Un cas d’application à l’usine de traitement d’eau potable de Villeneuve-la-Garenne
J.-L. VITAL – Y. RICHARDSociété Degrémont
Lorsqu’une eau contient à la fois des quantités importantes de bicarbonates (dont la mesure du TAC est le reflet), de calcium et de magnésium (mesurée par le TH), tout le monde connaît les ennuis que l’on rencontre dès que cette eau est utilisée dans un circuit avec échange de chaleur. En effet, le bicarbonate de calcium est moins soluble à chaud qu’à froid ; on constate donc une précipitation de carbonate de calcium dès que la température de l’eau dépasse une certaine valeur.
Par ailleurs, une dureté trop élevée de l’eau est gênante pour de nombreuses applications ménagères de l’eau de distribution. Il est donc nécessaire de la traiter spécialement par un procédé de décarbonatation.
Principe de la décarbonatation
La décarbonatation a pour but de réduire le TAC de l’eau. Cette réduction peut s’opérer en faisant réagir les bicarbonates (de calcium et de magnésium) avec un réactif alcalin qui peut être soit de la chaux, soit de la soude. On obtient un précipité de carbonate de calcium ou de magnésie ; c’est la décarbonatation par précipitation. La réduction du TAC s’accompagne d’une réduction de la dureté (baisse du TH) : il y a donc également adoucissement.
Parmi les réactions qui peuvent se produire suivant la nature de l’eau et la dose de chaux, on retiendra la réaction (1) :
Ca(OH)₂ + Ca(HCO₃)₂ → 2 CaCO₃ + 2 H₂O
Si on utilise une dose de chaux élevée (et selon la composition chimique de l’eau), on peut précipiter de l’hydroxyde de magnésium Mg(OH)₂.
Mise en œuvre de la réaction
Suivant la qualité de l’eau et les réactions mises en jeu, deux principes d’appareil peuvent être utilisés. Dans tous les cas, les appareils à recirculation de boue (Circulator, Turbocirculator et RPS) sont applicables.
L’usage des appareils à masse de contact granulaire (Gyrazur) est plus restrictif : ils nécessitent une bonne qualité d’eau et ne permettent pas la rétention des hydroxydes lorsqu’il y a introduction d’un sel de fer (pour réaliser la coagulation de l’eau brute) ou lorsqu’il y a précipitation d’hydroxyde de magnésium.
TRAITEMENT À RÉALISER À VILLENEUVE-LA-GARENNE
Capacité de la station et localisation
L’usine de Villeneuve-la-Garenne de la Société Lyonnaise de Eaux et de l’Éclairage alimente en partie la presqu’île de Gennevilliers. Elle est située en bout du réseau, ce qui interdit les arrêts de production pour éviter une chute de pression sur le réseau.
Le débit maximal de l’usine est de 2 000 m³/h. La production annuelle délivrée par la SLEE à la Compagnie des Eaux de Banlieue est de 9 millions de m³.
Nature de l’eau brute
L’eau à traiter est un mélange d’eaux de forages ; ces forages puisent dans trois aquifères à différentes profondeurs : la nappe des sables de l’Albien, la nappe des sables du Sparnacien et la nappe des calcaires du Lutécien. Le tableau 1 indique les profondeurs des forages et les caractéristiques chimiques des eaux prélevées dans les différentes nappes.
Sur les dix-huit forages utilisables, un seul fournit une eau de faible minéralisation ; les autres présentent une minéralisation supérieure à la moyenne. Ils contiennent des quantités variables d’ammoniaque, ce qui donne dans le mélange une concentration souvent supérieure à 3 mg/l de NH₄. La concentration en matières organiques dans le mélange varie entre 1,5 et 2,5 mg/l O₂. L’eau brute contient aussi de petites quantités de fer et d’hydrogène sulfuré.
Le traitement existant jusqu’en 1980 consistait en une nitrification-déferrisation sur lit de pouzzolane (2 m de hauteur de couche) à une vitesse de 8,8 m/h.
