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L'oxydation avancée optimisée des effluents liquides par l'oxygène. Le peroxyde d'hydrogène ou l'ozone

30 septembre 1993 Paru dans le N°166 à la page 105 ( mots)
Rédigé par : Gilles RABERGEAU, Brigitte BOISSELIER, Jean-françois PETRIGNANI et 1 autres personnes

Le traitement des effluents aqueux par les oxydants propres : oxygène, peroxyde d'hydrogène et ozone, utilisés seuls ou judicieusement activés, permettent d'atteindre des niveaux d'abattement de la pollution compatibles avec les exigences les plus sévères. L'optimisation de l'oxydation avancée permet de minimiser le coût global du traitement. Cependant, devant la complexité et la spécificité des rejets industriels, cette optimisation requiert une étude approfondie au cas par cas du stade laboratoire au stade du pilote.

Préserver notre écosystème, respecter les normes de rejet, dépolluer les eaux usées industrielles : des orientations claires apparaissent face à un ensemble complexe de problèmes et de solutions, qui doivent tenir compte, entre autres, de la diversité des effluents, de la variété des objectifs et de la multiplicité des procédés de traitement.

Les filières classiques de traitement physicochimiques, biologiques ou encore l’incinération ont démontré qu’elles pouvaient atteindre une large part des objectifs fixés, après une évolution intervenue grâce à des efforts considérables de recherche et de développement répondant aux exigences croissantes de la protection de l’environnement. Force est cependant de constater qu’il faut aujourd’hui avoir recours à des techniques complémentaires de traitement, soit pour détruire les déchets engendrés tels que les boues ou les cendres, soit pour aider ou compléter la destruction des éléments polluants des effluents.

Le développement des techniques d’oxydation chimique s’inscrit dans cet effort de complémentarité : par une utilisation judicieuse de l’oxygène, O₂, du peroxyde d’hydrogène, H₂O₂, ou de l’ozone, O₃, il est en effet possible d’éliminer la plupart des polluants contenus dans l’eau, en ne produisant majoritairement, de façon ultime, que du dioxyde de carbone (CO₂) et de l’eau (H₂O).

L’utilisation de ces « oxydants propres », seuls ou combinés, activés ou non, peut être optimisée en fonction du milieu à traiter et des objectifs de traitement.

C’est cette démarche d’optimisation que nous avons adoptée et qui est décrite ci-après.

Les oxydants propres

L’oxygène

Cette molécule est traditionnellement produite par distillation de l’air à partir d’une centaine de centres de production cryogéniques implantés dans le monde entier (dont une dizaine sur le territoire français).

D’autres moyens de production sont aujourd’hui disponibles grâce au développement de procédés d’adsorption sélective de l’air par passage sur des tamis moléculaires spécifiques, dans des unités de type PSA ou VSA (Pressure ou Vacuum-Swing-Adsorption).

La distribution d’oxygène aux utilisateurs est assurée en fonction des consommations prévisibles, soit sous forme de gaz comprimé en bouteilles (jusqu’à 200 bars), soit sous forme liquéfiée à –183 °C dans des réservoirs cryogéniques, soit encore, pour faire face à des consommations de plusieurs tonnes, directement par des réseaux de canalisations à partir des centrales de production ou à partir d’unités implantées sur site.

Le peroxyde d’hydrogène

Il est le plus souvent préparé par oxydation à l’air d’un dérivé de l’anthraquinone qui est recyclé par hydrogénation catalytique selon le bilan global :

H₂ + O₂ + Anthraquinone → H₂O₂.

La capacité mondiale de production de peroxyde d’hydrogène est actuellement d’environ 1,8 million de tonnes/an. En France, il est commercialisé par Chemoxal, filiale d’Air Liquide, sous forme de solutions aqueuses disponibles à

[Photo : Schéma de principe d’un système intégré Air Liquide de production d’ozone.]

Tableau I

Effluent coloréOxydantRéduction de la couleur (%)Réduction de la DCO (%)
Rouge vifO₃973-14
H₂O₂/UV9990
Rouge ceriseO₃9918
H₂O₂/UV9949
Rouge fuchsiaO₃9010
H₂O₂/UV10090
PourpreO₃9814
H₂O₂/UV9964

Tableau II

Temps d’ozonationCouleurDCO? DCO/? O₃
0Marron320
5’Beige clair2103,5
10’Légèrement coloré1851,8
20’Incolore1252,5

35 %, 50 % ou 70 % en poids, livrées en vrac et stockées dans des réservoirs ou directement en conteneurs.

