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La cartographie informatisée du chlore dans les réseaux de distribution

30 octobre 1991 Paru dans le N°149 à la page 41 ( mots)
Rédigé par : O WABLE, N DUMOUTIER, G GELAS et 3 autres personnes

L’attention de tous les consommateurs et distributeurs d’eau est attirée en grande partie vers les problèmes de qualité d’eau, notamment le problème des pesticides et des nitrates. Néanmoins, la Directive d’Application des Normes Européennes y inclut aussi les paramètres microbiologiques, ainsi que les goûts et odeurs. La maîtrise de tous ces objectifs de qualité se fait dans les usines de traitement d’eau moyennant, dans certains cas, des investissements supplémentaires.

Cependant, après que l’eau a quitté l’usine de traitement, des réactions chimiques et des modifications microbiologiques (réactions du chlore, reviviscence bactérienne…) ont lieu dans le réseau, qui peuvent dans certains cas provoquer une dégradation de la qualité de l’eau au moment où elle est distribuée au consommateur.

Afin de contrôler cette qualité, il est nécessaire de connaître précisément le temps de séjour, ainsi que la concentration des différents composés en chaque point du réseau. La connaissance de ces paramètres peut aider à choisir les points de rechloration (dans les cas où la chloration est nécessaire) sur le réseau ou les modifications de connexion afin d’éviter, autant que faire se peut, de très faibles concentrations en chlore dans certaines zones.

Afin de résoudre ce problème, des exemples de logiciels pour la modélisation des réseaux ont été présentés par certains auteurs [1]-[5].

Un logiciel, Piccolo, a été mis au point pour modéliser l’hydraulique (pression, vitesse) de l’eau dans les réseaux. Un module lui a été ajouté, intégrant la modélisation du chlore libre ou autres composés. En cas de pollution du réseau, cet ensemble permet de représenter la dispersion de polluants non réactifs, et donc d’agir rapidement sur le réseau.

Modélisation de la concentration en chlore

Aspect théorique

Le chlore, en tant qu’oxydant, réagit dans l’eau avec de nombreux composés (ammoniaque, composés organiques)

[Photo : Fig. 1 : Installation expérimentale sur le réseau de distribution à Paris.]
[Photo : Fig. 2 : Comparaison de la consommation du chlore libre de l’eau en flacon et en canalisation (site A).]

* Lyonnaise des Eaux — Dumez.

** Société Parisienne des Eaux.

*** SAFEGE.

sur les micro-organismes. Le chlore peut aussi réagir avec les composés organiques ou minéraux présents à la surface des conduites du système de distribution. Ces réactions, qui sont affectées par la température et la nature des composés, se définissent comme suit :

Cl₂ + P → Cl⁻ + P–Cl

avec Cl₂ : chlore, P : composés réagissant avec le chlore, Cl⁻ : chlorure, P–Cl : composés issus de l’oxydation par le chlore.

La vitesse de réaction pour la consommation du chlore peut s’écrire :

v = d[Cl₂]/dt = k₁₂[Cl₂][P]  (1)

La vitesse de réaction dépend de trois facteurs :

• la constante cinétique, fonction de la température de l’eau, des composés réagissant avec le chlore et de la nature du chlore (HClO ou ClO⁻), • la concentration de chlore, • la concentration des composés.

En intégrant l’équation (1), on obtient :

ln[Cl₂] = ln[Cl₂]₀ – k₁[P] × t  (2)

L’équation (2) peut être transformée pour obtenir :

[Cl₂] = [Cl₂]₀ · exp(–k’ t)  (3)

Étant donné que la concentration en composés oxydables par le chlore est généralement inconnue, une constante cinétique apparente du premier ordre est utilisée, qui s’exprime de la manière suivante :

k’ = k₁[P]

L’équation (3) devient :

[Cl₂] = [Cl₂]₀ · exp(–k’ t)  (4)

Il devient donc facile de déterminer k’ : en traçant le logarithme népérien de la concentration en chlore libre en fonction du temps, la pente est égale à k’. L’équation (4) sera utilisée dans Piccolo-Qualité pour simuler l’évolution de la concentration en chlore libre en fonction du temps.

Modélisation des réseaux

De tels modèles nécessitent, tout d’abord, la modélisation hydraulique à état stationnaire (c’est-à-dire les valeurs moyennes de consommation d’eau) ou non stationnaire (variation des débits d’eau, niveau d’eau dans les réservoirs). Des hypothèses doivent donc être prises en compte pour les simplifier.