TABLEAU N° 1
CARACTÉRISTIQUES DES FORAGES ALIMENTANT L'USINE DE VILLENEUVE-LA-GARENNE
Profondeur (m) | Albien 750 | Sparnacien 100 | Lutécien 50 |
---|---|---|---|
Nombre de forages | 1 | 8 | 9 |
Turbidité (gouttes mastic) | 20 | 5–18 | 25–75 |
Résistivité (Ω·m) | 3600 | 1335–1650 | 665–1570 |
Dureté totale (°F) | 9,2 | 7–8 | 5–7 |
TAC (°F) | – | 9 | 4–9 |
Na (mg/l) | 0,3 | 0,0–0,6 | 0,5–3,0 |
Fe (mg/l) | 0,23 | 0,03–0,40 | 0,1–5,0 |
Mn (mg/l) | 0,03 | 0,01–0,08 | 0,01–0,4 |
Mat. org. (mg/l) | 0,04 | 0,15–0,40 | 0,9–7,0 |
Cl¯ (mg/l) | 0,3 | 2–5 | 2–9 |
SO₄²¯ (mg/l) | 13 | 37–60 | 170–320 |
TABLEAU N° 2
VILLENEUVE-LA-GARENNE
ÉVOLUTION DES TITRES SUR LA STATION
Nature de l'eau | Eau dure | Eau décarbonatée | Eau filtrée |
---|---|---|---|
pH | 7,5 | 7,1 | 7,9 |
TA (°F) | 40 | 30 | 25 |
TAC (°F) | 46 | 34 | 29 |
TH (°F) | 46 | 36 | 29 |
TCa (°F) | 34 | 18 | 17 |
TMg (°F) | 12 | 18 | 12 |
Turbidité (FTU) | 0,25 | 10–30 | 0,15 |
MeS (mg/l) | 0,5 | 15–40 | 0,3 |
pour éliminer 4 mg/l en NH₄. Ces nitrificateurs étaient suivis des filtres à sable. Une désinfection finale à l'ozone complétait le traitement.
Le tableau 2 indique les titres de « l’eau dure » issue du traitement de nitrification-déferrisation. Le TH du mélange des forages est de l’ordre de 46 °F et il correspond à environ 12 °F de magnésium et 34 °F de calcium. Le TAC est de l’ordre de 32 °F. Un traitement de décarbonatation a donc été envisagé pour réduire la dureté de l'eau à un TH inférieur à 30 °F, ce qui correspond à une dureté carbonatée de l’ordre de 16 °F.
RÉALISATION
Il fallait donc réaliser une installation de décarbonatation capable de traiter des débits variables et susceptible de s'intégrer dans un espace urbain et sur une faible superficie (figure 1).
Étude sur station d’essai
Une installation d’essai avec un appareil Gyrazur de 15 m³/h a été mise en place (en avril et mai 1977) pour déterminer l'aptitude de l'eau pour ce type de décarbonatation, la localisation de l’appareil dans la chaîne de traitement et les paramètres de dimensionnement du réacteur et des filtres.
Ces essais ont montré que l’abaissement de la dureté s’effectue sans problème (figure 2). Le réacteur peut fonctionner entre 28 et 70 m/h et produit des résidus s’essorant facilement. Les essais ont montré que la filtration sur filtre bicouche est plus efficace que sur le sable, ceci à des vitesses comprises entre 7,5 et 10 m/h.
Par ailleurs, les conditions locales de l'usine de Villeneuve-la-Garenne (amélioration d'une installation existante, ligne piézométrique, entartrage des nitrificateurs) ont conduit à mettre en place le réacteur après les nitrificateurs. Les essais ont montré que la finition de la réaction de nitrification nécessitait de le placer après les filtres de nitrificateurs.
Installation industrielle de décarbonatation
L'installation industrielle de décarbonatation dimensionnée d’après l'installation pilote comporte donc un réacteur, une filtration sur filtre bicouche et une correction finale de pH d'équilibre. Cette chaîne de décarbonatation est placée après la chaîne de nitrification et avant l'étape de désinfection finale à l’ozone. La figure 3 donne le schéma synoptique du dispositif.