L’ozone

Industriellement, l’ozone s’obtient par l’application d’un effluve électrique dans l’air ou dans l’oxygène ; la décharge crée des atomes d’oxygène qui se recombinent avec les molécules d’oxygène pour former l’ozone. Aujourd’hui, grâce aux récents apports technologiques développés par Ozonia (filiale d’Air Liquide-Degrémont), les performances de la génération d’ozone ont été considérablement améliorées.

Contrairement à l’oxygène et au peroxyde d’hydrogène, la molécule d’ozone est métastable et ne peut donc être stockée et transportée jusqu’à l’utilisateur. La génération d’ozone est donc obtenue sur site, à proximité du point d’application.

À ce niveau, deux possibilités sont offertes à l’utilisateur : soit l’achat du générateur d’ozone, soit la mise à disposition d’un système intégré de production d’ozone sur site (figure 1), avec les services associés (maintenance, gestion, régulation…).

Réactivité et mise en œuvre

O₂, H₂O₂, O₃ : une gamme d’oxydants au pouvoir croissant, comme le montre le tableau des potentiels d’oxydation (figure 2), pouvoir qu’il est même possible d’accroître par activation sélective.

Différentes voies d’activation sont possibles :

• La température : l’activation thermique est le mode le plus classiquement employé pour utiliser l’oxygène, notamment dans les procédés d’incinération. L’incinération à l’oxygène permet d’augmenter la vitesse de réaction et la température de combustion, conduisant ainsi à des taux de destruction des composés toxiques plus importants, voire à attaquer des produits sensibles seulement aux très hautes températures. Elle permet aussi la réduction des émissions de NOx, la réduction de la consommation énergétique et la diminution des investissements.

Une étude, récemment menée par Air Liquide et ICI sur la combustion à l’oxygène pur de résidus acides générés par la fabrication de méthacrylate de méthyle, a conduit à la réalisation de la première unité d’incinération à l’oxygène pur. Les résultats : une diminution de 20 % de la consommation de fuel, de 40 % des investissements et une réduction significative des émissions de CO₂, NOx et SO₂.

• L’effet combiné de la température et de la pression : c’est le domaine de l’oxydation sous-critique ou oxydation humide.

L’oxygénation en phase aqueuse dans des conditions de température (250-325 °C) et de pression (30-200 bars) élevées permet de générer des entités radicalaires conduisant à la dégradation des composés organiques présents dans l’eau. De telles conditions opératoires permettent d’obtenir des cinétiques d’oxydation rapides conduisant à une forte réduction de la DCO. Au-delà d’un seuil de concentration (15 g/l de DCO), le procédé peut devenir énergétiquement excédentaire. Ce procédé dit « d’oxydation humide » s’applique en particulier aux effluents dont la charge en matières organiques n’est pas suffisante pour adopter l’incinération et est trop élevée pour choisir un traitement classique de type biologique.

• Le peroxyde d’hydrogène et l’ozone : ils constituent des procédés d’oxydation avancés (figure 3).

Le peroxyde d’hydrogène et surtout l’ozone possèdent un potentiel d’oxydation plus élevé que l’oxygène moléculaire et une réactivité vis-à-vis des matières organiques polluantes permettant de travailler dans des conditions réactionnelles beaucoup plus douces.

Le peroxyde d’hydrogène réagit avec des composés riches en électrons tels que les sulfures, les nitrites, les sulfites… Par activation catalytique il permet d’obtenir des réactions sélectives d’époxydation ou d’hydroxydation qui sont largement utilisées en synthèse organique. L’utilisation de catalyseurs permet aussi d’oxyder des amines et des cyanures.

L’ozone réagit de préférence avec les composés insaturés tels que les oléfines ou les hydrocarbures aromatiques substitués, en réalisant une coupure oxydante des liaisons carbone-carbone.

[Photo : Les potentiels d'oxydation.]
[Photo : Les procédés d'oxydation avancés.]
[Photo : Choix d'une solution optimale.]
[Photo : Principe de fonctionnement des unités-pilotes.]

En particulier cette dernière réaction permet d’augmenter considérablement la biodégradabilité d’effluents contenant des dérivés aromatiques.

L’ozone réagit également avec les sulfures minéraux ou organiques, l’ammoniaque et les amines, les cyanures… Il peut être utilisé pour précipiter certains sels métalliques (Fe, Mn, Cr…) des solutions aqueuses par oxydation à leur plus haut degré d’oxydation. Par contre, la réactivité de l’ozone vis-à-vis des composés organiques saturés ou d’hydrocarbures halogénés est très faible.

