montré que les exopolysaccharides ne protègent pas les bactéries de l’ozone, ce qui s’explique par la faible réactivité de l’ozone avec les sucres. Par contre, sa réactivité importante avec les lipides et les protéines (Duguet, 1981) entraîne l’oxydation des membranes et éventuellement la libération du contenu cellulaire. Plusieurs autres constituants des bactéries sont très sensibles à l’ozone : les enzymes et les acides nucléiques composant le génome, mais à l’heure actuelle les mécanismes précis ne sont pas entièrement élucidés.
Dans le cas des virus, trois principales structures sont altérables par l’ozone : l’enveloppe externe, la capside et les acides nucléiques. Sur les virus possédant une enveloppe externe, l’ozone agirait sur les acides gras. La capside, de nature protéique, est susceptible d’être détruite avec formation de sous-unités protéiques et relargage des acides nucléiques qui peuvent être également oxydés par l’ozone. Cette dernière oxydation est considérée comme l’étape sensible de l’inactivation virale (Block, 1984).
Facteurs influençant l’efficacité de la désinfection par l’ozone
Les principaux facteurs susceptibles de modifier l’efficacité de la désinfection par l’ozone sont : l’état physique des micro-organismes, les matières organiques, le pH et la température.
L’état physique des micro-organismes
Généralement les micro-organismes présents dans les eaux à désinfecter ne sont pas à l’état libre. Ils se trouvent sous plusieurs formes : agrégés, fixés sur des matériaux minéraux ou organiques, adsorbés ou inclus dans les flocs d’hydroxydes d’aluminium. Les formes sous lesquelles se présentent les micro-organismes et la nature des matériaux-support (minéraux ou organiques) conditionnent l’efficacité du désinfectant : ainsi les flocs d’hydroxyde d’aluminium ne semblent pas avoir un effet protecteur des virus vis-à-vis de l’ozone (Hoff, 1978) ce qui peut être expliqué par la diffusion de l’ozone dans le floc et par la faible interférence de l’ozone avec le floc. Boyce (1981) n’a noté aucun effet de protection au cours de l’inactivation par l’ozone de Poliovirus Sabin type 1 et d’E. coli adsorbés sur de la bentonite ; par contre un léger effet protecteur a été constaté dans le cas du bactériophage F2.
Lorsque les micro-organismes se présentent sous forme d’agrégats, l’opération est beaucoup plus difficile à réaliser.
avant ultrasons
après ultrasons
Time – min
L'augmentation de l'efficacité de la désinfection est constatée lorsque l'eau a été soumise aux ultrasons, ce qui a pour effet de désagréger les amas (figure 3).
Les matières organiques
De nombreuses études et expériences pratiques montrent qu’une dose d’ozone bien déterminée doit être appliquée à l'eau avant que l’inactivation des micro-organismes n’ait lieu (Brodard, 1985). Ce phénomène est aisément explicable par le fait que la désinfection par l’ozone est en compétition avec les réactions d’oxydation qui consomment l’ozone. Ainsi la quantité et la qualité des matières consommant l’ozone déterminent la demande en ozone de cette eau et la vitesse de l’oxydation. Ces deux facteurs conditionnent l'efficacité de la désinfection.
Le pH
Le pH peut intervenir dans plusieurs mécanismes au cours de la désinfection par l'ozone :
— l'augmentation du pH s’accompagne d'un accroissement de la vitesse de décomposition de l’ozone sous forme d’espèces oxydantes qui ont des réactivités différentes avec les composés constituant les micro-organismes ;
— la réactivité des constituants biologiques vis-à-vis de l’ozone peut également évoluer sous l’influence du pH. Ceci est particulièrement le cas pour les matériaux protéiques où l’ozone oxyde plus facilement les acides aminés au niveau des groupements amino (NH₂) quand ces derniers sont sous forme non protonée, c’est-à-dire lorsque le pH augmente (Duguet, 1981) ;
— le pH joue un rôle important dans l’agrégation des virus. Les virus ont tendance à former des amas lorsque le pH diminue. Le pH pour lequel l’agrégation devient effective dépend du type de virus et de leur point isoélectrique (Sharp, 1982).
