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L'ultrafiltration : procédé de clarification et de désinfection des eaux

30 septembre 1993 Paru dans le N°166 à la page 91 ( mots)
Rédigé par : Valérie MANDRA, Isabelle BAUDIN et Christophe ANSELME

L'oxygène et l'ozone peuvent intervenir dans de nombreux procédés de traitement d'effluents industriels : pour répondre aux besoins des stations d'épuration biologique surchargées, la capacité des bassins d'aération est augmentée, sans modification des ouvrages, par l'emploi d'oxygène pur. Ce gaz permet, en outre, de concevoir des installations de traitement biologiques compactes, capables d'accepter de très fortes charges polluantes. Enfin, pour des effluents très peu biodégradables, l'oxydation chimique faisant intervenir l'ozone et l'oxygène est un type de traitement efficace.

Le rendement d’élimination est fonction de la concentration initiale en microorganismes, de la dose de désinfectant et de la qualité de l’eau traitée.

Malgré une efficacité immédiate, des problèmes tels que la formation de sous-produits de désinfection, souvent toxiques, et la reviviscence bactérienne, sont fréquemment détectés dans le système de distribution. Un procédé alternatif de désinfection réside alors dans l’utilisation de la filtration sur membrane.

L’utilisation de l’ultrafiltration comme procédé de clarification et de désinfection présente de nombreux avantages, et en particulier une totale efficacité et une parfaite fiabilité.

Les microorganismes pathogènes à transmission hydrique constituent un risque potentiel important sur le plan de la santé publique. Les normes de potabilité imposent, dans l’eau distribuée, l’absence permanente de Coliformes Thermotolérants et de Streptocoques Fécaux et, pour 95 % des analyses, de Coliformes Totaux. L’élimination des microorganismes constitue donc un objectif essentiel d’une chaîne de traitement d’eau potable. Cet objectif n’étant pas assuré avec une totale fiabilité par les procédés de traitement conventionnels (coagulation, décantation, filtration), ceux-ci doivent être complétés par un procédé de désinfection, dont l’efficacité est fonction de la concentration initiale en microorganismes, de la dose de désinfectant, de la qualité de l’eau traitée et du temps de contact du désinfectant, qui sont autant de paramètres qui limitent la fiabilité du procédé.

Par contre, dans le cas de la filtration sur membrane, l’élimination des microorganismes est assurée par un procédé de séparation physique dont l’efficacité est indépendante de la qualité de l’eau brute et est uniquement fonction de la taille des pores de la membrane. La filtration sur membranes d’ultrafiltration et de microfiltration est utilisée comme procédé de clarification dans 40 usines de production d’eau potable dans le monde. À elle seule, la Lyonnaise des Eaux-Dumez (LED) exploite 23 usines d’ultrafiltration qui mettent en œuvre des membranes d’un seuil de coupure de 0,01 µm.

Traitements conventionnels : efficacité et fiabilité

L’élimination des matières en suspension et des microorganismes est assurée, dans le cas d’une chaîne de traitement conventionnel, en grande partie par l’étape de clarification.

Le suivi par exemple de la qualité bactériologique de l’eau de Seine clarifiée par coagulation-décantation-filtration sur sable, à la sortie de filtres à sable, met en évidence la capacité de ce traitement à éliminer respectivement 4,5 U.L. et 3 U.L. de coliformes totaux et de streptocoques fécaux. Par contre, des coliformes, atteignant une concentration de 1 300/100 ml, et des streptocoques sont très fréquemment dénombrés dans l’eau filtrée (figure 1).

En effet, le taux de rétention des filtres est fonction de leur maturité, de la vitesse de filtration, et de la qualité de l’eau d’alimentation. La capacité de rétention des microorganismes peut

[Photo : Dénombrement des coliformes totaux dans l’eau de Seine brute et clarifiée (sortie des filtres à sable).]

être visualisée par le nombre de particules dénombrées dans l'eau traitée dont l’évolution de la qualité au cours d’un cycle de filtration peut être suivie par un compteur de particules installé à la sortie du filtre (figure 2).

La taille des bactéries, virus ou kystes de protozoaires étant globalement inférieure à 5 μm, les fines particules de taille comprise entre 0,5 et 5 μm peuvent être considérées comme de bons indicateurs de l'efficacité et de la fiabilité de l’étape de filtration vis-à-vis de la rétention des microorganismes. Or il apparaît que ces particules ne sont pas complètement retenues par le filtre puisque leur concentration minimale mesurée dans l'eau filtrée s’élève à 10^3 particules par litre, quelle que soit la vitesse de passage sur le filtre, mais l'augmentation du débit de production accroît le nombre de particules non retenues. De plus l’influence des lavages sur le taux de rétention est nettement marquée par le doublement du nombre de particules durant les deux heures qui suivent le lavage.

