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L'utilisation des rejets thermiques des centrales électriques

28 février 1984 Paru dans le N°80 à la page 47 ( mots)
Rédigé par : Marcel CHAPRON

La valorisation des rejets thermiques des centrales a fait l'objet de nombreuses recherches et des réalisations commerciales commencent à apparaître au voisinage des centrales d’Electricité de France.

Les activités économiques ainsi créées peuvent bénéficier d’aides financières à l'investissement dans le cadre du développement économique régional. Ces activités doivent bénéficier de l'expérience acquise. Il est donc important de dresser le bilan des recherches et des réalisations. Auparavant les conditions d'emploi des rejets thermiques sont présentées.

[Photo : La centrale de Dampierre-les-Serres.]

CONDITIONS D’EMPLOI DES REJETS THERMIQUES

Conformément au principe de Carnot, seule une fraction de la chaleur produite par la chaudière de la centrale thermique est transformée en électricité. La chaleur restante est rejetée dans l’environnement sous forme, notamment, d’eaux tièdes. Ces eaux tièdes peuvent par contre favoriser le développement de plantes ou d’animaux à sang froid, tels les poissons, en particulier en évitant le ralentissement biologique dû à l’hiver. L'utilisation d’une faible partie des rejets sera la plupart du temps suffisante, car ceux-ci sont considérables (les deux-tiers de l’énergie produite pour une chaudière nucléaire). Les avantages attendus d’une telle utilisation sont importants ; par exemple l’économie du chauffage pour les serres dont les dépenses de chauffage atteignent jusqu’à 40 % des dépenses d’exploitation, ou bien la possibilité d’une aquaculture en eau tiède, difficilement imaginable sans une source gratuite de calories.

PRÉCISIONS TECHNIQUES SUR LES EAUX TIÈDES

Les rejets thermiques se présentent sous forme d’eau tiède. Les centrales sont réfrigérées, en circuit ouvert ou en circuit fermé, grâce à des réfrigérants atmosphériques (voir schéma).

Dans le premier cas, la température maximale est supérieure de 7 à 12 ° à la température de l'eau de rivière. Dans le deuxième cas, l’eau se situe au maximum, à 20 – 25 ° au-dessus de la température ambiante de l’air avec un minimum de 25 °C.

(*) Vᵉ JOURNÉES SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES : « L’eau, la recherche et l’environnement », Lille, octobre 1983.

UTILISATION DE LA CHALEUR

Dispositions proposées par E.D.F.

EAUX TIÈDES

Chaleur mise à disposition gratuitement.

1ʳᵉ Installation en circuit ouvert en estuaire ou en bord de mer

Le débit disponible permettrait l’exploitation de 20 ha de bassins de pisciculture.

2ᵉ Installation en circuit fermé (rivière à faible débit)

La température de l’eau échauffée varie en fonction des conditions météorologiques.

La chaleur utilisable permettrait de chauffer environ 24 ha de serres.

[Photo : Les aéroréfrigérants du Bugey.]

Chaque centrale comporte en général quatre « tranches » nucléaires à eau pressurisée de 900 ou 1 300 MW électriques unitaires ; afin d’accroître la fiabilité de fourniture, il est prudent de se brancher sur au moins deux tranches. Le débit utilisé par une tranche en circuit ouvert est de 42 m³/s (tranche de 900 MWe) et de 57 m³/s (tranche de 1 300 MWe). Le circuit fermé d'une tranche de 900 MWe a un débit de 35 m³/s et celui d'une tranche de 1 300 MWe de 49 m³/s.

[Photo : Gravelines : tuyauteries d’amenée d'eau aux installations aquacoles.]

Ces débits considérables pourraient être théoriquement fournis si l'utilisation en était trouvée.

En circuit fermé aucune modification de la station de pompage n'est nécessaire si le débit fourni est d’environ 1 m³/s.

En tout état de cause l'utilisateur devra se prémunir vis-à-vis d'un éventuel arrêt involontaire de la fourniture, du fait d'un arrêt de tranche ou d’une évolution de la qualité physico-chimique de l'eau.

ASPECTS JURIDIQUE ET ADMINISTRATIF EN FRANCE

Les conditions générales de cession de chaleur à partir des centrales électriques sont définies par l'article 2 de la loi du 15 juillet 1980 relative aux économies d’énergie et à l'utilisation de la chaleur.

