L'épuration des eaux usées urbaines conduit à l’extraction de quantités importantes de boues dont l’élimination est à l’origine de nombreuses difficultés pour les collectivités locales. Pour résoudre ce problème, le Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple (S.I.V.O.M.) de la région de La Rochelle a confié au groupe SAUR (Société d’Aménagement Urbain et Rural), sous le contrôle de la direction départementale de l’Équipement, maître d’œuvre, la construction et l'exploitation de l'unité de valorisation des boues de la station d’épuration de La Rochelle. Cette unité a été mise en service à la fin de 1983 à Port-Neuf.
L’originalité de cette installation est de résoudre un double problème de déchets tout en les exploitant : d'une part celui des boues de la station d’épuration dont la mise en décharge, seule issue possible, est abandonnée pour raison de saturation ; d’autre part celui des écorces résultant des bois de grume exotique importés par le port de La Rochelle (La Pallice) ; ces écorces étaient, jusqu’alors, brûlées à l’air libre. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas utiliser cette source d’énergie à bon marché pour conditionner thermiquement les boues de la station d’épuration ? C’est le choix qui a été retenu par le SIVOM et que nous développons dans ce qui suit.
NATURE DES BOUES À TRAITER
La station d’épuration de La Rochelle (filière boues activées moyenne charge par insufflation d’air et clarificateur secondaire type lamellaire raclé) présente une capacité nominale de 140 000 équivalents-habitants. Elle travaille aux trois-quarts de sa charge.
Après conditionnement à la chaux et au chlorure ferrique, les boues issues de la station d’épuration sont filtrées selon deux filières mises en place à des époques différentes : sur filtre sous vide en ce qui concerne les boues digérées, et sur filtre-presse après épaississement pour les boues fraîches. Après déshydratation mécanique, ces boues ressortent à 18 % de siccité du filtre sous vide (pour une production journalière de 20 m³ environ) et à 35 % de matières sèches du filtre presse (pour une production journalière de 15 m³ environ), ce qui représente un total de 35 m³ produits chaque jour de la semaine (excepté dimanches et fêtes). La quantité théorique de boues prévisible est donc de l’ordre de 12 500 tonnes par an à la capacité nominale de la station ; c’est sur ces bases théoriques que l’installation de granulation a été calculée.
L'INSTALLATION DE VALORISATION DES BOUES PAR VOIE THERMIQUE
Description du procédé de granulation
L'unité de fabrication de granulés utilisables comme amendements des sols constitue la solution au double problème évoqué plus haut : la destination des boues de la station d’épuration et l’élimination des écorces de grumes de bois du port de La Pallice. Pour ce faire, il a fallu réaliser un poste de broyage des écorces (en vue d’homogénéiser le produit combustible destiné à alimenter le four de la seconde installation) et une unité de granulation des boues.
Broyage et stockage des écorces
La consommation annuelle d’écorces entraînée par le séchage des boues est estimée à 2 500/3 000 tonnes (le port de La Pallice est capable d’en fournir le double...).
Sortant d’un hachoir à couteaux, où elles sont déchiquetées en petits éléments de 3 à 4 cm de côté, ces écorces sont transportées puis stockées dans un silo de 130 m³ accolé au bâtiment de granulation (autonomie de fonctionnement d’environ une semaine). De ce silo, les écorces sont extraites en partie basse par des racleurs à échelles puis introduites dans la chambre de combustion du four.
Installation de granulation
Le principe du procédé consiste en la fabrication, par séchage à environ 70 °C, de granulés de boues dont la formation se produit par initiation à partir de micro-granulés fins recyclés dans un tambour sécheur rotatif à pales internes. L’enrobage de la boue autour du germe initiateur et son séchage se réalisent au fur et à mesure de son transit dans le tambour.
Les boues granulées sortant du tambour sont tamisées : les « fines » sont recueillies pour être recyclées, de même que les « refus » (après broyage).
L’air chaud, insufflé du four vers le sécheur à tambour, est dépoussiéré, lavé et désodorisé avant rejet à l’atmosphère (voir schéma général).
Production de chaleur
Une vis d’alimentation des écorces, disconnectée des précédentes pour des raisons de sécurité, passe sous le four et débouche à la base du puits d’alimentation du foyer. Ce dernier, à grille tournante, a la forme d’un tronc de cône dont la grande surface constitue la base. L’installation de combustion produit le gaz chaud destiné à sécher les boues (en consommant environ 850 kg de bois à l’heure).
En raison de l’apport de potasse qu’elles représentent, les cendres sont raclées et recueillies dans une vis de transport qui les renvoie dans la boue en attente de séchage.
La puissance évaporatoire de l’installation dépasse 2 tonnes d’eau à l’heure.
