[Photo : Dominique PATUREAU]
[Photo : Nicolas BERNET]
[Photo : René MOLETTA]
Dominique PATUREAU
Nicolas BERNET
René MOLETTA
Laboratoire de Biotechnologie de l’Environnement, INRA de Narbonne
Les procédés biologiques conventionnels du traitement de l'azote s’organisent autour des deux étapes de nitrification aérobie et de dénitrification anoxique. Dans l’optique de rendre ces installations plus compactes, des études ont été menées sur la capacité d’une souche pure à dénitrifier en conditions aérées. Ces propriétés particulières de co-respiration oxygène-nitrate ont été utilisées pour la réalisation d’une co-culture, associant, dans un même réacteur aéré, une flore nitrifiante complexe et le dénitrifiant aérobie. Dans des conditions d’apport discontinu de la source de carbone, une activité simultanée de la flore nitrifiante et du dénitrifiant a été observée, avec réduction aérobie des N-oxydes produits par les nitrifiants en protoxyde d’azote et azote moléculaire.
Nitrification et dénitrification sont les deux principales voies du cycle de l’azote et constituent les deux étapes des systèmes biologiques conventionnels du traitement de l’azote. La nitrification, oxydation de l’azote ammoniacal en nitrate, est généralement réalisée par des microorganismes autotrophes aérobies alors que la dénitrification, en tant que respiration des nitrates, ne se réalise qu’en conditions anoxiques. Cela implique pour les procédés de dépollution actuels une séparation dans le temps ou l’espace de ces deux phases.
Pourtant, depuis une dizaine d’années, des auteurs ont montré la richesse et la diversité comportementales des flores nitrifiantes et dénitrifiantes. C’est, par exemple, la capacité de certains Nitrosomonas à réduire le nitrite en protoxyde d’azote ou azote, sous des conditions de stress anoxique. Si depuis des années la concentration en oxygène dissous est considérée comme le principal inhibiteur de la synthèse et de l’activité des enzymes dénitrifiantes, un certain nombre d’auteurs ont, à l’inverse, pu observer le fonctionnement de ces mêmes enzymes sous des conditions particulières d’ensemencement et à des concentrations en oxygène dissous non limitantes.
L’intérêt de l’existence de tels microorganismes réside dans la mise en place d’un système unique nitrifiant-dénitrifiant. Une souche, isolée d'un filtre à flux ascendant soumis à une incomplète anoxie, présente un comportement particulier en présence des deux accepteurs d’électrons oxygène et nitrate. Les différents résultats présentés s’organisent autour de cette souche, dénommée SGLY2, avec dans un premier temps la mise en évidence de ces propriétés catalytiques et dans un second temps leur utilisation dans la mise en place d’un système unique et aéré à l’échelle du laboratoire, associant nitrification et dénitrification, et permettant la transformation de l’azote ammoniacal en azote moléculaire.
