Une technologie d’avenir pour détruire les micro-organismes ?
J.-L. ROUBATYNalco France
Le produit le plus communément utilisé dans le monde pour la chloration est le chlore gazeux ; toutefois, en France, l'eau de javel (hypochlorite de sodium) prédomine. Il est possible aussi d’utiliser l’hypochlorite de calcium, les chloroisocyanurates et des dérivés chlorés de l’hydantoïne.
Lorsque le chlore gazeux (Cl₂) est ajouté à de l'eau, il se forme très rapidement de l’acide hypochloreux et de l’acide chlorhydrique selon la réaction simplifiée :
Cl₂ + H₂O = H⁺O₂⁻Cl⁻ + H⁺Cl⁻
Dans cette réaction il n’y a ni perte nette d’électrons par le chlore, ni perte de pouvoir oxydant de l’acide hypochloreux par rapport au chlore. L’espèce chlorée présente dans l’eau dépend du pH comme le montre bien la figure 1. Au-dessus de pH 3, le chlore (Cl₂) n’existe pratiquement pas. L’acide chlorhydrique formé est un acide fort : il réduit l’alcalinité de l’eau et abaisse le pH. 1 ppm de chlore réduit ainsi de 0,7 ppm le T.A.C. de l’eau. Il faut veiller, lors de l’addition de chlore gazeux, à limiter localement la concentration en chlore à 3 500 ppm car (sauf dans une eau très tamponnée par l’alcalinité) on pourrait obtenir un pH inférieur à 2, ce qui poserait un sérieux problème de corrosion.
Avec l’eau de javel, le problème est inverse : l’eau de javel est très alcaline et remonte le pH ; on constaterait donc, si l’on ne prenait pas de précautions particulières, une excursion du pH vers le haut, une déstabilisation de l’eau et des produits de traitement. En effet, avec des pH localement supérieurs à 8,6-9,3 (ceci dépend de la capacité du produit à le stabiliser), le zinc précipite sous une forme inactive, ce qui entraîne encrassement des appareils et corrosion.
Les traitements utilisant le phosphate comme inhibiteur de corrosion provoquent la précipitation de ce dernier avec le calcium de l’eau.
Avec les technologies tout organiques, c’est le carbonate de calcium qui précipite.
L’acide hypochloreux est un acide faible ; sa dissociation dépend du pH :
HOCl = OCl⁻ + H⁺
À des pH compris entre 5 et 10, l’acide hypochloreux HOCl et l’ion hypochlorite OCl⁻ coexistent (la figure 1 montre bien que la concentration en OCl⁻ augmente lorsque le pH s’élève).
[Figure : Concentration relative des diverses formes du chlore selon le pH.]Les réactions du chlore avec les produits contenus dans l’eau
Lorsqu’on introduit du chlore ou de l’eau de javel dans une eau, on obtient des réactions avec certains produits contenus dans l’eau, réactions qui affectent directement l’efficacité du chlore contre les micro-organismes.
La première de ces réactions concerne l’action entre l’acide hypochloreux et l’ion ammonium pour former des chloramines :
NH₄⁺ + HOCl → NH₂Cl + H₂O + H⁺ NH₂Cl + HOCl → NHCl₂ + H₂O
Cette réaction dépend du pH de l’eau et du ratio HOCl/NH₄⁺. Les chloramines formées présentent aussi un caractère biocide sans toutefois atteindre l’efficacité de l’acide hypochloreux. Dans les analyses, on appelle souvent « chlore combiné » ou « chlore lié » les chloramines, et « chlore libre » le total ClO⁻ et HOCl présent dans l’eau. Le chlore libre réagit aussi sur le fer ferreux, H₂S, les ions du manganèse, le nitrite.
Ces réactions augmentent de façon significative la demande en chlore du système et réduisent la quantité disponible pour contrôler les micro-organismes. Les matières organiques présentes dans l’eau seront aussi oxydées par le chlore, telles graisses, pollen, débris végétaux, tannins, lignine, produits provenant de la fabrication : chimie organique, pétrole, industrie alimentaire. La demande en chlore va ainsi varier selon la nature chimique de la matière organique, du temps de contact et de la concentration.
Un autre aspect très important est la décomposition de l’acide hypochloreux et de l’ion OCl⁻ sous l’action du rayonnement UV dans la zone 250-350 nm. Un circuit recirculé est soumis au niveau de la tour et du bassin à la lumière du soleil et le résiduel de chlore libre disparaît souvent en moins d’une heure pour un choc de javel effectué en plein après-midi. Le même choc effectué la nuit pourra laisser un résiduel de chlore libre pendant 2 à 4 heures.
Toutes ces réactions participent à la demande en chlore fatale du système et la chloration devra être plus importante afin de laisser un excès de chlore libre disponible contre les bactéries. Le manuel de White sur la chloration (1) détaille ces diverses réactions.
