Extraits d’une conférence de J.-V. Chambers présentée à la 36? Conférence sur la pollution tenue à l’université de Purdue (U.S.A.) — Adaptation technique de MM. J.-C. Van Den Hecke (T.B.A.) et G. Pairet (Unisymbiose).
posés toxiques ou saturants qui sont dégradés, l’ensemble de la station bénéficie ainsi à tous les niveaux de la « meilleure santé » des boues.
EXEMPLES D’APPLICATION DES TECHNIQUES DE BIOAUGMENTATION
Trois installations différentes d’épuration d’eaux usées ont été testées pour l’application des techniques de Bioaugmentation. Elles mettaient en jeu les procédés de l’aération prolongée, du lagunage aéré et du chenal d’oxydation. Leur fonctionnement avait été soigneusement réglé pendant une durée de quatre mois précédant le début du programme de Bioaugmentation. Durant cette période, quelques améliorations de performances ont été observées dans les trois unités : néanmoins, on constatait une faible décantation, une mauvaise formation du floc ainsi qu’un faible rendement de l’épuration.
Les taux de boues relevés dans les trois systèmes s’échelonnaient de 250-500* pour l’aération prolongée, 300-650 pour le lagunage aéré, et 150-375 pour le chenal d’oxydation.
Le taux de la D.B.O. était ramené à 85-92 % dans ces trois systèmes, avec une charge organique moyenne de 600 kg pour l’aération prolongée et le chenal d’oxydation, contre 320 kg pour le lagunage aéré. La formation de matières sèches variait de 0,52 à 0,7 kg par kg de D.B.O. entrante.
Les tests de décantation révélaient des boues très pauvres et une certaine turbidité des zones de surnageant. L’examen de lames par coloration Gram montrait une population dominant en Fungi (Nocardia et Géotrichum), mais aussi la présence de bactéries Beggiatoa et des membres du groupe des Sphaerotilus-Leptothrix.
L’installation des populations bactériennes sélectionnées prit approximativement deux semaines. La croissance des bactéries a été suivie par des examens microscopiques effectués à intervalles réguliers pendant le programme. La formation de floc fut également observée dans sa taille et sa densité. Des changements notables ont été relevés après trois semaines d’observation ; les données présentées dans les trois exemples ci-après correspondent aux relevés effectués pendant dix-huit mois de traitement.
* Indice de Mohlmann.
Aération prolongée
Cette station traite journellement 850 à 1 200 m³ d’effluents, ce qui représente une charge en D.B.O. de l’ordre de 4 à 6 tonnes. L’installation d’aération prolongée utilisée pour l’étude rejetait ses effluents dans une station d’épuration urbaine. L’adoption du procédé de l’aération prolongée était due au besoin de traiter des matières en suspension peu stabilisées qui causaient des surcharges au niveau du traitement. Les opérations de mise au point du système d’aération étaient menées depuis plus de 8 ans sans que de grandes améliorations en résultent (Tableau I).
Tableau I
Bassins | MVS mg/l | pH | O₂ dissous |
---|---|---|---|
bassin 1 | 3 000-12 000 | 7,2-7,8 | 0,8-2,0 |
bassin 2 | 530-4 000 | 6,8-7,6 | 0,6-1,2 |
bassin 3 | 800-5 000 | 7,1-7,8 | 0,8-1,4 |
bassin 4 | 700-6 000 | 7,2-7,8 | 0,8-1,6 |
Selon les observations d’Adamse, il devenait évident que la flore devait être modifiée si l’on voulait obtenir un meilleur résultat. Un examen microscopique de la biomasse du système d’aération prolongée révéla une variété de Fungi (non identifiée), des Beggiatoa, Geotrichum, Nocardia et des membres du groupe Sphaerotilus-Leptothrix, tous micro-organismes dont l’action conduisait manifestement à une mauvaise décantation des boues. Après essais en laboratoire, il fut décidé d’introduire nos bactéries dans le système après les avoir réactivées pendant six heures dans 100 litres d’effluent maintenu à la température de 30 °C, étape leur permettant de s’acclimater à l’effluent avant introduction dans l’unité de traitement. Après examen microscopique, trois bâchées de 100 litres furent ainsi déversées chaque jour au point d’injection des boues de recirculation dans l’effluent.
Des mesures journalières des paramètres (M.V.S. — pH et O₂ dissous) étaient effectuées. De plus, des diapositives de lames pour examen microscopique prélevées sur la liqueur mixte étaient prises chaque jour dans chaque bassin d’aération (fixées par la technique Gram) ce qui permettait d’estimer la population bactérienne en pourcentage de distribution. En outre, l’indice de boue, la D.B.O. et le D.C.O. étaient mesurés pour évaluer la qualité de traitement.
