Your browser does not support JavaScript!

L'usine d'incinération des ordures ménagères du Havre et sa récupération de chaleur

27 février 1987 Paru dans le N°107 à la page 25 ( mots)
Rédigé par : Y. LE GAL

Compagnie Française d’Exploitation Thermique

La construction de l’usine d’incinération des ordures ménagères de la ville du Havre a débuté en 1969. Depuis sa mise en service à la fin de 1970, la Cofreth en assure l’exploitation. Le tonnage annuellement traité est de l’ordre de 100 000 tonnes.

À l'époque de sa conception, les études avaient démontré qu’il n’était pas rentable de lui adjoindre des équipements de récupération de chaleur. En effet :

  • — la clientèle habituellement raccordée à ce genre d’installation (logements collectifs) était très limitée aux environs immédiats du site retenu pour l’édification de l’usine (zone portuaire, à caractère essentiellement industriel) ;
  • — le raccordement de zones d’habitations collectives suffisamment denses aurait nécessité des investissements de distribution (réseaux de chaleur) considérables ;
  • — le coût des énergies substituées ne permettait pas d’amortir les investissements complémentaires nécessaires.

En conclusion, le coût de revient d’une telle opération dans le contexte économique de l’époque n’aurait conduit qu’à faire supporter à la population desservie par l’usine une redevance plus élevée à la tonne d’ordures traitées. En revanche, une autre possibilité s’offrait avec la production d’énergie électrique destinée à satisfaire les besoins internes de l’usine, l’excédent de production étant revendu à EDF. Une collectivité voisine avait d’ailleurs, peu auparavant, opté pour cette formule.

Cette solution ne fut cependant pas retenue au Havre, en raison :

  • — du manque de données économiques de référence (l’expérience tirée du fonctionnement des usines Tiru de la Région Parisienne étant difficilement exploitable compte tenu de la taille réduite de l’usine projetée) ;
  • — du fait que, si les recettes de vente d’électricité permettaient d’amortir le surinvestissement nécessaire, des incertitudes restaient quant à la couverture des surcoûts d’exploitation générés par cette production d’électricité.

L’avant-projet

En fin 1979, soit dix ans après la construction de l’usine, la Cofreth, dans le cadre de sa politique générale de diversification et de développement des énergies de substitution, décidait de rouvrir le dossier « Récupération de chaleur » relatif à l’usine du Havre. En effet, le passage successif des deux chocs pétroliers de 1973 et 1978 justifiait à lui seul que l’on reprenne cette affaire, compte tenu du bouleversement du contexte économique et énergétique qui s’en est suivi.

Après examen des différentes voies offertes : chauffage des logements, production d’électricité, vente de vapeur à des industriels, une étude de faisabilité permit de retenir cette dernière solution.

[Photo : L’usine d’incinération.]

À la suite des premiers contacts commerciaux pris auprès de la clientèle industrielle pressentie, de l’analyse technique des besoins thermiques de certains clients nous ayant notifié leur intérêt de principe pour une telle opération, une étude technico-économique de détail put être réalisée. Cette étude fut soumise à la Municipalité du Havre, propriétaire de l’usine en 1980. Elle comprenait :

  • — le détail des transformations à réaliser dans l’usine ;
  • — l’évaluation des investissements tant de récupération que de distribution ;
  • — le principe de la tarification ;
  • — le relevé des coûts d’exploitation et des recettes prévisionnelles ;
  • — les différents montages possibles en matières juridique et financière ;
  • — des simulations de comptes d’exploitation prévisionnels.

Au plan de la maîtrise d’ouvrage d’une telle opération, on pouvait en effet envisager :

— une maîtrise publique assurée par la Ville,

— une maîtrise privée ;

— le panachage de deux modes précédents, l’opération pouvant être scindée en deux :

• d’un côté : la récupération sur l’usine,

• de l’autre : la distribution de l’énergie récupérée.

Cette dernière voie fut rapidement écartée par la Municipalité compte tenu de l’imbrication de ces deux fonctions complémentaires : la récupération et la distribution, sans oublier pour autant l’objet même de l’usine existante : la destruction des ordures ménagères.

