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La déshydratation Industrielle de boues de station par électro-osmose

30 decembre 1996 Paru dans le N°197 à la page 50 ( mots)
Rédigé par : Pascal BATICLE et Isabelle HITA

La déshydratation de boues de station d'épuration grasses ou colloÏdales est bien souvent difficile à réaliser avec des matériels classiques. Une usine du groupe Bourgoin, abattoir de volailles et usine de transformation agro-alimentaire, recherchait un moyen efficace de réduire le volume de ses boues issues d'un procédé physico-chimique. La DER a mis au point la déshydratation des boues par électro-osmose en partenariat avec Elmetherm. L'originalité de ce procédé est d'utiliser ce phénomène physique qui permet d'extraire l'eau prisonnière des flocs de boues. Un prototype est en place aux établissements Bourgoin depuis 1992. Une analyse de la valeur a été menée pour réduire le coût d'investissement de la machine et faciliter les opérations d'entretien.

La déshydratation de boues par électro-osmose est un phénomène électrocinétique découvert en 1807 par Reuss. Les premières applications industrielles ne se sont développées qu’au début du XXᵉ siècle dans le domaine de la déshydratation de kaolin. Les appareils mis au point à cette époque ont connu un certain développement jusqu’à la chute du cours du baril de pétrole dans les années 1945-1950 qui condamna cette technique au profit des procédés de séchage thermique.

Il existe aujourd’hui quelques applications très pointues (fabrication de carreaux de faïence, gants de latex…), mais chacune demande un appareil spécifique bien souvent incapable de s’adapter à une autre application. La plupart de ces appareils a vu le jour au Japon.

Qu’est-ce que l’électro-osmose ?

L’électro-osmose est un déplacement d’eau au sein d’un solide poreux par l’action d’un champ électrique continu.

C’est un phénomène que l’on voit souvent décrit dans le domaine des membranes ioniques, de l’épuration, du bâtiment et des sols. Il existe une littérature très riche en ce qui concerne la théorie expliquant les phénomènes électrocinétiques. Ce qu’il faut retenir de la théorie est que les charges électriques en équilibre entre le solide et l’eau, quelle que soit la concentration du solide dans l’eau, peuvent être influencées par des forces extérieures au milieu, comme par exemple un champ électrique.

Effets d’un champ électrique sur une boue

En fait l’électro-osmose n’est pas le seul phénomène électrocinétique engendré par le champ électrique.

Quand un solide, sous forme de fines particules, se trouvant en suspension dans l’eau est placé dans un champ électrique on observe un déplacement des particules entourées de leurs charges électriques vers l’électrode de

[Figure : Effet d'un champ électrique sur une boue]

signe opposé. On appelle ce phénomène l’électrophorèse. Cette technique est utilisée industriellement pour faire des revêtements de peinture sur des carrosseries d’automobiles (cataphorèse). L'électrophorèse est aussi utilisée au laboratoire comme technique d’analyse (électrophorèse capillaire) ou séparative (séparation de protéines).

Quand ce même solide se trouve en forte concentration par rapport à l’eau au point de constituer une matrice fixe, on observe une migration de l’eau vers l’électrode de même signe que les charges de surface des particules solides. Ce phénomène est appelé électro-osmose.

Entre le premier cas et le second, il y a toute une zone de concentration où l’électro-osmose et l’électrophorèse sont simultanées. De plus les effets d’un champ électrique sur une boue ne se limitent pas à ces deux seuls phénomènes (figure 1). Par exemple, on observe aussi une migration des ions au sein de la boue vers les électrodes de signe opposé. La couche plus sèche souvent observée sur l’anode peut être due à l’électrophorèse en tout début de traitement, ou alors à un changement local de pH inversant le potentiel Zêta et permettant l’extraction d’eau par l’anode.

Une boue de station d’épuration n’est pas à proprement parler un “solide fixe”, surtout en début de traitement. Par contre au cours de la déshydratation on obtient bien une matrice molle, certes, mais fixe. On peut alors considérer la boue comme une éponge gorgée d’eau. L’image de l’éponge n’est pas choisie au hasard. La structure d’une éponge est en effet très proche de celle d’une boue en cours de déshydratation.

Cette structure particulière est due au floculant qui sont ajoutés à la boue brute en tant qu’additif de filtration. Nous pouvons utiliser les floculants cationiques ou anioniques bien qu’ils n’aient pas exactement les mêmes effets. Les floculants cationiques donnent un floc assez compact contenant peu d’eau car ils ont une action coagulante en plus de celle de créer des pontages entre les particules de boue. Les floculants anioniques, quant à eux, permettent de générer des flocs contenant plus d’espaces libres pour l’eau et ayant la particularité d’être compressibles. Nous utilisons préférentiellement un floculant anionique pour obtenir cette structure d’éponge favorable à ce procédé.