Mise en évidence du phénomène de co-respiration
L’objectif des premières expériences était d’observer la capacité de dénitrification de la souche SGLY2 en présence de concentrations variables en oxy-
gène, avec des cellules soumises pour la première fois à du nitrate et d’autres adaptées à ce composé. Elles ont été menées en culture discontinue. Les trois conditions d’aération testées sont l’anoxie, l’aérobiose partielle (apport unique d’oxygène pur au temps t₀) et l’aérobiose totale correspondant à une présence permanente d’air (concentrations en oxygène dissous variant entre 2 et 7 mg/l). Le tableau 1 résume les capacités de réduction des nitrates de cette souche selon les conditions d’aération, la source de carbone utilisée étant le succinate. Des résultats semblables ont aussi été obtenus sur acétate, propionate et éthanol. Il y a diminution de la vitesse spécifique de réduction du nitrate, avec augmentation des concentrations en oxygène dans le milieu. Ce résultat est tout à fait en accord avec les observations faites dans la bibliographie : des cellules adaptées aux N-oxydes, placées dans des conditions d’aération limitante ou sur des intervalles de temps très courts sont capables de réduire les nitrates, le temps que les cytochromes respiratoires soient de nouveau actifs. Par contre, il faut noter qu’en aérobiose totale avec des cellules qui n’ont jamais été mises en contact avec du nitrate, la réduction du nitrate pour la souche SGLY2 est immédiate (figure 1) et la vitesse de réduction équivalente à 30 % de celle calculée en anoxie, soit 3,1 g NO₃⁻/g poids sec·j. Dans les mêmes conditions, un dénitrifiant classique, comme Paracoccus denitrificans ne présente aucune activité dénitrifiante (figure 1). Les cultures en aérobiose partielle, où des dosages en phase gazeuse ont été faits, permettent d’affirmer qu’oxygène et nitrate sont consommés simultanément avec l’azote moléculaire comme produit terminal de la réduction du nitrate. Le taux maximum de croissance en présence des deux accepteurs d’électrons (0,23 h⁻¹) est supérieur à celui calculé en anoxie (0,11 h⁻¹), mais inférieur à celui calculé sur oxygène seul (0,37 h⁻¹). En comparant ces différentes valeurs, il est facile de conclure quant à une limitation du flux d’électrons vers l’oxygène en présence de nitrate.
Afin de confirmer ces différents résultats, une culture continue en réacteur mélangé a été effectuée, avec passage de conditions anoxiques à aérobies, par application de concentrations croissantes en oxygène pur. L’oxygène pur a été utilisé dans l’optique d’établir des bilans azotés précis.
L’expérimentation, d’une durée de 60 jours, a permis d’observer que dans des conditions de transfert et de concentrations en oxygène dissous non limitantes (33 mg/l en oxygène dissous, valeur équivalente à la saturation à l’oxygène pur), la souche SGLY2 est capable de réduire le nitrate à un taux de 0,8 à 1,4 g NO₃⁻/g poids sec·j, tout en produisant de l’azote moléculaire (57 à 85 % du nitrate réduit), du nitrite et du protoxyde d’azote. Nous sommes placés, dans ce cas, dans des conditions extrêmes de concentrations en oxygène dissous. Il est certain qu’en se rapprochant de la valeur de la saturation à l’air (7 mg/l), le rendement épuratoire en nitrate augmenterait, comme dans le cas des cultures en discontinu en aérobiose totale. Ces expériences montrent de nouveau la co-respiration N-oxydes/oxygène. De plus, la présence des intermédiaires montre non seulement que le processus observé est une dénitrification, mais aussi que les quatre enzymes sont actives et synthétisées en aérobiose.
Ces différentes observations nous permettent de mieux comprendre le phénomène même de dénitrification aérobie et d’envisager l’utilisation de ces intéressantes potentialités dans la mise au point d’un système unique aéré nitrifiant-dénitrifiant.
Couplage nitrification-dénitrification en réacteur aéré et mélangé
Le principal objectif de cette étude était de déterminer les conditions optimales de maintien et d’activité des deux populations mises en présence : le dénitrifiant aérobie, hétérotrophe, et une flore nitrifiante issue d’un réacteur de nitrification fonctionnant sur lisier de porc. La co-culture continue en réacteur aéré (14 mg/l en oxygène dissous), mélangé, a montré que l’implantation de la souche SGLY2 ne se faisait qu’après un ensemencement massif du milieu et que son maintien était possible par apport de succinate, choisi comme source de carbone. Par contre, la présence permanente d’une source de carbone entraîne une diminution de l’activité nitrifiante. La part d’azote ammoniacal non nitrifié est utilisée pour la synthèse protéique des hétérotrophes dont la souche SGLY2. Afin donc de maintenir une activité nitrifiante acceptable et de ne pas favoriser l’assimilation de l’azote ammoniacal, la source de carbone a été ajoutée de façon intermittente. Dans ces conditions, d’après les bilans azotés en
[Photo : Figure 1 : Evolution des nitrates lors des cultures anoxique (■), aérobie partielle (▲) et aérobie totale (●) pour les souches SGLY2 et Paracoccus denitrificans.]
