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L'utilisation des techniques à membranes en potabilisation et en traitement d'eaux résiduaires urbaines

30 septembre 1986 Paru dans le N°103 à la page 31 ( mots)
Rédigé par : J.-m. PHILIPOT, F. BOURDON et J. SIBONY

L'utilisation des techniques à membranes est devenue pratique courante dans certains domaines : milieu médical, production d'eau ultrapure pour l'industrie de l'électronique, recyclage en cours de process de fabrication, préparation de boissons, etc. Dans le secteur d’activité du traiteur d’eau, on ne pratique pas encore cette technique de façon courante et, en dehors de l’osmose inverse, rares sont les exemples d'application.

Nous ferons ci-après un bref rappel des généralités sur les membranes, leur fabrication et leur mise en œuvre. Puis, au travers d’exemples concrets issus de notre propre expérience, nous distinguerons le domaine du possible et celui de la prospection. Nous nous limitons volontairement au cas précis du traitement de potabilisation et de celui des eaux résiduaires urbaines.

L'émergence des techniques utilisant une membrane dans le traitement des eaux est un fait récent dont il faut tenir compte et dont il convient d’estimer l'évolution prochaine.

Il existe des cas déjà classiques d'utilisation de ces techniques ; ce sont entre autres le dessalement d’eau saumâtre ou d’eau de mer, la production d'eau ultra-pure et les recyclages en fabrication, par exemple ; nous pouvons considérer qu’ils constituent des avant-postes aux frontières des traitements conventionnels tels que la décantation, la filtration ou l'échange d’ions : une membrane, aujourd'hui, n’est utilisable que dans des circonstances tout à fait particulières. Il serait toutefois vain de vouloir marginaliser l'application des membranes et, au-delà d'un certain phénomène de mode, les prévisions s’accordent pour indiquer qu’elles constituent une possibilité intéressante pour l'avenir en ouvrant, entre autres pour la potabilisation, la perspective de traitement sans réactifs. Pour atteindre ces objectifs, un long chemin reste à parcourir à la fois par leurs fabricants, qui doivent proposer un matériel plus performant, mais aussi par les traiteurs d'eau qui, au fur et à mesure que la technique progresse, doivent proposer des technologies d’application de plus en plus adaptées aux membranes mises à leur disposition sur le marché.

GENERALITES SUR LES MEMBRANES ET LEUR MISE EN ŒUVRE

La mise en œuvre d’un procédé de séparation par membrane implique la résolution de trois problèmes de nature différente :

  • — la fabrication d'une membrane possédant la sélectivité la plus élevée possible aux espèces que l’on cherche à éliminer, tout en opposant à leur transfert la résistance hydraulique la plus faible possible ;
  • — la conception du système unitaire — c’est-à-dire le module — qui met en œuvre la membrane pour atteindre deux objectifs essentiels : d'une part assurer des conditions hydrauliques optimales et d’autre part être compact. Ces deux problèmes sont du domaine de compétence des fabricants de membranes ;
  • — la définition de la technologie d'utilisation optimale du module et de la membrane. C’est ce dernier problème qui relève strictement du domaine du traiteur d’eau.

La membrane

On devine aisément qu’à chaque procédé et pour chaque application correspondent des types particuliers de membranes. Ces différents types peuvent être distingués selon leur nature chimique, leur microstructure et leur mode de fabrication.

Selon ce dernier, on distingue pour les utilisations qui nous intéressent :

  • — la membrane anisotrope : la couche permosélective de très fine porosité (10 à 10 000 Å) repose sur une deuxième couche support plus épaisse et plus poreuse du même matériau. Ces membranes sont donc caractérisées par une structure asymétrique. Le mécanisme de formation est celui de la démixtion, c’est-à-dire régi par une séparation de [...]
[Photo : Installation-pilote mobile pour essais de faisabilité des traitements par membrane]

phases entre une solution concentrée de polymère qui constitue la membrane et un agent de coagulation : ainsi, il est préparé un collodion concentré par solubilisation du polymère dans un solvant binaire ou tertiaire ; celui-ci, coulé sur une plaque de verre, est évaporé de façon à former un gel. Le mélange est ensuite mis en contact avec une solution de coagulation pour solidifier la structure primaire. La membrane formée possède deux couches distinctes :

  • une peau, très fine et semi-perméable (0,1 à 0,5 microns),
  • une couche support (100-200 microns), moins dense, dans laquelle le diamètre des pores augmente progressivement (anisotropie) ;

— la membrane composite où la couche permosélective et la couche support sont de nature différente. C’est une autre méthode pour préparer des structures asymétriques et qui consiste à déposer sur un support poreux une mince pellicule semi-perméable (peau de 100 à 1 000 Å). La préparation en deux étapes facilite l'optimisation de l'obtention des microstructures.