Action biocide du chlore
La principale action biocide est due à l’acide hypochloreux, lequel agit en oxydant les groupes azotés et, dans une moindre mesure, les groupes carbonés des composés vitaux pour les cellules bactériennes : enzymes, membranes, protéines structurelles… C’est parce qu’il a un grand pouvoir oxydant et une relative électro-neutralité (ce qui facilite sa pénétration dans la cellule), que l’acide est plus réactif que l’ion OCl⁻.
Connaître le mode d’action du chlore sur les bactéries est intéressant ; par contre,
Il est encore plus important de bien maîtriser techniquement la chloration.
Il existe de bonnes et de moins bonnes procédures de chloration. Historiquement, la première méthode employée sur des eaux industrielles a consisté à faire des chocs de chlore (ou de javel) sur une eau à un pH voisin de 7, en suivant strictement le schéma de la figure 1 (zone à haute concentration en acide hypochloreux, quantité élevée de chlore dépassant la demande en chlore fatale : le « break-point »). Cette technique consiste à introduire en chocs, une à trois fois par jour durant une période de 1 à 3 heures, une certaine quantité de chlore. Le résiduel en chlore libre maximum est compris entre 1 et 2 ppm. Cette méthode présente le grand avantage de minimiser la durée du rejet par la purge de chlore et de dérivés chlorés, mais c’est bien son seul avantage…
Une injection par chocs, séparée par une longue période de temps, conduit, entre les chocs, à une croissance importante de la masse bactérienne et du biofilm. En 1980, des travaux menés par Characklis, Trulear, Stathopoulos et Chang (2) ont montré l’impact d’une chloration journalière par chocs. Selon leurs travaux, il a été vérifié qu’avec un dosage de 5 ppm en chlore libre, on n’assiste qu’à une faible réduction de l’épaisseur du biofilm (figure 2). Dans les 5 à 12 heures qui suivent, le biofilm se reforme et l’on observe, quelques heures après un choc, une masse bactérienne plus importante.
Seule une dose 2,5 fois plus forte en chlore libre permet de contrôler parfaitement la situation et de stopper la croissance dramatique du biofilm (figure 3). On remarque toutefois sur cette figure la formation rapide du film entre deux chocs de chlore.
Ces études montrent que la chloration par chocs enlève temporairement le biofilm qui se reforme en quelques heures.
Durant les chocs, le chlore libre peut monter à plus de 2 ppm et l’acide (avec chlore gazeux) ou la soude (avec l’eau de javel) conduisent à une excursion notable du pH. Cette excursion est dangereuse pour le système (entartrage et corrosion).
Par ailleurs, il n’est pas possible d’optimiser et d’automatiser facilement un traitement par choc : le suivi en continu du chlore libre est en l’occurrence sans signification, ce qui n’est pas le cas avec une chloration en continu. Comme la teneur en chlore libre n’est pas vérifiée choc après choc, il pourra exister des périodes sans chlore libre en cas de pollution du circuit, avec les conséquences que cela peut présenter quant au développement des bactéries ou aux excès de chlore (corrosion). La chloration en continu ne présente pas ces inconvénients. Elle est, en effet, facilement contrôlable en continu avec un chloromètre, lequel, s’il est muni, par exemple, d’alarmes basses et hautes, peut piloter l’injection et assurer en toute sécurité la bonne concentration en chlore libre dans le circuit.
C’est ainsi qu’une chute de celle-ci dans le circuit peut correspondre en particulier :
- — à un incident sur le poste d’injection ;
- — à une variation de la qualité de l’eau de javel (vieillissement lié à un stockage trop long par exemple) ;
- — à une pollution du circuit de réfrigération (nous avons là un excellent moyen pour détecter rapidement et de façon peu onéreuse une pollution organique).
L’idéal est de maintenir dans le système une proportion de chlore libre résiduel comprise entre 0,2 et 0,5 ppm. Dans ce cas, l’utilisation de biodispersants spécifiques et performants (ces molécules feront l’objet d’un prochain article) permet d’améliorer le contrôle bactérien.
L’injection en continu offre donc un contrôle correct du développement bactérien. En outre, et en raison du fait que l’injection ne se fait pas de façon intermittente, l’on évite aussi les problèmes liés aux excursions de pH. De plus, le contact microorganismes-chlore est virtuellement infini, ce qui rend efficace cette solution à des pH alcalins (figure 4). Il est communément admis que la forme la plus active est l’acide hypochloreux et que la zone de pH de plus grande efficacité correspond à la zone où cette forme prédomine (pH inférieur à 7,5).
La figure 4 montre bien la réactivité plus grande du chlore à pH 7. La rapide désinfection d’une eau industrielle (dans un circuit ouvert par exemple) nécessite donc soit un pH bas, soit la modification de la chloration avec des molécules bromées activantes. Notre prochain article décrira cette technologie.
La figure 5 (3) montre la relation existant entre pH, teneur en chlore libre et pouvoir désinfectant à pH 7.
L’impact du pH sur l’élimination du biofilm a longuement été étudié par Characklis (4) en laboratoire. Il a montré que la destruction du biofilm par le chlore est deux à quatre fois plus rapide à pH 9 qu’à pH 6 ou 7 (figure 6).
