Une attention récente mais croissante à la quantité et à la qualité de l'eau, des projets d'aménagement titanesques, de nombreux investissements autant pour protéger la ressource que pour épurer les eaux usées: le grand marché chinois de l'eau démarre.
Le manque d'eau est devenu l'une des plus importantes entraves à l'économie nationale et au développement, affirmait en décembre dernier Xu Guanhua, ministre des sciences et des technologies. À cause du manque d'eau, l'agriculture et l'industrie chinoises connaissent chaque année des pertes de quelques centaines de milliards de yuans. Dans les cinq années à venir, a-t-il ajouté, les centres scientifiques chinois renforceront leurs recherches sur la sécurité des ressources en eau et son usage durable : distribution rationnelle et aménagement des rivières, nouvelles technologies et économies d'eau, traitement des eaux polluées et de l'eau de mer.
L’an dernier, une sécheresse exceptionnelle a frappé le nord de la Chine, réduisant la production céréalière, épuisant les nappes phréatiques et asséchant les fleuves. Elle a provoqué l’apparition d’énormes vents de sable qui ont balayé Pékin et se sont fait ressentir jusqu’au Japon et même outre-Atlantique. La capitale chinoise a déjà dépensé un milliard de dollars pour lutter contre ces tempêtes de sable en s’entourant d'une ceinture verte et en dissuadant les agriculteurs d’exploiter les terres touchées par l'érosion. Elle doit également faire face à une baisse de la nappe phréatique qui peut atteindre deux mètres par an.
Le désert touche déjà plus du quart du territoire et continue de progresser au rythme de plus de 1000 km² par an. La sécheresse a rendu encore plus aigu le problème environnemental le plus sérieux du nord de la Chine : la pénurie d'eau, qui frappe plus de 300 villes chinoises.
Aggravé par une surexploitation des ressources souterraines, ce manque d'eau engendre également des désordres géologiques : excavations provoquant des affaissements de terrains, fissurations dans une trentaine de villes, montée de l'eau de mer submergeant 1200 km² autour de la mer de Bohai. C'est aussi dans ce secteur qu’une inondation, en 1998, causa plus de 3000 morts et força plus de 200 millions de personnes à quitter leur foyer.
1 yuan = 0,13 €
Les ressources en eau de la Chine sont estimées à 2350 m³/hab, soit le quart de la moyenne mondiale. Elles se répartissent de façon inégale entre une Chine aride au nord, où les ressources sont de 700 m³/hab, malgré la présence du Fleuve Jaune et de nombreuses rivières, et la Chine humide du sud avec un ratio de 3400 m³/hab. La quantité d’eau disponible au nord, par hectare de terre cultivée, est égale à seulement 1/8 de celle du sud. Le Fleuve Jaune s'est asséché la première fois en 1985, phénomène qui se reproduit désormais annuellement.
La quantité d’eau moyenne consommée par citadin chinois est passée de 55 m³/an en 1978 à 95,5 m³/an en 2000. Après une irrigation gravitaire qui entraîne de nombreuses pertes, le retard dans l'industrie constitue un autre facteur de gaspillage. L'industrie sidérurgique chinoise consomme 23 à 56 m³ d'eau pour une tonne d’acier produite, contre 6 m³ pour les États-Unis ou l'Allemagne. Un phénomène favorisé par l'inadéquation du prix de l’eau courante, très inférieur à son coût effectif. Les autorités ont conscience du problème : l'augmentation des prix bénéficie désormais d’un soutien politique réel. Elle est inscrite dans le 10ᵉ Plan quinquennal (2001-2005), comme le sont également les grands travaux destinés à transférer une partie de l'abondante ressource du sud vers le nord.
Des travaux pharaoniques pour l'eau
Le gouvernement chinois a en effet engagé une série de travaux gigantesques, les plus importants en taille jamais réalisés dans ce domaine dans l'histoire de l'humanité. Les deux projets que nous évoquons ici concernent tous les deux l'eau : le barrage des Trois Gorges, déjà bien avancé, et les quatre transferts d’eau nord-sud.