Il existe par ailleurs de multiples techniques de fabrication des membranes : nous citerons les membranes obtenues par traitement mécanique, radiochimique, les membranes filtrées, tissées, électroformées, etc.

Selon leur microstructure, on distingue :

  • les membranes microporeuses dont le diamètre moyen de porosité est compris entre 0,1 et 10 microns ; le phénomène de colmatage peut réduire le pouvoir de coupure en deçà de ces limites ;
  • les membranes mésoporeuses, avec une porosité comprise entre 10 et 10 000 Å ;
  • les membranes denses, dont la porosité correspond à la réticulation des polymères constitutifs (autour de 10 Å).

Enfin, selon la nature chimique et pour nos utilisations, on distingue :

  • les membranes minérales : céramiques, oxydes divers : aluminium, zirconium, etc. ;
  • les membranes organiques : dérivés cellulosiques, polyacrilonitrile, polysulfone, etc.

Tableau 1 :

Comparaison de différents types de modules d’osmose inverse

Éléments de comparaison Tubulaire Spirale Fibre creuse
Surface de membrane par unité de volume m²·m⁻³ 300 1 000 15 000
Débit spécifique dans les condit. stand. (30 bars) m³·m⁻²·j⁻¹ 0,3-1,0 0,3-1,0 0,03-0,10
Capacité de production par unité de volume m³·m⁻²·j⁻¹ 0,10-0,30 0,30-1 0,45-1,5
Prétraitement nécessaire sommaire moyen poussé
Tendance au colmatage faible moyenne importante
Nettoyage mécanique oui non non
Nettoyage chimique oui oui oui

Tableau 2 :

Caractéristiques principales des modules d’ultrafiltration

Éléments de comparaison Tubulaire Fibre creuse Plan Spirale
Prétraitement facultatif nécessaire facultatif nécessaire
Perte de charge faible moyen faible moyen
Nettoyage mécanique aisé difficile aisé difficile
Résistance mécanique excellente bonne bonne faible
Exploitation simple plus délicat simple plus délicat

Pour certaines applications spécifiques, il est possible de conférer à la membrane certaines propriétés physico-chimiques, par exemple la possibilité d’échanger les ions.

Le module ou système unitaire

Il existe de multiples types de configuration du système unitaire de mise en œuvre de la membrane ; citons par exemple : le module plan à circulation parallèle ou radiale, à cartouche plissée, le module spirale beaucoup utilisé en osmose inverse (qui peut être succinctement décrit comme étant un module plan enroulé autour d’un tube qui recueille le perméat), les modules tubulaires souvent adoptés pour la microfiltration et l'ultrafiltration, les modules à fibres creuses qui sont eux aussi beaucoup utilisés en osmose inverse.

La variété des dispositifs est très grande, et chaque fabricant possède ses propres brevets de fabrication. En fait, il n’existe pas de module idéal, tout comme il n’existe pas de membrane idéale, et la conception du module, tout comme la nature de la membrane, sont à choisir en fonction du type d’application. Ainsi, pour le cas devenu classique du dessalement des eaux par osmose inverse, les modules spirales et les modules à fibres creuses se sont progressivement imposés pour des raisons d'encombrement. En revanche, ils nécessitent un prétraitement poussé car ils sont sensibles au bouchage. Les tableaux 1 et 2 regroupent, pour chaque type de module usuel, quelques caractéristiques fondamentales : osmose inverse et ultra ou microfiltration. En ce qui concerne l'électrodialyse, les modules sont généralement à empilage analogue aux « filtres presses » où le liquide à traiter circule en série ou en parallèle. Le champ électrique y est perpendiculaire au plan des membranes.