Deux semaines ont été nécessaires pour implanter la culture de bactéries mutées dans les boues ; à partir de la troisième semaine, la culture de mutants se développa, comme une partie de la flore initiale des boues, puis on observa le déclin total ou partiel des Beggiatoa, Sphaerotilus-Leptothrix et des Geotrichum ; à la fin des dix mois du programme, les bactéries filamenteuses avaient disparu et les Beggiatoa restaient en présence des Pseudomonas et cela jusqu’à la fin du programme. Aucun bulking n’a été observé lors de l’inoculation et pendant la poursuite du traitement.
Les données du programme de Bioaugmentation expérimenté sur l’aération prolongée figurent au tableau II. Elles font ressortir quantitativement les modifications de population bactérienne relevées.
Tableau II
Stade de traitement | Comptage aérobie | Cytochrome oxydase positive | Oxydase positive % |
---|---|---|---|
Avant bioaugmentation | 8,5·10⁶ | 8,5·10⁵ | 10 |
Après 2 semaines | 4,3·10⁸ | 1,5·10⁶ | 35 |
Après 2 mois | 7,3·10⁹ | 4,1·10⁷ | 56 |
Après 4 mois | 9,2·10⁹ | 5,8·10⁶ | 63 |
La capacité de décantation des boues était évidente, car plus les matières en suspension étaient recyclées, plus la concentration dans les bassins d’aération augmentait. La quantité de M.V.S. resta stable (avec un taux de 3 035 ± 716 mg/l) et la charge massique (de 0,3 à 0,35) était conservée. Après 14 jours, les quantités de boue extraites descendirent jusqu’à 47 m³ (± 2) et l’indice de Mohlmann passa de 350 à 200.
Ces observations montrent que la culture de nos bactéries a contribué à la formation d’un floc plus dense et à la réduction des bactéries filamenteuses. De plus, grâce à la meilleure décantation des boues, on a évité les pertes de floc dans le surnageant. Le résumé des performances obtenues est présenté sur le tableau III.
Tableau III
Stade de traitement | MVS (mg/l) | pH | O₂ dissous |
---|---|---|---|
Recirculation (1) | 7 822 | 7,4 | 0,6-1 |
Effluent + boues (2) | 3 367 | 7,2 | 0,4-1 |
Liqueur mixte (3) | 3 287 | 7,4 | 0,6-1,5 |
Phase endogène (4) | 3 444 | 7,6 | 0,4-1 |
Lagunage aéré
Le second cas dans lequel la technique de la bioaugmentation a été utilisée concernait un lagunage aéré (figure 2). Ce système avait rencontré des difficultés biologiques provoquant le dépassement des normes de rejet permises (respectivement 23 kg de D.B.O. et M.E.S. par jour). Les formules 12 et 13 donnent les bases du traitement mis en œuvre par lagunage aéré.
12) taux de changement de la biomasse = taux d’apparition dans le système — taux de fuite du système
13) (dX/dt) = (dX/dt) – K D
dans lesquelles on a :
g = gain de masse nette,
t = masse totale des nouveaux solides,
K = taux de disparition (perte) des solides,
X = biomasse (masse par volume),
t = temps spécifique.
Initialement, le remède choisi était de réduire la charge hydraulique en entrée, pour augmenter le temps de rétention dans le lagunage. Sur place, des mesures de contrôle étaient employées pour baisser les charges organiques de la laiterie, et pour contrôler les variations de pH dans l’effluent. Après ces modifications, un délai de quatre mois a été nécessaire pour permettre une colonisation active de la biomasse dans la lagune ; malgré les bons résultats obtenus, la limite de 22,5 kg de D.B.O. ne put être atteinte, alors que le comptage des germes aérobies pour les M.E.S. du lagunage atteignait en moyenne 190 000 par ml.
Avant l’introduction du programme de bioaugmentation, le lagunage aéré recevait une charge hydraulique comprise entre 166 et 208 m³/j et une charge organique de 2 475 à 3 150 kg de D.B.O. avec un temps de rétention de 9 à 11 jours. Le rendement d’épuration était d’environ 87 %. L’examen microscopique des matières en suspension dans le lagunage montrait un grand déficit de la population microbienne.
Après six semaines d’ensemencement de la lagune avec une formulation bactérienne préconditionnée, le système commença à augmenter ses performances et la population se développa suivant le schéma classique des aérations extensives. La figure 3 donne les rendements en D.B.O. depuis que le programme de bioaugmentation a commencé. On y voit que grâce à cette technique le rendement en D.B.O. a atteint 98 % (sauf en période froide) avec moins de 135 kg de D.B.O. et de M.E.S. en rejet.