Ce dernier projet vise à amener les eaux du Yang-Tsé jusqu’en Chine du nord pour atténuer, selon la terminologie officielle, « la répartition inégale des ressources en eau en Chine ».
Selon Li Guoying, directeur de la Commission des travaux hydrauliques du ministère des Eaux, « ces ouvrages hydrauliques permettront de faire déplacer tous les ans environ 35 milliards de mètres cubes d’eau d’un bassin à un autre. La première tranchée de travaux consiste à construire des canaux de dérivation longs de plus de 3600 km. Outre l'irrigation d'immenses terres en pénurie d'eau, les eaux verseront dans le cours principal du Fleuve Jaune, ce qui implique la construction d’un grand nombre d'ouvrages complémentaires ».
Une partie de cette eau sera puisée dans les hauteurs du Tibet, dans sa partie sud-est, pratiquement au sommet du monde. La tâche sera ardue : « Face à des conditions naturelles particulièrement dures : haute altitude, basse pression atmosphérique, manque d’oxygène et froid glacial, explique M. Guoying, nous nous confronterons à un sérieux défi. De plus, l’incommodité des transports et la complexité des relations sociales dans cette région constituent autant d’obstacles qu'on ne rencontre nulle part ailleurs ».
L’autre projet est plus connu. Prévu d’être achevé en 2009, le barrage des Trois Gorges a pour but de produire de l’électricité et d’empêcher le renouvellement des inondations meurtrières. D’un coût de 22 milliards d’euros, il mesurera 2,3 km de long et 185 m de haut, comportera 26 turbines pouvant produire l’équivalent d'une vingtaine de réacteurs nucléaires. Sa retenue d'eau s’étendra sur 600 km. Les travaux de destruction des villes qui seront englouties viennent de démarrer. Le Yang Tsé sera fermé en novembre prochain. Le barrage devrait commencer à produire de l’électricité dès 2003.
À moins que les problèmes de pollution n’obligent à retarder la mise en eau. En effet, chaque année, 4,4 milliards de mètres cubes d’eaux usées, 6,7 millions de tonnes d’ordures ménagères et près de 10 millions de tonnes de déchets industriels sont déversés directement dans le cours supérieur du fleuve, en amont du barrage. En outre, la zone à inonder compte près de 200 décharges d’ordures, 300000 m² de toilettes publiques, 1500 abattoirs et plus de 1400 tombes. En 2001, l’État a débloqué 4 milliards de yuans pour la dépollution du réservoir. Il a promis que d'ici à 2010, 146 stations d’épuration des eaux et 161 usines de traitement de déchets vont être construites dans les villes et les bourgs autour de l’immense futur lac.
De nombreux projets d’infrastructure
En Chine, l’accès à l'eau potable ne cesse de progresser : de nombreux projets d’infrastructure voient le jour. Les municipalités connaissent un fort développement. Leur prospérité relative leur permet de prendre le relais du gouvernement central pour investir. En revanche, les 880 millions de ruraux restent à l’écart de cette avancée et continuent de puiser dans des ressources précaires et de qualité incertaine.
Les autorités accordent une attention récente mais croissante au traitement des eaux usées. Les effluents industriels (19,4 milliards m³ en 2000) sont rejetés directement dans le milieu ou dans les réseaux de collecte urbains, après avoir reçu un traitement le plus souvent
insuffisant. Il n'existe que 398 stations d'épuration pour tout le territoire. Un tiers d'entre elles n'atteignent pas le niveau prescrit. Un autre tiers est à l'état d'abandon.