Montage juridique

En définitive, compte tenu du grand intérêt porté par la Municipalité du Havre à ce projet mais également dans le souci permanent de gérer au mieux aux yeux de ses administrés les finances publiques, le montage juridique retenu s’est articulé autour des documents suivants :

— convention d’affermage à la Cofreth du service public de la récupération et de la distribution de la chaleur ;

— concession de travaux publics au GIE Gifreth constitué en la circonstance entre la Cofreth et une filiale de la Société Générale, Sogefinerg spécialisée dans le financement des travaux liés aux économies d’énergie.

Selon les termes de cette concession, la maîtrise d’ouvrage est déléguée au GIE Gifreth qui assure le financement, la réalisation et l’exploitation des ouvrages de récupération et de distribution de chaleur, et qui en reste propriétaire pendant toute la durée de la concession. À l’intérieur du GIE, Cofreth assure la gestion des équipements et la vente d’énergie, et garantit le remboursement des emprunts. À l’issue de la concession, la propriété des ouvrages sera transférée à la Ville, à l’exclusion de ceux réalisés dans le domaine privé des abonnés.

Les documents précédents sont complétés par une convention d’occupation passée avec le Port Autonome du Havre, relative aux ouvrages édifiés sur le domaine portuaire. Enfin, un avenant au contrat d’exploitation d’origine de l’usine d’incinération permet d’harmoniser la durée de celui-ci avec celles des conventions d’affermage et concession de travaux (20 ans) et prévoit en outre une réduction substantielle du coût de traitement des ordures ménagères par le versement au profit de la Municipalité d’une redevance progressive, fonction de la réalisation effective des travaux de transformation dans l’usine.

Ces différents documents ont été signés par la Ville du Havre le 4 novembre 1980 et ratifiés par l’autorité de tutelle le 27 novembre 1980.

Contrats avec les industriels

On distingue deux types de contrats suivant que la fourniture de vapeur couvre ou non la totalité des besoins de l’industriel. Ces contrats sont régis par une police d’abonnement, conformément aux polices d’abonnement-type incluses dans le cahier des charges de la convention d’affermage.

Dans le cas d’une couverture partielle des besoins d’un abonné, la fourniture est dite au fil de l’eau et seul un minimum annuel de facturation est dû par le client. La facturation ne comprend qu’un seul terme basé sur l’enregistrement des quantités délivrées, sur la base d’un prix unitaire du MWh thermique. Ce prix unitaire, actualisé selon une formule représentant sensiblement l’inflation, est calculé à partir du prix de revient d’un MWh en chaufferie produit avec du fioul lourd n° 2, diminué de 10 %.

Dans le cas d’une couverture totale des besoins de l’abonné, la fourniture est alors garantie par le fermier. Le rabais consenti sur le prix du MWh ne couvre que la partie d’énergie de récupération. Cette répartition est faite client par client, étant donné que les ressources provenant de la récupération ne sont pas extensibles à l’infini. L’actualisation des ventes d’énergie tient compte bien sûr de la part d’énergie restant à produire à partir de fioul au départ du réseau. La facturation est, dans le cas d’une fourniture garantie, complétée par un abonnement annuel, fonction de la puissance souscrite et des redevances couvrant les frais d’entretien propres des installations réalisées chez le client.

L’usine avant transformation

L’usine comportait au départ deux lignes d’incinération capables chacune de traiter en autocombustion 8 tonnes/heure d’ordures ménagères pour des pouvoirs calorifiques (p.c.i.) compris entre 1 400 et 2 400 kWh par tonne. En 1976, une troisième ligne d’incinération de capacité identique aux précédentes fut mise en service, toujours sans récupération. L’ensemble des équipements furent réalisés par la société TNEE (anciennement Tunzini) qui mit en œuvre pour les fours le procédé V.K.W.

La grille traditionnelle est remplacée par une grille à rouleaux (6 rouleaux de diamètre 1 500 mm et de 2,50 m de long). Chacun est constitué de 550 secteurs circulaires s’emboîtant les uns dans les autres et entre lesquels est insufflé l’air de combustion primaire. Leur lente rotation (de l’ordre de 2 tours par heure) ainsi que leur disposition sur un plan incliné (de l’ordre de 30°) permettent d’assurer successivement et de haut en bas la répartition et le séchage des déchets, leur combustion avec finition puis enfin le prérefroidissement des mâchefers, préalablement à leur extinction par voie humide.

