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L'ultrafiltration appliquée au traitement de l'eau potable : le cas d'un petit système

29 septembre 1989 Paru dans le N°130 à la page 61 ( mots)
Rédigé par : F. FIESSINGER, J. MALLEVIALLE, J.l. BERSILLON et 2 autres personnes

Ce texte a pour objet de présenter tous les aspects d’expériences menées en installation pilote et de la mise en œuvre industrielle d’une nouvelle technique pour clarifier l’eau : l’ultrafiltration. Cette technique est jugée d’après la qualité de l’eau obtenue dans un cas où l’eau présente, à l’origine, une qualité très variable. Les auteurs montrent que l’eau traitée possède une très bonne qualité constante, particulièrement en ce qui concerne la turbidité et les paramètres corrélés à la qualité.

Les petits systèmes de traitement d’eau potable ont des problèmes qui leur sont propres, du fait que, bien souvent, ils fournissent de l’eau dans des régions où la population est très clairsemée. Il est par conséquent impossible de les éviter, étant donné que le raccordement des maisons à un réseau important entraînerait des frais de canalisations inabordables. Les petites communes comptent sur leurs ressources locales en eau, et bien souvent, le traitement appliqué à ces ressources est moins que convenable, pour au moins l’un des motifs suivants :

  • — Lorsque les systèmes appartiennent aux communes, la municipalité ne peut pas se permettre d’avoir un spécialiste des eaux qui surveille le traitement, et la qualité de l’eau obtenue n’est pas toujours irréprochable.
  • — Les ressources en eau peuvent présenter des variations de qualité incompatibles avec le système de traitement des eaux.

Dans ce cas, quand la qualité des ressources se dégrade, la qualité de l’eau distribuée se dégrade aussi, au point de ne plus respecter les normes de qualité.

Le site d’Amoncourt se trouvait dans une telle situation : petite commune d’environ 320 habitants, située dans l’Est de la France, dans la ceinture karstique du Bassin Parisien, son approvisionnement en eau est assuré par une source qui présente une turbidité occasionnelle et des pics de TOC qui peuvent atteindre jusqu’à 300 NTU et 9 mg/l respectivement en quelques heures (alors que la turbidité normale se situe entre 2 et 5 NTU).

L’ancienne installation fonctionnait par filtration directe, ce qui conduisait à de forts pics de turbidité de l’eau distribuée, puisqu’un tel procédé n’est normalement pas destiné à traiter des eaux aussi difficiles. On s’est aperçu en réalité qu’elle aurait dû être équipée d’un système de clarification complet (coagulation-décantation-filtration) qui aurait été très difficile à gérer dans toutes les circonstances.

Dans une telle situation, on a estimé que chaque foyer dépensait 700 F par an en achats d’eau minérale, pour satisfaire ses besoins en eau de boisson.

La demande en eau en période de pointe était de 180 m³/j.

L’autre traitement :

l’ultrafiltration

Parmi les procédés employant une membrane sous pression, l’ultrafiltration se situe entre la microfiltration, qui arrête des particules de 0,1 µm au minimum, et l’osmose inverse, qui arrête des particules de la dimension des ions. C’est un procédé principalement employé dans l’industrie alimentaire et pharmaceutique, pour filtrer ou concentrer des liquides.

Dans le traitement des eaux, l’un des problèmes les plus difficiles à résoudre est celui de la séparation des colloïdes ce qui, la plupart du temps, implique l’addition de produits chimiques (coagulants, agents floculants). Ces réactifs doivent être ajoutés dans une proportion qui est fonction de la qualité de l’eau elle-même. Avec les procédés à membrane, cette addition n’est pas nécessaire, à condition que la membrane ait une porosité suffisamment serrée pour arrêter les particules indésirables. La figure 1 récapitule les polluants de l’eau et le domaine d’action des procédés à membrane sous pression.

Autrement dit, à condition que sa porosité soit correctement choisie (seuil de coupure), la membrane effectuera le travail normalement réservé à la clarification, sans nécessiter de réactifs pour effectuer la séparation. Ces considérations ont conduit la Lyonnaise des Eaux à choisir le procédé d’ultrafiltration pour traiter des ressources en eaux comme celles d’Amoncourt.

[Photo : 1. Macromolécules organiques 2. Molécules organiques 3. Colloïdes 4. Bactéries 5. Levures 6. Virus 7. Sels dissous 8. Osmose inverse 9. Nanofiltration 10. Ultrafiltration 11. Microfiltration Récapitulation des seuils de coupure des membranes (partie inférieure) et des dimensions des polluants (partie supérieure).]

