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La biodégradation des hydrocarbures aromatiques polycycliques

29 decembre 1995 Paru dans le N°187 à la page 45 ( mots)

Des exigences d'ordre technique et financier font que la décontamination des sols doit être réalisée de plus en plus par des méthodes " in situ ". A partir de ces nécessités, les sociétés Pollution Service et Gamlen Industries ont mis en ?uvre un programme basé sur la biodégradation des hydrocarbures aromatiques polycycliques avec des bactéries sélectionnées. Les résultats obtenus par biorémédiation indiquent une efficacité qui semble très prometteuse pour l'application à l'échelle industrielle.

La sensibilisation collective aux problèmes d’environnement et l'évolution de la réglementation induisent de nombreux projets de réhabilitation de sols pollués, notamment sur les anciens sites industriels.

Les techniques conventionnelles de traitement « ex-situ » (enfouissement, incinération, etc.) sont peu adaptées à ce type de déchets particulièrement en raison des cadences et des coûts. Il paraît donc intéressant de développer des procédés « in-situ » ou « sur site », tels que les traitements biologiques.

Si les performances de la biodégradation sont à présent éprouvées sur les hydrocarbures aromatiques monocycliques et aliphatiques, il existe peu de références sur d’autres polluants.

C’est ainsi que Pollution Service, avec la collaboration de Gamlen Industries, a mené un programme d’étude de biodégradation des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) à travers la réalisation d’un pilote. L’objectif était de déterminer la performance et la faisabilité à échelle industrielle d’un tel traitement.

Technique choisie et dispositifs d’essais

La technique choisie consiste à introduire dans les terres polluées des souches de bactéries sélectionnées non mutées stimulées lors de leur production. Il se développe ainsi une flore bactérienne parfaitement adaptée au polluant dont la vitesse de dégradation est grandement améliorée.

Les tests de dégradation des HAP dans les terres ont été menés dans deux directions :

  • - vérification de la biodégradabilité des HAP et de la compatibilité des polluants avec la vie bactérienne par mesure de l’oxygène consommé. Pour cela deux essais comparatifs ont été réalisés parallèlement :
    • - sur un échantillon de 100 grammes de terre brute + 500 ml d'eau,
    • - sur un échantillon de 100 grammes de terre ensemencée avec 3 grammes de bactéries spécifiques + 500 ml d'eau.

    Ces deux milieux ont été lixiviés par rotation à 60 tours/min dans un récipient de 1 l. Le suivi de la respiration endogène a été effectué quatre fois par jour durant 15 jours sur ces échantillons de terre en lixiviation.

  • - réalisation d’un pilote de traitement à petite échelle en atelier durant 10 semaines afin de mesurer l’abattement des différents polluants à dégrader. Le test a été réalisé sur 400 litres de terres polluées avec le dispositif suivant (figure 1) :
    • - deux lits garnis d’une couche de drainage (graviers + géotextile) et perforés à la base contenant les terres,
    • - une rétention de 500 litres disposée sous les lits destinée à récupérer les percolats,
    • - un réseau d’aspersion des terres par recyclage des percolats,
    • - un réseau d’aération des terres et des percolats dans la rétention par air comprimé.
[Photo : Figure 1.]
[Photo : Figure 3.]
[Photo : Figure 2.]

Les opérations effectuées sur ce pilote ont été les suivantes :

. Préparation d’une solution biologique à partir de souches spécifiques sélectionnées (HAP et Phénols), à raison de 400 g par tonne de terres et ensemencement en une seule fois.

. Ajout de nutriments à raison de 10 g d’azote et 5 g de phosphore par tonne de terres, pour moitié la première semaine et pour moitié la deuxième semaine.

. Maintien d’une humidité de 60 % minimum par aspersion des percolats recyclés.

. Maintien d'une aération forcée dans les terres et les percolats par air comprimé.

. Brassage manuel des terres deux fois par semaine.

. Contrôle de l’oxygène dissous et de l’activité biologique dans les percolats.

. Contrôle de la température dans le local de traitement.

. Mesure des concentrations en hydrocarbures totaux, HAP (16) et indice phénols sur chacun des deux fûts au départ (point zéro), en cours puis en fin de traitement.

Résultats des essais et interprétations

Les résultats de mesures des respirations endogènes exprimés en OUR (oxygen uptake rate, en mg O₂/l/h) ont permis de tracer, pour chacun des échantillons, les courbes de cinétique (figure 2).

On peut ainsi tirer de ces résultats les interprétations suivantes :

. Pour l’échantillon de terre brute : OUR maximum = 21,7 mg O₂/l/h – OUR cumulé total à 167 heures = 154,1 mg O₂/l/h La courbe dans le temps montre seulement deux pics de respiration et la courbe cumulée est presque plate.

. Pour l’échantillon de terre ensemencée avec des bactéries spécifiques : OUR maximum = 162,9 mg O₂/l/h – OUR cumulé total à 167 heures = 1 487 mg O₂/l/h Dans ce cas la respiration est dix fois plus importante que sans bactérie. La courbe de respiration dans le temps traduit une dégradation qui s’effectue en plusieurs étapes (4 pics de respiration endogène), chaque pic correspondant sans doute à un groupe de composés donnés. De plus, la phase principale de dégradation s’effectue sous une semaine environ. Le cumul des respirations endogènes suit la courbe de croissance d’une bactérie (figure 3) :

1 : Phase de latence, adaptation des bactéries au milieu et composés à dégrader. 2 : Phase exponentielle de croissance des bactéries. À ce moment le taux de croissance des bactéries est maximum, d’où une activité donc une dégradation en plein régime. 3 : Phase de ralentissement de la croissance par manque de composés à dégrader. 4 : Phase endogène. Absence d’activité biologique.