Au-delà de leur action directe, il est possible d’activer ces oxydants et de générer in situ le radical hydroxyle, OH, dont le potentiel d’oxydation est bien supérieur à celui de l’ozone ou du peroxyde d’hydrogène et qui, par réaction non sélective avec la plupart des composés organiques, engendrera une chaîne de réactions radicalaires capable d’éliminer la plupart des polluants présents dans l’eau. Les modes d’activation sont nombreux et adaptables à chaque cas considéré. La combinaison de l’ozone et du peroxyde d’hydrogène dans des proportions optimisées est l’un des moyens les plus simples à utiliser pour atteindre ce niveau de réactivité.

La photolyse par un rayonnement ultraviolet aux longueurs d’onde adaptées et en présence d’ozone ou de peroxyde d’hydrogène constitue également un procédé aujourd’hui maîtrisé.

Il est également possible de générer le radical hydroxyle OH en utilisant différents substrats ou catalyseurs métalliques, par exemple, le « réactif de Fenton », obtenu par l’association de peroxyde d’hydrogène et de sel de fer en milieu acide. L’emploi de composés photoréducteurs tels que le dioxyde de titane, éventuellement « dopé » par un métal noble (platine ou palladium), permet de produire des espèces radicalaires par décomposition de l’eau.

Les réactions qui mettent en œuvre des catalyseurs solubles ou en suspension doivent être associées à un traitement physico-chimique pour permettre leur séparation complète de l’effluent traité.

Choix du mode d’oxydation

La définition du mode d’oxydation adapté à un effluent industriel donné résulte de l’évaluation technique et économique du traitement en fonction des objectifs énoncés. Performances et coûts sont donc estimés selon une démarche de diagnostic et d’optimisation progressive, illustrée sur la figure 4. L’utilisation d’une base de données et d’un outil informatique d’aide à la décision, élaborés au Centre de Recherche.

[Photo : Variations de la DCO et de la DO en fonction de l’ozone consommé (effluent pourpre).]
[Photo : Test de décoloration en continu.]
[Photo : légende : Fig. 8 : Évolution de la DCO en fonction de la dose de H₂O₂ appliquée.]
[Photo : légende : Fig. 9 : Abattement du COT en fonction de la charge en H₂O₂.]

des Loges-en-Josas, facilite l’étape de préorientation qui permet de déterminer la faisabilité d’un traitement par oxydation, par rapport à des objectifs de coût et d’efficacité.

L’étape suivante du diagnostic technique est réalisée en laboratoire, utilisant les différents bancs d’oxydation (O₃, H₂O₂, UV...) dans des conditions opératoires standard, de façon à sélectionner le ou les modes d’oxydation les mieux adaptés au problème posé.

Si l’évaluation technico-économique résultant de cette étape est favorable, l’étape d’optimisation est alors proposée et s’effectue d’abord au laboratoire pour définir les paramètres d’opération optimum : doses d’oxydants, puissance de radiation, température, pH, temps de séjour… Ces résultats sont ensuite validés sur site en utilisant l’unité-pilote appropriée, choisie en fonction du mode d’oxydation sélectionné. Les différents modes d’opération des pilotes, schématisés sur la figure 5, illustrent la diversité des techniques de mise en œuvre.

Quelques exemples de diagnostic

Trois exemples illustrent les résultats obtenus en employant les divers oxydants en cause.

Exemple n° 1 : il s’agit d’un effluent coloré présentant après un traitement physicochimique une DCO résiduelle non toxique.

Différents procédés d’oxydation (O₃ et H₂O₂/UV) ont été étudiés au laboratoire. Les taux de réduction observés sont rapportés dans le tableau I.

Dans le cas particulier, l’objectif du traitement ayant été clairement défini comme étant la décoloration, l’oxydation à l’ozone s’avère alors d’un point de vue technico-économique comme étant le procédé le mieux adapté. La figure 6 montre bien que la consommation d’oxydant au titre de la seule décoloration s’en trouve considérablement diminuée.

Sur la base de ces expériences, des essais-pilotes ont été réalisés sur site (débit traité 1 m³/h). Les résultats obtenus ont confirmé les résultats des essais opérés en laboratoire sur une période de production permettant d’intégrer les variations de coloration liées au procédé (figure 7).

La consommation d’ozone a pu être optimisée en fonction du taux de décoloration souhaité.

Exemple n° 2 : l’effluent considéré présente les caractéristiques suivantes :

DCO : 380 mg/lTOC : 38 mg/l150 mg/l

Avec un débit de 10 m³/h, le traitement d’oxydation envisagé est un traitement tertiaire de finition réalisé en aval de la station biologique.

L’objectif étant de diminuer la DCO résiduelle, différents procédés d’oxydation présélectionnés ont été étudiés (O₃, O₃/H₂O₂, H₂O₂/UV). Les résultats ont démontré la possibilité d’atteindre une réduction de la DCO supérieure à 80 % et la solution la plus économique s’est avérée être l’oxydation par le couple H₂O₂/UV.

