Dans ses statuts, déposés en 1935 lors de sa création, l’Association nationale des chasseurs de gibier d’eau inscrivait, en première ligne de l’énumération de ses objets, « la préservation, la protection et la mise en valeur des zones humides ». Il y a 51 ans, bien peu se souciaient encore de ces zones, souvent classées « malsaines » comme au Moyen Âge.
Les chasseurs de gibier d'eau, qui vivent dans ce milieu pour y exercer leur activité, et hors de cet exercice pour l’entretenir et le protéger, savaient déjà il y a un demi-siècle qu’il n’y a pas de gibier d’eau sans zones humides. Celles-ci doivent être les plus variées possible, de la haute mer à la prairie inondable, pour offrir à une grande diversité d’oiseaux les habitats dont ils ont besoin. C’est d’ailleurs devant les premiers signes de dégradation de ces milieux naturels, sous la pression des techniques modernes, que les chasseurs de gibier d’eau se sont mobilisés au sein de leur association nationale. Leur action s’est manifestée dans de nombreux domaines.
Garder la qualité des eaux
La première grave menace pour ces milieux, particulièrement le milieu marin, était — il y a un demi-siècle — la pollution par les hydrocarbures. Le dégazage en mer était alors généralisé — aucune installation à terre n’existant encore — et les ports étaient de véritables « lacs » de produits pétroliers, tant était absent le moindre souci de précaution contre cette pollution. Les chasseurs, indignés par le spectacle permanent d’oiseaux marins englués de « mazout », furent parmi les premiers à alerter les autorités concernées, les conduisant à une prise de conscience du problème qui a débouché sur la réglementation actuelle, nationale et internationale, hélas encore insuffisante.
Le même objectif de protection concerne le maintien de la qualité des eaux douces : non seulement les chasseurs de gibier d’eau ont un souci constant de la qualité chimique de l’eau, une des conditions du bon fonctionnement des écosystèmes humides dont dépendent les oiseaux d’eau, mais ils entendent également lui garder sa qualité physique. Ainsi, dans le Nord, l’intervention des chasseurs de gibier d’eau locaux et de leur association nationale a pu empêcher dans un passé récent l’exploitation « touristique » d’une rivière sensible par un bateau de trop fort tonnage qui aurait en permanence remué les fonds et détérioré les berges, détruisant toute végétation et stérilisant le milieu.
Rentabilité d’abord ?
Autre objectif des chasseurs : la lutte contre les endiguements d’importantes zones littorales comme la digue de terre de la Baie de l’Aiguillon, commencée puis abandonnée, ou les projets de barrage des baies du Mont-Saint-Michel et de la Baie de Somme.
Second combat permanent : la lutte contre les assèchements. Premiers à dénoncer cette pratique il y a cinquante ans, les chasseurs ont été entendus et rejoints de façon significative depuis, mais l’ensemble des efforts n’a pu malheureusement jusqu’ici que freiner la réalisation des programmes, l’intérêt économique à courte vue primant trop souvent sur l’intérêt écologique.
De l’assèchement au drainage
Si les assèchements condamnent directement des zones humides, des programmes plus insidieux ont fait leur apparition : ceux de drainage. Ils concernent des terres dites « hydromorphes » qui sont le plus souvent d’anciennes zones humides déjà asséchées plus ou moins superficiellement. Elles ne sont plus submergées en permanence, ni même de manière régulière, mais peuvent l’être de manière occasionnelle. Elles présentent alors un intérêt non négligeable pour les oiseaux
d’eau en tant que gagnage. Elles sont surtout par essence même le milieu indispensable à certaines espèces de limicoles, notamment des espèces aussi connues et répandues que le vanneau, les pluviers, les courlis et les barges. Dans cette lutte, les chasseurs sont trop souvent seuls et ils regrettent qu’un certain consensus semble s’établir autour du drainage.
Les chasseurs de gibier d’eau sont d’autant plus attachés à cette lutte contre de nouveaux asséchements et le drainage qu’ils ont déjà vu disparaître une part trop importante des habitats naturels des oiseaux d’eau.
Des hivernages disparus
Dans le complexe des estuaires picards, par exemple, en 25 ans, 35 000 hectares de zones humides se sont vus réduits à 1 000 hectares environ par l’abaissement de la nappe d’eau, puis par le drainage.