Une installation complète comporte donc n modules à arrangement en série ou parallèle, des circuits hydrauliques, des pompes de circulation, de pressurisation, des vannes de décharge du rétentat, des organes de contrôle et de mesure, une turbo pompe, un système de décolmatage (éventuellement).

En dehors des applications particulières déjà citées qui utilisent des membranes échangeuses d’ions, le rôle principal des membranes est la rétention de surface ; on parle d’effet barrière. À ce titre, la membrane est caractérisée par son pouvoir de coupure et en fonction de celui-ci on distingue : osmose ou dialyse, ultrafiltration et microfiltration.

L'outil et la technique étant présentés, voyons maintenant quelle est la technologie qui permet de la mettre en œuvre.

peut s’appliquer serait fastidieux. C’est pourquoi nous nous limiterons volontairement et de façon restrictive à ceux qui relèvent des traiteurs d'eau potable et d’eaux résiduaires urbaines, lesquels doivent faire face à trois sortes d’impératifs :

— nécessité, dans la plupart des cas, de traiter de grands volumes ; — nécessité d’ordre économique : le coût du traitement par membrane doit rester comparable à celui d'un traitement classique ; — nécessité de la plus grande simplicité d’exploitation.

Nous ferons référence à des stations existantes ou à des essais que nous avons réalisés et, dans tous les cas, à notre propre expérience d'utilisateur de cette technique.

APPLICATION AU TRAITEMENT DES EAUX RÉSIDUAIRES URBAINES

Quels sont l'intérêt et la place dans la filière de traitement de l'application d'une technique à membrane en traitement d’eaux résiduaires urbaines ?

Son seul intérêt actuel, c’est l'obtention d'une eau quasi potable, donc de recyclage, dans les cas limites où l’eau est rare ou chère.

Sa place dans la filière de traitement dépend de la technologie retenue. Celle-ci consiste à coupler la membrane et le réacteur biologique aérobie, une partie de l'énergie dissipée pour la recirculation étant utilisée pour transférer l’oxygène. Ce sont les procédés Ubis ou Asmex utilisés au Japon par Mitsui Petrochemical Company (qui a acheté la licence du matériel Rhône-Poulenc) ; le module utilisé est de type UFP 10 avec une membrane plane d'ultrafiltration en copolymère d’acrylonitrile dont le pouvoir de coupure est de 5 000 D.

Nous l’avons testé sur site en vue d'une application industrielle. Le filtre est composé de quatre plaques porte-membranes réalisant une circulation du type série-parallèle de surface filtrante 0,44 m². Outre le porte-membrane, l’installation comprend un réacteur biologique dont l’oxygénation est assurée par un émulseur monté sur la conduite de recirculation du rétentat. La pression de fonctionnement est de 1,5 bar. Le débit de la pompe de recirculation est tel qu'il conduit à une vitesse de balayage dans l’espace inter-plaque de l'ordre de 3,5 m/s. Il est nécessaire de maintenir cette vitesse : c'est le fondement du dispositif de filtration tangentielle, ce qui permet de limiter le colmatage.

Les essais ont été réalisés sur une eau résiduaire, strictement urbaine, décantée, et dont la DCO varie journellement de 200 à 600 mg/l.

Pendant toute leur durée, les paramètres suivants ont été maintenus constants :

— débit de recirculation et pression de service, — température de 35 °C (nécessité d'un refroidissement), — concentration de la biomasse (5 g/l MVS).

Dans ces conditions, le système a délivré une eau de qualité constante : DBO < 10 ppm, DCO < 20 ppm, MES < 5 ppm (limites de détection des méthodes analytiques utilisées). Le débit du filtrat obtenu fut en moyenne de 2 500 l/m²/j (à 35 °C). À l'issue de ces essais, nous avons pu estimer la consommation électrique, soit 3,5 kWh/m³ de filtrat, soit, pour l'eau étudiée, 24 kWh/kg de DBO éliminée (rappelons qu’un filtre biologique aéré du type Biocarbone consomme 0,8 kWh/kg DCO éliminé).