Cela a été vérifié à de nombreuses reprises dans l'industrie. La chloration en continu du circuit, entraînant un long temps de présence du chlore et donc un long contact chlore-micro-organismes, donne d’excellents résultats entre pH 5 et 9,5. Par ailleurs, en pH alcalin, la quantité de chlore nécessaire pour maintenir une certaine concentration en chlore libre et détruire les bactéries est plus faible à résultat technique identique, malgré un ratio HOCl/OCl~ différent.
La quantité de chlore libre disponible pour contrôler les micro-organismes et empêcher la formation de biofilm varie d'un circuit de réfrigération à un autre.
Études de cas
Sur le terrain, on a observé, dans une première raffinerie (tableau 1), que le fait de passer de pH 7 à pH 9 réduisait de 26 % la consommation en chlore.
Tableau 1 : raffinerie n° 1
Facteurs | pH 7 | pH 9 |
---|---|---|
Chlore (kg/j) | 33,75 | 25 |
% de réduction | 26 % | |
Dosage de chlore libre dans le circuit | 0,2 – 0,5 ppm |
Avec cette teneur en chlore libre la flore bactérienne reste en dessous de 1 000 germes par ml.
Dans une autre application en raffinerie nous avons maintenu strictement la même quantité de chlore avant et après le changement de pH. Le chlore libre résiduel a plus que doublé à pH élevé. Cela est en partie dû au fait que le chlore est plus persistant à haut pH (tableau 2).
Tableau 2 : raffinerie n° 2
Facteurs | pH 7 | pH 9 |
---|---|---|
Chlore (kg/j) | 11,5 | 11,5 |
Résiduels en chlore libre | 0,46 | 0,97 |
% d'augmentation du résiduel | 110 % |
Il est certain qu’indépendamment de la valeur du pH, la demande en chlore va dépendre de la nature de l’eau, de la température, du temps de cycle… Nous avons ainsi voulu vérifier l'impact du pH sur la disparition du chlore dans la tour de réfrigération (par « stripping ») dans les valeurs de pH comprises entre 5 et 10. Dans les conditions de ce test on s’aperçoit que la persistance du chlore décroît entre 5 et 7 pour croître à nouveau jusqu’à pH 10 (figure 7). D’autre part, la durée de demi-vie du chlore libre (HOCl + OCl~) passe de 2,5 heures pour un pH de 7, à 17,5 heures pour un pH de 10. Cette augmentation de stabilité est probablement favorisée par la nature polaire de l’ion OCl~ dans un solvant également polaire : l'eau. Lorsque le pH est inférieur à 7, l’augmentation de la stabilité est peut-être due à l’augmentation, dans les zones de bas pH, de la polarité de l’acide hypochloreux qui fixe plus de protons associés. La chloration en continu semble donc être performante à tous les pH et avec tous les systèmes de réfrigération.
Cette technique est notoirement plus économique à pH alcalin, surtout si elle est associée à un biodispersant performant ou à certains produits qui amplifient l’effet de la chloration.
On peut résumer l’effet du pH sur la stabilité de l’acide hypochloreux par la réaction suivante :
-H+ ‑H+ HOCl —→ HOCl —→ OCl~ pH 7 pH 9
Précisons que les études en laboratoire effectuées pour déterminer la durée de demi-vie en solution des espèces HOCl et OCl~ ont été conduites dans de l’eau distillée. Le pH a été ajusté aux valeurs 5, 6, 7, 8, 9, 10 avec de petites quantités de soude et d’acide sulfurique. La température de l’eau a été maintenue stable à 25 °C. Le volume de l’échantillon était de 4,0 l et son aération était assurée par un tube dispersant le gaz au débit de 1 l/mn.
Les mesures ampérométriques (titration du chlore total et du chlore libre) ont été effectuées toutes les 30 minutes.
CONCLUSION
Les micro-organismes jouent un rôle négatif énorme dans le fonctionnement des circuits de réfrigération. Les bactéries, algues et moisissures peuvent en effet perturber les échanges thermiques et la production, réduire la durée de vie des équipements et minimiser les performances des produits employés pour le traitement de l'eau contre le tartre et la corrosion.
L'utilisation de biocides dans un circuit d'eau est ainsi rendue obligatoire.
Parmi tous les biocides existants, le chlore reste à ce jour le produit le plus économique pour les opérations de routine.
BIBLIOGRAPHIE
(1) White, G.C. « Handbook of chlorination ». Van Nostrand Rheinhold Co N.Y. 1972. (2) Characklis W.G. and coll. « Oxidation and destruction of microbial films » Water chlorination – environmental impact and health effects volume 3 Chap. 32. (3) Eliassen R., Krieger H.L. « Control of bacterial numbers in chlorinated sewage effluents ». Sewage and industrial wastes, 22 47 ff. (4) Characklis and coll. Water chlorination – Environmental impact and health effects.