De la faisabilité aux spécifications des installations

L'étude de faisabilité avait pour but de répondre aux questions suivantes :

Quel type de membranes devra-t-on employer ?Quel procédé devra-t-on mettre en œuvre ?

Ces deux questions ont été abordées au cours de deux campagnes à l’échelle d'un pilote : la première pour comparer des membranes de différentes natures, utilisées avec la même qualité d’eau brute et pour déterminer les conditions de faisabilité du procédé ; la seconde pour ajuster les conditions de fonctionnement et évaluer le comportement global du système (membrane et procédé) dans des conditions de contraintes (pic de turbidité).

Choix de la nature de la membrane

Dans le cas d'Amoncourt, deux membranes possibles ont été choisies d’après des expériences antérieures :

• une membrane en céramique (Ceraver),• une membrane organique (BRO23, Lyonnaise des Eaux).

Elles ont été sélectionnées parmi une gamme plus importante comprenant des produits du commerce (Enka AG, Romicon). (Les résultats de ces expériences ont été publiés séparément.) Elles ont été installées dans une unité pilote à petite échelle, qui permettait d’effectuer des mesures de pression, de débit et de décolmatage. La gamme des conditions de fonctionnement est récapitulée dans le tableau I.

Tableau I. Conditions de fonctionnement pour le choix de la membrane

Membrane Coupure Diamètre des fibres Vitesse tangentielle Pression de fonctionnement
Cerever 0,2 µm 7 mm 1,20 m·s⁻¹ 1,6 bars
BRO23 0,01 µm 1 mm 0,75 m·s⁻¹ 0,5 bar

Ces expériences ont abouti aux résultats suivants :

• La membrane organique (BRO23) est préférable à la membrane en céramique, du fait de sa meilleure aptitude au décolmatage ; par conséquent elle permet de maintenir un flux acceptable pendant une longue période.

• Le flux d’eau admissible dans cette membrane a été évalué à 100 l·h⁻¹·m⁻² sous une pression de fonctionnement de 0,5 bar. Ces données ont été prises comme point de départ pour les expériences de validation effectuées sur un module à plus grande échelle.

• Pour la production, l’énergie spécifique exigée par la filtration atteint 85 Wh·m⁻³ (306 kJ·m⁻³). Cette valeur a été calculée d’après les pertes de charge dues à la vitesse tangentielle (recirculation) et la perte de pression dans la membrane. Pour des membranes en céramique, l’énergie spécifique se situait entre 400 et 550 Wh·m⁻³.

• L’eau filtrée par la membrane organique présentait une turbidité inférieure à 0,1 NTU, ce qui donne la possibilité de respecter les normes les plus sévères (Recommandation US EPA pour le Safe Drinking Water Act).

• Des dénombrements totaux effectués sur l'eau filtrée n'ont révélé aucune évidence de contamination microbienne.

Validation et conditions de fonctionnement

Un module à échelle moyenne (MS) a été installé sur une unité pilote, gérée par ordinateur pour effectuer des expériences de validation. Le module MS avait une surface filtrante de 5 m², constituée par des membranes BRO23. L’unité pilote est automatique et équipée d'un enregistrement des données du procédé en vue de leur traitement ultérieur (pression, débit, température, qualité d’eau).

[Photo : Temps (jours) – Pression de fonctionnement (bars) – Pression – Turbidité – Turbidité (NTU) – Temps (jours). Turbidité de l'eau brute et pression de fonctionnement pendant l’expérience de validation.]

Les conditions hydrauliques appliquées au cours de cette expérience ont été définies de manière à obtenir un flux constant, dont la valeur a été choisie dans le but d’obtenir une production constante, afin de simplifier le calcul des dimensions de l’unité de production. Dans ces conditions, le colmatage de la membrane donnait lieu à une augmentation de la pression de fonctionnement, mais le décolmatage périodique permet de la ramener à sa valeur nominale.

La pression de fonctionnement reste presque constante en fonction du temps, quand la turbidité de l’eau brute est inférieure à 25 NTU. Quand la turbidité est plus élevée, la pression de fonctionnement a tendance à augmenter, comme l’illustre la figure 3.

[Photo : Réponse de la pression de fonctionnement à des pics élevés de turbidité (expérience de validation).]

