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La dégradation des graisses en phase aqueuse par voie biologique aérobie

30 septembre 1994 Paru dans le N°175 à la page 48 ( mots)
Rédigé par : Jean-yves BIAS et Étienne RICHARD

La quantité de graisses et huiles issues des bacs à graisses de collectivités et d'effluents municipaux et agro-alimentaires est estimée à plus de 400 000 tonnes par an pour la France. Ces composés sont d'origine végétale et animale ; ils représentent une source de pollution importante puisque 1 kg de corps gras correspond à environ 2,8 kg de DCO. La biotechnologie constitue une réponse technique efficace à ce problème, avec un bilan financier très en faveur de la biodégradation des graisses in situ.

Sous le vocable « graisses » sont regroupés un très grand nombre de produits d’origine végétale ou animale appartenant à un groupe hétérogène de composés appelés lipides. On distingue deux catégories parmi ceux-ci : les lipides saponifiables et les lipides non saponifiables, les premiers comprenant notamment les lipides neutres et les phospholipides, et les seconds les stérols et les pigments.

Les composés qui nous intéressent, huiles et graisses, contenus dans les effluents, appartiennent essentiellement à la famille des lipides neutres.

Ils peuvent être d’origine végétale ou animale et, d’un point de vue chimique, sont des tri-esters du glycérol et de trois acides gras généralement différents (figure 1).

Des huiles ou graisses aussi diverses que les huiles d’olive, d’arachide, de soja, de colza, de palme, de coprah, le saindoux, le suif, la graisse de hareng correspondent à cette structure générale.

Sans entrer dans le détail, il faut savoir que c’est la structure des acides gras qui définit les caractéristiques physiques du composé (état liquide ou solide à température ambiante) et sa biodégradabilité.

La formule générale d’un acide gras se définit comme suit :

Saturé   CH₃ (CH₂)ₙ – COOH  
Mono-saturé CH₃ – CH = CH – (CH₂)ₚ – COOH  
Poly-saturé CH₃ – CH = CH(CH₂)ₙ – (CH = CH)ₚ – …COOH  
[Photo : L'unité de traitement biologique des graisses (type compacté 4 M3).]
[Photo : Figure 1.]
[Photo : Figure 2.]
[Photo : Figure 3 : Schéma du réacteur.]
[Photo : Figure 4.]
[Photo : Figure 5.]
[Photo : Figure 6 : Recyclage des graisses biodégradées – journée du 09.03.93, graphique des mesures de la DCO avec et sans réinjection des graisses dégradées.]

Les acides gras à chaîne courte (minimum 4 C) et non saturés ont tendance à rendre liquide le composé à température ambiante. D’autre part, la biodégradabilité de ces composés est plus importante avec des acides gras insaturés.

La destruction des corps gras

Les corps gras contenus dans les effluents sont principalement issus des industries agro-alimentaires et des stations urbaines. Après avoir subi un dégrillage et dessablage, l’influent contenant des corps gras est traité dans un dégraisseur. Il s’agit d’un équipement qui, grâce à un système d’aération à « fines bulles » situé à la partie inférieure, réalise un relargage en surface des corps gras par flottation.

Ces derniers, par raclage, sont ensuite déversés dans des silos de stockage. Toutefois, on récupère ainsi une émulsion, car les corps gras ne sont pas totalement séparés de l’eau. Ce mélange contient de 20 à 40 % de graisses.

Pourquoi s’efforce-t-on de séparer les corps gras de l’influent avant traitement biologique ?

Les corps gras sont très peu miscibles à l’eau et peu biodégradables. Ils perturbent d’autre part l’aération des bassins en agissant sur la tension de surface de l’eau. Ils sont responsables de la prolifération des bactéries filamenteuses et provoquent des phénomènes de mousses et de « bulking ».

Les corps gras sont des éléments « organiques » donc potentiellement biodégradables, voire combustibles – si leur teneur en eau n’est pas trop élevée.

Comment peut-on détruire ces émulsions de graisses ?

Les principales options choisies sont de plusieurs sortes :

  • l’épandage – valorisation agricole : dans les zones rurales, l’opération est limitée par la quantité de DCO/ha autorisée ;
  • valorisation pour production d’acides gras : débouchés limités ;
  • enfouissement en décharge : la nouvelle réglementation contrôle strictement ces décharges et en limite le nombre ;
  • incinération par des unités spécialisées : coût de destruction élevé ;
  • compostage naturel.

Pour les options d’enfouissement et d’incinération, selon les frais de transport, le coût de destruction varie de 400 à 1200 F par mètre cube.

La destruction des graisses engendre donc des problèmes économiques et de protection de l’environnement.

La solution : la dégradation par voie aérobique

Dans cette option, les graisses sont tout d’abord hydrolysées selon le schéma général porté sur la figure 2.

Ensuite intervient la biodégradation progressive des divers acides gras et du glycérol.

Le matériel et les produits

Les applications principales du procédé s’appliquent à la biodégradation des émulsions de graisses issues soit des dégraisseurs de stations d’épuration, des industries agro-alimentaires et urbaines, soit de la collecte des bacs à graisses réalisée par les sociétés de vidange.

Le matériel

Le matériel dont nous préconisons l’emploi est un réacteur (figure 3) qui

Tableau I

Analyses effectuées du 18.1.93 au 22.01.93. Moyennes journalières des prélèvements. Entrée station d'épuration avant mise en place d'une unité de traitement des graisses.

