En effet, la faible alcalinité, et notamment la présence de manganèse associé à des substances organiques en concentration élevée, nécessitait d’imaginer une filière faisant appel à un oxydant puissant comme l’ozone qui permettrait d’accélérer les réactions d’oxydation et d’élimination des matières organiques et du manganèse.
Dans le cadre de l’extension de la station de traitement d'eau potable de l'usine de Chamblan, le Syndicat Intercommunal d’Alimentation en Eau Potable de la Marche et du Boischaut (Département du Cher) a lancé un appel d’offres destiné à l’extension et à l’aménagement à apporter à la station d'eau potable en vue de lui permettre de distribuer, au débit nominal, 700 m³/h (15 000 m³/j), une eau potable conforme, en toutes saisons, aux exigences de qualités définies à l’annexe 1.3 du code de la santé publique (décret 91-257 du 7 mai 1991).
La qualité de l'eau brute (retenue de Sidailles) observée au cours de l'année 1992 (tableau 1) fait apparaître :
Une variation importante de la concentration en matières organiques (oxydabilité au KMnO₄) entre 4,16 et 10,9 mg/l. Les concentrations élevées apparaissent en automne (septembre-décembre).
Tableau 1 - Qualités physico-chimiques de l’eau brute (retenue de Sidiailles)
* Une turbidité relativement faible (0,7 - 10 NTU) induisant un rapport matières organiques/turbidité beaucoup plus élevé que celui observé habituellement, et qui nécessite un traitement spécifique pour l’élimination de ces matières organiques.
* Des concentrations en fer et en manganèse suffisamment élevées pour y prêter une attention particulière (fer : 1,12 mg/l, manganèse : 0,43 mg/l), d’autant plus que le manganèse est présent sous forme de complexe associé aux matières organiques.
* Une dureté et une alcalinité faibles (TAC : 4 - 6 °F) nécessitant une reminéralisation.
Description de la filière de traitement : L’entreprise OTV a été retenue au terme de cet appel d’offres. La filière (File eau) proposée est schématisée sur la figure 1. Elle comprend les étapes suivantes :
1. Pré-reminéralisation2. Pré-ozonation3. Coagulation-floculation-décantation (Décanteur Multiflo)4. Inter-ozonation5. Inter-reminéralisation6. Filtration sur sable7. Filtration sur charbon actif8. Remise à l’équilibre9. Désinfection
1. Pré-reminéralisation :
En raison de la faible alcalinité de l’eau brute, une étape de pré-reminéralisation à l’aide de chaux et de CO₂ est effectuée. Elle permet de compenser l’acidité engendrée par l’addition de coagulant lors de l’étape de coagulation-floculation et d’augmenter l’efficacité de l’oxydation du manganèse par l’ozone.
2. Préozonation :
Cette étape permet notamment d’oxyder le fer et le manganèse, d’oxyder une partie des matières organiques et d’éliminer une partie de la couleur, des goûts et des odeurs. L’oxydation du fer et du manganèse se fait selon les réactions chimiques :
2 Fe²⁺ + O₂ + 5 H₂O → 2 Fe(OH)₃ + O₂ + 4 H⁺
Mn²⁺ + O₂ + H₂O → MnO₂ + O₂ + 2 H⁺
Les rapports stœchiométriques sont respectivement de 0,43 mg O₂/mg Fe et 0,87 mg O₂/mg Mn.
La concentration maximale d’ozone injectée est de 1,5 g/m³. Le temps de contact est de 3 minutes.
3. Coagulation - floculation - décantation :
Cette étape permet aussi bien l’élimination des matières colloïdales responsables de la turbidité que l’élimination des particules d’oxyde de fer et de manganèse précédemment formées. Elle se déroule dans un ouvrage Multiflo® (conception OTV) qui comporte une étape de coagulation (V = 28 m³), une étape de floculation (V = 248 m³) et une décantation lamellaire fonctionnant avec une vitesse de Hazen de 0,8 m/h.
Le coagulant utilisé après divers essais (voir paragraphe choix du coagulant : essais sur …)
[Figure : Schéma de principe de la filière de traitement (File eau)]
[Photo : Turbidité en fonction de la dose de coagulant]
[Photo : Résidu d'Al en fonction du pH pour les deux coagulants]
site) est l’Aqualenc S. Les doses injectées se situent entre 40 - 60 g/m³. La régulation du pH est obtenue par addition de lait de chaux (10 g/m³). L’addition d’un polymère (0,1 - 0,15 g/m³) permet une meilleure décantation des boues.
4. Inter-Ozonation :
Cette étape permet d’oxyder une partie des matières organiques résiduelles et également tout le manganèse dissous résiduel. La dose maximale d’ozone est de 1 g/m³. Le temps de contact maximum est de 6 minutes.
5. Inter-reminéralisation :
Elle s’effectue par addition de lait de chaux (50 g/m³) et de CO₂ (55 g/m³). Le temps de contact global est de 5 minutes.
6. Filtration sur sable :
La rétention des particules en suspension encore présentes dans l’eau issue de la décantation et de l’inter-ozonation est effectuée sur 7 filtres à sable fonctionnant à une vitesse de 5,64 m/h (calculée sur le débit nominal).
La hauteur de matériau est de 0,9 m. Ces filtres sont nettoyés tous les jours selon une séquence automatique qui comprend un détassage à l’air, un lavage à l’air et eau et enfin un rinçage à l’eau seule.
7. Filtration sur charbon actif :
Un affinage de la qualité de l’eau traitée est obtenu par 4 filtres à charbon actif. La vitesse moyenne de passage est de 9,7 m/h.
