L?obtention d'une bonne qualité de l'eau nécessite une régulation performante de ses caractéristiques chimiques parmi lesquelles le pH introduit une non linéarité importante. La technologie de commande prédictive par modèle appliquée ici a permis de prendre en compte cette non linéarité après une modélisation fine de la réaction chimique.
L’usine de production d'eau potable de Méry-sur-Oise, située au nord-ouest de Paris, constitue l’une des trois grandes usines du Syndicat des Eaux d'Île-de-France (Sedif) alimentant la région parisienne. L’usine de Méry-sur-Oise dont la filière biologique assure une production maximale de 200 000 m³/jour, a augmenté sa capacité nominale à 340 000 m³/jour, grâce à une nouvelle filière qui produit une eau de très grande qualité, plus douce et sans goût de chlore.
L’extension met en œuvre un procédé de nanofiltration sur membranes et produit 140 000 m³/jour d'eau adoucie. En fin de filière, cette eau (agressive) est mélangée à de l'eau (incrustante) provenant de l'ancienne filière de traitement biologique de l'usine. Un ajustement du pH avec de la soude est nécessaire pour rééquilibrer les deux eaux et protéger les conduites du réseau contre tout phénomène de corrosion. Cette étape du traitement est la dernière avant le réservoir dans lequel l'eau est
Afin de mettre au point la régulation, il était demandé à l'entreprise de tester son système sur un pilote de 3 m³/h mis à sa disposition au centre d'essais de l'usine, avant de passer au procédé industriel dont le débit est 5 000 fois contrôlé puis pompé vers le réseau. Toute erreur, dans le calcul de la quantité de soude à injecter, entraînerait un arrêt d'usine et la vidange complète de ce réservoir de 16 000 m³.
Les caractéristiques de l'eau nanofiltrée changent très rapidement en regard du temps de stabilisation du pH après l'injection de soude, notamment en eau froide. La régulation devait s'appuyer sur des mesures de pH, de conductivité, de température et de dureté (TAC et TH)* effectuées sur les deux eaux d'entrée et sur l'eau de sortie du puits de mélange.
Il fallait prendre en compte le caractère séquentiel et relativement imprécis des mesures de dureté, dont le résultat ne peut être délivré que toutes les 20 minutes. De plus, la proportion d'eau de la filière membranaire peut varier en quelques minutes de 80 % à 40 % de façon exceptionnelle. Une régulation « classique » en boucle fermée (de type bande proportionnelle, action intégrale) n'était absolument pas envisageable.
(TAC : Titre Alcalimétrique Complet — teneur en bicarbonate ; TH : Titre Hydrotimétrique — teneur en calcium)
La non-linéarité du modèle chimique
La figure ci-dessous présente deux caractéristiques de la réaction de neutralisation pour deux eaux différentes. Le modèle de connaissance permet au régulateur de « savoir » sur quelle caractéristique il doit se déplacer (graphe du bas). Lors d'un changement de débits des deux filières, le régulateur doit faire face instantanément à un changement de caractéristique et, dans le même temps, la consigne de pH passe d'un point « o » à l'autre sur le graphe du haut.
Matériel de conduite
L'automatisme de niveau 1 est constitué de 63 automates Schneider Electric TSX Premium affectés aux pilotages des 13 unités fonctionnelles de l'usine (nourricière, décantation, ozonation, filtration, nanofiltration…). Pour accroître la disponibilité de chaque unité, un automate redondant « TSX warm standby Premium » est utilisé pour gérer les modes communs. Le nombre important de capteurs et d'actionneurs installés au sein d'une même unité a justifié la mise en place d'une solution bus de terrain comptant 21 réseaux Fipio. Une liaison Ethernet TCP/IP assure la communication entre les automates, les superviseurs locaux et la supervision centrale. Celle-ci s'appuie sur deux serveurs redondants Hewlett Packard et six postes de conduite. Réalisant le niveau 2, elle est complétée au niveau 3 par un calculateur doté d'un système expert assurant la conduite optimisée de l'usine et du réseau de distribution d'eau. La régulation du pH et de l'indice de saturation de l'eau est intégrée dans l'un des automates TSX Premium de l'unité fonctionnelle.
Modélisation
La réaction de neutralisation du gaz carbonique par la soude est modélisée à l'aide des lois de la physique et de la chimie :
- – la conservation de la matière ;
- – les équilibres thermodynamiques de l'eau et du gaz carbonique dissous.
Comment maîtrise-t-on la saturation de l'eau ?
Le comportement hydraulique de la dispersion de la soude dans l'eau est modélisé par un transfert dynamique dont les caractéristiques dépendent des débits des eaux d’alimentation (filières 1 et 2 – figure 1) et de la géométrie de l'installation (longueur des canalisations, volume des bacs).