Il est évident qu’en dehors de quelques cas particuliers (réutilisation et recyclage d’eau de qualité), ce type de traitement n'est à retenir que dans le cas d’effluents très chargés et, dans ces conditions, le choix de l'aérobie est à reconsidérer : le couplage d’un réacteur anaérobie de méthanisation et d’une membrane reste une possibilité intéressante au développement de laquelle nous travaillons. Des équipes japonaises travaillent également sur ce thème : c’est l’objectif des programmes Aqua Renaissance et Biofocus qui ont été lancés par ce pays.

APPLICATION DES TECHNIQUES À MEMBRANES EN EAU POTABLE

Nous présenterons une application désormais classique : le dessalement par osmose inverse et des types d’application plus prospectifs, en particulier pour la microfiltration et l'ultrafiltration.

Une application de l’osmose inverse : le dessalement

La pression osmotique pour l'eau de mer étalon, c'est-à-dire à 35 g/l de chlorure de sodium, est de 25 bars à 25 °C. Aussi, pour éviter d’avoir à appliquer des pressions trop élevées s’efforce-t-on, quand on le peut, de limiter l’application de l’osmose inverse au traitement des eaux saumâtres.

Cette possibilité n’existait pas à Malte et l'usine de Ghar Lapsi, livrée en février 1983 par la société Polymetrics, du groupe de la Compagnie Générale des Eaux, traite directement de l'eau de mer. Avec une capacité de production de 20 000 m³ par jour, cette unité est la plus grosse de ce type en fonctionnement à ce jour. On se reportera au schéma de principe de la filière de traitement.

Les données d’exploitation dont nous disposons sont les suivantes :

— salinité de l'eau à traiter : 39,2 g/l ; — température de l'eau à traiter : 17 à 23 °C ; — indice de colmatage SDI compris entre 1,1 et 2,7 (amont des préfiltres) ; — membranes Du Pont Permasep B-10 ; — pression initiale : 55 bars ; — la consommation électrique moyenne, estimée sur une période de 2 ans et demi, est de 5,9 kWh/m³ ; elle est sen-

[Figure : Ghar Lapsi - Usine de 20 000 m³/j (eau de mer) - Schéma hydraulique.]
[Photo : Usine de dessalement de Malte. Vue générale.]

sensiblement plus faible que celle qui avait été estimée lors du projet. Il faut signaler que cette consommation électrique faible, rapportée au mètre cube traité est due à l'utilisation — pour la première fois à grande échelle — de turbo-pompes avec récupération d'énergie (Guinard) ;

  • - le taux de conversion retenu à Malte est de 35 %.

Autres applications de l’osmose inverse

D'autres applications de l’osmose inverse ont été proposées en particulier pour le traitement d’élimination des nitrates. Le rendement obtenu dépend de la pression appliquée. S'agissant du traitement d'une eau douce, on peut penser que la pression à appliquer sera plus faible que dans le cas du dessalement ; en fait, il n’en est rien et l'on obtient 95 % d’élimination des nitrates pour une pression de 60 bars, 85 % à 30 bars et 75 % à 15 bars environ.

Utilisant un modèle de prévision de performances nous avons pu, en partant d’un cas réel (traitement de 320 m³/h puisés dans la nappe de craie), estimer les performances du système (voir le tableau 3).

Pour limiter le phénomène d’encrassement par précipitation au voisinage de la membrane, il convient d’abaisser le pH à la valeur de 5,7. Compte tenu de la minéralisation de l'eau et du débit à traiter (320 m³/h), cet abaissement nécessite l'emploi d'une quantité importante d’acide sulfurique. Par ailleurs, le perméat est impropre à la distribution : il faut impérativement pratiquer une reminéralisation et une remise à l'équilibre calco-carbonique.

Si l'on considère uniquement la consommation d'énergie, celle-ci s’élève à 1,5 kWh/m³, soit environ 70 centimes auxquels il faut ajouter les réactifs (acide, soude et reminéralisation), le renouvellement des membranes (qu’il n'est pas possible d’apprécier avec précision), celui du matériel et le coût de la main-d'œuvre. Rappelons qu’une installation conventionnelle de dénitrification biologique présente un coût d’exploitation de 70 centimes par m³, toutes choses égales par ailleurs (Eragny, coût actualisé en 1986).