Sur une période d’un mois, il s’est confirmé que la turbidité de l’eau filtrée restait inférieure à 0,1 NTU, quelle que soit la turbidité de l’eau brute. Il faut tenir compte du fait que ce traitement est effectué sans recourir à aucun réactif de séparation.

Des paramètres organiques tels que le TOC, l’absorption UV à 254 nm et le Potentiel de Formation de Trichalométhane (THMFP) ont également été mesurés au cours de cette expérience. On s’est aperçu que le TOC avait été réduit de 20 %, tandis que l’absorption UV et le THMFP étaient abaissées d’environ 40 %. Ce résultat a été attribué à la contribution des particules et des colloïdes dans ces derniers paramètres qualitatifs (UV et THMFP), tandis que la contribution de ces matières est moindre dans le TOC. Il a été noté, également, que les pics de turbidité s’accompagnaient de pics de TOC qui s’éliminent mieux que le TOC de « fond ». Ces résultats sont illustrés sur la figure 4, où le TOC « de fond » est estimé à 2 mg/l, tandis que les pics du TOC peuvent atteindre 8 à 10 mg/l.

[Photo : TOC à la sortie en fonction du TOC à l’entrée pendant un pic de turbidité. Le trait plein représente la réduction du pourcentage.]

Les spécifications de l’installation

La production maximale a été fixée à 10 m³/h. Pour satisfaire cette exigence, la construction de l’installation réelle mettait en jeu deux lignes indépendantes de 10 modules MS en parallèle. Les conditions de fonctionnement sont restées inchangées par rapport à celles des expériences de validation sur l’installation pilote, étant donné qu’elles avaient donné satisfaction. L’installation a été équipée d’un automate programmable, chargé de gérer les différentes opérations telles que les commandes de débits, la surveillance et la commande des pressions, ainsi que les séquences de décolmatage.

Tableau II. Qualité microbienne de l’eau au départ (RW) et de l’eau ultrafiltrée et chlorée (TW) sur le site d’Amoncourt

Nature des bactéries 3/1 (1) 3/1 (2) 14/2 (1) 14/2 (2) 14/3 (1) 14/3 (2) 11/4 (1) 11/4 (2)
Coliformes totaux/100 ml 25 0 4 0 3 0 140 0
Coliformes fécaux/100 ml 0 0 1 0 0 0 92 0
Streptocoques fécaux/100 ml 25 0 1 0 1 0 38 0
Clostridium/100 ml 5 0 ND ND 8 0 60 0
Dénombrements totaux/1 ml à 37 °C 16 <5 18 <5 34 <5 108 <5
Dénombrements totaux/1 ml à 22 °C 322 <5 81 <5 233 <5 360 <5

(1) eau brute, (2) eau traitée.

Démarrage de l’installation et exploitation

Les recommandations ont été appliquées au démarrage de l’installation réelle, et ont donné totale satisfaction.

Exploitation de l’installation

L’installation, mise en service en novembre 1988, a été maintenue sous étroite surveillance pendant les six premiers mois d’exploitation. La réaction de l’installation aux variations de la qualité de l’eau brute a été examinée en fonction des paramètres du procédé, aussi bien que de la qualité de l’eau obtenue. La figure 5 représente le profil de turbidité de l’eau de source pendant cette période : on peut remarquer l’existence de pics de turbidité (de 100 à 180 NTU) qui coïncidaient avec des épisodes de pluie, tandis que la turbidité « de fond » se situait entre 2 et 5 NTU. La réponse de l’installation à ces variations apparaît sur la figure 6 qui représente la pression de fonctionnement en fonction du temps alors que la production d’eau est maintenue constante. De même que dans le cas de l’installation pilote, ce paramètre d’exploitation a tendance à augmenter avec la turbidité.

[Photo : Profil de turbidité des ressources en eau à Amoncourt pendant les six premiers mois d’exploitation.]

Il est intéressant de remarquer que le processus global permet l’auto-décolmatage du système quand les pics de turbidité sont terminés, ce qui se fait

dans la plupart des cas, bien qu’il faille davantage de temps à la pression qu’à la turbidité pour revenir à sa valeur nominale. L’installation a exigé seulement deux régénérations des modules au cours de cette période (à 30 et à 130 jours de fonctionnement), pendant laquelle la turbidité de l’eau traitée était voisine de 0,1 NTU, c’est-à-dire conforme aux résultats de l’installation-pilote.