Devant la dégradation alarmante des ressources et la croissance rapide du volume des effluents urbains (22,1 milliards de m³ en 2000), le Conseil des affaires d'État a émis une circulaire : les 667 villes de plus de 100 000 habitants doivent se munir de stations d'épuration d'ici 2005 et traiter 60 % de leurs eaux usées d'ici 2010. Une mesure rendue plausible par le fait que les autorités veulent faire supporter le coût du traitement par les consommateurs. Jusqu'à présent, la plupart des infrastructures étaient financées par les autorités centrales et locales. Parallèlement, la collecte des taxes pour l'entretien des réseaux était assurée, difficilement, par différents intervenants locaux : commissions de construction, bureau de protection de l'environnement, bureaux des finances. La collecte unifiée d'une taxe sur le rejet des eaux usées a été expérimentée en 1997 à Canton. Elle a été étendue à tout le pays en 1999. Cette seconde mesure traduit le souhait des autorités centrales de changer de mode de gestion.
Épargner l'eau douce
Le ministère de la construction réfléchit actuellement, en collaboration avec la Banque asiatique de développement, aux réformes à mettre en place, notamment en matière de tarification. L'augmentation du prix de l'eau s'impose comme une solution à la fois néces-
* En novembre 2000.
** Contre 50 % officiellement aujourd'hui mais 25 % selon d'autres sources.
Sa mise en œuvre est nécessaire et délicate : elle est déjà effective dans plusieurs villes et provinces.
Par ailleurs, le département de la protection de l'environnement de la Chine va investir 270 milliards de yuans pour dépolluer sept des plus importants bassins fluviaux du pays. L’un des objectifs importants sera d'abord de diminuer de 10 % les déversements de produits toxiques dans les cours d’eau. La volonté politique est réelle : pendant le 9ᵉ Plan, 84 000 sites industriels ont été fermés, principalement pour cause de pollution.
Des pratiques originales sont également encouragées pour épargner l’eau douce, comme le recours à l’eau de mer dans les chasses d’eau des toilettes. La région de Hong Kong l'utilise depuis la fin des années 50, au rythme annuel de 200 millions de m³, soit 18 % de sa consommation totale. Des projets pilotes sont à l'étude (techniquement, réglementairement) pour encourager ailleurs cette pratique. Enfin, certains grands projets bénéficiant de financements multilatéraux comportent un volet « gestion institutionnelle de l'eau ». La Banque mondiale, la BAD et le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) travaillent avec les ministères concernés à l’élaboration d’un schéma directeur pour l'utilisation rationnelle de l'eau.
Un plan de 5 ans pour l’eau à Pékin
La capitale chinoise souffre particulièrement de la pénurie d'eau. Le volume d'eau disponible par habitant est équivalent au huitième de la moyenne nationale et au trentième seulement de la moyenne mondiale. La municipalité doit servir 12 millions d’habitants alors que les limites de sa capacité (4,1 milliards de m³) sont atteintes depuis 1997.
Les deux réservoirs qui alimentent la ville n’ont jamais connu aussi peu d'eau. À Guanting, les ressources sont passées de 1,83 milliard de m³ dans les années 50 à 400 millions de m³ aujourd'hui. Dans le même temps, la population a été multipliée par trois. Cette baisse de niveau a bien sûr entraîné une concentration croissante de la pollution, aggravant l’eutrophisation. L’approvisionnement de Pékin dépend maintenant du réservoir de Miyun, lui-même fortement touché. Les deux réservoirs, qui fournissaient en moyenne 700 millions de m³ d’eau à l'agriculture dans les années 60 ne l'alimentent plus que de 56 millions de m³, l’alimentation de la ville étant privilégiée. Aujourd’hui, l’agriculture puise 80 % des 2 milliards de m³ dont elle a besoin dans les nappes souterraines. Cette surexploitation a fait baisser leur niveau de 9 m en près de 20 ans. Le sol s’affaisse d'un à deux centimètres chaque année. D’énormes cavités se creusent formant un réseau souterrain de 40 000 km² !
Cette situation est aggravée par les pollutions et le gaspillage. Désormais, les agriculteurs utilisent de l'eau usée non retraitée pour l'irrigation (185 millions m³ en 1995). Au total, Pékin rejette 1,3 milliard de tonnes d’eaux usées dont seulement 20 à 40 % sont traitées.