Pour de petites installations individuelles, la pression disponible sur le réseau peut suffire. Le rendement d’élimination reste faible (moins de 50 %), mais peut être suffisant dans la plupart des cas (la concentration maximale admissible est de 50 ppm NO₃⁻). Cette utilisation pose néanmoins un certain nombre de problèmes dont le plus difficile à résoudre est celui du contrôle individuel du traitement et des risques sanitaires qui y sont liés.

Pour conclure avec l'utilisation de l'osmose inverse en traitement des nitrates, on peut affirmer qu’outre le fait de ne pas être actuellement compétitive avec les traitements classiques, cette utilisation pose les problèmes suivants :

  • - modification profonde de la minéralisation de l'eau ce qui conduit à la nécessité d'un ajustement final ;
  • - nécessité d'un prétraitement physique ou chimique : acidification, filtration sur cartouche ;
  • - production de rejets salins concentrés.
[Photo : Vue éclatée d'un perméamètre « Permasep ».]

Tableau 3 : Élimination des nitrates ; performances en osmose

Éléments Eau brute Mise en service 1ʳᵉ année de fonctionnement 3ᵉ année de fonctionnement
Pression de service (bars) 30,8 33,7 34,3
Calcium (ppm) 145 2,4 3,0 4,7
Sodium (ppm) 19 3,4 4,1 5,9
Potassium (ppm) 4,5 0,9 1,1 1,5
Bicarbonates (ppm) 288 35 37 44
Sulfates (ppm) 52 0,1 0,2 0,3
Nitrates (ppm) 80 12,6 15,2 22,6
pH 7,2 4,5 4,5 4,6

Ultrafiltration et microfiltration

Une perspective à envisager est celle de la microfiltration tangentielle sur membrane qui est susceptible de clarifier et de décontaminer l’eau en une seule opération et constituerait, à terme, une variante à la chaîne de traitement traditionnelle. Le problème est de savoir à quel terme ; pour envisager cette question, il convient d’établir l’analyse économique actuelle du procédé en prenant comme critères les données fournies par les fabricants de membranes quels qu’ils soient. Nous nous fonderons, là encore, sur notre propre expérience.

En préalable, quelques indications sur la filtration tangentielle sur membrane : lors de la filtration classique transver-

sale, la suspension à filtrer est amenée perpendiculairement à la surface filtrante, au niveau de laquelle se forme alors une accumulation de MES dans le temps ce qui tend à augmenter l’épaisseur de la couche filtrante, en entraînant la formation d’un gâteau qui limite alors le flux de filtrat. Afin d’éviter cette baisse de débit et le changement fréquent de média filtrant, il est nécessaire de freiner sinon d’empêcher la formation de ce gâteau. La filtration tangentielle semble répondre à cet objectif. Cette opération peut être définie comme une technique consistant à amener tangentiellement au média filtrant la suspension à traiter. Cette circulation tangentielle crée à son voisinage une contrainte de cisaillement qui lui est parallèle ; cette contrainte va limiter, voire empêcher, le dépôt de particules sur le matériau filtrant.

1° exemple

Une autre utilisation d’une technique à membrane peut être envisagée pour l’élimination des nitrates : il s’agit du couplage d’un réacteur biologique hétérotrophe anoxique, avec séparation de la biomasse par micro ou ultrafiltration tangentielle. C’est effectivement une technologie séduisante puisqu’elle permet de délivrer une eau de qualité potable, en particulier avec l’ultrafiltration qui a un effet désinfectant.

Ce cas est très proche de celui évoqué plus haut du traitement des eaux résiduaires urbaines : par expérience nous savons que la qualité de filtrabilité d’une biomasse hétérotrophe dénitrifiante est identique à celle d’une boue activée, c’est-à-dire que le débit de perméat ne dépasse pas 2 500 l/m² et par jour. Le verdict économique est le même dans les deux cas : 3,5 kWh par mètre cube de perméat, soit environ un coût énergétique de 1,6 F/m³ auquel il faut ajouter le coût du réactif (éthanol : environ 0,5 centime par gramme de nitrate éliminé). Le coût d’exploitation dans ces conditions serait supérieur à 3 fois celui correspondant à une installation biologique de référence connue ; quant à l’investissement, le facteur multiplicateur par rapport à l’installation classique serait en première approche de 1,5.