[Photo : Figure 2 : Parts de l’azote ammoniacal utilisées pour la nitrification (■) et l’assimilation (█), part retrouvée en sortie (●) et part transformée via les N-oxydes en azote moléculaire (█) lors de la co-culture souche SGLY2-flore nitrifiante.]
culture continue (figure 2), jusqu’à 40 % des N-NOx produits par les autotrophes sont consommés par la souche SGLY2 pour produire du protoxyde d’azote et de l’azote. La vitesse de réduction des nitrates est de 0,37 g NO3⁻/g de poids sec, ce qui correspond à 29 % de l’azote ammoniacal à l’entrée. D’après les résultats obtenus en culture pure aérée en continu et en discontinu, ce rendement pourrait être amélioré par diminution de la concentration en oxygène dissous et par modification des concentrations ou des modalités d’apport de la source de carbone.
Tableau I
Vitesses de réduction du nitrate exprimées en g NO3⁻/g PSj lors des cultures discontinues de la souche SGLY2 selon les conditions d’aération et les conditions de préculture.
Cultures |
Pré-cultures adaptées |
Pré-cultures non adaptées |
Anoxie |
18,5 |
10,6 |
Aérobie partielle |
6,1 |
8,4 |
Aérobie totale |
4,2 |
3,1 |
Conclusion
Une première série de cultures en mode discontinu nous a permis de mettre en évidence les capacités de co-respiration oxygène/N-oxydes de la souche SGLY2 dans des conditions bien particulières :
• d’ensemencement des cultures avec des cellules non adaptées à ces N-oxydes,
• d’aération permanente en phase gazeuse, avec fluctuation de la concentration en oxygène dissous entre 7 et 2,8 mg/l.
Ce comportement particulier n’est équivalent à aucun des comportements observés sur les souches de collection cultivées dans les mêmes conditions d’aération et d’ensemencement. Les cultures en continu n’ont fait que confirmer ces résultats : dans des conditions d’aération non limitante, la souche SGLY2 réduit principalement l’oxygène mais simultanément le nitrate, avec comme principal produit, l’azote. Cela montre non seulement que les enzymes sont actives, mais aussi qu’elles sont synthétisées dans ces conditions.
L’objectif de l’étude cinétique de la dénitrification aérobie avec la souche SGLY2 s’est concrétisé dans la deuxième partie, où il a été démontré qu’il est tout à fait possible de maintenir la souche SGLY2 dans un écosystème complexe nitrifiant, et d’observer son activité métabolique. Ces expériences ont montré la faisabilité de l’association dans un unique réacteur aéré de la nitrification et de la dénitrification aérobie et ouvrent de nouvelles perspectives dans le domaine du traitement biologique de la pollution azotée.
Les travaux menés jusqu’à maintenant sur l’association flore nitrifiante-souche SGLY2 montrent qu’il reste :
• à définir plus justement les paramètres de culture pour maintenir les deux populations actives en équilibre et pour obtenir de meilleurs rendements épuratoires,
• à quantifier et modéliser l’influence de ces mêmes paramètres sur les flores.
Cela revient entre autres à jouer sur les modalités d’apport de la source de carbone. Il conviendrait aussi de se rapprocher de conditions réelles : travailler avec un effluent industriel, utiliser de l’air pour aérer le réacteur et non de l’oxygène pur, tester l’influence de variables technologiques (type de réacteur), physico-chimiques (charge en azote ammoniacal, pH, température) sur les performances de deux populations. Cette nouvelle approche touchant au marché de l’épuration des effluents urbains et industriels pourrait intéresser un certain nombre de partenaires industriels.
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