Comme l’éponge, la boue est traversée d’un réseau de petits canaux reliés entre eux. Ces canaux sont assimilables à des capillaires. L’eau entraînée par le flux électro-osmotique voyage par ces capillaires en suivant les chemins les plus faciles (mais pas forcément les plus courts). On peut ainsi extraire plus d’eau que par les techniques de déshydratation habituelles (filtration, centrifugation...). En fait la plus grande efficacité de l’électro-osmose par rapport aux autres techniques est surtout visible quand il s’agit de boues très grasses ou colloïdales. Dans ces cas-là, les interactions entre l’eau et la boue sont plus importantes, et il faut la force d’un champ électrique pour extraire l’eau prisonnière des flocs de boue.

La mise en application de ces principes à la déshydratation des boues

[Photo : DÉSHYDREC©]

L’abattoir de volailles du groupe Bourgoin, installé à Guiscriff dans le

[Photo : performances de l’électro-osmose sur les différentes boues étudiées]

Morbihan, recherchait un nouveau moyen plus performant que les techniques classiques pour déshydrater ses boues.

Le but visé par l’exploitant de la station d’épuration était de réduire le volume des boues pour en faciliter le stockage avant épandage, ainsi que la manutention.

Le problème des boues d’abattoirs de volailles est double : elles sont à la fois grasses (près de 40 % de MG !) et abrasives (du fait de la présence de petits cailloux avalés par les animaux).

La Direction des Études et Recherches d’EDF a été contactée pour résoudre ce problème.

Après une période d’essais en laboratoire, elle a développé en collaboration avec Elmetherm, un prototype industriel de déshydratation baptisé Déshydrec reposant sur le principe de l’électro-osmose, installé à Guiscriff depuis juillet 1992.

Ce prototype a été conçu comme un pilote, c’est-à-dire qu’il a permis de travailler dans des conditions très différentes (importantes variations autour du même procédé), afin d’optimiser les conditions de travail industrielles d’un électro-osmoseur.

Aujourd’hui il fonctionne de façon industrielle quasiment en continu, et donne satisfaction à son utilisateur ; le volume de boue produit par l’usine a été divisé par 3 ou 5.

Les boues en sortie d’aéro-flottateur contiennent entre 5 et 8 % de matière sèche.

Déshydrec® permet de remonter la siccité des boues à 25-30 %.

La figure 2 montre comment se présente Déshydrec®.

Les domaines d’application de la machine

Il s’agit d’une technique particulièrement bien adaptée aux boues colloïdales, très difficiles à déshydrater par des techniques classiques (centrifugeuses, filtres à bandes ou filtres-presses).

Le champ des applications de la technique est donc constitué de niches. EDF a d’ores et déjà exploré quelques types de boues industrielles en collaboration avec l’IRH, Institut de Recherches Hydrologiques de Nancy.

Des essais pilotes ont été effectués avec succès sur divers types de boues : boues urbaines, boues de brasserie, boues biologiques de papeterie, boues de laiterie.

La figure 3 illustre les résultats en termes de siccité finale sur différentes boues, par filtration et par électro-osmose.

Ces résultats ont été obtenus lors d’essais sans optimisation de l’additif.

C’est d’ailleurs à la suite de cette campagne qu’est apparue l’influence importante de la nature et du dosage du réactif.

Quel est le coût de la technique ?

Pour donner un ordre de grandeur, le prototype installé à Guiscriff a coûté environ 1,8 MF.

Soulignons que ce coût élevé est dû à la sophistication caractéristique de tout prototype.

L’exploitation comporte plusieurs postes.

Le seul réactif utilisé est le floculant anionique (1,5 kg/tMS à 20 F/kg).

Quant à la consommation électrique, elle avoisine les 150 kWh/tMS pour passer d’une siccité de 8 à 30 % (soit 10 à 20 kWh/tEE).

Le dernier poste concerne la main-d’œuvre, environ 5 heures par semaine pour le démarrage et l’arrêt quotidiens et le nettoyage des toiles une fois par semaine.

Notons qu’en version industrielle, l’arrêt et le démarrage de la machine ne sont pas nécessaires quotidiennement.

Le bilan économique de la technique révèle que le poste le plus lourd est représenté par l’investissement de la machine.