La chaîne de décarbonatation est prévue pour les débits suivants :
— débit nominal ............. | 1 600 m³/h |
— débit maximal ............ | 1 800 m³/h |
— débit hydraulique de pointe ......... | 2 000 m³/h |
Les caractéristiques du Gyrazur sont les suivantes :
— hauteur totale .................... | 16 m |
— diamètre à la partie supérieure ........ | 6,5 m |
— vitesse ascensionnelle au débit nominal | 49 m/h |
Les caractéristiques des quatre filtres bicouches sont les suivantes :
— surface unitaire..................... | 51 m² |
— hauteur de sable de TE 0,7 mm ....... | 0,65 m |
— hauteur de pierre ponce de TE 1,7 mm | 1 m |
— vitesse de filtration au débit nominal . | 7,8 m/h |
Après filtration, une acidification (par de l’acide sulfurique) amène l'eau traitée à l’équilibre calco-carbonique.
RÉSULTATS DE FONCTIONNEMENT
Les résultats de fonctionnement doivent prendre en compte la qualité de l’eau obtenue, la souplesse de fonctionnement, la qualité et la quantité exigées pour les réactifs et la nature des résidus formés.
Qualité de l'eau traitée
Le fonctionnement du réacteur comporte des cycles d’environ deux mois à partir du moment de la recharge en sable. La figure 4 illustre l'évolution des paramètres de la masse catalysante (taille moyenne des billes, expansion et niveau de la masse catalysante). Quand la masse catalysante atteint le niveau de consigne, ici après le 23ᵉ jour, on effectue des extractions régulières pour se maintenir au niveau de consigne.
L’eau issue du réacteur présente une faible charge en MeS, celles-ci étant constituées en partie par les matières insolubles de la chaux. La figure 5 illustre l'évolution de la turbidité de l'eau au cours du cycle. Les matières en suspension se situent entre 15 et 30 mg/l sur l’eau traitée dans le réacteur. La figure 5 donne aussi les baisses du pH et du TAC lors de la filtration et leur évolution au cours du cycle.
L'eau filtrée présente une turbidité comprise entre 0,1 et 0,3 FTU.
Souplesse de fonctionnement
Le Gyrazur industriel, comme l’avait montré l’installation d’essais, peut fonctionner dans une large plage de débit : entre 700 m³/h (débit minimal) et 1 800 m³/h (débit maximal). Les changements de débit à l'intérieur de cette plage ne posent pas de problème particulier, et peuvent se faire rapidement en fonction de la demande en eau sur le réseau. La figure 6 donne la turbidité de l'eau traitée : celle-ci était stable dans la plage 700-1 800 m³/h (21-54 m/h) lors d'un essai de variation de débit effectué le 26 février 1981.
L'extraction des billes formées se fait à l'aide d’un hydro-éjecteur. L’extraction est mise en route (une à deux fois par semaine) si le niveau de la masse fluidisée (qui est repéré automatiquement) est supérieur au niveau de consigne. L’égouttage dans le silo est très rapide ; on obtient ainsi immédiatement un matériau (sous forme de billes de diamètre de l’ordre de 1 mm) véhiculable, par exemple, sur une bande transporteuse.
La recharge en germes neufs, supports de précipitation, se fait à la fin de chaque cycle de fonctionnement du réacteur, le cycle étant d'une durée de l'ordre de 70 jours. La recharge (15 tonnes de sable) se fait après une extraction massive. L’opération ne nécessite pas l’arrêt du réacteur, ce qui serait gênant, vu la localisation de l'usine à l'extrémité du réseau de distribution.
Le lavage des filtres est effectué automatiquement durant la nuit. Les durées de cycle de filtration sont en effet supérieures à 24 heures, quel que soit le débit traité.
Emploi des réactifs
Les réactifs utilisés sont la chaux et le sable servant de support à la précipitation du carbonate de calcium. Le dosage de chaux est asservi au débit traité de façon à obtenir une dureté constante (< 30 °F sur l’eau distribuée).