Cette absence de fiabilité concernant l'élimination des microorganismes montre la nécessité de compléter les chaînes de traitement conventionnel par un procédé de désinfection finale. Parallèlement, une préoxydation permet d'améliorer l’abattement des microorganismes, sur certaines filières.

Les techniques usuelles de désinfection actuelles ou en cours de développement mettent en œuvre un agent physique ou chimique dont le rôle est d’assurer la destruction des microorganismes (tableau 1), le plus souvent au moyen d'une chloration, qui est la technique la plus employée en France. Le chlore possède toutefois une action germicide importante sur les bactéries mais il présente une faible efficacité sur les kystes de protozoaires, notamment de cryptosporidium. L’action de l’ozone sur les virus et les protozoaires est plus marquée, mais l'ozonation, comme la chloration, pose, spécialement en préoxydation, le problème de la formation de sous-produits de désinfection tels que chloramines et haloformes d’une part, aldéhydes et cétones d’autre part.

La désinfection par UV est très employée aux USA. Le pouvoir germicide des rayonnements UV est important, mais leur efficacité est affectée par la présence de tout composé susceptible d’absorber le rayonnement, et donc par la variabilité de la qualité de l’eau.

La qualité microbiologique de l'eau traitée par les procédés conventionnels est donc fonction de la qualité de l’eau brute et de sa concentration en microorganismes. Cette absence de fiabilité s’accompagne fréquemment de la formation de sous-produits de désinfection, toxiques à long terme pour certains, sources de problèmes de goût et d’odeurs pour la plupart.

[Photo : Suivi d’un filtre en sortie de décanteur traitant l’eau de Seine.]

L’ultrafiltration, procédé de clarification et de désinfection

Une alternative à ces procédés réside dans l’ultrafiltration, qui permet d’assurer l’élimination des microorganismes par une barrière physique, sans présenter le risque de formation de sous-produits de désinfection.

Les essais

Les membranes installées par la LED sur ses usines de production d’eau potable sont des membranes organiques d'ultrafiltration à fibres creuses, dont le seuil de coupure est de 0,01

[Photo : Dénombrement des coliformes totaux. Comparaison ultrafiltration/traitements conventionnels.]
[Photo : Dénombrement des streptocoques fécaux. Comparaison ultrafiltration/traitements conventionnels.]
[Photo : Dénombrement des kystes de Giardia dans l’eau de Seine brute et traitée. Comparaison ultrafiltration/traitements conventionnels.]
[Photo : Dénombrement des phages d’Escherichia coli et de Shigella dans l'eau de Seine brute et le perméat.]

Tableau I

CT pour les principaux désinfectants

DésinfectantKystes de GiardiaOocystes de CryptosporidiumVirus
Chlore18 — pH = 7 ; 25 °C ; 2 log d’élimination7 200 — pH = 7 ; 25 °C ; 2 log d’élimination9-12 (2 log d’élimination)
Ozone2,4 (4 log d’élimination)5-10 (2 log d’élimination)1,6 (4 log d’élimination)
UV60 (2 log d’élimination)30 (4 log d’élimination)

Tableau II

Analyses bactériologiques. Moyennes des résultats obtenus à partir d’une ressource karstique

MicroorganismesEau bruteEau filtrée stationPerméat UF
Coliformes totaux/100 ml140 ± 323 (7 à > 1 000)10 ± 19 (0 à 71)0
Coliformes fécaux/100 ml127 ± 328 (3 à > 1 000)7 ± 11 (0 à 35)0
Streptocoques fécaux/100 ml23 ± 46 (0 à 143)4,8 ± 10 (0 à 38)0

Tableau III

Essais d’ensemencements

MicroorganismesEau bruteConcentrations de l’eau bruteConcentration du perméatConditions opératoires
Pseudomonas diminuta (nb/l)Eau de surface 2,3 × 10⁶0 (4)Filtration tangentielle
Eau du réseau 2 × 10⁶0 (8)
Coliphages d’Escherichia coli (PFU/l)Eau de surface 4,6 × 10⁶0* (4)Filtration tangentielle
Eau du réseau 1,1 × 10⁷0* (4)
Kystes de Giardia (nb/l)Eau du réseau 5 × 10²0* (2)Filtration frontale

* Prélèvement d’1 m³.( ) Nombre d’échantillons.

