Le champ d’application de l’ultrafiltration s’est élargi depuis ces dernières années par la mise en place de modules et de membranes performants et industriels.
À travers deux exemples de réalisation, nous nous proposons de répondre aux deux questions suivantes :
- - comment traiter une pollution aqueuse à sa source ?
- - peut-on, après traitement, réutiliser in situ une eau résiduaire (ayant en quelque sorte déjà « travaillée ») ?
TRAITEMENT À LA SOURCE D’EAUX RÉSIDUAIRES DE L’INDUSTRIE DU TEXTILE PAR ULTRAFILTRATION
Avant-propos
Les fils et fibres synthétiques sont, au cours de leur fabrication ou au cours des traitements qu’on est amené à leur faire subir (étirage, texturation par exemple), directement ou indirectement mis en contact avec des huiles dites d’« ensimage ». Ces préparations peuvent s’appliquer sous forme d’huiles anhydres à viscosité précise ou sous forme d’émulsions aqueuses à base de mélanges de cires, d’huiles et produits divers.
Ce sont les huiles, les émulsions et les eaux de lavage qui constituent l’essentiel de la pollution aqueuse d’une usine textile ; aussi, est-il nécessaire de séparer, par un moyen quelconque, la matière grasse de l’eau avant de pouvoir la brûler sous forme concentrée et renvoyer vers le milieu naturel l’eau résiduaire ainsi épurée.
Comment abattre la pollution : à sa source ou sur la totalité des flux ?
Le choix de l’une ou l’autre des solutions n’est pas toujours une évidence. Pour la première solution, on peut lui reprocher la multiplicité des investissements, des postes de surveillance, la remise en cause de tous les systèmes de collecte ; la seconde a pour elle la prise en compte de la totalité des flux, une gestion centralisée, mais souvent à quel prix et quel manque de souplesse !
Dans l’exemple évoqué ici on a, dans un premier temps, envisagé une collecte séparée des eaux résiduaires et des eaux non polluées, l’ensemble des eaux résiduaires ainsi collectées allant vers un traitement global. Le procédé envisagé ne pouvait être, à l’époque des premières estimations, qu’un cassage chimique suivi d’une floculation-décantation. Cette technique conduisait à un bon rendement d’épuration et était bien connue de l’homme de l’art ; elle présentait néanmoins les inconvénients suivants :
- — du point de vue technique, une forte production de boue, une consommation de réactifs importante, une conduite peu aisée,
- - du point de vue financier, un investissement et des frais d’exploitation importants.
Au point de vue psychologique, c’était en quelque sorte un « tout-à-l’égout » rejetant la solution hors de l’atelier et vers d’autres responsables. Une action volontariste de la direction de l’usine est allée vers la recherche de solutions au plus près de l’atelier, de manière :
- - à diminuer les frais d’investissement et d’exploitation,
- - à améliorer les rendements d’épuration,
- - à capter et traiter la pollution au plus près de sa source avec, si possible, des traitements s’intégrant dans le processus de fabrication et, à la limite, exploités par le pollueur lui-même.
Il a fallu pour cela que l’usine restructure la collecte des effluents, modifie certains processus opératoires, convainque les responsables de production que le traitement des eaux résiduaires pouvait être de leur compétence et de leur responsabilité.
Enfin, une collecte aussi parcellaire a nécessité une étude technique de chaque flux afin d’y apporter la meilleure solution.
Les techniques envisageables et adoptées
Pour ce type d’effluent, on retient généralement : la décantation, le cassage thermique de l’émulsion suivi d’une décantation, le cassage chimique ou physicochimique, l’absorption, la coalescence, l’ultrafiltration.
Après modification des réseaux et des systèmes de collecte, de certains processus opératoires, un choix réfléchi de la meilleure association collecte — traitement des rejets, des essais laboratoire et pilotes, nous avons retenu (schéma 1) :
- — une première collecte avec épuration par ultrafiltration automatisée s'intégrant parfaitement dans le processus de fabrication (Ligne A),
- — une seconde collecte avec épuration par traitement thermique et décantation (Ligne B).
Installation industrielle d’ultrafiltration
Concerne les effluents aqueux concentrés du secteur filature comprenant :
- — les métiers de filature : lavage, rinçage des circuits, vidange des fonds de cuve, égouttures,
- — atelier de préparation des ensimages : lavage, rinçage des cuves, du matériel de dosage et de pesée, vidange des fonds de cuves et, exceptionnellement, la vidange des préparations hors normes ou des émulsions cassées accidentellement,
- — machine à laver les sols, vidanges : ces effluents contiennent du détergent, beaucoup de MES et d’huile d'ensimage qui se sont déposés sur le sol. La qualité et la concentration en huile de l'effluent sont très variables (environ 40 produits différents sont manipulés dans l’atelier de préparation) et la concentration en huile varie de 2 à 10 %,
- — un ensemble de collecteurs, puis :
- • une station de dégrillage équipée d'une toile à mailles de 3 mm destinée à retenir les amas de fils, etc.,
- • un filtre à bande, à avance automatique, qui retient toutes les particules d'un diamètre supérieur à 45 microns,
- • une cuve de stockage de 6 m³,
- — l’ultrafiltration proprement dite qui se fait à travers un module UFP 22 de Rhône-Poulenc, travaillant à une température de l'ordre de 25 à 40 °C. L'effluent à ultrafiltrer est prélevé dans deux réservoirs de 6 m³ montés en parallèle : l'un est en cours de remplissage pendant que l'autre est ultrafiltré.