La transformation du CO₂ s’opère par action de la soude dans le puits de mélange. La cinétique de la réaction dépend de la température. À 20 °C, l’équilibre thermodynamique est atteint au bout de quelques secondes alors qu’à 2 °C, il faut plusieurs minutes. La galerie de stabilisation permet à la réaction de se dérouler jusqu’à son terme même pour les eaux les plus froides.
Commande
La régulation s’appuie sur la méthodologie de commande prédictive par modèle ; c’est-à-dire que le modèle mis au point et « calé » sur le procédé permet de prédire l’effet dynamique des perturbations, et de calculer à chaque instant l’action nécessaire au respect de la consigne spécifiée. Cette méthodologie permet de spécifier (et non de subir) le comportement souhaité en boucle fermée.
Le modèle mis au point (encadré « modèle chimique ») est donc exploité par le logiciel de commande à la fois pour le calcul du débit de soude, de l’anticipation de la consigne de pH et pour l’estimation du TAC et du TH de l'eau stabilisée (lesquels sont nécessaires pour la mesure de l’indice de saturation).
La particularité de ce régulateur est que le modèle intégré évolue en temps réel avec les conditions d’exploitation de l’usine : qualités d’eau d’alimentation et débit de charge conduisent à des variations du modèle dans des rapports de 3 à 4 sur chacune des caractéristiques (gain, retard et temps de réponse).
Le régulateur a été spécifié et réglé en considérant la difficulté que constitue l’existence d'un retard pur représentant plus de 30 % du temps de réponse.
Avant son implantation dans l’usine, le modèle et le régulateur ont été élaborés et testés sur un pilote.
Résultats sur pilote
La figure 2 ci-contre illustre la fonction régulation de pH du logiciel de commande. Sur les deux graphes du bas, on observe les variations des perturbations CO₂, bicarbonate et calcium lors d’un changement de régime. Ces variations induisent la variation de consigne observée sur le graphe supérieur pour assurer le maintien de l’IS sur sa consigne.
L'évolution du CO₂ est prise en compte par le régulateur en même temps que la variation de consigne pour calculer le débit de soude. Le temps de réponse mesuré en boucle fermée est voisin du temps spécifié (18 minutes).
Le dépassement de consigne est de l’ordre de 10 %. En régime stabilisé, du fait de l’envi-
Dans l’environnement favorable que représente un pilote, l’écart à la consigne est très faible : ± 0,01 unité pH en précision relative.
Intégration du régulateur
Le régulateur présenté ci-dessus a été mis au point et testé sur pilote dans un langage de programmation compatible avec les outils de développement de Adersa.
L’intégration réalisée par Spie Trindel a donc consisté à :
- * traduire le programme de régulation du langage C d’origine en langage automate (PL7 PRO de Schneider) ;
- * insérer le régulateur ainsi traduit dans le programme général d’injection de soude déjà réalisé par Spie Trindel ;
- * mettre ce programme en redondance.
L’intégration a été validée suivant trois phases :
- * validation informatique au moyen d’une supervision et de scenarii prédéfinis (tests en simulation) ;
- * validation au centre d’essai de l’usine : intégration dans un automate avec des mesures contrôlées (tests en semi-réel) ;
- * validation à l’usine de l’intégration du régulateur dans le programme général (tests en réel).
Résultats sur l’usine
L’étude sur le pilote a permis d’affiner les termes du problème et de valider la solution.
Les paramètres de la représentation du mélange et du transport ont été identifiés sur l’installation de l’usine. Le modèle physico-chimique est inchangé malgré un facteur d’échelle important, de l’ordre de 5000.
La figure 4 ci-dessus montre la régulation d’IS (indice de saturation) sur une période de 12 h pendant laquelle ont lieu un changement de consigne et de nombreuses variations des perturbations (débits des 2 filières, notamment). L’écart type de l’IS s’établit à quelques centièmes d’unité pH.
La caractéristique principale de ce projet, du point de vue de l’automaticien, est le rôle prédominant de la modélisation.
Un modèle chimique « de connaissance » (par opposition à un modèle « boîte noire ») s’est avéré nécessaire à plusieurs titres :
- * la non-linéarité du pH qui justifie à elle seule le recours à un tel modèle ;
- * l’effet déjà observé de la température d’eau sur la réaction chimique ;
- * les dynamiques, dont le retard pur, varient en proportion du débit usine.
Par ailleurs, le recours au modèle était inévitable pour la mise au point des estimateurs de qualité et pour anticiper les effets des perturbations que représentent les variations des caractéristiques des eaux d’entrées.
Cette application n’est pas une exception en ce qui concerne le rôle pris par la modélisation de connaissance ; c’est une tendance générale partout où les performances attendues sont élevées et où la non-linéarité est importante.