Dans plusieurs études, les variations de pH rencontrées dans le traitement de l'eau ne modifient pas significativement l'efficacité de la désinfection (Morris, 1975 ; O'Donovan, 1976). Dans les études où le résiduel d’ozone a été maintenu constant, le pH a eu des effets variables suivant les essais. Ainsi dans l’étude de Wickramanayake (1984) concernant les kystes de Giardia Muris, l’efficacité de l'inactivation augmente quand le pH évolue de 7 à 9 (figure 4).
La température
La température a également plusieurs influences sur la désinfection :
— augmentation des vitesses de diffusion et de réactions de l’ozone ;
— augmentation de la vitesse de destruction de l’ozone sous forme de radicaux.
Leiguarda (1949) et Kimman (1975) montrent que la température n’a pas d’effet sur la désinfection ; par contre Farooq (1977) conclut que l’augmentation de température accroît, à même dose d’ozone appliquée, l'efficacité de la désinfection même si le résiduel d’ozone décroît. Roy (1980), qui a établi des cinétiques d’inactivation à résiduel d’ozone contrôlé, met en évidence une augmentation d'efficacité lorsque la température s’élève (figure 5).
Conclusion
Cette synthèse non exhaustive montre clairement que la clé de la compréhension de la désinfection repose principalement sur la connaissance des interactions physico-chimiques du désinfectant avec les substances constituant les micro-organismes.
À l'heure actuelle, les recherches entreprises ne permettent pas de se faire une idée précise des mécanismes intimes de l’action de l’ozone sur les micro-organismes. Ceci se traduit bien souvent par une incompréhension des effets contradictoires que peuvent provoquer les facteurs tels que le pH, la température. D’autre part, la méconnaissance des mécanismes de la désinfection et des dommages réels subis par les micro-organismes permet de s’interroger sur le concept de mortalité des micro-organismes et remet donc en cause la validité des méthodes de détermination classiques.
Les recherches effectuées sur la chimie de l’ozone ont permis de mieux connaître les différentes espèces oxydantes mises en jeu, en particulier le radical hydroxyle qui est très réactif. L’optimisation de l'oxydation par ozonation favorisant la formation de ce type de radical (O₃ + H₂O₂ ; O₃ + UV) est un enjeu important et il est donc nécessaire, à la lumière de ces observations, que de nouvelles recherches aient pour objet la connaissance de l’action désinfectante de ces espèces oxydantes.
Plusieurs autres aspects de la désinfection par l’ozone n’ont pu être abordés dans le cadre de cet article : il s’agit de la mise en œuvre de l’ozone en désinfection, que cela soit au niveau des réacteurs de désinfection ou au niveau asservissement de ce procédé. Récemment, de gros efforts de recherches et de développement ont
[Figure : Effet du pH sur l'inactivation de kystes de Giardia Muris par l'ozone à 25 °C.] [Figure : Effet de la température sur les cinétiques d'inactivation du Poliovirus 1 par l'ozone à pH 7,2 (résiduel d'ozone : 0,15 mg O₃/l).]été entrepris. Basé sur les concepts de génie chimique et d’hydraulique, un nouveau type de réacteur à flux piston, le tube en U, a été mis au point pour l’oxydation et la désinfection (Brodard, 1984). L’asservissement de l’ozonation a également fait l’objet d’investigations ; ces nouveaux asservissements ne sont plus uniquement basés sur la mesure d’un résiduel d’ozone (paramètre non significatif en soi) mais sur la mesure d’un paramètre représentatif d’un effet recherché par l’ozonation. Ainsi, pour l’oxydation des matières organiques, un asservissement basé sur la mesure de l’absorption UV a été développé (Brodard, 1984). Il n’est donc pas irréaliste de prévoir pour la désinfection le développement de nouveaux capteurs (immunologique (Bourbigot, Mallevialle, 1986) ou à sonde à ADN, par exemple) de détection bactérienne et/ou virale permettant, sinon un asservissement, du moins une réduction du temps d’analyses.
À plus long terme, il semble nécessaire d’effectuer des recherches sur de nouveaux types de désinfectants qui permettraient de remédier aux inconvénients présentés par l’ozone et les composés chlorés (Fiessinger, 1984).
REFERENCES
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