Puisque l’ultrafiltration est un nouveau procédé mettant en jeu de nouveaux types d’équipements, l’eau obtenue doit être contrôlée par rapport aux normes de qualité de l’eau potable, au moyen de prélèvements d’échantillons et d’analyses effectués par un laboratoire agréé (ministère de la Santé). Parmi les paramètres de qualité qui ont été mesurés à cet effet, il convient de considérer la sélection suivante :

  1. Les dénombrements de bactéries indiqués au tableau II. Comme on l’avait soupçonné pendant les expériences sur l’installation-pilote, il n’y a pas de passage de bactéries dans l’eau ultrafiltrée : ces mesures ont été reproduites et exécutées à la fois par le laboratoire d’analyse LdE et par le laboratoire régional du Ministère de la Santé.
  2. Aluminium et fer. Ces deux éléments sont présents dans l’eau brute, et on a remarqué que la teneur en fer était corrélée avec la turbidité. Le tableau III regroupe les teneurs en ces deux éléments de l’eau brute et de l’eau traitée :

    Leur élimination par ultrafiltration est imputable à leur apparition sous forme d’hydroxydes colloïdaux, car ces éléments sont connus pour précipiter sous cette forme. Un certain nombre d’auteurs ont présenté des preuves de la dépendance entre l’aluminium et le fer aqueux mesurés et le seuil de filtration. Bien que surprenante au premier abord, l’élimination de ces éléments (et peut-être celle du manganèse) peut s’expliquer par le très faible seuil des membranes (0,01 µm). En partant de cette explication, on pense qu’une microfiltration (0,2 µm et au-dessus) ne permettrait pas une élimination totale de ces éléments ; toutefois il n’existe aucune référence qui mette ce phénomène en évidence.

  3. Le THMFP dans l’eau brute et les THM dans l’eau traitée. Puisque l’eau traitée est chlorée avant son stockage et sa distribution, et puisque l’eau brute n’est pas préchlorée avant son traitement, la comparaison de ces deux éléments d’information donne une bonne estimation des substances impliquées dans la formation des THM. Cela est illustré par la figure 7 : on peut voir que l’élimination des THMFP est presque totale, ce qui ne concorde pas avec d’autres résultats qui suggèrent une élimination d’environ 40 %. Cela est attribué à la pratique d’une chloration plus douce de l’eau potable comparativement à l’évaluation des THMFP, effectuée dans les conditions du laboratoire.
[Photo : Profil de la pression de fonctionnement de l’installation d’Amoncourt.]
[Photo : Formation potentielle de trihalométhane dans l’eau brute (THMFPO et trihalométhanes dans l’eau chlorée ultrafiltrée (Eau traitée THM)).]

Tableau III. Teneurs en Al et Fe

Dates Al µg/l (Eau brute) Fe µg/l (Eau brute) pH (Eau brute) Al µg/l (Eau traitée) Fe µg/l (Eau traitée) pH (Eau traitée)
03/1 216 20 7,46 2 BDL 7,59
14/2 136 10 7,39 15 BDL 7,41
14/3 90 30 7,14 6 BDL 7,14
11/4 430 140 7,46 2 BDL 7,25

BDL : au-dessous du seuil de détection.

Conclusion

Le cas présenté est, du point de vue des auteurs, un cas-type d’un nouveau procédé mis en service dans des conditions industrielles. L’approche, très complète, ne laisse pas de place à des imprévus qui aboutiraient à un processus industriel nécessitant une mise au point plus précise : l’installation fonctionne couramment dans ses conditions nominales.

Sur le plan technique, on a montré que l’ultrafiltration permettait de résoudre le problème posé par des ressources en eau, handicapées par une qualité très variable, surtout du point de vue de la turbidité et des paramètres liés à la qualité (Al, Fe, microbes). Il est également de la plus haute importance que les expériences sur le site aient porté sur une durée assez longue pour réaliser une estimation correcte des spécifications de l’installation. Le risque consiste à ne pas faire face à des situations de « crise » et à des effets cumulatifs qui ne sont pas encore prévisibles quant à leurs conséquences sur les conditions de fonctionnement et la qualité de l’eau traitée.

L’ultrafiltration doit être considérée comme la technique la plus facilement accessible pour respecter les normes de qualité d’eau potable les plus exigeantes qui soient.

Remerciements

La recherche et le développement de ce travail ont été partiellement financés par la Commission de la Communauté européenne (projet BRITE, RI1B-0155) et par le Ministère français de la Recherche (projet EUREKA EU598).

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