En ce qui concerne le pilote de biodégradation, nous avons pu observer un colmatage dans le fût n° 1 dû peut-être à la nature des terres ou au colmatage de la couche de drainage entraînant une stagnation des eaux de recyclage en surface. Ni l’ajout de perforations au fût ni le brassage des terres n’ont remédié à ce phénomène. On peut donc s’attendre à une efficacité moindre sur ce fût.

Le fût n° 2 quant à lui subit un écoulement régulier assurant une humidification des terres idéale.

La température du local durant le traitement a varié entre 19 et 28 °C avec une moyenne de 23 °C. La teneur en oxygène dissous dans les percolats a été maintenue entre 5 et 7 mg/l.

La concentration en bactéries n’a jamais été inférieure à 10⁷/ml.

Enfin, les résultats analytiques ont donné les concentrations présentées dans le tableau I.

Ces résultats confirment donc les observations faites qui laissaient pressentir une meilleure efficacité sur le fût n° 2. On atteint sur celui-ci un abattement des HAP de 94 %, alors qu’il est

Tableau I

Point zéro 2 sem. 4 sem. 6 sem. 10 sem.
COMPOSÉS fût 1 fût 2 fûts 1+2* fût 1 fût 2 fût 1 fût 2 (mg/kg)
naphtalène 359 459 151,2 50,4 127,8 25 78 4,4
acénaphtylène 11,3 26,2 36,1 14,8 16,1 5 38 2,1
acénaphtène 7,5 69 64,1 9,1 40,3 9 0,7 0,5
fluorène 11,8 43,3 34,7 13,4 47,6 11,4 3 3
phénanthrène 129,7 271,7 86 107 142,6 109,1 2 7
anthracène 34,7 105,3 68,9 26,1 31,3 23,7 5 5,8
fluoranthène 211,3 455,5 280,6 106,6 58,8 98,9 2 3
pyrène 154,8 345,5 213,7 75 69,8 17 22
benzoanthracène 52,7 223,2 57,6 9,1 17 17,8 7,6 8,9
chrysène 26,8 165,7 50,8 6,5 4,2 13 7,6 8,7
benzo[b]fluoranthène 26 48,7 49,1 4 4,1 7,4 11 4,3
benzo[k]fluoranthène 33,1 142,2 54,9 6,4 3,2 14 7,6 6,6
benzo[a]pyrène +dibenzo[a,h]anthracène 13,4 163,9 32,3 9,8 1,1 13,4 1 1
indeno[1,2,3-cd]pyrène +benzo[ghi]pérylène 4,4 135,2 29,1 2,3 2 5,6 8,6 4,5
TOTAL HAP 769 2 180 1 066 437 520 411 135 132
INDICE CH₂ 211 133 195 143 52 154 - -
INDICE PHÉNOLS 0,09 0,1 2,38 3,8 10,88 11,73 - -

* Échantillons moyens composites

de 82 % sur le fût n° 1.

La décroissance est également observée sur les échantillons intermédiaires, bien qu’il soit difficile de faire une moyenne des deux fûts en raison de l’hétérogénéité de départ (769 mg/kg pour le fût n° 1 et 2180 mg/kg sur le fût n° 2).

L'effet du traitement sur l’indice CH₂ semble, par contre, peu sensible. Quant à l’indice phénols, il suit au contraire une courbe croissante et régulière.

Ces résultats ainsi que l’examen des concentrations en HAP par composant permettent de donner les interprétations suivantes :

  • • la biodégradation est efficace sur les HAP comme le laissaient supposer les tests de respiration menés en laboratoire,
  • • le traitement est peu opérant sur l’indice CH₂. Il faudrait pour cela certainement compléter l’ensemencement par des souches spécifiques,
  • • l’augmentation des teneurs sur l’indice phénols est explicable par la génération de sous-produits lors de la dégradation des HAP, notamment les catéchols. On peut penser que le traitement n’était pas tout à fait à son terme et que quelques semaines supplémentaires auraient été utiles afin de juger de l’évolution de ces composés et de la nécessité de leur prise en compte lors du dimensionnement.

Conclusion

La biodégradation des HAP par la technique et avec les produits que nous avons mis en œuvre lors de nos essais donne des résultats satisfaisants. Le problème des sous-produits de la biodégradation persiste en raison de la courte durée des tests qui n’a pas permis de tirer de conclusion à ce niveau.

Toutefois, les conditions opératoires d’un essai en laboratoire ou d’un pilote en atelier sont idéales et difficilement transposables sur le terrain. En particulier, les faibles quantités mises en œuvre ont permis une homogénéisation et un brassage parfait et le maintien d'une température exceptionnelle.

Il est évident que ces conditions ne pourront pas être reproduites lors de traitements « sur site » de gros volumes de terres. Pour des applications industrielles, il nous paraît donc réaliste de pouvoir atteindre avec cette technique une teneur résiduelle en HAP dans les terres inférieure ou égale à 200 mg/kg sur une durée minimum de 1 an.

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