Dans ce projet, les hypothèses suivantes furent intégrées :

• écoulement piston (pas de dispersion axiale), • mélange parfait aux nœuds, • conservation des masses.

Dès que le régime hydraulique est connu, il est possible de calculer en tout point du réseau le temps de séjour, la concentration en divers composés et de connaître l’origine de l’eau. Le graphe du réseau est suivi par le logiciel avec les procédures suivantes :

— pour chaque conduite, la cinétique est intégrée pendant le temps de séjour, — pour chaque nœud, la concentration est moyennée par le débit.

Dans ces conditions la cartographie de composés réactifs (en intégrant la cinétique) ou non réactifs est possible.

Matériels et méthodes

Afin de déterminer la consommation de chlore libre dans le réseau, il est nécessaire de mesurer tout d’abord la consommation dans l’eau elle-même. Lors des expériences décrites ci-dessous, le chlore libre a été mesuré par un Titrator Wallace et Tiernan modèle 790 ou un Hach Cl17 pour les mesures en continu.

Consommation dans l’eau

À un volume d’environ 10 l d’eau dans un flacon isolé de la lumière est ajoutée à t = 0 une dose fixe de chlore afin d’obtenir un résiduel de chlore libre. Le chlore libre est ensuite mesuré en fonction du temps. Il est alors possible de déterminer la constante cinétique apparente du premier ordre pour la consommation du chlore dans l’eau.

[Photo : Fig. 3 : Comparaison de la consommation du chlore libre de l’eau en flacon et en canalisation (site B).]
[Photo : Fig. 4 : Comparaison de la consommation du chlore libre de l’eau en flacon et en canalisation (site C).]
[Photo : Fig. 5 : Graphe de k’ avec 4 types d’eau en fonction de l’inverse de la température.]
[Photo : Fig. 6 : Comparaison du chlore libre mesuré et calculé sur le réseau de Paris.]

Tableau I

Caractéristiques des conduites et de l'eau.

ÉlémentSite ASite BSite C
Date d'installation193019871974
Diamètre (mm)100100200
Longueur (m)20872100
Origine de l'eauSouterraineSeine traitéeSeine traitée
Alcalinité (mg/l de CaCO₃)210170170
COT (mg/l)0,50,81,3
Absorbance UV254 nm0,81,61,8

Consommation dans le réseau

Une canalisation est isolée du réseau. Une pompe doseuse qui injecte une quantité de chlore proportionnelle au débit d’eau est installée au début de la canalisation (figure 1).

Le chlore libre est mesuré après différents temps de séjour. Il est ainsi possible d’obtenir une constante cinétique (équation 4) correspondant à la consommation de l'eau et à l'état de la canalisation. En comparant cette valeur à la constante, pour l'eau du réseau seule, la consommation de chlore de la canalisation peut être obtenue.

Résultats et discussion

La détermination de k’ a pu être menée à bien sur trois conduites de réseau de distribution parisien ; les caractéristiques des conduites et de la qualité de l'eau sont indiquées dans le tableau I. Dans ces trois cas, la consommation de chlore pour l'eau du réseau seule a été mesurée simultanément dans un flacon, comme décrit dans le paragraphe 3a. Quelques résultats caractéristiques aux trois sites sont présentés sur les figures 2, 3 et 4. Pour le site A, la consommation de chlore par la conduite est négligeable ; l'eau alimentant cette zone est une eau souterraine ayant une faible teneur en matières organiques.

Pour les sites B et C, la consommation de chlore dans la conduite est importante, de plus les valeurs de COT pour l'eau alimentant ces secteurs sont plus élevées que dans les cas précédents (provenance : eau de Seine traitée). L’eau provenant de deux usines de la SAGEP (Ivry et Orly) est chlorée à une dose d’environ 0,8 mg/l de chlore. Quand l'eau arrive aux limites de Paris, elle est déchlorée avec du sulfite pour obtenir une valeur d’environ 0,1 mg/l de chlore libre.

Ces expériences montrent que le transfert de chlore entre l'eau et la surface de la conduite est important et induit une consommation de chlore libre à la surface de la conduite.

Tableau II

Constantes cinétiques de disparition du chlore.

Système de distribution de Paris (en m⁻¹), température 14 °C ± 3 °C, erreur ± 30 %.

