Dans de nombreux départements de l’ouest et du sud de la France ainsi que dans la région parisienne, les eaux de surface constituent une ressource essentielle pour la production d’eau potable. En raison de la pollution importante de certaines de ces eaux de surface, les traitements classiques de clarification sont nettement insuffisants pour assurer une production d’eau potable conforme aux exigences sanitaires. C’est pourquoi les traitements oxydants sont de plus en plus souvent utilisés, parfois à différents niveaux de la chaîne de traitement, éventuellement associés à d’autres traitements tels que l’utilisation du charbon actif (figures 1 et 2). Le chlore a été longtemps le seul réactif introduit en tête de traitement afin d’éliminer l’azote ammoniacal et désinfecter partiellement l’eau avant la décantation, l’ozonation étant quant à elle largement utilisée en traitement final de stérilisation. Or, la mise en évidence de composés organochlorés indésirables, notamment les trihalométhanes (1) (2) a remis en cause la pratique de la chloration en prétraitement, et l’on assiste depuis plusieurs années au remplacement du chlore par d’autres oxydants tels que l’ozone qui offre, par rapport au chlore, de nombreux avantages.
L’OZONE
L’ozone est un oxydant puissant, dont le potentiel Redox est égal à 2,07 volts. Sa solubilité dans l’eau varie avec les conditions du milieu telles que la température, la pression et le pH. Sa synthèse peut s’effectuer selon trois techniques :
- — décharge électrique dans l’air ou l’oxygène,
- — électrolyse de l’eau,
- — irradiation ultraviolette d’air ou d’oxygène.
La première technique est la plus efficace ; c’est également la plus employée en traitement des eaux, l’ozone étant le plus souvent produit par décharge électrique dans l’air filtré et desséché. Le point de rosée doit être inférieur à −50 °C afin de ne pas altérer le rendement et la durée de vie du générateur d’ozone (figure 3).
En général, l’ozonation s’effectue dans deux colonnes de contact dans lesquelles l’eau transite successivement ; leur hauteur de 4 mètres offre un excellent transfert de l’ozone dans l’eau. La diffusion s’effectue par l’intermédiaire de poreux tubulaires ou plans disposés sur le radier. Cependant, l’air ozoné peut être introduit dans le
premier compartiment grâce à des turbines ou des injecteurs. Dans la première colonne, l'eau circule à contre-courant avec le gaz ozoné et y séjourne en moyenne deux minutes, ce qui doit permettre d’obtenir un résiduel d’ozone dissous de 0,4 mg/l à la sortie. Dans la deuxième colonne, eau et air ozoné circulent dans le sens du courant ; le temps de séjour moyen est de 4 minutes, c’est la phase principale de la désinfection de l'eau. Le maintien d'une valeur résiduelle de 0,4 mg/l est nécessaire pour obtenir une désinfection satisfaisante. L’ozone est employé à forte concentration dans l’air (15 à 20 g O3/m³ air). Par mesure de prudence, les temps de contact sont souvent allongés jusqu’à atteindre 10 à 12 minutes.
LA PLACE DE L’OZONATION
Son introduction peut être effectuée à différents niveaux dans la filière du traitement, comme l’indique le schéma ci-dessous.
ROLE DE L’OZONE EN PRETRAITEMENT
Lors de la pré-ozonation des eaux de surface, l’ozone va oxyder certains composés minéraux et organiques, ce qui se traduira essentiellement par une amélioration du goût, de l’odeur, de la couleur et par une diminution de la turbidité.
Des composés organiques, d’origine naturelle ou synthétique, peuvent être la source de goûts, d’odeurs et de coloration des eaux de surface : les composés naturels, souvent responsables de la couleur brun-jaunâtre des eaux de surface, sont essentiellement des substances humiques ou fulviques encore mal définies, de masse molaire élevée et de structure polyaromatique. Les composés synthétiques tels que les phénols, les chlorophénols, les hydrocarbures, les pesticides peuvent être responsables de mauvais goûts. Des métabolites d’actinomycètes ou d’algues, tels que la géosmine et le méthyl-2-isobornéol peuvent être à l’origine de goûts de moisi très prononcés. Parmi ces composés, ceux dont la structure comporte des liaisons insaturées seront plus ou moins oxydés par l’ozone.