La quantité de chaux exigée, pour la baisse de 16 °F de TH, est de l’ordre de 160 g/m³ de produit commercial. La chaux utilisée doit être de bonne qualité et, en particulier, elle doit contenir une faible quantité d’incuits. La chaux utilisée est en l'occurrence le produit fabriqué par le producteur le plus proche (Chaux et Dolomie du Boulonnais à Boran-sur-Oise). Le tableau 3 donne les analyses effectuées sur la chaux utilisée.
Le sable utilisé dans le réacteur est de granulométrie fine (de taille à 50 % 0,25 mm). Il est injecté au début de chaque cycle en une seule fois, le taux de traitement rapporté au cubage passé durant le cycle ressortant à environ 10 g/m³. La figure 7 indique entre autres la granulométrie du sable utilisé (courbe n° 1).
La figure 7 indique aussi la taille des billes de la masse catalysante en cours de fonctionnement ; en
TABLEAU N° 3
VILLENEUVE-LA-GARENNE
ANALYSE DE LA CHAUX
DATE | Ca(OH)₂ % | CaCO₃ % |
---|---|---|
Janvier 1980 | 83,7 (1) | 11,6 |
85,2 (2) | ||
Juin 1980 | 84,0 (1) | |
86,3 (2) | ||
Septembre 1980 | 86,6 (1) | |
89,0 (2) |
Méthode analytique :
(1) Mesure des titres TA et TAC après mise en solution de la chaux
(2) Méthode au saccharose
En général, il ne faut pas dépasser une granulométrie correspondant à la courbe n° 3 pour conserver une bonne qualité d'eau traitée.
Ce traitement de décarbonatation ne nécessite ni coagulant (sel de fer) au niveau du réacteur lui-même, ni adjuvant de floculation (silice activée, alginate). Un sel de fer est généralement injecté avant la filtration pour améliorer la clarification au moment de la maturation et la tenue du filtre. Dans le cas de Villeneuve-la-Garenne, après quelques mois, cette adjonction a pu être supprimée : elle n’est utilisée qu’au début du cycle de Gyrazur.
La mise à l’équilibre calco-carbonique est effectuée après la filtration, par addition de 5 à 10 g/m³ d’acide sulfurique.
Nature du résidu
On a vu plus haut que les billes de carbonate de calcium formées pouvaient être séchées rapidement. Stockées dans un silo de 100 m³, elles peuvent être évacuées ensuite par camion. Le produit présentant une homogénéité de taille (de l'ordre de 1 mm de diamètre) et de nature (95 % de carbonate de calcium, 5 % de silice) peut être valorisé dans l'industrie.
AVANTAGES DU TRAITEMENT
Les avantages de la technologie adoptée à Villeneuve-la-Garenne peuvent se résumer de la façon suivante :
— le réacteur présente une grande souplesse de fonctionnement qui permet d’adapter immédiatement le débit à traiter à la demande en eau sur le réseau ;
— l’exploitation de l’appareil est automatisée de façon à réduire les manipulations et les contrôles nécessaires ;
— les coûts d’exploitation sont réduits puisque la chaux est un réactif basique peu onéreux (par rapport à d'autres réactifs tels que la soude) et que le taux de traitement au sable est minimisé ;
— les problèmes de traitement et de décharge des boues (présents dans une décarbonatation à lit de boue) sont éliminés, puisque les billes extraites sont facilement manipulables dès l’extraction (et éventuellement même valorisables) ;
— un des avantages principaux reste le faible encombrement du dispositif, ce qui avait conduit au choix de ce type d’appareil, eu égard aux conditions d’implantation sur le site.
Remerciements
Nous tenons à remercier les exploitants de l’installation de Villeneuve-la-Garenne, la Direction régionale de la région parisienne-Ouest de la S.L.E.E. et en particulier M. Noël, directeur, et M. Robert, ingénieur en chef, pour leur collaboration efficace et pour les renseignements qu’ils ont bien voulu nous communiquer pour préparer cet exposé.
La bibliographie sera fournie par les auteurs aux lecteurs intéressés.