8. Remise à l’équilibre :
Elle est effectuée par addition d’eau de chaux (1,5 g/m³) afin de distribuer une eau à l’équilibre calco-carbonique.
9. Désinfection :
Une désinfection finale au bioxyde de chlore est réalisée avec injection de ClO₂ entre 0,1 - 0,5 g/m³.
Choix du coagulant : essais sur site
Le choix du coagulant a été confirmé par des essais sur site. La nécessité d’un traitement des boues induit par l’utilisation du coagulant chlorure ferrique a fait écarter ce réactif. De ce fait, les résultats obtenus avec FeCl₃ ne seront pas évoqués.
Aussi, ne présenterons-nous que les résultats d’essais avec les sels d’aluminium dont les objectifs étaient doubles : avoir une eau traitée ayant la turbidité la plus faible possible et avoir également un résiduel d’aluminium conforme aux normes d’eau potable. Les résultats relatifs à la turbidité et au résiduel d’aluminium sont illustrés par les figures 2 et 3 correspondant au sulfate d’alumine et à l’Aqualenc S.
On note ainsi que la comparaison des deux coagulants montre que l’Aqualenc S améliore la turbidité et permet d’obtenir une concentration en aluminium résiduel inférieure à la norme (0,2 mg/l). C’est donc ce coagulant qui est retenu pour le traitement.
Résultats obtenus sur la filière - discussion générale
Après la mise en place de cette filière, la qualité de l’eau traitée de l’usine de Chamblan satisfait aux normes d’eau potable. Les résultats sont présentés sur le tableau 3.
Les paramètres principaux concernés par la filière de traitement mise en place (Fe, Mn, turbidité) nous amènent aux remarques suivantes :
1. Nous avons constaté qu’une particularité intéressante de ces eaux était que le manganèse est complexé aux matières organiques comme nous l’avons déjà remarqué sur quelques eaux de surface en France. Dans ce cas, un traitement classique d’oxydation ne suffit pas à l’éliminer.
En effet, les complexes formés entre les composés organiques et le manganèse sont dus, en grande partie, aux cycles d’oxydo-réduction entre ces composés organiques et le manganèse, qui diminuent fortement les possibilités d’oxydation du manganèse seul. Il convient alors d’utiliser un oxydant puissant et le choix de l’ozone s’explique en par-
Tableau 3 : Qualité physico-chimique d’eau traitée (Température de l’eau brute : 4 °C)
de THM et également une élimination plus conséquente des substances détectées à la fréquence de 254 nm.
2. L’Aqualenc S s’avère un coagulant très intéressant pour ce type d'eau de surface peu minéralisée. À taux équivalent de sulfate d’alumine, la chute d’alcalinité est moins importante.
En raison de la qualité de l'eau brute (faible alcalinité, taux important en matières organiques, etc.), une optimisation des points d’injection a été effectuée au niveau de la pré-ozonation et de la coagulation-floculation (figure 4). Ceci a eu pour but d’augmenter le temps de contact du coagulant et d’en améliorer l’efficacité.
[Photo : Figure 4 : Points d'injection des divers réactifs]
Il s’agit de casser une proportion importante des matières organiques pour en libérer le manganèse qui serait oxydé plus aisément. La deuxième étape de coagulation-floculation permettrait alors d’éliminer les matières organiques.
Ceci est confirmé par divers auteurs (1-3) qui ont montré que, dans une eau faiblement minéralisée, le traitement par l’ozone des acides humiques et du manganèse qui y sont présents est difficile à obtenir. Par contre, lorsque cette eau est reminéralisée, la présence des bicarbonates tend à favoriser cette élimination. C’est la raison pour laquelle une étape de pré-reminéralisation est effectuée avant la pré-ozonation.
Cette étape a nécessité de travailler avec un résiduel compris entre 0,1 et 0,2 mg O₂/l dans l’étape de pré-ozonation et d’environ 0,3 mg O₂/l dans l’étape d’inter-ozonation si l’on désire éliminer totalement le manganèse. En effet, pendant plus de trois mois dans l'année, les pointes en manganèse sont comprises entre 0,7 et 1,1 mg/l.
Les doses importantes en O₃ se justifient, d’une part, par la demande en O₃ pour traiter les matières organiques et, d’autre part, par les besoins dus à l’oxydation du manganèse et du fer.
Notons également que cette étape de pré-reminéralisation – pré-ozonation permet une réduction significative de la quantité de précurseurs.
[Photo : Figure 5 : Turbidité d’eau traitée en amont des filtres CAG]
La turbidité de l’eau traitée se situe, en moyenne, à 0,1 NTU pour une turbidité d'eau brute variant entre 4 et 6,7 NTU (figure 5). L’usine de Chamblan, exploitée par la Compagnie Générale des Eaux, satisfait largement aux normes actuelles d’eau potable, et même aux futures directives européennes. La manière dont elle est conçue et dont elle est actuellement exploitée en fait une des références dans le traitement des eaux potables.
[Encart : Références bibliographiques
1. L.H. Paillard, B. Legube, M. Doré (1989). « Effects of alkalinity on the reactivity of ozone towards humic substances and manganese », Aqua, 38, 32-42.
2. R.A. Stroebner, D.A. Rollag (1981). « Ozonation of a municipal supply to reduce iron, manganese and trihalomethane formation », Aqua, 4, 291-299.
3. H. Lienhard, H. Sontheimer (1982). « Influence of process conditions on the effect of ozone treatment of organic substances in water », Ozone, Science and Engineering, 4, 15-32.]