Lorsque la concentration est terminée, le concentré est évacué de l'appareil et un cycle de lavage automatique des membranes a lieu, puis l’installation est disposée pour opérer une nouvelle concentration de 6 m³. Toutes les opérations sont automatiques (arrêts, démarrages, contrôle, déclenchement des opérations d’ouverture/fermeture des vannes, etc.).
Performances obtenues (en service continu depuis trois ans) :
a) Poste « Ultrafiltration » ..................................................... 266 F/t.DCO détruite Poste « Incinération » (du concentrat UF) .............................. 358 F/t.DCO Total ...................................................................................... 624 F/t.DCO b) Poste « Cassage thermique » (270 F + 40 F incinération) ..... 310 F/t.DCO
* Coût de la destruction en centre spécialisé .......................... 215 F/m³ d'effluent Coût du transport pour incinération .................................... 81 F/m³ Coût réel (soit 358 F/t.DCO) ................................................. 296 F/m³ Aide de l'Agence de Bassin : 50 % ........................................ 148 F/m³
• Abattement DCO ............ 95 % • Abattement MES .......... 100 % • DCO traitée ....................... 500 kg/j • DCO éliminée ................. 475 kg/j
Éléments de coûts
— Investissements :
- - 1er projet : Traitement global ............................. 2 000 KF
- - 2ᵉ projet : Traitement à la source ............................ 400 KF
— Frais d'exploitation 1982 (ramenés à la tonne de DCO détruite, hors amortissement) ....................... 624 F/t.DCO
Remarque : Une analyse des coûts de fonctionnement (hors amortissement) effectuée en 1981 sur plusieurs stations d’épuration biologique et physico-chimique de l’industrie chimique française et étrangère conduit aux observations suivantes :
- Épuration biologique : de 950 à 3 000 F/t de DCO traitée avec une moyenne autour de 1 600 F/t.
- Épuration physicochimique : de 500 à 50 000 F/t de DCO traitée.
Conclusion :
Incontestablement, le traitement dit « à la source » doit, quand on le peut, être préféré au « tout-à-l’égout – traitement global » ; s’il conduit à des techniques apparemment plus sophistiquées, l’expérience nous a montré que l’accès à l’automatisme, l’intégration à l’atelier, la prise en compte des responsabilités sont mieux maîtrisés et, finalement, l’investissement est mieux exploité, les performances supérieures.
LE RECYCLAGE DES EAUX D’IMMEUBLES
APPLICATION À LA CHIMIE
La réglementation japonaise impose aux constructeurs d’immeubles, à Tokyo, la mise en place de dispositifs permettant un traitement et une réutilisation d’au moins la moitié des eaux utilisées.
Concrètement, les dispositions généralement adoptées sont les suivantes : les eaux potables utilisées pour les lavages, la cuisine, la toilette sont, après utilisation, collectées, purifiées, stérilisées et renvoyées vers les chasses d’eau des W.C. ; les eaux souillées ainsi obtenues retournent généralement vers les collecteurs pour être traitées dans la station municipale (schémas 2 et 3).
Les techniques mises en place
Très souvent installés dans les sous-sols d’immeubles, les dispositifs retenus procèdent soit de l’oxydation biologique, soit de traitements physicochimiques comme la filtration, la floculation-décantation, l’adsorption, l’ultrafiltration, l’osmose inverse. Les contraintes de place, d’hygiène et d’efficacité condamnent l’oxydation biologique avec bassin ouvert, la floculation-décantation.
Principe du procédé R.P. retenu par la Société MITSUI – TOKYO
L’oxydation biologique des matières organiques dissoutes dans l’eau par les micro-organismes aérobies est bien connue. On sait par ailleurs que les techniques d’ultrafiltration permettent de débarrasser une eau de tous éléments vivants : bactéries, champignons, virus.
L’association de ces deux techniques, dans la mesure où l’on fournit l’oxygène nécessaire à l’entretien d’une vie bactérienne, doit permettre l’élimination de la pollution organique dissoute (par la charge bactérienne qui s’y développe) et la stérilisation (par l’élimination de toutes bactéries, tous virus naturellement présents dans l’effluent traité). Si on ajoute à cela que l’excédent d’énergie nécessaire à la recirculation du fluide dans l’ultrafiltre est utilisé, par un système auto-aspirant, pour le transfert d’oxygène dans le liquide, que l’ensemble eau traitée et bactéries circule à grande vitesse à travers le réacteur bactérien, la pompe de recirculation et le module d’ultrafiltration, on a ainsi décrit l’ensemble du procédé.