2° exemple

S’agissant d’un traitement d’eau brute, principalement une élimination de turbidité, nous avons réalisé des essais de filtration directe. L’objectif de ces essais était la définition des caractéristiques de la membrane à retenir. Nous fondant sur les conditions de fonctionnement préconisées par le constructeur de la membrane, nous avons appliqué une vitesse de circulation dans le module de 5 m/s sous une pression maximale de 5 bars. Il s’agit d’une membrane céramique multicanal dont la membrane proprement dite est constituée par une fine couche d’alumine. Deux membranes de porosité différente ont été testées : 0,2 et 1 micron. Les caractéristiques de l’eau brute et des eaux filtrées, concernant les paramètres intéressés par la filtration sur membrane, sont reportées au tableau 4 (voir également la figure 1).

[Photo : Microfiltration membranes céramique - Débit perméat membranes 0,2 µm]

L’eau provient d’une source dont la charge en matières en suspension est liée aux précipitations. L’oxydabilité et surtout les teneurs en aluminium, fer et manganèse sont liées aux matières en suspension, principalement des argiles. La teneur en MES de l’eau à traiter est de l’ordre de 100 ppm. Parallèlement à la microfiltration, nous avons également testé l’ultrafiltration avec une membrane dont le pouvoir de coupure est équivalent à 5 000 D. Les résultats obtenus sont identiques à ceux obtenus en M.F.T. à 0,2 micron pour les paramètres considérés.

Au niveau du débit de restitution et de la consommation électrique, les résultats sont en faveur de la M.F.T. (on se reportera au tableau 5). Le décolmatage des membranes d’U.F.T. n’est possible que par le démontage du système de porte-membrane. En revanche, les membranes minérales de M.F.T. présentent l’avantage de pouvoir être décolmatées à contre-courant (figure 2). Dans les deux cas, M.F.T. et U.F.T., le pouvoir de coupure permet la rétention des bactéries, ce qui réduit d’autant la dose de chlore à appliquer.

Au plan économique et en première approximation, il convient de dissocier le coût d’exploitation et l’investissement avec sa répercussion sur le prix de revient du mètre cube d’eau. Au point actuel, il n’est pas possible de calculer le coût d’exploitation puisque nous n’avons pas d’élément objectif relatif à la durée de vie de la membrane de M.F.T. En revanche, nous l’avons vu, la consommation électrique peut être estimée à 1 kWh/m³, soit 0,40 F/m³. Quant à l’investissement, il n’est pas encore chiffré.

Tableau 4 : Performances de la M.F.T. en fonction de la porosité de la membrane

Couleur (° Hazen) : 35 / 5 / –
Turbidité (N.T.U.) : 96 / 20 / 0,5
Oxydabilité (ppm) : 7,3 / 7,3 / 2,2
Aluminium (ppm) : 2,7 / 1,8 / 0,015
Fer (ppm) : 3,0 / 0,98 / 0,040
Manganèse (ppm) : 0,045 / 0,010 / 0,004
COT (ppm) : 5,7 / 5,7 / 1,5

Tableau 5 : Comparaison M.F.T./U.F.T. (élimination des MES)

Pouvoir de coupure : 0,2 micron (M.F.T.) / 5 000 Dalton (U.F.T.)
Débit du perméat (m³ m⁻² h⁻¹) : 1 (M.F.T.) / 0,25 (U.F.T.)
Décolmatage : possible en contre-courant (M.F.T.) / démontage des plaques porte-membrane (U.F.T.)
Consommation électrique (kWh m⁻³) : 1 (M.F.T.) / 3 (U.F.T.)
[Photo : Microfiltration membranes céramique – Débit perméat membranes 0,2 µm.]

Faut d'abord discerner ce qui peut être comparé à la MFT : par microfiltration on ne retient que les matières en suspension et les bactéries ; les matières organiques colloïdales ou dissoutes ne sont pas retenues, seule la coagulation ou l’adsorption pouvant les éliminer (l'ultrafiltration ou même l’osmose inverse sont tout aussi incapables de retenir ces produits : ainsi les acides fulviques pour l’ultrafiltration ou bien les phénols et les trihalométhanes pour l’osmose traverseront-ils la membrane). La MFT n’est donc comparable qu’à une filtration directe suivie d'une désinfection, encore faut-il prévoir une chloration pour maintenir un résiduel sur le réseau ; la filtration directe peut être bicouche, ce qui permet d'accroître la capacité de rétention des MES par la masse filtrante.