Cet article stipule :

  • - « les exploitants de centrales électriques thermiques doivent contribuer au développement de la production combinée d’électricité et de chaleur, notamment en favorisant, en accord avec les collectivités locales, la création et le développement de réseaux de distribution de chaleur ;
  • - « préalablement à la réalisation de toute centrale électrique d'une puissance supérieure à 100 mégaWatts, Électricité de France et Charbonnages de France devront présenter au ministre de l'Industrie une étude technique et économique des possibilités d'utilisation des rejets thermiques ou de la vapeur soutirée soit aux sorties des générateurs, soit en cours de détente pour le chauffage urbain ou pour tout emploi industriel ou agricole existant ou potentiel ».

Le décret du 13 mai 1981 pris en application de cette loi précise que :

  • - « le coût des installations, de leur raccordement à un réseau de distribution de chaleur, ainsi que les dépenses d’exploitation, d’entretien et de renouvellement de ces installations sont à la charge de l'acheteur de chaleur » ;
  • - « la chaleur provenant des rejets thermiques est gratuite ».

Le relevé de décisions du Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT) du 6 mai 1982 et la lettre du Premier ministre du 30 août 1982 donnent aux collectivités locales, dans le cadre de la loi de décentralisation, les moyens de favoriser le développement économique du bassin d’emploi dans la période de l’après-chantier. Ils prévoient des dispositions particulières permettant de faciliter le reclassement de la main-d’œuvre locale. Les collectivités locales sont soutenues dans cette action par l’État et Électricité de France qui apportent une aide financière à la création d’emplois dans des activités industrielles, agricoles ou aquacoles dans le voisinage des « grands chantiers ».

Les utilisateurs ont avantage à se regrouper au sein d’une même entité juridique chargée de gérer le réseau d’eau tiède et d’obtenir des prêts pour la construction.

Il n’est pas inutile de rappeler que les installations situées en dehors de la centrale (réseau d’eau tiède, serres, etc.) sont du ressort des exploitants de ces installations, EDF se chargeant de la partie du réseau d’eau tiède située dans la centrale. En particulier, l’initiative de création de zones agro-industrielles à proximité des centrales revient aux collectivités locales en liaison avec les pouvoirs publics.

PROCÉDÉS UTILISANT LES EAUX TIÈDES

Pour les serres, l’influence positive de la chaleur n’est pas à démontrer, mais le faible niveau de température des rejets utilisés (circuit fermé) conduit à des adaptations du système de chauffage ; ces adaptations ont été essayées avec succès sur le plan technique et le fait que des installations commerciales voient le jour laisse présager une bonne rentabilité. Pour l’aquaculture la démonstration a été faite de l’influence bénéfique de la température sur la croissance des poissons, et les techniques au stade de la production sont en cours de démonstration ; l’étude économique doit également être faite pour démontrer la rentabilité.

[Photo : Exemples d’utilisation des eaux tièdes]

Pour les serres, des diffuseurs de chaleur nouveaux utilisant de l’eau à basse température ont été mis au point (« paillage » radiant, aérothermes) ; l’utilisation des diffuseurs classiques tels que les épingles peut être envisagée dans certains cas (exemple de Saint-Laurent-des-Eaux) ; l’ensemble constitué par la serre, les diffuseurs, les procédures de chauffage et les automatismes doit être étudié dans chaque cas en fonction des cultures souhaitées, du climat, etc.

L’aquaculture est jusqu’à présent pratiquée avec de l’eau à la température naturelle ; les expériences passées et en cours pour l’eau tiède ont porté sur le comportement physiologique des espèces ainsi que sur les techniques d’élevage. Certains risques existent : baisse de température, asphyxie par manque d’oxygène dissous, infections (virus) imposant une stricte prophylaxie, sensibilité aux substances toxiques tel le chlore ; l’analyse de l’eau est donc indispensable.

On examinera également l’impact du projet sur l’environnement : l’eau restituée par l’aquaculture peut présenter une certaine pollution.