SiteEn flaconEn canalisation
Site A1,1 × 10⁻³2,2 × 10⁻³
Site B2,0 × 10⁻³6,9 × 10⁻³
Site C0,8 × 10⁻³5,7 × 10⁻³

La constante cinétique obtenue durant ces essais est présentée dans le tableau II. Ces résultats montrent l’influence de la consommation de la conduite dans les cas B et C. L’influence de la température a également été vérifiée. L’eau utilisée pour ces essais est, soit une eau souterraine (Loing, Vanne) soit une eau de Seine traitée provenant de deux usines (Ivry, Orly). Les expériences ont été reconduites pendant 24 heures aux températures respectives de 5 °C, 16 °C et 25 °C. Les résultats sont présentés dans le tableau III et la figure 5. Le logarithme de k’ (min⁻¹) est tracé en fonction de l’inverse de la température (en Kelvin). D’après la loi d’Arrhenius, les constantes cinétiques obtenues ici sont croissantes quand la température augmente et suivent une droite sur le graphique Ln k’ = f(1/T).

Tableau III

Constantes cinétiques de disparition du chlore en fonction de la température (t = 24 heures).

Site5 °C16 °C25 °C
Vanne4,83 × 10⁻⁴1,07 × 10⁻³2,08 × 10⁻³
Loing1,17 × 10⁻⁴2,47 × 10⁻⁴4,57 × 10⁻⁴
Ivry1,20 × 10⁻³2,23 × 10⁻³3,45 × 10⁻³
Orly1,74 × 10⁻³2,20 × 10⁻³3,83 × 10⁻³

Les deux types d’eau présentent des constantes cinétiques distinctes et sont semblables à ceux trouvés précédemment. L’eau de surface possède une valeur de COT plus élevée et, par conséquent, la constante cinétique apparente est également plus élevée.

Une autre méthode a été expérimentée pour déterminer k’. Certains points du réseau, avec des temps de séjour différents, ont été échantillonnés et le chlore libre y a été mesuré. Les résultats ont été comparés avec ceux calculés d’après l’équation 4 (figure 6). On peut constater que les valeurs mesurées peuvent être représentées d'une manière correcte avec les valeurs de k’ indiquées ici. La valeur de k’ est déduite d’après les expériences précédentes. Cependant certains points ont des concentrations de chlore libre qui ne suivent pas la décroissance exponentielle (équation 4). Ce phénomène est probablement dû à la grande variété de conduites qui créent des consommations locales élevées de chlore libre. Il est possible de modéliser les concentrations en chlore dans un réseau avec une concentration en chlore faible, mais quelques incertitudes subsistent qui sont dues à la mesure de chlore libre. Elles n’influent cependant pas de façon importante sur les résultats.

[Photo : Fig. 7 – Simulation de la concentration de chlore libre à Paris (concentration < 0,04 mg/l).]

est présenté en figure 7, en utilisant Piccolo-Qualité.

Conclusion

Le contrôle informatisé de la qualité de l'eau distribuée dans un réseau est possible pour certains paramètres tels que le chlore libre. On peut ainsi optimiser la chloration (si nécessaire) de façon à éviter de laisser se créer des secteurs à faible concentration en oxydant ; cette opération permet également de sélectionner l’emplacement des points d’échantillonnage.

Il est en outre possible avec Piccolo-Qualité de simuler la rechloration en réseau et, par exemple, de déterminer la position du poste d’addition de chlore. Cette opération permet de minimiser la concentration de chlore en tout point du réseau et d’éviter les goûts de chlore, tout en maintenant une qualité bactériologique satisfaisante sur l’ensemble du réseau.

Enfin, il est aussi possible de repérer rapidement les sections que l’on doit vidanger dans le cas d’une pollution locale du réseau.

Remerciements

Les auteurs remercient MM. Jousset et Harduin pour leur participation technique.

BIBLIOGRAPHIE

  • [1] Gotoh (K.). Residual chlorine concentration decreasing rate coefficients. Water Supply, vol. 7, n° 2-3, IWSA conference, Rio de Janeiro (1988).
  • [2] Itoh (H.), Kurotani, Kubota (M.), Tsuzna (M.). Dynamic analysis concerning water quality in distribution networks and advanced control for chlorine injection : Proceedings IAWPR conference, Kyoto (1990).
  • [3] Clark (R.M.), Coyle (J.A.), Grayman (W.M.), Males (R.M.). Development, application and calibration of models for predicting water quality in distribution systems. Proceedings, pp. 247-286. AWWA WOTC St Louis, MO (1988).
  • [4] Hart (F.L.), Meader (J.) and Chung (S.M.). CLNET — A simulation model for tracing chlorine residuals in a potable water distribution network. Proceedings, 1986 AWWA Distribution Network Conf.
  • [5] Cohen (J.). Development of a dynamic model for calculating the distribution of drinking water. AQUA, vol. 3, 1990.
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