La débitmétrie fluide moderne est extrêmement importante pour tous les techniciens du génie des procédés, et cela pour quatre raisons principales :
- — après la température et la pression, le débit est, par ordre d'importance, le troisième paramètre pour les procédés (et dans la plupart des cas, ce fait est peu connu) ;
- — au cours des cinq dernières années une véritable révolution a eu lieu dans le domaine de la débitmétrie, révolution dont l'importance n'a encore été perçue que par un faible nombre d’utilisateurs ; d’énormes progrès ont été réalisés, aussi bien en ce qui concerne les prix que la technique ;
- — même si les économies en matière d’énergie réalisables à court terme ne constituent pas la raison la plus importante, il est tout de même nécessaire d’améliorer et d’automatiser à moyen ou à court terme la plupart des procédés ; le fait de connaître le volume de fluide qui s'écoule par une conduite est primordial ;
- — les ordinateurs, en règle générale, et les systèmes de commande en particulier, sont des outils très précis, mais ils ne doivent aucunement constituer une fin en soi ; le meilleur système de commande est dépendant de l’efficience des capteurs de mesure de grandeurs physiques.
Les débitmètres électromagnétiques, les débitmètres Vortex avec détection capacitive et les débitmètres-masse en titane constituent les thèmes principaux de cet exposé.
Une révolution silencieuse
Divers fabricants de débitmètres se sont rendu compte du fait qu’il est impossible de s’affirmer sur le marché avec un produit en publiant simplement « Moi aussi j’en fais... ». Aussi, la question que l’on se pose face à un produit nouveau n’est plus « Comment fabriquer ce produit avec le moins de frais possible ? » mais bien plutôt « Que demande le marché ? ». Cette philosophie de base repose évidemment sur des études de marché réalisées en amont.
Voilà une des raisons pour lesquelles on a assisté à une révolution silencieuse dans le domaine de la débitmétrie fluide. On s'est en effet sans cesse trouvé confronté à des nouveautés comme :
- — le premier débitmètre électromagnétique compact en alternative aux diaphragmes pour liquides conductifs (1980),
- — le premier débitmètre électromagnétique très précis avec compensation automatique du zéro, modulation d’impulsions insensible aux parasites (PFM) avec transmission par fibres optiques (1980),
- — les premiers débitmètres électromagnétiques compacts avec microprocesseur (1983),
- — le premier débitmètre électromagnétique intelligent et également le plus rapide sur le marché, premier appareil à pouvoir être contrôlé et réglé par l’intermédiaire du réseau téléphonique (1985),
- — le premier débitmètre électromagnétique intégralement à sécurité intrinsèque, alimenté par liaison deux fils et qui transmet le signal de mesure par ces mêmes deux fils à l’électronique d’exploitation (1986),
- — le premier débitmètre Vortex avec capteur capacitif, utilisable dans une gamme de température de – 200 à + 400 °C (1986),
- — le premier débitmètre-masse en titane, se composant essentiellement de deux tubes droits parallèles (1986).
Une nouvelle tendance en chimie
Les débitmètres électromagnétiques sont utilisés depuis des décennies dans l’industrie chimique mais les versions « Ex » de ces appareils n’ont pas donné toute satisfaction. En raison de leur grande consommation d’énergie, il fallait prévoir un remplissage pulvérulent ou un balayage d’air comprimé et, dans la plupart des cas, il était nécessaire de poser deux câbles « Exi » et « Exe ». Les solutions employant les barrières Zener ont fait l'objet de sévères critiques de la part des utilisateurs au cours des dernières années.
Après maintes années de travaux de développement, il a été possible de mettre au point un Dem à sécurité intrinsèque « Exi » en technique deux fils, appareil qui ne consomme que de 0,5 W au lieu de 50 W ; ce résultat a été obtenu grâce à diverses améliorations :
- — nombre de spires élevé et focalisation particulière, produisant un champ magnétique important pour une faible résistance et une faible consommation,
- — moulage de diodes Zener dans la bobine, permettant de l’installer en zone « EX1 »,
- — utilisation de composants CMOS pour la partie électronique,
- — réduction du rapport signal/bruit.
Premier débitmètre électromagnétique avec liaison deux fils agréé PTB Exi, il constitue la pierre angulaire d’une nouvelle tendance en chimie ; il est en effet muni de brides en acier inoxydable, d’un revêtement téflon, d’électrodes en Hastelloy C, d’électrodes de masse (d’autres mises à la masse deviennent superflues dans la plupart des cas) de surveillance de la présence du produit afin de pouvoir déterminer s'il y a du liquide dans la conduite, d’une autosurveillance de l’ensemble de l'électronique et d'une transmission du signal insensible aux parasites.