LES RECHERCHES, LES PROJETS ET LES RÉALISATIONS COMMERCIALES

Expérimentation sur les serres

De nombreuses recherches sur les serres ont été menées en France ; un important programme de recherche a été lancé par Électricité de France :

  • — le Centre de Recherches des Renardières de l’EDF (2), grâce à des essais sur plusieurs serres et de nombreuses cultures, de 1976 à 1980, mettait au point un programme de calcul thermique ; celui-ci a permis la commercialisation d’une régulation pour serre ;
  • — de nombreux essais ont été réalisés à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux de 1976 à 1981 (3). Ces essais ont été réalisés en liaison avec les organismes professionnels ou publics suivants :
  • • CTIFL : centre technique des industries des fruits et légumes (Balandran),
  • • INRA : institut national de recherche agronomique (Montfavet),
  • • CEMAGREF : centre d’étude du machinisme agricole et des eaux et forêts (ex-CTGREF : centre technique du génie rural et des eaux et forêts),
  • • ITIH : institut technique des industries horticoles.

La démonstration qu’il est possible de chauffer une serre avec de l’eau à 30 °C a été faite et l’utilisation de pompes à chaleur, afin de relever le niveau de température, sera essayée à la centrale du Blayais.

Le Commissariat à l’Énergie Atomique continue un important programme commencé dès 1972 par des essais de culture de plein champ :

  • - l’usine de Pierrelatte d’enrichissement d’uranium chauffait 3 ha de serres ;
  • - le centre nucléaire de Grenoble mettait au point les « paillages radiants », sorte de gaines en plastique ;
  • - le centre nucléaire de Cadarache mène de nombreux essais.

À l’étranger, de nombreux programmes de recherche ont également été lancés (4) : RFA (projet pour la centrale de Neurath), RDA (essai de serre à ruissellement), Belgique (centrale de Tihange), USA (université de Cavalis, Oak Ridge, station de recherche de Clayton en Caroline du Nord, projet de l’université Rutgers au New Jersey de serre climatisée grâce au sol de la serre constitué d’un lit de gravier où circule l’eau tiède entre deux dalles de béton), Italie (centrale près de Milan pour la culture d’asperges, melons, laitues, fraises, etc.).

Expériences d’aquaculture en eau tiède

  • - La France portait son effort sur l’anguille et son alevin, la civelle ;
  • - en Gironde, le CTGREF étudiait le grossissement des civelles en circuit fermé ;
  • - à Cadarache, le CEA étudiait le grossissement de l’anguille (7),

puis trois centrales d’Électricité de France furent équipées de stations d’essai :

  • - Bordeaux-Ambès : truite et anguille en eau saumâtre ;
  • - Saint-Laurent-des-Eaux : anguille, alevinage de brochet, carpe ; des expériences sont en cours sur le poisson rouge (9), la carpe et le tilapia ;
  • - Martigues-Ponteau : loup, daurade, crevette (8).

Des recherches importantes sur l’aquaculture ont également été menées en Hongrie, Grande-Bretagne, USA et Japon.

Les réalisations commerciales en France commencent à apparaître. Le tableau ci-après fait le point des opérations réalisées ou projetées à proximité des centrales d’Électricité de France.

TABLEAU DES INSTALLATIONS UTILISANT LES REJETS THERMIQUES DES CENTRALES D’ÉLECTRICITÉ DE FRANCE

Nota : E : expérimentation ; P : pilote ; C : exploitation commerciale * : en projet ; ** : en construction ; *** : en exploitation. O : circuit ouvert ; F : circuit fermé. (Toutes les centrales sont nucléaires sauf celle de Martigues-Ponteau.)

Martigues-Ponteau (O) – (P)***

- expériences de grossissement de poissons

- écloserie loup et daurade

- unité de grossissement

- expériences actuelles sur le mulet

Organismes : CTRF ; Delta Aquaculture ; Sepia-International

Saint-Laurent-des-Eaux (F)

(C)*** – roses ; procédé in vitro

(P) – zone de 24 ha : horticulture, maraîchage, centre horticole du Loir-et-Cher

(C)* – anguilles : prégrossissement et grossissement

(E)*** – Station d’Essai et de Formation pour l’eau douce : carpes, tilapia

Organismes : M. Acquier ; CIVA ; SAANER ; SAANERB ; Saint-Laurent-Nouan Coopérative ; M. Kelty ; Société Prycpoiss ; Coobtes ; Aquaservice

Gravelines (O)

(C) – production d’artémies depuis 3 ans

- centre de production aquacole (70 ha de bassins : 1 000 t/an de soles, bars, daurades, turbots)