Indépendamment de tous les autres composants habituels d’une usine d’incinération, il est à signaler que le refroidissement des gaz issus de la combustion des ordures était assuré au moyen d’une tour de refroidissement fonctionnant par injection d’eau dans les fumées. Les travaux nécessités par la récupération de chaleur sont réalisés par tranches, chacune d’elles étant lancée en fonction de l’évolution commerciale du projet auprès de la clientèle utilisatrice.

Transformation de l’usine (maître d’œuvre : TNEE)

Chacune des deux tranches comporte la mise en place d’une chaudière de récupération sur chaque four produisant de la vapeur légèrement surchauffée et dont les caractéristiques principales sont les suivantes : constructeur : Stein Industrie ; générateur de vapeur à tubes d’eau, comprenant 3 parcours de gaz ; 1 ballon supérieur, économiseur et faisceau de surchauffe ; puissance unitaire : 12 MW (20 t/heure) ; pression de timbre : 22 bars ; pression nominale de service : 20 bars ; température après surchauffe : 235 °C ; température de l'eau d’alimentation : 140 °C.

[Photo : Les installations de récupération de chaleur.]

Préalablement à cette mise en place, des travaux de démolition sont nécessaires :

— démolition de la partie supérieure du four jusqu’au niveau d'introduction des ordures ;— suppression du carneau et de la tour de refroidissement.

Les équipements thermiques périphériques ont été réalisés dans le cadre de la première tranche. Ils comprennent notamment :

— des pompes alimentaires (2 électriques + 1 turbopompe), bâche alimentaire (40 m³) avec dégazeur ;— un réseau d’eau d’appoint : traitement d’eau, bâche tampon (15 m³), pompes d’appoint ;— poste de détente, désurchauffe, aéro-condenseur (5 bars, 16,5 t/h).

Centrale d’appoint et de secours (maître d’œuvre : GTLI : Génie Thermique Leneveu Industrie)

Afin de satisfaire la demande de certains industriels, il a été nécessaire de réaliser à proximité de l’usine, au départ des réseaux, une centrale thermique auxiliaire. Fonctionnant au fioul lourd, elle a pour but de satisfaire les besoins de pointe des clients qui ont opté pour une fourniture garantie et de pallier les indisponibilités de production de vapeur de l’usine tant que celle-ci ne sera pas dotée d’au moins deux générateurs. Chacun de ceux-ci comprend :

— 2 chaudières à vapeur (Socomas) à tubes de fumée, de puissance unitaire : 9 MW, équipées de brûleur Hamworthy (démarrage direct au lourd), combustible : FL n° 2 (BTS), stockage de fioul : 100 m³ ;— des liaisons thermiques avec l’usine ;— des équipements périphériques (groupe de préparation fioul, alimentation en eau, alimentation électrique, comptage de calories...) ;— un système de conduite automatique à distance par le procédé Sanchau sur matériel FAC.77 (Forclum) depuis la salle de contrôle de l’usine d’incinération.

Réseaux de distribution (maître d’œuvre : GTLI)

Leur réalisation est prévue en deux tranches.

1ʳᵉ tranche : raccordement de la Compagnie Electro-Mécanique (CEM) et de la Société Havraise de Manutention de Produits Pétroliers (SHMPP).

Elle comprend :

— la réalisation d’un réseau de distribution de vapeur de 2 400 m (en Ø moyen pour la vapeur : 200 mm) dont 1 800 m environ ont été réalisés selon la technique de la double enveloppe (procédé SMR de la Société Secométal) et 600 m en galerie technique (franchissement du canal de Tancarville) et aérien (sur racks et sur plots) ;— la construction de deux postes de livraison d’une puissance globale de 23 MW, dont 14,5 MW pour CEM réalisés en poste d’échange (production d’eau surchauffée). Ils comprennent notamment un dispositif de contrôle en continu de la qualité des condensats (salinité et présence d’hydrocarbures), un ensemble de comptage de calories et un dispositif de télésurveillance relié au P.C. de l’usine d’incinération par ligne spécialisée PTT.