Deux séparations galvaniques, l’une au niveau du capteur, l’autre dans le transmetteur ont permis de supprimer la ligne de compensation de potentiel. Grâce au fait que ce signal codé entre tube et amplificateur est insensible aux parasites, ces deux fils pourront faire partie d'un câble multiconducteur.
Mesure de vapeur et de gaz liquide
Dans le cas des débitmètres Vortex, les tourbillons se forment en aval du corps perturbateur (figure 2). La fréquence de détachement est indépendante de la pression, de la température et de la densité du fluide. Les débitmètres Vortex, produits depuis 1970, peuvent être utilisés pour la mesure de liquides, gaz et vapeur ; cette fréquence est donc la même pour une vitesse donnée et pour un même diamètre, quel que soit le fluide. Cette propriété rend le débitmètre particulièrement remarquable quant à l’universalité de son application.
La forme du corps perturbateur exerce une influence sur la linéarité, c’est-à-dire sur la gamme dans laquelle la fréquence de détachement de tourbillons est proportionnelle à la vitesse d’écoulement : c’est finalement le profil trapézoïdal qui s’est imposé.
La mesure effective du détachement des tourbillons est, quant à elle, plus problématique. Il existe différentes méthodes de mesure de ce phénomène : jusqu’à présent, on a utilisé essentiellement des thermistances, des capteurs de pression, des capteurs mécaniques, des jauges de contrainte, des éléments piézos, de l’ultrason, et récemment aussi des capteurs capacitifs. Le problème que doit résoudre chacun de ces capteurs consiste non seulement à mesurer la fréquence de détachement des tourbillons mais également le bruit de fond. Chaque capteur présente des avantages et des inconvénients :
- — les thermistances sont sensibles aux chocs thermiques et à l’encrassement,
- — les capteurs de pression résistent mal aux températures élevées et présentent souvent des risques de fuites au niveau de la membrane,
- — les capteurs mécaniques sont extrêmement sensibles à la teneur en gouttelettes (par ex. vapeur saturée) et à l’encrassement,
- — les jauges de contraintes présentent quelque inconvénient au niveau du temps de réponse et les éléments piézoélectriques entraînent une sensibilité au bruit de fond,
- — enfin, les capteurs ultrasoniques ont l'inconvénient de réfléchir et d’atténuer l’écho dans le tronçon de mesure.
Il arrive que la compensation du bruit de fond ne soit pas toujours efficace quant aux vibrations rotatives (qui apparaissent après les coudes) ou ne compense ledit bruit de fond que dans une certaine gamme de fréquence.
Le débitmètre que nous avons mis au point (figure 1) comporte essentiellement un noyau et son enveloppe. Lorsqu’ils sont mis en oscillation, ces éléments possèdent la même fréquence et la même amplitude de résonance, ce qui permet de maintenir un écart constant entre eux quand ils sont soumis à des vibrations.
Lorsque ce capteur est en service, seule l'enveloppe est soumise à des oscillations causées par les tourbillons dus au passage du fluide, des dispositions particulières étant prises pour permettre au noyau d’échapper à ce phénomène. La mesure de la fréquence des oscillations permet d’obtenir la valeur du débit.
L'accord acoustique est réalisé de manière à ce que les fréquences des bruits de fond en milieu industriel n’aient pas d’influence sur la précision de la mesure (de 1 à 500 Hz en général).
Ce débitmètre possède une grande insensibilité aux chocs thermiques : il résiste ainsi à des différences de température supérieures à 100 °C/sec. De plus, il peut être utilisé aussi bien pour mesurer le débit des liquides cryogéniques que celui de la vapeur, puisque la limite des températures acceptables se situe entre — 200 °C et + 80 °C ou — 50 °C et + 400 °C. À noter également qu’un capteur défectueux peut être remplacé sans pour autant modifier le facteur d'étalonnage. Le principe du capteur DSC est sensible au point qu’il pourrait mesurer le déplacement provoqué par une mouche se posant sur le manche d’une cuillère à café tenue horizontalement, ce qui correspond à un déplacement de l’ordre du nanomètre.
Mesurer le débit-masse au lieu de peser : le « M-point » (figure 3)
Dans beaucoup d’applications industrielles il ne suffit pas de mesurer le débit volumique : c’est au débit-masse que l'on s’intéresse. La détermination de cette grandeur se fait en calculant la densité du fluide à partir de la température et de la pression et en la multipliant ensuite par le débit volumique. Il est évidemment bien plus pratique de mesurer cette grandeur directement. Pour ce faire, dans de nombreux cas, on détermine le débit en discontinu, à l'aide de balances ; celles-ci sont en voie de remplacement par des appareils qui mesurent directement le débit-masse.