Si l'on se reporte aux courbes de la figure 3, il apparaît que la MFT n’est actuellement compétitive avec la filtration directe que pour des débits inférieurs à 50 m³/h. En revanche, si la quantité de matières en suspension dépasse la capacité de rétention d'un filtre multicouche et qu’il faut installer un dispositif complet de décantation, la MFT est alors théoriquement compétitive même pour des débits élevés (figure 3). Il faut prendre avec beaucoup de précautions ces indications de prix et s’efforcer de les ajuster pour chaque cas.

La filtration directe sur sable ou la décantation sont toujours en fait utilisées avec un coagulant, ce qui a pour effet supplémentaire de déstabiliser les colloïdes et de réduire la quantité de carbone organique. Ceci est aussi possible en MFT mais le problème du colmatage se pose avec davantage de gravité que pour la seule rétention des matières en suspension. Le colmatage est donc l'un des facteurs limitants les plus pesants au développement de cette technique. Nous travaillons actuellement à des dispositifs permettant de limiter ses effets. Les fabricants de membranes, également, cherchent à mettre au point des produits moins sensibles au colmatage. Tous ces travaux devraient aboutir à moyenne échéance et tendre à minimiser les handicaps actuels de la MFT ou de l'UFT.

[Photo : Coûts d’investissement des différentes filières considérées – Débits équipés m³/h. (Prix H.T. extraits du cahier technique n° 11 de l’AFBSN et actualisés)]

État de la recherche sur le colmatage des membranes

Le colmatage est l'accumulation de matières à la surface de la membrane, ce qui a pour effet la diminution notable du flux. On en distingue plusieurs types, provoqués : par la précipitation, par l’accumulation de particules, par réaction chimique, par les produits de la corrosion, par le développement biologique ou par adsorption irréversible de certaines molécules sur les constituants de la membrane. Tout cela contribue à la formation d'une couche de polarisation au voisinage de la membrane.

Il existe de multiples tentatives de modélisation mathématique du phénomène mais qui n’ont pas, à ce jour, débouché sur une prévision précise de l’évolution du colmatage : le phénomène ne peut pas être quantifié et la seule approche possible aujourd'hui reste l’expérimentation.

C’est la raison pour laquelle nous développons une série de tests de caractérisation de l’eau et de la membrane ; c’est aussi pourquoi nous estimons qu'il est indispensable de réaliser des essais sur place.

CONCLUSION

Compte tenu du niveau du développement actuel des membranes qui ne permet pas encore de limiter les effets du colmatage, l’utilisation de celles-ci en potabilisation ou en traitement d’eau résiduaire reste limitée à des cas très particuliers : dessalement, recyclage, petites unités. Par ailleurs, en supposant résolu ce problème, il reste un second handicap, celui du coût d’exploitation. Néanmoins, en étant très optimiste et en supposant levés ces deux handicaps, peut-on raisonnablement croire à un développement rapide de ces techniques en France ?

En épuration, nous l'avons vu, elles pourraient être appliquées au cas du traitement anaérobie à très forte charge.

En traitement de potabilisation, les applications seraient les suivantes :

  • — remplacement des systèmes d’épaississement des boues de décantation et des eaux de lavage des filtres rapides ;
  • — remplacement total de la chaîne de clarification : décantation et filtration sur sable.

L'application à la potabilisation paraît toutefois assez limitée ; le marché, en France, est en grande partie celui de la réhabilitation ou de l’adaptation de stations existantes à des problèmes nouveaux de traitement liés à l'accroissement de la pollution. Les techniques à membrane y sont mal adaptées car elles ne s‘intègrent pas dans des ouvrages existants et simplement parce qu’elles ne permettent pas d’éliminer directement les produits de la pollution. C’est la raison pour laquelle, sans mésestimer l’intérêt de la filtration « barrière » sur membrane, nous portons beaucoup notre effort de recherche sur les biotechnologies, d’utilisation moins restrictive et plus simple pour une intégration aux filières existantes, ainsi que sur l’amélioration d’outils comme les filtres classiques (en systématisant l’idée de filtration en profondeur, très productive).

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