Par ozonation, le fer ferreux est également rapidement oxydé en fer ferrique, qui s’hydrolyse et précipite sous forme d’hydroxyde ferrique. Le manganèse divalent est de même oxydé en ions manganiques qui forment rapidement du dioxyde de manganèse insoluble. D’autres éléments minéraux, tels que des cyanures, des sulfures ou des nitrites, peuvent être oxydés par l’ozone. Les ions cyanurés toxiques seront rapidement oxydés en cyanates, moins toxiques puis lentement transformés en CO2 et en azote pour des taux de traitement suffisants. Les ions sulfure facilement oxydés en soufre, seront éventuellement transformés en sulfites, puis en sulfates selon le taux d’ozonation appliqué et le temps de contact. D’une manière générale, la plupart des métaux lourds peuvent être oxydés à un degré d’oxydation supérieur, ce qui peut permettre leur élimination par formation d’oxydes ou d’hydroxydes souvent insolubles. Par contre, l’azote ammoniacal (NH3) ne sera pas éliminé par un traitement de pré-ozonation, alors que la chloration au « break-point » assure sa destruction. On peut toutefois noter que la pré-ozonation apportera l’oxygène nécessaire aux processus de nitrification biologique qui interviendront dans le lit de boue des floculateurs et au sein des filtres placés en aval du traitement.
Un faible taux d’ozonation, de l’ordre de 0,5 à 1 g/m³ améliore de façon significative la floculation. Ceci a été démontré lors d’essais réalisés sur la station de traitement d'eau du Syndicat des communes de la banlieue de Paris exploitée par la Compagnie Générale des Eaux à Choisy-le-Roi (3). Comparativement au taux de coagulant habituellement mis en œuvre (30 mg/l de WAC), l’utilisation de 0,8 mg/l d’ozone et de 15 à 20 mg/l de WAC donnera une élimination similaire de la turbidité, de l’absorption en UV à 254 nm, et des particules supérieures à 1 µm (figures 4, 5 et 6). Ces effets seront obtenus sans augmenter la quantité d’ozone totale utilisée dans la station de traitement (4). L’ajout d’ozone en
[Photo : Fig. 4. - Pourcentage de réduction de la turbidité en fonction du taux d’ozonation et de coagulant (Turbidité Dratz-Gomella) [d’après B.M. Saunier (4)].] [Photo : Fig. 5. - Pourcentage de réduction de l’absorption en UV à 254 nm en fonction du taux d’ozone et de coagulant (Spectrophotomètre UNICAM SP 1750) [d’après B.M. Saunier (4)].] [Photo : Fig. 6. - Pourcentage de réduction du nombre de particules en fonction du taux d’ozone et de coagulant (Analyseur de particules HIAC PC 320) [d’après B.M. Saunier (4)].]tête de traitement, diminue la quantité d’ozone nécessaire pour la désinfection finale.
ACTION COMBINÉE DE L’OZONE ET DU CHARBON ACTIF EN GRAINS
Dans une filière de traitement d’eau potable, le charbon actif en grains remplit un double rôle vis-à-vis des composés organiques présents dans l'eau :
— assurer une adsorption physique de ces composés,
— développer une population bactérienne fixée sur les grains de charbon et susceptible d’assurer la dégradation des composés biodégradables.
Des conditions favorables pour un traitement biologique aérobie sont créées lors de l’étape amont d’ozonation, d'une part en raison de l’augmentation de la quantité de composés organiques biodégradables et d’autre part du fait de l’augmentation de la concentration en oxygène dissous (5), (6), (7).
L'expérimentation présentée sur la figure 7 est effectuée sur un échantillon d’eau de Seine filtrée. L’ozonation est réalisée pendant quatre minutes avec une concentration en ozone dans l’air égale à 13 mg/l. Les échantillons sont ensemencés par des boues activées (MES = 30 mg/l) et la durée d'incubation est égale à 90 heures en milieu clos et à 20 °C. Après incubation les échantillons sont filtrés sur membrane (0,22 μ) puis analysés par HPLC après enrichissement de traces. L’étude de l’évolution chimique de la micropollution organique à ce stade d’ozonation montre également :
— un abattement de l’absorption en U.V. (250 nm et 270 nm) de 50 % indiquant une dégradation rapide des composés aromatiques et probablement l’oxydation de certains composés insaturés (figure 8). D’une manière générale, les composés insaturés ou présentant une insaturation isolée (électrons π) tels que les éthyléniques, les aldéhy-
[Photo : Fig. 7. - Évolution de la biodégradabilité en 90 heures des composés organiques analysables par HPLC et contenus dans un échantillon d'eau de Seine filtrée sur sable et ozonée à différents taux de traitement (T) [d’après R. Brunet (6), (7)].] [Photo : Fig. 8. - Évolution de l’abattement de l’absorption en UV à 270 nm en fonction du taux d’ozone (spectrophotomètre CARY 15) [d’après R. Brunet (6)].]des, cétones et acides saturés, possèdent une faible absorption moléculaire et absorberont peu dans le proche ultraviolet.