Un tel dispositif trouve son intérêt d’une part dans l’obtention d’une eau de haute qualité et stérile, et d’autre part dans la possibilité d’aboutir à une installation complètement fermée (hygiène assurée), compacte (le mètre carré coûte moins cher) tout en garantissant une efficacité maximale.
cher à Tokyo), de conduite sûre et rendue automatique.
Matériels installés
L'ensemble de l'installation comprend généralement les postes suivants : stockage des effluents, dégrillage grossier, dégrillage fin, un ensemble réacteur fermé - pompe de recyclage - module d’ultrafiltration, stockage des eaux propres avant renvoi pour eau sanitaire avec, si besoin, un poste de chloration.
Performances réalisées
Abattements :
- — MES : 100 %
- — Germes totaux, virus, bactéries : 100 %
- — DBO₅ : 95 %
- — DCO : 90 %
- — Flux traité : 100 l/h/m².
- — Nettoyage des membranes : il peut être programmé à volonté, une fois par jour ou une fois par semaine.
- — Énergie : environ 4 kW au m³ d'eau traitée.
Éléments de coûts
Coûts 1982, pour un immeuble de Tokyo et une installation encore en cours de mise au point (amortissement compris) :
Eau d’alimentation (potable) .......... 9,00 Épuration publique ................. 6,25 Coût total .......................... 15,25 Eau propre après procédé ultrafiltration/oxydation biologique ...... 10,25
d’où ∆ = 5 F/m³
L'intérêt d'une telle démarche est clair :
- — réutiliser une eau de qualité suffisante pour l'usage qu’on lui demande (pousse à l'eau), mais de coût nettement inférieur,
- — traiter au plus près de l’émission ; responsabiliser les utilisateurs,
- — mieux utiliser un sol urbain coûteux.
Où et comment s’applique un tel procédé ?
Il peut être employé dans les conditions suivantes :
- — traitement d’eaux résiduaires à haut risque, issues d’hôpitaux, de laboratoires de biochimie, d’animaleries, etc.,
- — traitement d’eaux résiduaires face à des contraintes de rejet sévères telles que ostréiculture, pisciculture, zones protégées marines ou montagnardes,
- — traitement des effluents dans les régions où l’eau est rare ; le rejet dépollué et stérile peut trouver certaines applications telles que recyclage et sanitaire, arrosage, lavage...,
- — l’aspect modulaire, compact, du procédé peut lui permettre de trouver facilement sa place au droit d'un procédé industriel et faire ainsi partie intégrante du système de production,
- — traitement d’eaux résiduaires de petites collectivités : navires, immeubles, transports en commun,
- — tout traitement d’eaux résiduaires conduisant à des difficultés techniques telles que bulking, variations de charges : laiteries, conserveries, industries agro-alimentaires, etc. Là encore, on peut envisager théoriquement une réutilisation de l'eau,
- — concentration d’eaux résiduaires ou potables à des fins d’analyses. Plusieurs mètres cubes d’eau peuvent être concentrés sur plusieurs heures ou plusieurs jours, tout en représentant rigoureusement une partie aliquote réelle du rejet total. L’ensemble des germes, virus, bactéries, parfaitement retenus, seront facilement comptabilisés dans le concentrat,
- — utilisation d’organismes épurateurs, mais de décantation délicate (bactéries filamenteuses par exemple). L’ultrafiltre ne redoute aucune difficulté de séparation et l’on peut penser, au vu des rendements, à une meilleure utilisation de l’oxygène, à une conservation de substrats enzymatiques favorables à l'épuration.
Applications à la chimie
Conclusion
On considère généralement comme non rentable toute opération de traitement d'une eau usée aux fins de réutilisation ou de recyclage. Mais a-t-on toujours bien fait l’enveloppe totale du coût de la préparation de l’eau à usage industriel, de son traitement avant renvoi au milieu récepteur et des avantages que peut procurer une maîtrise complète des eaux utilisées ?
L'exemple cité plus haut se réfère à une réutilisation judicieuse d'eau résiduaire domestique. L’extension à de nombreuses opérations de l’industrie chimique peut être envisagée ; ainsi par exemple, bien des opérations de lavage (phase organique, cristaux), de précipitation, de déplacement de phase, etc., généralement effectuées en circuit ouvert, pourraient être revues dans une optique de réutilisation des eaux après traitement total ou partiel.
Autre exemple encore possible : celui de l’industrie agro-alimentaire, forte consommatrice d’eaux de lavage, lesquelles doivent souvent conserver leur aspect de stérilité, qualité garantie par ultrafiltration.