La bioremédiation n?est plus seulement une méthode de dépollution écologique. Dans certains cas précis, elle est une alternative très intéressante que ce soit du point de vue technique ou économique. Voici deux exemples de projet actuellement à l'étude à l'UFZ1, institut de recherche allemande. Ils montrent comment l'utilisation de la microflore du sol peut se révéler très efficace alors que les conditions sont défavorables.
Bioremediation: an interesting alternative
The contaminated substrates are often clay deposits rich in organic matter.
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La bioremédiation n’est plus seulement une méthode de dépollution écologique. Dans certains cas précis, elle est une alternative très intéressante que ce soit du point de vue technique ou économique. Voici deux exemples de projets actuellement à l'étude à l’UFZ, institut de recherche allemand. Ils montrent comment l'utilisation de la microflore du sol peut se révéler très efficace alors que les conditions sont défavorables.
UFZ - Umweltforschungszentrum Leipzig Halle
Le problème de boues contaminées par des hydrocarbures se pose souvent sur les sites d’extraction de pétrole à l’abandon. L’état des pipelines et des autres structures immobilières de process se dégrade avec le temps et l’arrêt de l’activité. Les fuites qui s’en suivent contaminent fortement les substrats entourant la zone d’extraction.
Dépollution de boues contaminées par les hydrocarbures
Lorsque les sols sont limoneux ou sableux, des techniques classiques comme celle du “landfarming” permettent d’obtenir des résultats tout à fait satisfaisants. Ces méthodes trouvent leurs limites lorsque les conditions pédologiques changent. Sur le terrain, il s’avère souvent que les substrats contaminés sont des lentilles argileuses, riches en matière organique. Le transport et l’extraction de ces masses liquides se révèlent difficiles techniquement et peu rentables économiquement.
On pourrait penser que la présence d'eau et de nutriments organiques favorise une auto-épuration efficace classique dans ce genre de système. Malheureusement, le milieu est complètement réduit et donc sans oxygène.
Toutes ces contraintes de terrain obligent à créer de nouvelles méthodes adaptées à la situation. C'est actuellement le travail que réalise Anja Noke, “Doktorandin” à l’UFZ. Le process qu’elle met au point est une combinaison de procédés mécaniques et biologiques.
Utilisation de bioréacteurs
Le processus se décompose en trois étapes : un pré-traitement mécanique, un traitement biologique et une déshydratation finale. La première étape est très classique. Elle correspond à un mélange intense et à un tamisage des échantillons. La partie grossière de la matière sèche peut aisément être traitée par les méthodes classiques. L’étape principale du traitement s’intéresse à la partie résiduelle de ce tamisage. Les expérimentations sont menées dans des bioréacteurs (“air-lift bioreactor”). Le principe général de cet appareil est très simple : on crée à l’intérieur du réacteur les conditions de température et de nutrition idéales à l’activité des microorganismes et l'on mélange l’échantillon en continu par un système d’aération ascensionnel.
La boue contaminée est ainsi à la fois homogénéisée et oxygénée. La microflore du sol va se développer en utilisant les molécules polluantes comme source de carbone. Lorsque le taux de pollution a franchi le seuil de toxicité, on procède à une déshydratation. On peut ainsi réutiliser la partie solide de l’échantillon pour d'autres applications.
De très bons résultats
Les échantillons actuellement étudiés au laboratoire sont issus d'un ancien site d’extraction en Poméranie-Mecklembourg (Nord de l'Allemagne). Les boues sont composées de 30 % de matière sèche (notamment de la bentonite) et contaminées par des teneurs supérieures à 2000 ppm en hydrocarbures. Les résultats en bioréacteurs oscillent entre 60 et 80 % de dépollution, selon les conditions expérimentales. La biodégradation est de plus très rapide car ces niveaux sont obtenus en 2 ou 3 jours ; au-dessous de 3 ppm, on observe une stabilisation de la concentration en hydrocarbures dans l’échantillon. Cette teneur marque un véritable seuil au niveau de la méthode. L’action des micro-organismes ne s'étend en effet qu’à la phase liquide du substrat. Or, une partie des hydrocarbures se trouve dans la partie solide des échantillons. Les molécules polluantes, par nature très hydrophobes, ne passent pas d’elles-mêmes dans l'eau libre du sol.