La présence d'une conjugaison (π-π) diminue l'énergie nécessaire pour créer les transitions électroniques ; c'est le cas des oléfines conjuguées (>C = C–C =C<), des groupements carbonyles conjugués (–C = C–C=O–), et des systèmes aromatiques.
Lors de la mesure de l'absorption en U.V. de mélanges complexes tels que les eaux étudiées, les alcools, les aldéhydes, les cétones et les acides saturés ne présenteront pas une absorption suffisante pour être pris en compte de manière significative ; par contre, l'évolution de l'absorption aux longueurs d’onde étudiées pourra être attribuée aux systèmes conjugués et en particulier aux composés aromatiques.
— une dégradation des composés précurseurs de trihalométhanes montrant l'oxydation de composés de type polyhydroxyaromatiques pouvant provenir d’acides humiques ou fulviques non éliminés totalement par les étapes précédentes du traitement (6) (7) (figure 9). En effet, les précurseurs de la réaction haloforme peuvent être classés en deux catégories selon leur structure chimique :
— les méthylcétones de réactivité maximale avec le chlore et l’iode en milieu basique (8) ;
— les polyhydroxybenzènes du type résorcinol, très réactifs avec le chlore en milieu neutre (9).
L’étude de l'évolution de la concentration en iodoforme obtenue par traitement à l'iode en milieu basique d'un échantillon d’eau montre par contre une augmentation de la concentration en iodoforme, ce qui signifie probablement que des précurseurs de type méthylcétones sont formés en cours d'ozonation.
— une augmentation de la polarité de la matière organique due à la dégradation des composés organiques apolaires et peu polaires en composés polaires. Cette action de l'ozone peut être négative car elle va diminuer l'adsorbabilité des composés organiques sur le charbon actif.
— un faible abattement de la teneur en carbone organique total indiquant que dans les conditions pratiquées de l'ozonation, la dégradation totale des composés organiques est limitée (figures 10 et 11). Les évolutions de C.O.T. obtenues par ozonation d’échantillons d’eau de Seine et d'Oise décantés et filtrés sur sable conduisent à des abattements de l'ordre de 10 % pour des taux d'ozonation de 1 à 3 mg/l.
Une dégradation plus poussée de la micropollution peut être envisagée en favorisant les réactions radicalaires par des procédés d’oxydation combinés tels que l’ozonation en présence de rayonnements ultraviolets ou avec l'adjonction de peroxyde d'hydrogène (10).
ACTION DÉSINFECTANTE DE L’OZONE
Diverses études (11), (12), (13), (14), (15), ont permis de dégager les paramètres qui ont été et sont
toujours couramment appliqués dans les stations de traitement d’eau potable lorsqu’une désinfection par l’ozone est désirée. Plusieurs chercheurs français travaillant sur des suspensions de virus de la poliomyélite de type I, ont mis en évidence les conditions de désinfection consistant à maintenir un résiduel d’ozone dissous de 0,3 mg O₃/l pendant un temps minimum de 4 minutes. Des expérimentations complémentaires sur d’autres types de germes tant bactériens que viraux ont montré que ces conditions étaient suffisantes mais nécessaires (figure 12). Pour plus de sécurité, dans les stations de traitement d’eau potable françaises, la concentration résiduelle en ozone dissous dans l’eau est fixée à 0,4 mg/l.
Comme dans tout traitement de désinfection de l'eau, des résultats satisfaisants ne sont obtenus que si le transfert de l’ozone dans l'eau est bon et si l'adaptation aux variations qualitatives et quantitatives de l'eau est correctement réalisée.
Un mauvais transfert de l’ozone dans l'eau peut être dû à une hauteur d'eau trop faible dans les colonnes, à une mauvaise hydraulique des colonnes de contact (passages préférentiels), le cas le plus fréquent étant une mauvaise diffusion du gaz ozoné : le nombre et la porosité des diffuseurs poreux ne sont pas adaptés au débit et à la pression du gaz ozoné ainsi qu’à la contre-pression due à la hauteur de colonne d'eau ; les bulles sont par voie de conséquence en nombre et/ou taille incorrects, alors que les bulles d’air ozoné doivent être bien réparties dans tout le volume de la chambre de contact. Ceci peut être dû à une erreur de conception au départ mais également à un colmatage progressif des pores des diffuseurs. Il est donc nécessaire de nettoyer périodiquement et parfois de remplacer le système de distribution et de diffusion de l'ozone dans l'eau.
En ce qui concerne l’adaptation aux variations qualitatives et quantitatives de l'eau, le système d’ozonation doit être assez souple, de façon à pouvoir fournir proportionnellement une quantité d’ozone entraînant dans tous les cas un résiduel d’ozone de 0,4 mg/l. Cependant, si l'eau contient des particules dont la taille excède plusieurs dizaines de microns, il sera difficile d’obtenir une eau d’excellente qualité bactériologique, les micro-organismes ayant tendance à s'agglomérer aux matières non dissoutes dans l’eau d’où il s’ensuit un effet de protection contre l’action des désinfectants. Il est donc important d'éliminer ces particules avant ozonation.
L'ozone peut être employé comme seul moyen de désinfection d'une eau mais uniquement si les qualités originelles de cette eau sont bonnes, si le temps de séjour de l'eau dans les canalisations est court et le réseau de distribution récent ou en excellent état. Dans le cas contraire, il est nécessaire d’ajouter à titre préventif un désinfectant aux propriétés rémanentes : chlore – bioxyde de chlore, mais à des doses faibles ce qui n’entraînera pas de conséquences significatives sur la qualité de l'eau distribuée. Cependant, il est alors préférable d'introduire le chlore ou le bioxyde après totale consommation de l’ozone résiduel, afin d’éviter une interaction des deux désinfectants donc une surconsommation de réactifs.
CONCLUSION
En conclusion, si le berceau de la désinfection par l’ozone est français puisque cette méthode est utilisée industriellement pour désinfecter l’eau à Nice, depuis 1907, son emploi s’est largement répandu dans le monde. Actuellement plusieurs millions de mètres cubes d'eau sont ozonés chaque jour. Parmi les plus grandes stations de traitement d’eau utilisant la désinfection par l’ozone, peuvent être citées des usines à Moscou (1 200 000 m³/j), à Montréal (1 200 000 m³/j), à Choisy-le-Roi (800 000 m³/j) et à Méry-sur-Oise (270 000 m³/j).
L'introduction de l’ozone s’effectue de plus en plus à différents niveaux de la chaîne de traitement (ozonation étagée), ce qui entraîne une amélioration de la qualité de l'eau traitée et en particulier de sa qualité bactériologique. Cette amélioration se traduit, entre autres, par une nette régression des multiplications bactériennes dans les longs réseaux de distribution autrefois difficiles à maintenir aux niveaux des normes de l’hygiène publique (16).
REFERENCES
(1) Bellar (R.A.), Lichtenberg (J.J.), Kroner (R.C.). Water Works Assoc., déc. 1974, p. 703.
(2) Rooks (J.J.). Water Treatment and Examination, n° 2, 1974, p. 234.
(3) Saunier (B.M.), Selleck (R.E.), Trussel (R.R.). Proceedings AWWA 1982 Annual Conference, Miami Beach, 16-20 mai 1982. Part II, p. 1091.
(4) Chedal (J.). Ozone Technology and Its Practical Applications, A. Netzer and R. Rice ed. – Ann Arbor, Ann Arbor Sciences Publishers, 1982.
(5) Brunet (R.). Thèse 3° cycle (chimie appliquée), Poitiers, 15 déc. 1981, n° 833.
(6) Brunet (R.), Bourbigot (M.M.), Doré (M.). Ozone Science and Engineering, vol. 4, n° 1, p. 15.
(7) Brunet (R.), Bourbigot (M.M.), Legube (B.), Doré (M.). Aqua, n° 4, 1980, p. 76.
(8) Doré (M.), Goichon (J.). Water Research, 1980, p. 657.
(9) De Laat (J.). Thèse 3° cycle (chimie appliquée), Poitiers, sept. 1981, n° 878.
(10) Brunet (R.), Bourbigot (M.M.), Doré (M.). Communication au 6° Congrès mondial de l'ozone, Washington, 22-25 mai 1983 (à paraître dans Ozone Science and Engineering).
(11) Coin (L.), Hannoun (C.), Gomella (C.). La Presse Médicale, 12 sept. 1964, p. 2153.
(12) Coin (L.), Gomella (C.), Hannoun (C.), Trimoreau (J.-C.). La Presse Médicale, 23 sept. 1967, p. 1883.
(13) Drapeau (A.J.), Paquin (G.). Eau du Québec, avr. 1977, p. 95.
(14) Légeron (J.P.). Ozone Technology and Its Practical Applications, A. Netzer and R. Rice ed. – Ann Arbor, Ann Arbor Science, 1982.
(15) Légeron (J.-P.), Perrot (J.-Y.). L'Eau et l'Industrie, oct. 1981, p. 61.
(16) Bourbigot (M.M.), Dodin (A.), Lhéritier (R.). Proceedings AWWA 1982 Annual Conference, Miami Beach, 16-20 mai 1982. Part II, p. 871.