2ᵉ tranche : raccordement de la Société d’Études et de Réalisation d’Équipements Pétroliers (Serep), de la Société Thann et Mulhouse (filiale de Rhône-Poulenc) et de la centrale EDF.

Ces trois entreprises ont été raccordées dans le cadre de la deuxième tranche (la fourniture de vapeur à EDF étant utilisée pour maintenir en température ses bacs de fioul).

Les extensions de réseau de cette deuxième tranche représentent globalement une longueur supplémentaire de l’ordre de 3 300 m (en Ø moyen pour la vapeur : 250 mm) en double enveloppe.

Les liaisons aériennes n’étant pas possibles, le procédé en double enveloppe s’est imposé par la présence d’eau sous une faible profondeur (de l’ordre du mètre) ; de ce fait, le procédé traditionnel en caniveau n’était pas envisageable.

Cette deuxième tranche comporte la construction de trois postes de livraison d’une puissance globale de 33 MW, analogues aux postes réalisés en première tranche.

Déroulement de l’opération

L’opération s’est déroulée sur cinq ans suivant l’échéancier ci-après : signature des conventions avec la collectivité : novembre 1980 1er contrat industriel signé (CEM) : avril 1982 notification d’attribution de la subvention AFME : juin 1983 durée des travaux UIOM (première tranche) : 15 mois durée des travaux réseaux (idem) : 9 mois construction de la chaufferie auxiliaire : 3 mois

1re fourniture de vapeur : 10 octobre 1983 lancement de la deuxième tranche : décembre 1983 mise en service de la deuxième tranche : novembre 1985

Bilan économique

Il est donné par le tableau ci-après.

Éléments 1re tranche 2e tranche Total
Coût global de l’opération (MF HT) 40,00 45,00 85,00
Subvention AFME 6,22 4,40 10,62
Net à financer 33,78 40,60 74,38
Puissance thermique de récupération (MW) 12 12 24
Puissance thermique auxiliaire 18 18
Puissance totale en production 30 12 42
Puissance installée en postes de livraison 23 33 56
Longueur des réseaux (m) 2 400 3 300 5 700
Ventes annuelles prévisionnelles d’énergie (MWh) 45 000 60 000 105 000
dont énergie d’appoint 9 000 6 000 15 000
TEP économisées annuellement 4 000 6 000 10 000

Ainsi qu’il en a été fait mention précédemment, l’opération a bénéficié d’une subvention de l’AFME, dans le cadre du Fonds Spécial de Grands Travaux (FSGT deuxième tranche). Le montant en a été fixé à une époque où le coût prévisionnel des travaux, globalisé aux deux tranches, était de 53,1 MF hors taxes pour 6 100 TEP économisées annuellement. Compte tenu du niveau final d’économie d’énergie atteint par le projet, mais aussi de la majoration sensible des investissements pour atteindre cet objectif, un complément de subvention a été demandé à l’AFME à l’occasion du lancement de la deuxième tranche de travaux.

Conclusion

Le présent exposé fait apparaître des difficultés certaines pour le montage d’une telle opération.

Au niveau des investissements, il faut savoir que l’adaptation de l’usine existante à la récupération de chaleur aura coûté environ 50 % de plus que le surinvestissement qu’il y aurait eu à prendre en charge dans le même but s’il s’était agi d’une usine neuve.

Les négociations commerciales avec les futurs abonnés sont laborieuses et ne peuvent en définitive aboutir qu’à partir du moment où un climat de confiance réciproque est établi : en effet, quinze mois se sont écoulés (voire davantage) entre le moment où l’accord est intervenu et la première livraison de vapeur ; d’autre part, et compte tenu du niveau des investissements, les engagements sont contractés pour une longue durée. Or, dans la situation économique actuelle, nul industriel ne peut garantir à long terme la pérennité de son activité. Dans le cas présent, le risque industriel est donc en fait supporté pour une large part par notre Société.

Chaque opération de cette nature doit donc être précédée d’une étude de faisabilité très poussée.

[Publicité : La Revue de l’Eau Télématique]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements