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La corrosion et ses conséquences en géothermie

30 mars 1989 Paru dans le N°126 à la page 49 ( mots)
Rédigé par : G. OUZOUNIAN, B. GAUTHIER et O. GOYENECHE

Plus de cinquante doublets géothermiques ont été mis en exploitation au début de la décennie, dans le Bassin parisien. Le principe de fonctionnement d'un doublet géothermique est le suivant : un forage de production capte l'eau du Dogger à une profondeur comprise entre 1 500 et 2 000 m (figure 1) : après récupération des calories dans les installations de surface à travers un échangeur de chaleur, l'eau est réinjectée dans l'aquifère à travers un second forage. L'ensemble constitue le concept du doublet qui permet d’apporter la chaleur en surface, l'eau constituant le fluide caloporteur, et de disposer de cette même eau sans incidence sur l'environnement. En effet, l'eau de l'aquifère du Dogger présente une salinité élevée (jusqu'à celle de l'eau de mer par endroits) et contient des gaz dissous parmi lesquels du gaz carbonique et de l'hydrogène sulfuré. La salinité est essentiellement représentée par la présence de sodium et de chlorures, les autres ions majeurs, tels que K?, Ca²?, Mg²?, HCO?? ou SO?²? intervenant à des teneurs comparativement faibles.

Ces eaux, totalement dépourvues d'oxygène, présentent à travers l’ensemble de ces caractéristiques, un potentiel de corrosivité élevé ; le risque lié à cette corrosivité se manifeste sous deux aspects :

  • — le premier concerne le percement des tubages en acier noir des forages et la contamination possible d’aquifères intermédiaires, entre le fond et la surface, dont la plupart constituent des réserves d'eau potable ;
  • — le second réside dans la formation de dépôts susceptibles de colmater les ouvrages et donc de limiter les débits exploitables ; ces dépôts se forment à partir des produits issus de la corrosion, le fer principalement.

D’un point de vue historique, c'est cette seconde conséquence qui a été observée la première ; l'étude des mécanismes conduisant à la formation des dépôts de sulfure de fer a permis de déceler l’origine des troubles dans les phénomènes de corrosion. Dans la suite de la présentation, nous allons décrire les mécanismes réactionnels entre le fluide et l'environnement métallique auquel il est exposé en cours d’exploitation. La compréhension de ces mécanismes permet alors de définir les traitements à mettre en œuvre afin de bloquer les réactions indésirables, ainsi que les procédés permettant de traiter l'ensemble fluide-tubage au plus tôt dans la boucle géothermale.

[Photo : Schéma de principe d'un doublet géothermique sur le Dogger du Bassin parisien.]

Mécanismes réactionnels

Les dépôts de sulfure de fer sont omniprésents dans les ouvrages géothermiques exploitant le Dogger du Bassin parisien. Ils se manifestent sous diverses formes et avec des intensités variables d'un site à un autre. Deux grandes familles ont été identifiées :

  • — les ouvrages dans lesquels d'importantes quantités de sulfure de fer se déposent, situés essentiellement en Seine-Saint-Denis, au nord et au nord-ouest de Paris ;
  • — ceux, à l'inverse, dans lesquels on ne constate que de faibles dépôts de sulfure de fer, cantonnés au sud et à l'est de Paris.

Dans les deux cas, les conséquences sur l’exploitation sont comparables et se manifestent en premier lieu par une augmentation de la pression de réinjection dans le puits injecteur.

Du point de vue chimique, la réaction conduisant au dépôt de sulfure de fer s’écrit, dans tous les cas, de la même manière :

Fe²⁺ + HS⁻ = FeS + H⁺   (1)

En revanche, l'interprétation ou la lecture de cette réaction varie d'un contexte à l'autre. Le produit d’activité ionique (PAI) s’écrit :

PAI = (Fe²⁺) × (HS⁻) / (H⁺)   (2)

Lorsque le PAI devient supérieur à la constante de stabilité thermodynamique du sulfure de fer K_ss, il y a formation de dépôt. Au niveau de l’aquifère du Dogger, l’équilibre thermodynamique chimique est traduit par l’égalité :

PAI = K_ss   (3)

Cet équilibre signifie l'absence de réaction de dissolution ou de dépôt de sulfure de fer. Soumis aux contraintes de l’exploitation (variations de température et de pression, modifications d’environnement) le fluide voit son PAI devenir supérieur à K_ss et le dépôt de sulfure de fer se forme. Chacun des paramètres de la relation (2) est susceptible de varier pour conduire à la sursaturation, immédiatement suivie de la précipitation de FeS :

  • — toute augmentation de Fe²⁺ (fer en solution dans le fluide géothermal) se traduit par une sursaturation ; la teneur en Fe²⁺ ne peut augmenter en cours d’exploitation que par un apport de fer depuis le milieu solide vers le fluide. Il s'agit là de la réaction de corrosion des tubages en acier :
    Fe (acier) = Fe²⁺ + 2e⁻   (4)
    
    Dans le cas des eaux faiblement chargées en sulfure dissous, on a pu mettre en évidence une étroite relation entre la teneur en fer dissous et le débit de production ; un modèle intégrant la vitesse de corrosion, à savoir la vitesse de passage du fer depuis le tubage vers le fluide, illustre cette réaction (figure 2).
  • — de la même manière que pour le fer, une augmentation de HS⁻ conduit à la sursaturation. Dans le système d’exploitation, aucun apport de matière conte-

nant du soufre ne peut exister, le contenant du fluide n’étant constitué que d’aciers. L'augmentation de la teneur en sulfures dissous est le résultat de la réduction des sulfates sous l’action des bactéries sulfato-réductrices ;

• une diminution de H⁺, correspondant à une augmentation du pH, se traduit également par une augmentation de PAI ; l’augmentation du pH est susceptible de se produire lorsqu'il y a dégazage du fluide et donc perte de gaz à caractère essentiellement acide. Une exploitation à une pression supérieure à celle du point de bulle permet d’éviter ce risque ;

• enfin, la valeur de K_eq, variant avec la température, une diminution de sa valeur suffit à transformer l’égalité (3) en inégalité et à conduire à la sursaturation.

Dans la pratique, la variation de chacun de ces paramètres, pris séparément ou suivant diverses combinaisons, conduit à la précipitation de sulfure de fer. Suivant les cas, cette précipitation peut être contrôlée par la variation de la teneur en fer dissous ou par celle des sulfures dissous. On relève là les deux catégories de fluides décrits auparavant :

• les eaux riches en sulfure dissous, qui sont typiquement celles de Seine-St-Denis ; le stock en sulfure dissous est suffisant pour qu'il ne soit pas significativement affecté par l'activité bactérienne ou par la formation de dépôt. Le fer produit par la corrosion contrôle alors la réaction de dépôt ;

• à l'opposé, les eaux très peu sulfureuses, celles du Val-de-Marne par exemple, contiennent au niveau de l'aquifère des quantités plus importantes de fer dissous. Dans ce cas, c’est la variation des teneurs en sulfures dissous par activité bactérienne, associée à la corrosion, qui contrôle le mécanisme de précipitation.

Généralement, dans le premier cas, on observe des quantités plus importantes de dépôts, ceux-ci étant également mieux cristallisés que dans le second cas. Les sulfures de fer amorphes formés dans le second cas le sont en quantité massique assez faible ; toutefois, ces formes gorgées d’eau occupent un volume important et provoquent des pertes de charge comparables à celles du premier cas.

On constate, d'après la description des mécanismes réactionnels, que la corrosion constitue le facteur dominant conduisant à la formation de dépôt.

[Photo : légende : Fig. 2 : Modèle d’évaluation de la vitesse de corrosion par le dosage du fer. (Les croix représentent les points mesurés ; les courbes correspondent aux valeurs calculées par le modèle).]

Prévention

Outre ce risque, la corrosion présente un second danger signalé plus haut, celui du percement des tubages et de la contamination d'autres aquifères par l'eau géothermale salée. Afin de limiter ces risques, il convient de rechercher les solutions destinées à bloquer les réactions de corrosion, en empêchant simultanément la formation de dépôts de sulfure de fer par simple déplétion de matière, à savoir du fer en solution.

La seule voie raisonnable apparaît très vite dans l'application d'inhibiteurs de corrosion dès le fond du forage de production. Une telle solution est confrontée à deux difficultés majeures pour lesquelles nous présenterons les solutions que nous avons adoptées : d’une part, la géothermie fonctionnant en système assimilable à un système ouvert, les produits injectés devront être renouvelés en permanence et une optimisation du coût de traitement et de son efficacité doit donc être recherchée ; d’autre part, l’injection de produit aux environs de 2 000 m de profondeur présente des difficultés d’ordre technologique auxquelles il a fallu répondre.

L'inhibition de la corrosion peut traditionnellement être réalisée à l'aide de produits minéraux ou de formulations organiques. Une analyse du comportement des produits minéraux montre très rapidement que s’ils peuvent permettre une protection efficace, ils sont également susceptibles d’engendrer des dépôts secondaires indésirables dans les installations. La formation de ces dépôts secondaires dépend directement des caractéristiques du fluide à traiter. Notons, par exemple, la possibilité de voir se déposer les sulfures métalliques à partir d’inhibiteurs à base de métaux ou encore de l'apatite Ca₃(PO₄)₂ issue de composés phosphatés. Par ailleurs, les quantités de produits minéraux à mettre en œuvre sont considérables, et le coût du traitement apparaît très vite prohibitif ; de plus, bon nombre de ces produits à base de chrome sont interdits dans le contexte naturel.

La seconde voie, celle des composés organiques, permet de créer un film protecteur à l'interface entre parois des tubages et fluide. Les caractéristiques recherchées pour de tels produits sont :

— la compatibilité avec les fluides à traiter, afin d'éviter des inhibiteurs qui, en précipitant, deviendraient inactifs ou dont l'action serait rendue nulle par la forte salinité ou la présence d’H₂S ;

— une capacité de filmage assurant une diminution efficace de la vitesse de corrosion ;

— un temps de rétention suffisant à la surface de l’acier pour que son efficacité soit assurée le plus longtemps possible ;

— enfin, des propriétés physiques susceptibles de satisfaire une exploitation simple, l'une des contraintes essentielles étant de mettre en œuvre des produits possédant un point d’éclair élevé, afin

d'éviter de modifier des équipements électriques pour les rendre antidéflagrants.

Une présélection de produits susceptibles de répondre à ces caractéristiques est réalisée à partir des données écrites, fiches techniques et rapport de cas, et des expériences en milieu pétrolier. La sélection définitive est arrêtée à l’issue d'essais d'efficacité conduits sur le site en dérivation du réseau d'eau géothermale. Sur la figure 3 est représenté un exemple d'enregistrement d’efficacité d'un produit réalisé sur le terrain. Cet enregistrement est effectué à l'aide d'une sonde à résistance de polarisation ; la vitesse de corrosion initiale étant de 1,1 mm/an (valeur extrême liée à la méthode de mesure), l'injection du produit à raison de 10 ppm permet de la réduire à 0,03 mm/an. Après dix minutes de traitement, l'injection de produit est arrêtée et on continue à enregistrer l'efficacité du produit afin de déterminer sa rémanence. Si cette rémanence est supérieure à 30 minutes (soit trois fois la durée d'injection), le traitement pourra être envisagé de manière semi-continue selon un cycle de 10 minutes de traitement suivi de 30 minutes d'interruption. Dans de telles conditions, le dosage final moyen est de 2,5 ppm. Ainsi, pour un débit d’exploitation d'eau géothermale de 200 m³/h, il est possible de réduire le budget d’approvisionnement en produit à moins de 60 000 francs par an, tout en assurant un traitement efficace.

[Photo : légende : Fig. 3 : Évaluation de l'efficacité des produits ; exemple d'enregistrement.]

Le dispositif d'injection comprend une installation minimale en surface, essentiellement représentée par une pompe doseuse et les dispositifs d'isolement et de sécurité ; le produit est injecté dans une boucle annexe où circule un faible débit d’eau géothermale servant de fluide moteur pour entraîner le produit en fond de forage à travers un tube de traitement en fond de puits (TTFP). Le TTFP doit être constitué d'un matériau qui ne soit ni sensible à la corrosion ni susceptible d’en provoquer une. La sensibilité à la corrosion doit être évitée car certains produits inhibiteurs de corrosion en fort dosage peuvent avoir un effet inverse à celui désiré ; d’autre part, aucune installation n’étant à l’abri d'une panne, ce tube doit conserver son intégrité en toutes circonstances. Ainsi, dès le départ, l’acier noir a été écarté du choix des matériaux. Un TTFP en inox, inévitablement en contact avec le tubage acier sur la longueur du forage, induirait un couplage galvanique qui se traduirait par des percements des parois du forage. Il ne restait plus qu’à concevoir et à fabriquer un TTFP totalement inerte ; celui-ci, après étude, mise au point et essais mécaniques et chimiques, a été réalisé en matériau composite fibre de verre enrobé de résine époxy. Il est constitué d’éléments vissés bout à bout ; son diamètre intérieur est de 2,54 cm (1 pouce). Tous les équipements annexes de suspension, de centrage et de tête d'injection ont dû également être développés.

Résultats

Le procédé de traitement en fond de puits a été mis en œuvre sur des ouvrages préalablement nettoyés de la couche de dépôt préexistante. Dès la mise en place de l’équipement, un traçage est réalisé en injectant un marqueur coloré dans le TTFP. Le temps de retour du traceur dans le fluide géothermal produit permet de calculer la longueur du TTFP et de s’assurer de son intégralité. Une fois ce contrôle réalisé, le traitement est immédiatement appliqué. Les principaux résultats sont présentés dans le tableau.

Tableau : Résultats du traitement

Paramètre contrôlé Avant traitement Après traitement
Fer dissous 0,74 ppm 0,14 ppm
Fer sous forme de particules 0,20 ppm 0 ppm
Manganèse dissous 0,12 ppm 0,04 ppm
Vitesse de corrosion :
— résistance de polarisation 1,2 mm/an 0,06 mm/an
— témoins de corrosion > 1,2 mm/an 0,10 mm/an

On enregistre une très nette diminution de la vitesse de corrosion ainsi que des produits issus de cette corrosion, tels que fer et manganèse. À l'échelle de l’exploitation, on observe que les filtres et les échangeurs ne s’encrassent plus tandis qu’auparavant un nettoyage s'imposait tous les deux mois.

La démarche adoptée a consisté à expliquer les phénomènes afin de pouvoir les traiter de la façon la mieux adaptée possible. Des essais préalables, réalisés par injection de produit au niveau de la pompe d’exhaure, soit à environ –200 m dans le puits de production, ont permis de mesurer l'efficacité chimique du traitement. L’extension à l’intégralité de l'ouvrage a conduit à valider et à certifier la démarche ainsi que le procédé qui en est issu.

Conclusion

Deux opérations font actuellement l'objet d'un traitement en fond de puits par ce procédé, et la généralisation à l'ensemble des ouvrages vulnérables est prévue dans le courant de l'année 1989.

Les producteurs d'eau à usage industriel marquent également un intérêt croissant pour ce procédé, mais ce qui séduit avant tout les responsables d’ouvrages, quels qu’ils soient, sensibles par nature aux problèmes de corrosion, c’est la formule adoptée : comprendre pour mieux entreprendre.

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