Nous venons de réaliser, à partir des boues résiduaires de la station de traitement d’eau industrielle de Saint-Chamas, une opération de reconstitution de sol qui présente un intérêt certain sur le plan de la valorisation des déchets.
Nous la décrivons dans les lignes qui suivent.
LES DONNÉES GÉNÉRALES
La station de clarification
Située en bordure de l’étang de Berre, elle a été mise en service en 1980 et produit, après tamisage, floculation et décantation, une eau à usage industriel dont la teneur en matières en suspension est inférieure à 100 mg/l. L’eau brute provient du canal d’amenée de l’usine hydro-électrique de Saint-Chamas ; elle est prélevée en Durance, au barrage de Cadarache.
La capacité nominale de l’installation est de 1 000 l/s, et elle pourra être doublée en seconde phase.
Un bassin tampon de 7 200 m³ assure la régularité du débit de l’eau traitée.
Les boues issues du traitement de coagulation (effectué au WAC : polychlorure d’aluminium) et de floculation (aux polyélectrolytes de synthèse anioniques) sont, après épaississement dans un concentrateur, envoyées dans deux bassins de stockage de 3 000 m³ chacun.
La station de clarification de Saint-Chamas est entièrement automatique et, de ce fait, ne comporte pas de personnel permanent.
Les caractéristiques physico-chimiques des boues
Les boues sont constituées essentiellement de limons et argiles (90 %) avec une faible proportion de sable (10 %) provenant des zones érodées des bassins versants de la Durance, du Buëch, de la Bléone et du Verdon.
À l’issue de la coagulation-floculation, la boue concentrée à 10 g/l environ est enrichie d’environ 3 % d’hydroxyde d’aluminium et 1 % d’alginate de sodium. La deuxième étape d’épaississement produit une boue à 100 g/l avec une proportion d’environ 0,2 ‰ de floculant de synthèse anionique. À ce
stade, la boue est de consistance liquide et les composants introduits font partie intégrante de sa structure ; en conséquence il n’y a pas de possibilité de relargage de ces réactifs lors de la déshydratation.
En raison de la composition granulométrique des matières en suspension et de la présence de coagulants et de floculants, ces boues présentent un comportement hydro-dynamique très particulier :
— séchées sur lit et sous faible épaisseur (40-50 cm), elles se dessèchent et rapidement (30-40 jours) produisent des fentes de retrait ; les blocs obtenus, d’un diamètre de l’ordre de la dizaine de centimètres sont très denses et, une fois bien secs, ne se réhydratent plus (même après un an d’immersion). Les caractéristiques mécaniques obtenues par cette déshydratation sont celles d’un calcaire marneux compact ;
— déposées dans des bassins, elles se concentrent mais demeurent toujours relativement liquides.
La zone à aménager
Les paysages arides et sévères des bordures de l’étang de Berre sont le résultat d’une certaine activité anthropique qui s’est déroulée au cours des siècles :
— coupes excessives des arbres (certainement en vue du ravitaillement en bois de chauffage) ;
— incendies, soit préculturaux (ils constituent un mode de défrichement très ancien et les premiers pas de la fertilisation ; ils sont réalisés directement sur la végétation sur pied ou après une opération d’écobuage, destinée à accélérer la dessiccation des matériaux combustibles), soit accidentels, ont modifié plus ou moins l’ensemble des facteurs physico-chimiques et biotiques de l’écosystème ;
— activité pastorale (après écobuage).
En conséquence, le microclimat est devenu celui des surfaces nues ou incomplètement couvertes par la végétation, qui supportent un rayonnement maximum, des variations journalières de température plus grandes favorisant un assèchement rapide de la surface du sol et l’apparition des processus d’érosion.
Ces modifications dues à l’activité humaine ont d’une part contribué à la disparition de nombreux végétaux au profit des espèces xérophytes ou pyrophytes qui ont trouvé dans ce milieu modifié des conditions favorables (chêne Kermès) et d’autre part entretenu l’érosion sous toutes ses formes : balayage éolien, érosion pluviale avec, en conséquence, la disparition des matériaux fins (troncature des profils).
Les sols sont discontinus, peu profonds à superficiels, piégés entre de nombreux affleurements de calcaire gris se débitant en plaquettes.
La végétation naturelle est de type xérique constituée par le chêne Kermès, l’ajonc épineux, le romarin et le thym.
La zone de dépôt choisie présente une pente générale de l’ordre de 5 % et borde un vallon autrefois cultivé.
L’UTILISATION AGRONOMIQUE DES BOUES
Les différentes étapes de l’utilisation agronomique de ces boues se définissent comme suit :
— la préparation du lieu d’épandage ;
— l’extraction des boues, leur préparation et leur transport ;
— leur mise en place sur le terrain, leur séchage, leur réglage, l’exécution des semis et des plantations.
Les opérations de préparation du lieu d’épandage consistent à enlever la végétation basse existante par débroussaillement forestier, faire éclater la roche en place par le passage d’une dent de rooter, puis effectuer le modelage paysager de la zone en une série de terrasses d’environ 5 mètres de largeur accessibles aux camions ; cette opération est effectuée à l’aide d’une lame d’angle-dozer.