Associées dans des modules dont la surface filtrante est de 7,2 m² ou de 50 m², les fibres creuses présentent un diamètre interne d’environ 0,8 mm. Pendant le fonctionnement, le débit d’alimentation (gavage), maintenu constant, correspond en production instantanée au débit d’eau ultrafiltrée (perméat). Selon la qualité de la ressource, deux modes de fonctionnement peuvent être mis en œuvre : frontal ou tangentiel ; dans ce dernier cas, une pompe de recirculation maintient une vitesse de balayage constante à l’intérieur des fibres. Des rétrolavages réguliers en fréquence et en durée assurent le décolmatage hydraulique des modules. L’installation fonctionne ainsi suivant une succession de cycles de production-rétrolavages, jusqu’à diminution de la perméabilité des membranes. Une opération de régénération des modules est alors effectuée.

Afin d’évaluer l’efficacité et la fiabilité de l’ultrafiltration vis-à-vis de l’élimination des microorganismes, un suivi régulier de la qualité de l’eau à la sortie de stations conventionnelles et d’unités d’ultrafiltration traitant la même eau a été réalisé sur plusieurs ressources, dont une eau souterraine de type karstique et une eau de surface, l’eau de Seine. Dans le premier cas, la chaîne de traitement est constituée d’une coagulation sur filtre et, dans le second cas, d’une préozonation (2 g/m³ pour un temps de contact de 8 min) suivie d’une coagulation-décantation et d’une filtration sur sable puis d’un affinage par ozone-filtration sur charbon actif en grains (CAG).

Les microorganismes qui ont été pris en compte durant cette étude sont les germes tests de contamination fécale (coliformes, streptocoques), les kystes de protozoaires (Giardia, Cryptosporidium) et les virus, notamment les bactériophages. La taille de ces microorganismes s’étend respectivement de 1 à 2 µm, 3 à 10 µm et 22 à 30 nm.

Les dénombrements bactériologiques ont été réalisés selon les normes AFNOR NF T90-414 et NF T90-416, utilisées respectivement pour les coliformes et les streptocoques.

Les quantifications virales ont été effectuées à partir d’échantillons d’un volume de 2 litres pour l’eau brute et d’1 m³ pour l’eau traitée. À cet effet, une concentration des échantillons a été réalisée sur poudre de verre par l’appareil de Vilagènes modifié par Schwartzbrod. Cette concentration est basée sur le principe d’adsorption des particules virales à pH acide sur des fibres, puis de leur récupération à pH alcalin. Le système cellulaire utilisé pour la détection des entérovirus est celui des cellules BGM. Les échantillons ont été inoculés jusqu’à l’épuisement du concentrat, dans un but quantitatif selon la technique du NPP. La détection et le dénombrement des phages d’Escherichia coli et de Shigella sonei ont été effectués en tant que témoins de contamination fécale. Ces bactériophages ont été isolés du même concentrat décontaminé uniquement au chloroforme et quantifiés selon la méthode de la double courbe d’après J.S. Glass et R.T. O’Brien.

Les quantifications de kystes de protozoaires ont été réalisées sur des échantillons de 2 litres pour l’eau brute et d’1 m³ pour l’eau traitée. Ceux-ci sont concentrés sur des cartouches en polypropylène de porosité nominale 1 µm. Les kystes sont ensuite récupérés et marqués par des anticorps monoclonaux spécifiques selon une technique d’immunofluorescence indirecte. L’analyse quantitative est effectuée par observation au microscope à épifluorescence.

Résultats

Élimination des bactéries

Le tableau II permet de comparer la qualité bactériologique observée (coliformes et streptocoques), dans le cas

d'une eau karstique, de l'eau brute et de l'eau ultrafiltrée et coagulée sur filtre, en termes de moyenne, écart-type et valeurs minimales et maximales. Ces résultats, obtenus sur une quinzaine de valeurs pendant un an, montrent que l’eau filtrée par la station donne des valeurs moyennes supérieures à la concentration maximale admissible, alors qu’aucun de ces germes n’est retrouvé après ultrafiltration.