Chenal d’oxydation
Le troisième cas dans lequel a été utilisée la technique de la bioaugmentation était un chenal d’oxydation (figure 4), dispositif dans lequel on rencontre fréquemment des phénomènes de bulking. Une partie des difficultés était due à de très fréquentes surcharges organiques, ainsi qu’à un déficit en oxygène dissous, ce qui entraînait l’extraction de 3,3 tonnes de boues par semaine et des frais importants. L’examen microscopique des boues révélait une faible formation de floc, ainsi qu’une population bactérienne peu dense ; de plus on constatait la présence de bactéries filamenteuses.
Le chenal d’oxydation recevait 277 à 388 m³/j de charge hydraulique ; la charge organique excédait couramment 450 kg de D.B.O. par jour, les temps de rétention étaient de 2 à 2,7 jours, avec une charge massique se maintenant entre 0,2 et 0,3. L’âge des boues était de 8 jours, et les rejets de D.B.O. et de M.E.S. atteignaient respectivement 270 kg à 315 kg.
Pour établir rapidement la population de nos bactéries sélectionnées, la boue activée fut chlorée et les déchets du bassin d’oxydation furent extraits. Trois semaines après, l’on put mettre en évidence un développement des bactéries et une population s’établit à partir de la quatrième semaine et pendant 9 mois ; le temps de rétention fut ramené à 2,5 jours, avec une charge massique de 0,1 à 0,15. L’âge des boues fut porté à 16 jours.
Pour tester la fiabilité du procédé, nos bactéries furent retirées et deux mois après on observa un appauvrissement de la population bactérienne dans la boue activée (figure 5). Les performances de rendement (reflétées par les concentrations en D.B.O. du rejet) sont portées sur la figure 6.
La production de matières solides chuta de 4,5 t à 1,4 t pendant le programme. L’arrêt du traitement entraîna un passage de 2 t de matières solides à 4,5 t (l’impact sur l’enlèvement des boues est économiquement évident). De même, le rejet d’effluent journalier passe de 157 kg de D.B.O. et M.E.S. à 247 kg après un arrêt du programme de bioaugmentation qui dura douze mois et reprit ensuite, à la suite de quoi le rendement d’élimination de la D.B.O. atteignit à nouveau 98 % (+ ou – 1,5 %) dans le chenal d’oxydation.
Les trois cas présentés montrent l’efficacité de l’utilisation de bactéries adaptées pour améliorer les performances du traitement des eaux usées.
Le succès de la bioaugmentation est lié à la bonne sélection des micro-organismes utilisés pour traiter un effluent donné. Ces bactéries, introduites dans l’environnement épuratoire, doivent en effet être hautement compétitives pour dominer la population bactérienne existante. Cette compétitivité dans la demande de substrats est due au faible Ks* de la cellule ainsi qu’à sa capacité de se développer rapidement dans un environnement favorable.
Traiter ces systèmes avec des bactéries spécifiques sélectionnées donne ainsi à l’opérateur un autre paramètre de contrôle qui accroît la fiabilité de la station d’épuration dont le rendement d’épuration en D.B.O. a atteint 98 % (+ ou – 1,5 %) dans les trois exemples cités. La production de boues y descendit à 0,25 – 0,32 pendant que les indices de Mohlmann étaient réduits à des valeurs de 110-165. L’examen microscopique révéla une population dominante de bacillus et autres bâtonnets Gram formant un floc dense et gros. Les taux de décantation s’améliorèrent en même temps que la turbidité de l’effluent rejeté. Si un bulking occasionnel s’est produit (cas de l’aération prolongée et du chenal d’oxydation), il a pu aisément être corrigé par une chloration dans les circuits de recirculation des boues.
En résumé, les bénéfices qui peuvent être réalisés en employant le procédé de la bioaugmentation sont de plusieurs sortes :
- — baisse de volume des boues, due à une hydrolyse plus efficace des matières colloïdales ;
- — établissement ou réactivation de l’activité bactérienne après des difficultés de démarrage, incidents divers ou chloration des boues recirculées ;
- — meilleures formation et décantation du floc ;
- — meilleure assimilation des déchets.
Enfin, l’exploitant réalisa des gains économiques sur l’enlèvement des boues et l’aération, ce qui compensa largement le coût du traitement.
La prochaine évolution des bactéries adaptées devrait concerner la biofixation. En effet, les micro-organismes, greffés sur un support minéral, acquièrent des propriétés de dégradation des toxiques et de rendement en milieu pauvre qui permettent d’envisager avec optimisme l’avenir de l’épuration biologique.
* Ks est égal à 50 % de la constante maximum de croissance de la bactérie à un taux de concentration donné.