Séchage des boues
Les boues, déshydratées mécaniquement, sont véhiculées vers deux silos situés en partie haute de l’installation ; avant d’y être stockées, elles sont émottées. Elles sont extraites de ces silos par des vis et déversées dans un mélangeur à palettes dans lequel sont également introduits les éléments d’ensemencement de granulés (granulat recyclé broyé), les cendres issues de la combustion, ainsi que les additifs éventuels demandés pour l’obtention d’une composition spécifique.
[Schéma : Schéma général — 1 Arrivée des boues déshydratées ; 2 Émotteur ; 3 Silos de stockage des boues humides ; 4 Vis transversale ; 5 Tambour sécheur ; 6 Stockage des granulés bruts ; 7 Vis de transfert des granulés ; 8 Tamis vibrateurs ; 9 Stockage des granulés fins ; 10 Système de chargement des granulés ; 11 Broyeur ; 12 Tamis vibrants ; 13 Stockage ensemencement ; 14 Silos pour adjuvants ; 15 Stockage cendres broyées ; 16 Four ; 17 Chambre étanche ; 18 Multicyclone ; 19 Ventilateur principal ; 20 Laveur de fumées ; 21 Tour de lavage ; 22 Tour de désodorisation ; 23 Air de recirculation ; 24 Air primaire ; 25 Air secondaire ; 26 Pompes à eau.]Le mélange est introduit dans le tambour sécheur, cylindre métallique calorifugé de 1,90 m de diamètre et de 8,50 m de long (entraîné par un moteur électrique) où la granulation s’élabore. L’appareil est divisé en sections avec un tunnel central permettant l’évacuation de produit sec au fur et à mesure de sa déshydratation, tout en retenant les particules encore trop humides. Seules celles qui sont devenues assez légères par séchage sont entraînées par le courant d’air chaud fourni par le four. Cet air, aspiré par un ventilateur, pénètre dans le sécheur à environ 700 °C.
En sortie de tambour, dans la chambre de détente, les granulés secs seront séparés gravitairement des fumées, lesquelles s’élèvent en direction du multicyclone.
Tri et conditionnement des granulés
Les produits séchés sont triés sur des tamis vibrants.
Les granulés de taille commerciale (3 à 5 mm de diamètre), repris par un élévateur à godets, sont refroidis à l’air (lequel est recyclé sur le four) avant stockage en silo. Les refus trop gros sont concassés dans un broyeur à marteaux et réunis avec les fines pour être transportés, toujours par un élévateur à godets, vers le silo de stockage des éléments d’ensemencement.
Selon les besoins, les granulés sont ensachés ou livrés en vrac.
Traitement des fumées
Les gaz résultant de la combustion mélangés à la vapeur d’eau provenant de la déshydratation des boues sont traités comme suit :
- — séparation des granulés dans une chambre de détente,
- — séparation des poussières dans une batterie de cyclones,
- — lavage des fumées par aspersion d’eau en passant par trois étapes :
- * laveur Venturi,
- * deux rampes de pulvérisation à contre-courant,
- * arrosage final, dit de sécurité, avec basculement automatique sur eau de ville en cas de panne,
- — transit en tour de désodorisation,
- — passage dans un séparateur de gouttelettes,
- — envoi dans une cheminée à étage de dilution.
En sortie des multicyclones, la teneur en poussière est inférieure à 200 mg/Nm³. Les trois quarts des éléments restants sont éliminés par les étages de lavage dont l’eau provient par pompage du rejet de la station d’épuration. La température des fumées à la sortie de la tour de lavage est inférieure à 50 °C. Les fumées lavées sont ensuite introduites à la base d’un four d’oxydation garni d’anneaux Raschig sur lesquels on pulvérise le ou les agents chimiques nécessaires à la désodorisation.
Résultats d’exploitation
Après mise au point pendant quelques mois, l’installation fonctionne en exploitation par la S.A.U.R. depuis le début de l’année 1984. Le tableau 1 résume les premiers résultats obtenus.