La figure 8 illustre la variation de la DCO obtenue en fonction de la quantité de peroxyde utilisée.

Des essais-pilotes (débit traité = 500 l/h) sur site ont, là encore, permis de confirmer les résultats observés au laboratoire. La figure 9 illustre la corrélation existant entre la réduction de matières organiques mesurées par le carbone organique total (COT) et le rapport molaire [H₂O₂]/[COT] pour deux puissances de lampe différentes (5 et 10 kW).

Exemple n° 3 : un effluent après traitement biologique présente une DCO de 320 mg/l et une coloration résiduelle marron clair (DO = 0,45 et 380 nm).

Par traitement à l’ozone seul on observe les diminutions de coloration et de DCO portées sur le tableau II.

L’ajout de peroxyde d’hydrogène permet de réduire le temps de contact à moins de trois minutes en obtenant une décoloration totale et une DCO de 145 mg/l (objectif : 150 mg/l), nouvelle preuve de l’intérêt d’associer ces oxydants pour permettre d’obtenir des performances accrues.

Des essais-pilotes sont programmés pour permettre de confirmer ces résultats.

Réalisation industrielle

Tout récemment, la plus grosse installation au monde de traitement tertiaire d'eau résiduaire à l’ozone vient de démarrer. Il s'agit d’épurer 5 000 m³/h d’effluent grâce à un équipement d'une capacité de 160 kg/h d’ozone, généré à l'oxygène. Cet effluent est traité sur le site de la station de Prato (Italie) en aval d’une ligne classique de traitement : décantation primaire, boues activées, décantation secondaire.

Plusieurs usines textiles sont raccordées à cette station et des effluents fortement colorés et chargés en composés tensioactifs représentant 80 % du flux à traiter rejoignent les effluents urbains. Le traitement tertiaire envisagé doit permettre de réduire la concentration de détergent de 4 à 1,5 ppm et de supprimer la couleur sur l’ensemble du flux, l'objectif final étant de recycler l’eau traitée vers les industries génératrices des effluents primaires.

La société Ozonia a réalisé pendant plusieurs mois des essais pilotes sur ce site, dans le but d’optimiser le traitement oxydant et d’être en mesure de dimensionner l’installation industrielle définitive.

L'unité de traitement, composée de quatre ozoneurs de 40 kg/h chacun, a permis d’atteindre les objectifs de traitement, avec une consommation maximale de 32 g O₃/m³. Trois lignes ont été mises en place avec pour chacune d’elles quatre tours de contact assurant un temps de séjour de 1 heure.

L’installation fonctionne avec succès depuis septembre 1992.

Conclusion

L'utilisation de composés oxydants tels que l’oxygène, le peroxyde d’hydrogène ou l’ozone pour obtenir la destruction de polluants est connue depuis longtemps, mais avec des limites quant à leur efficacité. On sait par exemple que certains polluants ne sont pas entièrement dégradés, d’autres pas du tout.

Avec les nouvelles techniques d’oxydation avancée, étudiées dans nos laboratoires et décrites ci-dessus, on peut franchir un pas important dans l’obtention d’un effluent acceptable, avec l’avantage de l’absence de pollution secondaire saline obtenue par l’usage d’autres oxydants et l’obtention in fine de sous-produits de dégradation tels que H₂O, CO₂ et l’O₂ résiduel.

Il est clair que ces techniques d’oxydation avancée ne remplaceront pas les filières classiques qui existent déjà. Néanmoins, aujourd’hui une place de choix leur est réservée :

  • - en intégration primaire dans la chaîne de traitement d’un effluent, pour augmenter la biodégradabilité de ses composants organiques et ainsi élargir la gamme des effluents pour lesquels un traitement biologique est envisageable ;
  • - en intégration tertiaire dans une chaîne de traitement physico-chimique ou biologique pour réaliser un traitement de finition (abattement de DCO dure, décoloration, désinfection…). Ce type de traitement recueille un intérêt grandissant de la part des industriels qui, au-delà du respect des normes, pensent au recyclage de leurs eaux.

Un dénominateur commun de ces techniques réside dans la facilité de mise en œuvre, qui conduit à une flexibilité importante, permettant notamment un traitement modulable très appréciable dans l’écrêtement des pollutions.

La production et l'utilisation de ces oxydants, aujourd’hui maîtrisée, permet d’atteindre ces résultats pour un coût industriellement compétitif. Toutefois, il faut souligner que, compte tenu de la complexité et de la spécificité des effluents industriels, l’optimisation d’un tel traitement ne peut être obtenue qu’en respectant une démarche progressive, s’étendant de l’étude en laboratoire à celle du pilote, pour aboutir à une réalisation industrielle.

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