Les perspectives des années à venir
Cette notion de seuil correspond à toute une partie de la recherche future d’Anja Noke et de son équipe. Deux options vont être étudiées lors de l'année 1999. La première fait appel à la technique des tensioactifs (Tensids). Ces molécules servent en quelque sorte d'interface entre les hydrocarbures et l'eau par des liaisons de polarité et de non polarité. Elles les extraient des particules solides et mettent ainsi les polluants à disposition des micro-organismes. Les premières études s’orienteront particulièrement sur l'utilisation possible de « biotensids », tensioactifs sécrétés par des bactéries (par exemple les acides gras).
La deuxième hypothèse de travail concerne l'utilisation de plantes pour terminer le traitement. Cette phytoremédiation sera menée tout d'abord sur une série de graminées qui poussent à l’état naturel sur le site d'origine des échantillons. Il est évident que ces deux technologies proposent des options très différentes, que ce soit au niveau économique ou au niveau du temps de traitement. Les résultats obtenus et l’orientation du marché détermineront sans aucun doute l’évolution ultime du projet.
Les travaux à venir auront aussi pour projet l'amélioration de l'utilisation des bioréacteurs. La première étape est de passer de l’échelle expérimentale à l'échelle industrielle. Dans la pratique, Mlle Noke pense tester des échantillons dans des réacteurs de 400 l (contre 65 l aujourd'hui). Ce volume pourrait correspondre à des traitements in situ. La technologie du bioréacteur est telle que le passage à des volumes importants ne modifie pas forcément les résultats obtenus dans des petits appareils. La maîtrise des facteurs peut être appliquée de manière aussi précise pour une large gamme de taille d'échantillons. Cette étape n’est donc pas forcément la plus difficile.
À partir de ces résultats, deux options seront développées : un renouvellement des deux tiers du volume tous les trois jours, ou un système en trois bioréacteurs. La première idée consiste à remplir un bioréacteur, laisser agir la biodégradation et remplacer les deux tiers de substrats dépollués par du substrat chargé en hydrocarbures. Le tiers restant conserve la microflore autochtone biocompétente pour la dégradation des hydrocarbures. Ainsi, à la manière d’un système immunitaire, on améliore au fur et à mesure du temps les capacités de dépollution de la partie vivante du substrat.
Le deuxième système ressemble à la technique du lagunage. On dispose 3 bioréacteurs en circuit et les échantillons passent successivement dans le premier, deuxième, et troisième système. Chaque bioréacteur est réglé de telle façon qu’ils créent les conditions optimales à la dégradation dans l'état où se trouvent les échantillons. En effet, l'activité biologique modifie profondément les conditions de pH, d’oxydoréduction, de teneur en éléments nutritifs, etc. dans les boues. Le choix entre ces deux méthodes se fera aussi sur le rapport qualité/prix. Ce travail n’est pas seulement destiné à la décontamination de sites pétroliers à l'abandon. De façon secondaire, il peut s’appliquer à d'autres domaines, comme par exemple le traitement des boues issues du lavage des voitures. Ce projet est une illustration parfaite de l'application de la science du vivant à des fins industrielles et respectueuses de l'environnement.
La dépollution de gravats contaminés par des herbicides
Ce projet est fortement imprégné du contexte géopolitique de Leipzig, ville où se situe l'institut de recherche UFZ dans le land de Saxe, ex-RDA. Cette agglomération de 500 000 habitants se situait dans un bassin industriel très important. Une fois le mur de Berlin tombé, les infrastructures déjà en mauvais état se sont retrouvées en situation de friche. Aujourd’hui, dans le cadre de la réunification, les gens sont pressés de voir détruire ces vieux murs, symbole d'un temps révolu. Dans la région de Leipzig s’était beaucoup développée l'industrie chimique.