(P)** – centre de démonstration ; ferme pilote (50 t) de bars et de soles ; station d’essai et de formation aquacole pour eau de mer

Organismes : maître d’ouvrage SAANER ; Syndicat intercommunal de Gravelines ; SERAG (centre de recherche EDF) ; exploitation de la ferme AQUANORD

Blayais (O)

(P)*** – Centre d’Aide par le Travail (CAT) comprenant 1 serre de 2 900 m² (roses, œillets, azalées, tomates)

(E)*** – Station d’essai d’élevage d’anguilles, bars

Organismes : Syndicat intercommunal des Hauts de Gironde ; Association départementale des parents d’enfants et adultes handicapés ; SAND

Dampierre (F)

(C)*** – zone horticole de 120 ha

(P) – 23 ha sous serres (objectif : 9 000 t installées, 1 800 emplois à créer en 5 ans)

Organismes : SAANER ; CUMA

Chinon (F)

(C)*** – zone d’action concertée contiguë à la centrale : serres, aquaculture, industries agroalimentaires

- utilisation de vapeur et rejets thermiques

Organismes : District rural du Véron ; Société d’Équipement de la Touraine

Bugey (F)

(C)** – zone horticole et piscicole de 30 ha

Organismes : SAFER Savoie-Bourgogne

Cattenom (F)

(C)* – projet de zone horticole

Organismes : collectivités locales

Cruas (F)

(C)* – projet à l’étude

Fessenheim (O)

(E)*** – irrigation en eau tiède depuis 1977

Organismes : INRA Colmar

[Photo : Gravelines : la ferme-pilote et ses bassins en cours d'édification.]
[Photo : Aérotherme utilisant l'eau tiède.]

CONCLUSION

Un important effort de recherche a été effectué par EDF et par le CEA, en liaison avec les organismes professionnels et les centres publics de recherche concernés par l'utilisation des rejets thermiques à proximité des centrales.

Pour les serres, les réalisations commerciales commencent à apparaître, et le relais peut donc désormais être pris par les professionnels.

Pour l'aquaculture les expériences encore en cours, notamment à Gravelines, doivent permettre le passage au stade commercial.

Dans les deux cas les possibilités potentielles sont importantes et l'expérience acquise est à la disposition des futurs utilisateurs.

BIBLIOGRAPHIE

1. « Grands Chantiers et développement économique — L'après-chantier ». G. de Giovanni. Revue générale Nucléaire — Mars-avril 1983.

2. « Utilisation agricole des rejets thermiques de centrales ». EDF — Référence HE 142 W 1762 — Février 1982.

3. « Valorisation agricole des eaux à basse température, rapport de synthèse des expérimentations réalisées sur le site de St-Laurent-des-Eaux » (1978-1981). INRA — Station de bioclimatologie d'Avignon 84140 Montfavet.

4. « Valorisation des eaux tièdes des centrales thermiques ». A. Muller-Feuga — 7ᵉ édition fin 1980. EDF, direction de l'Équipement.

5. « Les contributions d'Électricité de France à la valorisation des rejets thermiques ». A. Muller-Feuga. XVIᵉ journées de l'hydraulique — Sept. 1980.

6. « Utilisation des énergies de substitution dans les serres ». Guide industriel de l'agence pour les économies d'énergie.

7. « Pisciculture, primeurs et culture par la valorisation des eaux tièdes ». EDF — Direction de l'Équipement — Référence E. 48 (extrait de notes d'information du CEA).

8. « Station d'Aquaculture de Martigues-Ponteau ». Plaquette réalisée par Delta-Aquaculture avec EDF, Sepia, Cemagref et Oream.

9. « Le carassius auratus (variété atomicus) ». John Ketley. L'eau, l'industrie, les nuisances — Août-sept. 1983.

[Encart : texte : Nos dossiers du mois pour l'année 1984 : Janvier/Février : Eau et Chaleur (Géothermie, PAC) Mars : L’eau potable Avril : Stérilisation Mai : Pompes — Vannes — Canalisations Juin/Juillet : Épuration — Assainissement Août/Septembre : Filtration Octobre : Produits pour le traitement de l’eau Novembre : Automation — Régulation Décembre : Boues — Ordures — Déchets L’EAU, L’INDUSTRIE, LES NUISANCES - Téléphone 359.61.29]
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