Les concentrations en coliformes totaux et streptocoques fécaux de l’eau de Seine au niveau de Paris sont comprises respectivement entre 10² et 2 × 10⁵, et 5 × 10² et 4 × 10⁴/100 ml. Le suivi réalisé sur le perméat d’ultrafiltration montre que les bactéries contenues dans l’eau brute sont parfaitement arrêtées par les membranes d’ultrafiltration (figures 3 et 4). Ces paramètres ont également été mesurés sur deux eaux traitées de l’usine : l’eau issue des filtres à sable et l’eau issue des filtres CAG de l’affinage. Une comparaison avec la qualité du perméat met en évidence une absence complète de pollution bactériologique dans le perméat, tandis que des coliformes et des streptocoques sont souvent dénombrés à la sortie des filtres à sable, parfois en quantité importante (jusqu’à 200 coliformes/100 ml).

Élimination des kystes de protozoaires

Le nombre de kystes contenu dans l’eau de Seine varie entre 5 et 25 kystes pour les Giardia et de 4 à 10 kystes/l pour les Cryptosporidium.

Durant les 18 mois de suivi de la station d’ultrafiltration et de la chaîne classique, aucun kyste n’a été détecté dans le perméat (figure 5).

Par contre, sur 8 prélèvements réalisés, l’eau filtrée sur sable s’est révélée contaminée deux fois par des Giardia et une fois par des Cryptosporidium. Des Giardia ont été décelés à deux reprises sur l’eau sortie de la station, à hauteur de 0,01 à 0,02 kyste/l.

La filière conventionnelle, malgré sa complexité, délivre donc, pour ce paramètre, une eau douce de moins bonne qualité que l’ultrafiltration.

Élimination des virus

La concentration en Coliphages de l’eau de Seine est comprise entre 10 et 150/l, celle en phages de Shigella variant entre 400 et 6 000. La quantité d’entérovirus varie entre 1 et 60 particules/l.

Le suivi comparatif réalisé durant deux années sur l’eau ultrafiltrée, l’eau filtrée sur sable et l’eau traitée à la sortie de la filière classique montre que l’ultrafiltration assure une élimination complète des particules virales (figure 6), tandis que les traitements conventionnels sont moins efficaces.

En effet, sur huit prélèvements, des phages d’Escherichia coli et de Shigella ont été décelés, respectivement deux et six fois dans l’eau filtrée sur sable. De plus, la contamination par les phages de Shigella peut atteindre 5 phages/l.

De même, sur cette série (figure 7) des entérovirus ont été détectés sept fois sur l’eau filtrée sur sable et trois fois sur l’eau en sortie de la filière conventionnelle. Cette contamination à la sortie de la station a atteint la valeur de 25/l par m³ ; la filière conventionnelle délivre donc une eau de moins bonne qualité que celle issue du traitement d’ultrafiltration. Celle-ci élimine complètement entérovirus et bactériophages, ce qui correspond à un abattement de 4 log pour les phages de Shigella.

Conclusion

L’ultrafiltration assure une élimination complète des microorganismes, bactéries, protozoaires, phages, entérovirus, indépendamment de la qualité de l’eau brute. Des expériences d’ensemencement (tableau III) ont été effectuées avec chacun de ces microorganismes dans l’eau du réseau ou l’eau de ressource naturelle (eau de Seine), sur des membranes neuves ou ayant subi une régénération chimique. Des bactéries de type Pseudomonas diminuta, des phages d’Escherichia coli et des kystes de Giardia ont été introduits à des concentrations respectives de 2 × 10⁶/l, 1,1 × 10⁷ ou 4,6 × 10⁶/l et 5 × 10⁵/l. Aucun kyste, virus ou bactérie n’a été détecté dans le perméat. Les abattements constatés sur les différents microorganismes s’élèvent à 6 U.L. pour les bactéries, 5 U.L. pour les protozoaires, 9 U.L. pour les virus. Ces expériences montrent que la membrane utilisée seule constitue un filtre absolu pour les microorganismes libres contenus dans l’eau.

Les résultats présentés mettent en évidence le fait que l’ultrafiltration assure une complète élimination des microorganismes, qu’il s’agisse de bactéries, protozoaires ou virus, et qu’elle offre une meilleure garantie de qualité bactériologique que les chaînes de traitement conventionnelles, au niveau desquelles des pollutions microbiologiques sont fréquemment détectées à la sortie des chaînes.

De plus, l’effet stérilisant des membranes d’ultrafiltration est indépendant de la qualité de l’eau brute et du débit de production.

[Photo : Dénombrement d’entérovirus dans l’eau de Seine brute et traitée. Comparaison ultrafiltration/traitements conventionnels.]
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