Avant l’enlèvement des boues accumulées dans les bassins, la première opération consiste à évacuer si nécessaire le surnageant par pompage.
Par la suite, les boues étant à l’état pâteux et donc difficilement manutentionnables, l’addition d’un compost produit à partir des ordures ménagères éponge l’excès d’eau et rend la boue pelletable. Ce mélange s’effectue à la dose approximative de 20 % en volume, les camions déposant le compost en bordure de la lagune ; une pelle mécanique le reprend et l’incorpore aux boues ; celles-ci devenues immédiatement pelletables sont chargées sur camion et acheminées vers le terrain d’épandage (situé à 800 m).
Les boues sont déposées sur les terrasses aménagées ; elles restent en tas quelques mois de façon à
faciliter leur séchage, l'incorporation de compost provoquant leur structuration progressive et leur aération. Il est à noter que les gelées hivernales favorisent cette structuration.
Au terme de quelques mois de dépôt, les matériaux sont régalés en couche de 50 cm d’épaisseur environ ; le passage d’un « cover crop » permet la préparation d'un lit de semences.
Dans un premier temps, on a semé du ray-grass et de la luzerne, végétaux dont le développement du système racinaire améliore le profil cultural et le rend apte à recevoir quelques mois plus tard des plantations d'oliviers et d’amandiers.
Deux hectares de garrigues sont actuellement aménagés avec ces cultures qui sont menées sans irrigation, ce qui est particulièrement intéressant.
ETUDE PEDOLOGIQUE DU « SOL RECONSTITUE »
Deux ans après son dépôt, des profils pédologiques ont été creusés dans ce « sol reconstitué » et des échantillons analysés.
Examen morphologique du « sol »
Le profil présente trois horizons principaux, chacun de 20 cm d’épaisseur, qui se différencient uniquement par leur structure fragmentaire, très nette, généralisée :
- — grumeleuse très fine dans le premier horizon ;
- — grumeleuse moyenne dans le second ;
- — grumeleuse grossière dans le troisième.
L’ensemble forme un milieu meuble, très poreux. La couleur brun foncé traduit une richesse en matière organique et l'examen morphologique montre une bonne incorporation compost-matières minérales.
Les racines de luzerne s’étendent dans l'ensemble du profil.
Caractéristiques physico-chimiques
Trois échantillons ont été soumis à des analyses dont les résultats sont présentés dans le tableau suivant :
RESULTATS DE LABORATOIRE
Profondeur en cm | Granulométrie % terre fine | Calcaire % | pH | C/N | C % | ||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Sg | Sf | Lg | Lf | Aeau | Total | Actif | |||
0-20 | 1 | 21 | 25 | 30 | 16 | 7,7 | 5 | 12 | 3,98 |
20-40 | 2 | 22 | 28 | 28 | 13 | 7,7 | 5 | 13 | 4,43 |
40-60 | 2 | 30 | 23 | 25 | 13 | 7,6 | 9 | 12 | 3,92 |
Profondeur en cm | N % | M.O. % | P₂O₅ % | Compl. absor. meq. % | K | Na | Ca | Mg | T | He |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
0-20 | 3,28 | 6,84 | 0,059 | 1,66 | 1,32 | S | 2,10 | 16,83 | 30 | |
20-40 | 3,45 | 7,61 | 0,082 | 1,69 | 1,53 | S | 2,40 | 16,41 | 30 | |
40-60 | 3,35 | 6,74 | 0,054 | 1,49 | 1,53 | S | 2,55 | 15,73 | 30 |
On peut constater que ce sol reconstitué présente les caractéristiques physico-chimiques suivantes :
— les granulométries témoignent d’un matériau à texture moyenne de limon sableux ; — les réserves en eau sont élevées.
Les horizons sont riches en matières organiques (de l'ordre de 7 %) et bien pourvus en azote.
Le rapport carbone sur azote (C/N), voisin de 12, montre une matière organique bien évoluée et confirme les observations de terrain.
Le matériau est riche en calcaire total ; les teneurs en calcaire actif (de l’ordre de 5 %) ne constituent pas un facteur limitant pour certaines cultures ; cette réserve en calcaire a pour corrélation un pH alcalin (7,7).
La capacité totale d’échange est élevée ; le complexe adsorbant est saturé par le calcium, riche en potassium, magnésium et sodium.
Les teneurs en phosphore assimilable sont faibles.
Le « sol reconstitué » présente donc des caractéristiques agronomiques très correctes.
CONCLUSION
Ce mode d’utilisation des boues est particulièrement souple et adapté aux variations de la production.
Il permet une reconstitution des sols et un aménagement paysager particulièrement appréciables, notamment dans le contexte méditerranéen des garrigues où les sols sont squelettiques et la végétation de type xérique.
Les frais d’exploitation sont réduits et, dans le cadre du traitement des boues de la station de Saint-Chamas, cette solution se révèle la plus économique.
Son application nécessite toutefois la disponibilité d’un terrain suffisamment proche, l’éloignement de l’épandage entraînant une majoration du coût de l’opération.