Les coûts opératoires sont

[Encart : Principes théoriques simplifiés : le potentiel Zêta Quand on plonge dans l’eau une particule solide, il apparaît à sa surface de faibles charges électriques. En fait, il existe des variations microscopiques de charge entre la surface de la particule et l’eau environnante qui permettent d’annuler, macroscopiquement, les charges électriques se formant à la surface de la particule ; globalement la suspension (particules solides + eau) n’est donc pas chargée électriquement. Tous les solvants polaires comme l’eau sont le siège de tels phénomènes. La différence de potentiel entre la surface de la particule et l’eau est mesurable, on l’appelle potentiel Zêta (noté par la lettre grecque ζ) ou potentiel électrocinétique. Les charges à la surface des particules dans l’eau sont en général naturellement négatives, mais ζ peut varier entre +100 et –100 mV. Cette valeur du potentiel Zêta peut être modifiée en ajoutant au milieu un additif, généralement à faible concentration, permettant de modifier la répartition des charges électriques autour des particules solides. Une modification du pH du milieu joue aussi sur ce potentiel. Plus la valeur absolue du potentiel électrocinétique est grande plus vite se déplaceront les particules dans le champ électrique. Il existe plusieurs théories plus ou moins complètes, plus ou moins justes, pour décrire cet équilibre entre les charges électriques à la surface des particules solides et l’eau environnante. Malheureusement, si elles présentent toutes un intérêt mathématique et scientifique indéniable, aucune ne parvient à expliquer de façon satisfaisante la physique du phénomène. Toutes ces théories ne s’appliquent pas à des milieux concentrés en ions et en particules.]

bien plus faibles pour ce procédé que pour les matériels classiques.

Avantages de la techniquepar rapport aux machinesclassiques.

Il est désormais démontré que l’électro-osmose appliquée à la déshydratation des boues trouvera sa place sur des applications spécifiques et qu’elle vient compléter la palette des techniques actuelles. Moyennant des temps de filtration plus longs, le gain en termes de siccité finale est flagrant, quand on compare l’électrofiltration à la simple filtration ou à la centrifugation, et ce pour une consommation énergétique modeste.

Cependant, comme pour toutes les autres techniques, chaque boue demeure un cas particulier qui donnera des résultats spécifiques et l’électro-osmose montrera des performances variables. Toutefois, les essais réalisés par l’IRH en déshydratation par filtration simple et par électro-osmose à l’échelle laboratoire sur une vingtaine de boues différentes conduisent en moyenne à un gain de 11 points de siccité en utilisant l’électro-osmose.

Si l’on s’intéresse à la nécessité d’avoir une siccité d’au moins 30 %, ce qui correspond au seuil d’admissibilité en décharge, on constate que seulement 22 % des cas étudiés atteindraient cette limite par déshydratation en bandes presseuses. Si l’on utilise l’électro-osmose, 72 % des cas étudiés parviendraient à une siccité supérieure ou égale à 30 %. La technique d’électro-osmose est donc considérée comme très prometteuse au regard des exigences réglementaires.

Les perspectives

Les excellents résultats de l’électro-osmoseur en termes de siccité finale ne peuvent être obtenus que moyennant des temps de filtration assez longs, qui conduisent à des productivités faibles plus proches de celles des filtres-presses que des filtres-bandes. Le second handicap de cette technique est son coût d’investissement, supérieur à celui des matériels classiques, même s’il est difficile de comparer deux matériels qui ne rendent pas le même service !

Le grand intérêt potentiel de ce procédé pour des applications industrielles est pour l’instant limité de par la faiblesse des débits. C’est pourquoi EDF et Elmetherm se sont lancés dans une Analyse de la Valeur en partenariat avec l’Office International de l’Eau et les Établissements Bourgoin (l’exploitant du prototype), en vue de réduire le coût de la machine et d’en optimiser le fonctionnement (notamment les opérations d’entretien et maintenance, parfois peu aisées sur le prototype).

Les objectifs de l’action étaient de :

  • - définir les fonctions et performances attendues par une gamme de 2 machines (0,5 et 1,2 m³/h pour passer de 5 % de siccité en entrée à 35 % de siccité en sortie) pouvant répondre aux projets de développement identifiés par EDF et Elmetherm,
  • - proposer une machine optimisant le rapport satisfaction des besoins de l’utilisateur/coût des moyens mis en œuvre.

Une nouvelle machine plus proche du besoin à satisfaire a été définie. L’objectif de réduction du coût d’investissement est atteint (on peut avancer une diminution du coût de revient de près de 30 %), et des solutions pour faciliter la maintenance et l’entretien par l’exploitant ont été étudiées. Les capacités de traitement ont été augmentées en gardant le même encombrement de la machine.

La prochaine étape va consister en l’industrialisation de ce nouveau concept.

BIBLIOGRAPHIE

La déshydratation par électrophorèse et électro-osmose – Damien, Depraetere – Pharm. Acta Helv. 65, Nr. 7 – 1990

Normes AFNOR sur la méthodologie de l’Analyse de la Valeur : NF-X/50/100 et NF-X/150 à 153

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