La destruction de bâtiments liés à ce type d'activités pose un problème majeur : les bétons et les ciments réduits à l'état de gravats sont chargés en molécules chimiques résiduelles de l’activité industrielle. Le problème est d’autant plus grave que les molécules présentes sont des produits reconnus comme toxiques ou écotoxiques.
La solution la plus simple serait de tout stocker à la décharge. C'est d'ailleurs ce qui est fait actuellement. Mais cette commodité va bientôt s’avérer obsolète. En effet, une grande loi allemande sur les déchets, applicable en 2002, va obliger les responsables de ces gravats à les recycler de façon systématique. Ils pourront par exemple servir à la fabrication de routes pour les débris d'industrie propre, cette loi ne posera pas de problèmes. Par contre, les déchets contaminés par les hydrocarbures ou des pesticides devront respecter les normes environnementales.
Dans le but de se placer sur ce nouveau marché de la dépollution, de nombreux laboratoires ont lancé des programmes de recherches.
L'UFZ mise pour sa part sur un traitement biologique du problème. L'idée du projet est d'utiliser les capacités de la microflore présente naturellement sur les substrats pollués pour baisser significativement la concentration en herbicide.
Les conditions de survie des micro-organismes sont difficiles dans ces gravats. On note notamment un pH de 12,5, ce qui explique la faible activité naturelle du sol. Les premiers examens des échantillons ont cependant permis d’isoler des bactéries capables de dégrader un large spectre de pesticides.
Le mode opératoire
La technique utilisée est dite de la colonne à élution. Le principe en est simple : l'échantillon est aspergé par de l'eau. Les herbicides sont des molécules fortement polaires et sont donc entraînés en même temps que les micro-organismes dans le bas du système. Les eaux de percolation sont recueillies dans une sorte de bioréacteur où les conditions sont idéales à l'activité des bactéries. Dans ce bioréacteur a été disposée au départ une culture starter, à base de souches Rhodoferax sp. et Aureobacterium sp., spécifique à des pH alcalins. L’eau, les bactéries et le reste des pesticides « maturent » dans le réacteur et le mélange est recyclé dans le système en étant réaspergé sur les gravats.
Cette méthode permet de décontaminer complètement les gravats de substances toxiques. En effet, un des problèmes du traitement des pesticides est que les résidus des molécules polluantes restent souvent dangereux. Un traitement long permet de démanteler efficacement tous ces composés. Le chlore reste le seul résiduel qui pose toujours problème. Présent dans beaucoup de pesticides (par exemple les organochlorés), il est très soluble dans l'eau et empêche de rejeter directement le produit final de l’élution dans la nature. Les gravats sont pour leur part parfaitement décontaminés.
Le principal inconvénient de cette méthode est sa lenteur. Pour 320 000 m³ aujourd'hui à l'étude, les responsables de ce projet estiment à un an la durée du traitement idéal. Ce temps est à la fois long et indispensable : long, car les réponses proposées par la concurrence sont plus rapides, mais indispensable, car la décontamination est de très bonne qualité.
Il existe une autre complication à la mise en place du projet. Cette difficulté est d’ordre local et politique : les autorités régionales refusent en effet l’éventualité de payer 90 DM/tonne (environ 300 F/tonne) pour dépolluer des gravats. Le prix actuellement proposé par l’équipe de l'UFZ ne cadre pas avec les priorités d’autorités menant la réunification des deux Allemagnes sur le terrain. Un prix de 50 DM/t (170 F/t) leur semblerait plus raisonnable. Les chercheurs ont un an pour convaincre les intéressés. Pendant cette période, un essai grandeur nature va être mené, avec l’espoir de voir reconnaître la qualité du travail réalisé.
Le marché potentiel ne se réduit pas à cet espace qui va de la mer du Nord à la Suisse saxonne. Cette technique est susceptible d'intéresser beaucoup de pays de l'Est qui ont le même passé industriel. Le développement de telles techniques est une chance pour ces pays, car elles sont peu onéreuses, et une chance pour l'environnement, qui ne peut que mieux se porter de l'utilisation de ces méthodes.