Les besoins de la ville se chiffrent à 7 milliards de m³ d’eau. Or, sa capacité maximale se situe à 4,1 milliards de m³. Pour lutter contre ce déficit et préparer les Jeux Olympiques de 2008, Pékin a lancé en 2001 un plan de cinq ans qui prévoit d'investir plus de 24 milliards de yuans dans les différents projets d'eau potable et d’assainissement. Et dont voici l’essentiel des mesures.
Même s'il est encore très inférieur à son coût de revient, le prix de l’eau à Pékin est relativement élevé : 2,5 yuans pour les ménages et 3,9 pour l'industrie. Il devra tripler d'ici 2005.
Des quotas de consommation
Depuis le 1er janvier 2002, 90 % des industriels et commerçants de Pékin sont théoriquement tenus de respecter des quotas de consommation. Par exemple, les quotas pour le lavage commercial de voiture ou pour l'irrigation des jardins publics sont fixés respectivement à 8 litres par lavage et 1 m³ par an et par m² de pelouse. Les ménages ne sont pas encore concernés, même si un volume mensuel de 3,5 m³ par personne est recommandé.
Pour l’eau potable, trois usines de production sont en construction et seront mises en service avant 2005. La capacité en eau devrait ainsi être portée à 1,34 milliard de m³ par an. Pour l’eau usée, quatre usines de traitement ont été mises en service pour une capacité de 1,28 million de m³/jour. Douze sont en construction pour un taux de traitement visé de 90 %. Cinq projets d'utilisation des eaux usées traitées sont prévus et d'autres en construction. La municipalité veut réutiliser 50 % de l'eau usée, soit un million de m³/j.
De même, la ville envisage de publier un règlement pour obliger les promoteurs immobiliers à équiper les nouveaux bâtiments d’installations de collecte des eaux de pluie. 700 millions de m³ pourraient ainsi servir à l'irrigation des pelouses et au fonctionnement des jets d'eau.
Autre projet, la réhabilitation du réservoir de Guanting. Il est prévu d’y injecter 300 millions de m³ d’eau et d’améliorer ainsi la qualité de
L'eau, qui gagnerait deux niveaux de qualité sur une échelle de cinq. Des stations de traitement seront également construites. Les entreprises les plus polluantes seront fermées ou déménagées. Et 66 000 ha seront mis en jachère ou en zone d'utilisation d'engrais restreinte.
Enfin, la ville veut réduire la consommation d’eau agricole. Pour cela, elle poursuit sa politique de réduction de la culture de riz dans ses environs. En 2002, 4 600 hectares vont être remplacés par de la végétation résistante à la sécheresse. Au cours des deux dernières années, Pékin a arrêté la culture du riz sur plus de 10 000 hectares.
La dynamique des Jeux Olympiques
L’essor économique attendu par l’organisation des Jeux Olympiques à Pékin en 2008 devrait s'accompagner d’une impulsion similaire dans le domaine de l'environnement. La ville a promis de débloquer 12,2 milliards de dollars, soit 4 % de son PIB, pour engager 20 travaux d’envergure destinés à réduire la pollution. Le plan d'action des JO, qui devront être, selon les autorités, des « JO verts », vient d’être rendu public. La plupart des contrats le concernant seront adjugés vers le milieu 2003.
Outre les nouvelles stations d’épuration déjà citées, l'effort consistera à équiper le parc olympique et les 37 sites de compétition des dernières technologies de conservation des eaux, y compris la collecte des eaux de pluie et les toilettes écologiques fonctionnant sans eau de chasse.
C'est cette année-là que débutera notamment le chantier de la première centrale chinoise à énergie solaire de 300 000 kW, d'après une technique locale brevetée. Au futur parc olympique, 20 % des bâtiments utiliseront du courant produit par des éoliennes ; un espace de 400 000 m² sera chauffé et refroidi par 160 pompes géothermiques ; la quasi-totalité des réverbères seront alimentés au solaire ; des tubes de verre à vide recueilleront l’énergie solaire pour chauffer l’eau des bains. ■