Tableau 1 : RÉSULTATS D’EXPLOITATION
Matières sèches délivrées | Produit | Consommation | ||||
---|---|---|---|---|---|---|
Années | Filtres presses (t) | Filtres sous vide (t) | Électricité (t) | Écorces (t) | ||
01 | 94 | 29,2 | 123,2 | 57 | 25 980 | 140 |
02 | 158,7 | 44 | 163,1 | 99,5 | 29 463 | 156 |
03 | 140,1 | 57 | 145,8 | 152 | 31 151 | 144 |
04 | 134,8 | 20,2 | 155 | 161 | 27 565 | 132 |
05 | 168,8 | 30,2 | 199 | 207 | 33 034 | 172 |
06 | 150,8 | 49 | 199,8 | 206,5 | 31 398 | 164 |
07 | 130,5 | 27,1 | 157,6 | 162 | 26 139 | 164 |
08 | 160,5 | 31,1 | 191,6 | 181,5 | 32 932 | 176 |
09 | 160,1 | 30,1 | 190,2 | 187,5 | 25 978 | 152 |
10 | 151,2 | 26,9 | 178,1 | 190,7 | 30 644 | 184 |
11 | 142,4 | 23,2 | 165,6 | 162,8 | 27 124 | 172 |
12 | 112,2 | 27 | 139,2 | 135,6 | 25 950 | 228 |
Total | 1 704,1 | 304,1 | 2 008,2 | 1 903,1 | 347 358 | 1 984 |
01 | 106,52 | 18,28 | 124,8 | 146,64 | 32 198 | 215 |
02 | 85,07 | 14,40 | 99,47 | 81,15 | 18 545 | 107,5 |
03 | 135,2 | 32,02 | 167,22 | 180,52 | 26 246 | 240,8 |
04 | 162,4 | 39,08 | 201,48 | 188,72 | 30 344 | 285,9 |
05 | 93,71 | 25,36 | 119,07 | 129,6 | 22 127 | 169,8 |
06 | 159,64 | 41,96 | 201,6 | 208,64 | 27 376 | 223,6 |
07 | 178,23 | 51,66 | 229,89 | 218,22 | 33 102 | 258 |
08 | 158,80 | 56,57 | 215,37 | 204,47 | 27 602 | 217,1 |
09 | 142,14 | 35 | 177,14 | 172,8 | 27 844 | 180,6 |
Caractéristiques du produit fini
Les études prévisionnelles situent la qualité des granulés aux niveaux suivants :
- humidité maximum : 12 %
- teneur en matières organiques minimum : 45 %
- teneur en azote organique minimum : 3 %
- teneur en métaux lourds telle que le produit soit conforme à son emploi au titre de fumure des sols.
La granulométrie, comprise entre 3 et 5 mm, ne doit pas contenir plus de 10 % de poussières. Les premiers résultats moyens obtenus donnent un produit respectant cette granulométrie (densité apparente voisine de 0,6 et moins de 10 % de poussières) avec une production de l’ordre de 2 000 tonnes par an.
La composition moyenne du produit fini est la suivante :
- siccité : 92 à 93 %
- teneur en matières organiques : 48 à 55 %
- teneur par rapport aux matières sèches :
- azote total : 2,7 à 2,8 %
- azote ammoniacal : 0,4 à 0,45 %
- azote organique : 2,3 à 2,4 %
- phosphates totaux (P₂O₅) : 4 à 5 %
- phosphates solubles (P₂O₅) : 3,2 à 3,5 %
- potassium (K₂O) : 5 %
- calcium (CaO) : 15 à 19 %
- métaux lourds inférieurs à la norme.
Nous observons un léger déficit en azote organique résultant d'un excédent de calcium, lequel est ajouté à la boue lors de la déshydratation mécanique ; l’obtention d’un produit satisfaisant nécessite en effet l’adjonction de chaux à un taux élevé. Un projet de déshydratation mécanique par centrifugation des boues digérées, en remplacement du filtre sous vide actuellement utilisé, devrait améliorer ces résultats.
L'installation est équipée de façon à enrichir la boue en éléments fertilisants selon sa destination ; ainsi des silos, avec dispositif d’injection de produits azotés, phosphorés ou riches en potassium, permettent-ils d’enrichir la boue à la demande, au niveau des mélangeurs placés en amont du tambour sécheur.
Les granulés sont livrables soit en vrac, soit en sacs de polyéthylène de 25, 33 ou 50 kg.
Leur épandage s’effectue avec les machines agricoles utilisées habituellement pour fumer les sols avec des produits secs.
Leur stockage ne pose pas de problèmes.
CONCLUSION
Lorsque l'installation fonctionnera à sa capacité nominale, les recettes procurées par la vente des granulés, auxquelles il convient d’ajouter l’économie réalisée par la suppression de la mise en décharge des boues, permettront d’équilibrer les frais d’exploitation et d’amortir progressivement les dépenses d’investissement.
L'installation de valorisation des boues de la station d’épuration de La Rochelle permet donc de supprimer la nuisance, tout en assurant une gestion équilibrée par la vente du produit fertilisant, ce qui constitue une solution satisfaisante.
De plus, cette installation allie l’économie à l’efficacité en utilisant des écorces comme source d’énergie, en éliminant du même coup une nuisance supplémentaire.
La preuve est ainsi faite que la valorisation des boues par voie thermique peut être viable.