De nouvelles zones humides ont certes été créées par l’exploitation des gravières mais elles n’offrent, le plus souvent, aucun intérêt pour les oiseaux, faute de remise en état et d’aménagements. Ainsi, l’hivernage régulier des oies a disparu et celui des canards a très fortement diminué, notamment dans l’arrière-pays du Mont-Saint-Michel où l’on a asséché les marais de Sougeal et de Dol, ainsi que des polders.
D’autres menaces contre les zones humides mobilisent les chasseurs de gibier d’eau. Ce n’est que trop souvent que des municipalités considèrent les marais comme des trous destinés à absorber décombres et ordures ménagères : on peut par exemple assister à ce déplorable spectacle aux portes de Sète, sur le Lido, fragile bande de marais salants entre la mer et le bassin de Thau... menace liée à l’urbanisation, tentée par de vastes espaces jusqu’ici inutilisés par la ville.
Les chasseurs à l’action
La première action des chasseurs en faveur des zones humides dont ils ont la maîtrise est de maintenir leur caractère en y gardant l’eau, jalousement, au niveau nécessaire pour le bon fonctionnement de l’écosystème. Cette maîtrise technique des zones humides s’exerce par le contrôle des niveaux, par vannes ou autres systèmes, ainsi que par l’entretien des fonds et la lutte contre les comblements par sédimentation ou colonisation floristique.
Dans le complexe des estuaires picards, par exemple, les dernières zones humides sont celles où s’exerce la chasse.
C’est aussi grâce à la chasse, dans ses formes traditionnelles, que se maintiennent les marais normands : qu’elle disparaisse et les milieux où elle s’exerce disparaîtront à leur tour.
Un second volet d’action consiste en une intervention auprès des autorités concernées : du maire de la commune à la Commission européenne... selon le niveau et l’importance du problème. Cette action tenace et continue a permis de sauver des zones humides d’importance locale à de multiples reprises, avec d’autant plus de succès quand elle a été menée de pair avec d’autres protecteurs de la nature.
Quand les chasseurs nettoient les rivages
Tous les ans, avant l’arrivée des vacanciers, les chasseurs entreprennent un peu partout sur le littoral une grande opération « plages propres ». Pendant une journée entière, armés de pelles et de sacs poubelles, ils débarrassent les rivages des détritus abandonnés par les promeneurs et accumulés le long des plages tout au long de l’hiver. À chaque fois, c’est plusieurs tonnes d’emballages plastique, papiers, objets divers abandonnés, mais aussi vieux appareils ménagers et même carcasses de voitures, qui sont ainsi récupérés pour rendre à la nature sa propreté et son aspect accueillant. Ces opérations sont animées et coordonnées par les associations de chasseurs du domaine maritime et les fédérations des départements côtiers. On les retrouve également le long des fleuves et rivières et dans certains cols de montagne.
C’est un hommage à la nature qui est ainsi rendu par ceux qui la connaissent et la défendent par cette action aussi utilement efficace que spectaculaire !
Pour une protection définitive, l’achat collectif par les chasseurs : la fondation nationale pour la protection des habitats français de la faune sauvage
Enfin, des actions importantes sont réalisées par la Fondation nationale pour la protection des habitats français de la faune sauvage, créée en 1983 à l’initiative de l’Union nationale des fédérations départementales des chasseurs et reconnue d’utilité publique. Financée par une contribution de chacun des chasseurs français, elle s’est d’emblée intéressée aux zones humides.
On se rappelle qu’en 1984, la première action de la Fondation avait été d’acquérir 430 ha du lac de Grandlieu en Loire-Atlantique. Ce site exceptionnel, par sa position sur la route des migrations atlantiques et par la variété et la richesse de ses milieux naturels, a incité la Fondation à se rendre en 1986 propriétaire de 220 ha supplémentaires, ce qui va permettre de mettre la totalité de la surface du lac en zone protégée. De même, en Ille-et-Vilaine, cet organisme avait acquis en 1985 une cinquantaine d’hectares des marais de Châteauneuf, évitant ainsi l’assèchement de cette zone très sensible. En 1986, elle est en train d’acquérir 35 ha supplémentaires qui lui permettront d’avoir la totale maîtrise de l’eau sur cet ensemble qui est la dernière étendue marécageuse de l’arrière-pays de la baie du Mont-Saint-Michel.
Dans les Landes, après les 50 ha acquis en 1985, d’autres barthes ont été achetées le long de l’Adour, portant à près de 100 ha la surface protégée de ces zones inondables à la végétation très caractéristique, dernière escale des oiseaux migrateurs avant la « barrière » des Pyrénées sur la route de l’Afrique. La Fondation et la Fédération des chasseurs des Landes ont entrepris une remise en état de ce site particulier en éliminant l’excès de végétation. Elles recréent ainsi, en le régénérant, l’originalité de ce milieu naturel qui commençait à se dégrader.
D’autres sites intéressants répartis sur toute la côte, d’importance nationale ou
Régionale, font l’objet de projets d’achats qui ne demandent qu’un soutien financier pour être à tout jamais protégés. Dans le Var, une action commune va être entreprise par la Fondation, la Fédération départementale des chasseurs, un groupe de protecteurs de la nature, le Conservatoire de l’espace littoral et le Parc national de Port-Cros. Le but de cette association est d’éviter l’urbanisation des marais d’Hyères où la construction d’une cité lacustre a fait l’objet d’un projet sur l’emplacement des vieux salins. Ces grands espaces marécageux abritent 104 espèces différentes d’oiseaux dont le Tadorne de Belon, espèce protégée. Ils sont, pour certaines d’entre elles, une escale sur la route migratoire ; pour d’autres, un lieu d’hivernage ; d’autres encore y sont nicheuses. À l’intérieur, dans les Dombes, la Fondation projette l’acquisition d’un territoire qui, après remise en état, pourrait restituer une importante étendue d’eau à l’avifaune migratrice. Cette opération sera, elle aussi, l’objet d’une collaboration étroite avec la fédération départementale des chasseurs concernés.
Pour chacun des territoires acquis, la Fondation a entrepris une remise en état des milieux naturels, souvent dégradés, en collaboration avec les chasseurs et autres utilisateurs du site. Elle préserve, à chaque fois que c’est possible, les activités économiques qui se sont développées en s’efforçant de ne pas perturber l’économie locale. Ainsi, par exemple, la protection du lac de Grandlieu s’est faite en conservant la pêche traditionnelle qui s’y exerce. Conservation de la nature et économie ne sont pas toujours incompatibles...
Avec les chasseurs, on assiste à une lutte pied à pied pour la défense et la mise en valeur d’un patrimoine naturel et irremplaçable. La victoire n’est pas toujours acquise mais l’essentiel est sauvé.
NOTA : Le Comité national d’information chasse-nature vient de fournir une contribution importante à l’information des chasseurs en publiant, en 1986, le « Petit Livre Vert n° 8 du Chasseur » consacré à la « connaissance et protection des zones humides ». On y apprend à connaître les zones humides dans leur diversité et les oiseaux qui y séjournent, s’y nourrissent et s’y reproduisent. On découvre les menaces qui pèsent sur ces espaces naturels mais aussi les lois qui les protègent, les moyens dont disposent les chasseurs pour obtenir qu’ils soient conservés. Enfin, pour rendre un caractère naturel et accueillant pour la faune à ces nouvelles zones humides que sont les gravières, les chasseurs trouveront des conseils d’aménagement et d’entretien.
Tiré à plus de 2 millions d’exemplaires, cet ouvrage, édité par le Comité national d’information chasse-nature, 48, rue d’Alésia 75014 Paris (tél. : 43 27 85 76), est distribué gratuitement à tous les chasseurs de France ainsi qu’à toute personne qui en fait la demande. De nombreux exemplaires sont régulièrement envoyés aux enfants d’âge scolaire qui ont là une rare occasion de faire la connaissance de la faune sauvage de nos régions et de ses habitats.
* M. Paul Melen présente également cet article au nom des organismes suivants :
- — Union nationale des fédérations départementales des chasseurs ;
- — Comité national d’information chasse-nature (dont il est le directeur) ;
- — Fondation nationale pour la protection des habitats de la faune sauvage ;
- — Office national de la chasse ;
- — Association nationale des chasseurs de gibier d’eau.