Dans le cas du « M-point », la technique que nous utilisons est la mesure du débit d’après le principe gyrostatique, sous l’effet de la force de Coriolis. En simplifiant, on peut expliquer le principe de la manière suivante : un tube droit est mis en oscillation ; en deux points définis avec précision (aux deux extrémités du tube) sont placés deux capteurs optiques qui détectent la phase des oscillations. Si aucune substance ne se déplace dans le tube, les phases des deux capteurs se recouvrent. Une quantité de liquide qui s’est introduite dans le tube oscillant subit une accélération latérale. En raison de son inertie, elle atténue l’oscillation à l’entrée du tube. À la sortie, le liquide délivre l’énergie emmagasinée au tube dont l’oscillation se trouve ainsi augmentée. Entre les deux points de mesure on constate ainsi une différence de phase mesurable à l’aide des deux capteurs, cette différence étant directement proportionnelle au débit-masse. En utilisant deux tubes de mesure qui oscillent en contre-phase, il est possible de rendre l’appareil insensible aux vibrations.
En raison de la très faible différence de phase, on a mis au point des capteurs offrant une résolution de l’ordre de la nanoseconde. Ils travaillent avec de la lumière infrarouge qui est modulée. Le tube de mesure quant à lui est en titane, choisi en raison de son excellente résistance chimique à la plupart des substances agressives. De plus, dans le cas de mesureurs basés sur la force de Coriolis, le fait que le titane présente une résistance à la fatigue 5 à 10 fois plus grande que l’acier inoxydable est primordial et qu’il résiste particulièrement bien à la pression.
Il est important également de noter que l’ensemble du dispositif oscillant est protégé par un tube en acier d’une épaisseur de 10 mm, résistant à la pression interne de 40 bars.
Pour la première fois, la technique du « M-point » a permis de réaliser un débitmètre-masse travaillant en deux fils et à sécurité intrinsèque. Les signaux issus des capteurs optiques ne sont donc pas transmis sur de longues distances, mais sont transformés directement sur le site en signaux digitaux. L’une des principales caractéristiques est certainement le fait que les tubes sont droits et parallèles, ce qui simplifie le nettoyage et maintient les pertes de charge dans des limites raisonnables.
Les autres avantages du « M-point » sont les suivants :
- — excellente résistance aux produits chimiques et à la fatigue mécanique,
- — tube de mesure de construction très stable, ce qui signifie insensibilité aux forces externes,
- — frais de câblage moindres si on les compare avec un conducteur à 8 ou 10 fils,
- — transmission fiable du signal de mesure (débit-masse, température, densité et défauts),
- — fréquence de résonance élevée des tubes en titane — supérieure à 600 Hz — ce qui entraîne une insensibilité totale aux vibrations usuelles de 50-200 Hz que l’on constate en milieu industriel.
Tendances actuelles en débitmétrie fluide
Les débitmètres installés sont pour 60 % des appareils à tuyères Venturi ou à diaphragmes ; pour les nouveaux équipements ce chiffre tombe à 20 %. Ceci démontre l’évolution qui a eu lieu au cours des dernières années dans ce domaine, les diaphragmes ayant tendance à se limiter aux cas extrêmes (pressions et températures très élevées).
Les débitmètres électromagnétiques se sont en fait imposés sur le marché dans les années 70 et, depuis, l’évolution se poursuit, avec une tendance à la précision élevée, à un confort d’utilisation toujours plus grand, à une consommation d’énergie moindre (Exi), à des systèmes poinçonnables et utilisables pour de nombreuses applications.
Le débitmètre Vortex est l’appareil des années 80. Il est surtout utilisé pour la mesure de vapeur et d’air comprimé, mais également de liquides cryogéniques. La tendance est avant tout à la mise au point de systèmes avec un grand confort d’utilisation, une grande indépendance vis-à-vis de l’environnement et du procédé lui-même (température, pression, vibrations, etc.) et si possible poinçonnables.
Les débitmètres-masse seront les appareils des années 90. On s’attend donc à ce que ces appareils s’imposent rapidement sur le marché. Si, jusqu’à présent, ils n’étaient produits que par un seul fabricant, ils seront bientôt au nombre de six ou plus, ce qui aura pour conséquence une chute des prix, leur coût élevé ayant été jusqu’à présent un argument contre leur adoption. Beaucoup de points de mesure discontinue — la plupart du temps des balances — pourront dès lors être remplacés. La tendance se résume ainsi : confort d’utilisation plus grand, consommation d’énergie moindre (Exi) et réalisation de systèmes poinçonnables.
Les trois principes de mesure font l’objet des mêmes exigences : réduction des coûts de fabrication, amélioration du rapport qualité/prix, sécurité d’emploi et amélioration de la productivité des procédés industriels.