DatesDébit influent m³/jourDCO mg/lDBO5 mg/lMES mg/lSEC mg/lpH
18.01.9315,8436102340104011206,2
19.01.9330,63308514007808206,3
20.01.9326,873730231097513806,4
21.01.9313,48222510506457106,6
22.01.9328,362145179061517906,4
Moyenne295917788111164

Tableau II

Analyses effectuées du 8.3.93 au 12.3.93. Moyennes journalières des prélèvements. Entrée station d'épuration après mise en place d'une unité de traitement des graisses.

DatesDébit influent m³/jourDCO mg/lDBO5 mg/lMES mg/lSEC mg/lpH
08.03.9316,323410222096010206,4
09.03.9328,63264012106557306,6
10.03.9329,16302013507608106,3
11.03.9310,352165181062515606,5
12.03.9323,49193011506408406,6
Moyenne26331548728992

a été élaboré à partir des caractéristiques et des exigences d'utilisation des produits utilisés pour réaliser l'opération de biodégradation et dont les caractéristiques sont les suivantes :

● Volume calculé pour correspondre à un temps de séjour hydraulique de quatre à six jours ;

● Mesure de pH pour ajustement en continu ;

● Sondes de niveau pour alimentation et vidange partielle de l'appareil ;

● Rampes d'aération ;

● Agitateurs ;

● Automatisation totale des phases de remplissage, de dégradation et de vidange de l'appareil ;

● Doseurs automatiques de produits biologiques.

Il s'agit d'un réacteur fonctionnant à très forte charge massique dont le système d'aération et d'homogénéisation des effluents graisseux permet de dégrader des émulsions contenant jusqu'à 350 g/l de S.E.C. (Substances Extractibles au Chloroforme).

Avec un temps de séjour moyen de l'émulsion de graisses dans le réacteur de l'ordre de quatre à six jours, selon les valeurs de DCO à l'entrée, le rendement d'abattement de la DCO atteint des valeurs de 80 à 85 %.

L'émulsion des graisses ainsi dégradée peut être alors renvoyée directement en amont du système biologique de la station d'épuration (figure 4).

Les consommations d'eau et d'électricité du matériel sont modérées : à titre d'exemple, pour dégrader 4 m³ d'émulsion de graisses par semaine, soit environ 200 m³/an, les consommations annuelles d'eau et d'électricité sont d'environ 200 m³ et 6 000 kW.

Les produits biologiques

Le réacteur biologique présente des performances excellentes au point de vue du temps de séjour de l'effluent et de l'abattement de la DCO grâce à l'utilisation conjointe de deux produits dosés automatiquement et indépendamment (figure 5) :

● l'un, correspondant à des enzymes de type lipases, qui a pour but d'émulsionner les graisses dans le milieu aqueux de façon à former un mélange très homogène et de réaliser les premières étapes de dégradation des graisses ;

● l'autre, constitué de bactéries lipolytiques, qui a pour effet de poursuivre la dégradation des sous-produits obtenus grâce à une association de diverses souches de ces bactéries.

L'ajout de nutriments N et P s'avère parfois nécessaire, bien que l'analyse chimique révèle un rapport DCO/N/P proche des valeurs recommandées, soit 300/5/1. En effet, ces éléments présents à l'origine dans le milieu ne sont pas toujours facilement assimilables par la biomasse.

Étude de cas

Les mesures ont été réalisées sur un site industriel de production de plats cuisinés.

Cette étude de cas démontre que le recyclage du flux résultant de la biodégradation de l'émulsion des graisses dans l'unité de traitement des graisses n'augmente pas significativement la charge polluante traitée ensuite par la station d'épuration biologique.

Il y a lieu de noter que la légère diminution moyenne des valeurs de DCO, DBO5, MES, SEC, après la mise en place de l'unité de traitement des graisses résulte d'une légère variation dans la qualité de l'influent en amont du dégraisseur (tableaux I et II). Plus significative encore est la figure 5 qui donne le résultat d'analyses réalisées le même jour, à intervalles réguliers et rapprochés, avec et sans réinjection des graisses dégradées. Les éventuelles variations des caractéristiques de l'influent sont ainsi prises en compte. Il s'avère que la DCO avec et sans réinjection de graisses dégradées reste très voisine.

Résultats économiques

Sur le plan économique, les constatations effectuées sur un silo recueillant 5 m³ de déchets graisseux par semaine, montrent que les dépenses annuelles correspondantes s'élèvent à 81 000 F, se décomposant en 33 000 F de produits biologiques et 48 000 F d'amortissement et de fonctionnement du matériel. Ce montant est à rapprocher du coût moyen annuel de la destruction par des moyens classiques, qui est compris entre 150 000 et 250 000 F.

Conclusion

Ce procédé de dégradation biologique des graisses associant un réacteur à des enzymes de type lipases et des bactéries lipolytiques offre les principaux avantages suivants :

* faible encombrement ;

* retour sur investissement rapide ;

* coût très modéré des produits utilisés ;

* traitement des graisses « in-situ » ;

* réinjection des déchets graisseux en tête du dégraisseur sans augmentation notable de la DCO de l'effluent traité en station d'épuration.

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