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L'optimisation du choix et de l'utilisation des agents coagulants et floculants dans le traitement des boues

30 octobre 1988 Paru dans le N°122 à la page 69 ( mots)
Rédigé par : Marie-andrée POULHES

La floculation est un prétraitement modifiant les propriétés d’une suspension par l’agglomération des fines particules en flocs de plus grande taille et plus compacts, ce qui facilite leur manipulation et leur séparation. C’est une opération largement utilisée dans les traitements de concentration et de déshydratation des boues (tableau 1), où les fines (dont la taille peut aller jusqu’au micron) sédimentent peu ou pas du tout ; elles présentent par ailleurs un pouvoir colmatant et une compressibilité qui rendent difficile leur filtration.

L’utilisation de floculant facilite grandement ces opérations. Encore faut-il que les produits, leur dose et leur mise en œuvre technique soient bien choisis pour que le conditionnement par floculation soit réalisé à l’optimum de son efficacité.

Tableau 1 : Exemples d’applications de la floculation au traitement des boues ou des pulpes

Domaines d’application Nature et origine des boues ou pulpes traitées
Épuration d’eaux résiduaires urbaines ou industrielles Primaires, secondaires, brutes ou digérées, minérales ou organiques ou mixtes
Industrie minérale Lavage de charbon – cimenteries – argiles
Industrie chimique Traitement de potasse – production de sulfate d’aluminium, magnésie, fabrication de pigments
Industrie photographique Bains
Industrie papetière Pulpe
Industrie métallurgique du fer, de l’acier Travail des métaux
Procédé de fermentation Biomasse

COAGULANTS ET FLOCULANTS :

RAPPELS

La différence entre la coagulation et la floculation est assez mal définie : généralement, la coagulation est associée à la déstabilisation de la suspension par modification des charges électriques présentes à la surface des particules, tandis que la floculation désigne la formation des flocs, c’est-à-dire l’agglomération des fines particules entre elles.

Produits disponibles

Ce sont des sels minéraux et des polymères organiques d’origine naturelle ou de synthèse.

Sels minéraux :

— Sulfate, chlorure de cations trivalents Fe³⁺, Al³⁺ non hydrolysés : leur action coagulante s’explique par une diminution du potentiel électrique de surface des fines (neutralisation de charges) et par une adsorption des sels sur les particules. À pH neutre, ces sels sont hydrolysés, ce qui entraîne une acidification du milieu et une baisse d’efficacité de la floculation (1) (figure 1) ;

— hydroxydes précipités de Fe³⁺, de Al³⁺ : ces précipités de grande surface spécifique adsorbent (piègent) les particules et neutralisent les charges électriques de surface ;

— sels hydrolysés polymérisés (exemple : polychlorosulfate basique d’Al (WAC)) : ces sels agissent également par piégeage des fines.

Polymères organiques

Ce sont des polyélectrolytes hydrosolubles possédant des groupements chimiques fonctionnels ionisables qui s’adsorbent sur les particules, en augmentant ou en diminuant leur stabilité :

— Polymère d’origine naturelle :

• végétale : les polysaccharides, farine de guar, pectine issus de plantes, alginates et carraghénanes issus d’algues et dérivés amylacés ;

• animale : la gélatine ou le collagène ;

• produits par des microorganismes : gommes xanthanes.

— Polymères de synthèse :

• dérivés de monomères acryliques : polyacrylamide non ionique, anionique (copolymères acrylamide/acide acrylique), cationique (copolymères acrylamide/acrylate) dont la masse molaire peut varier de quelques centaines à plusieurs millions de daltons et dont la charge positive ou négative peut varier de 0 à 100 % (pourcentage d’ionicité en nombre de moles de monomères ionisés pour 100 groupements) ;

• polyamines ou polyéthylèneimine de masse molaire relativement faible (10⁵ daltons) et de charge positive ;

• copolymères sulfonés anioniques (ex. polyvinylsulfonate, polystyrène sulfonate...) ;

• polyampholytes (ex. polyaminoacides) comprenant à la fois des groupes anioniques et cationiques dans la chaîne moléculaire.

* Institut de la Filtration et des Techniques Séparatives.

[Figure : Influence du pH sur l'efficacité de la floculation d’une eau.]

Propriétés - Actions

Applications de ces produits

Le pouvoir floculant est lié à la configuration des macromolécules. Les polymères non ioniques possèdent des chaînes moléculaires peu développées en solution ; les chaînes des polymères chargés sont plus ouvertes en raison de la répulsion de charges.

Le mécanisme de déstabilisation par neutralisation de charges est suivi de l'agrégation des colloïdes qui entrent en contact par agitation du mélange. L'efficacité de la floculation dépend du degré d'ionisation du polymère : si celui-ci est trop élevé, l'adsorption peut être gênée par de trop fortes forces de répulsion au sein du mélange. L'action floculante des polymères non chargés s'explique par l'adsorption des macromolécules sur plus d'un colloïde formant des « ponts » entre particules contiguës. L'efficacité dépend dans ce cas de la longueur des chaînes de polymères.

Les propriétés principales des différents produits sont donc la nature, la taille (masse molaire), le signe de la charge électrique et le degré d'ionicité de la molécule. À celles-ci, il convient de rajouter la stabilité ou la plage de température et de pH d'utilisation. Aux fortes températures ou aux pH extrêmes, il y a risque de destruction de la macromolécule, ce qui diminue ou annule l’action floculante.

Les polymères cationiques de faible masse molaire et les sels minéraux sont surtout utilisés soit pour la coagulation, seuls ou associés à d'autres molécules floculantes, soit pour la floculation de mélanges contenant des solides organiques, ou à des pH acides. Les polymères anioniques sont mieux adaptés au traitement de solides minéraux et autres inorganiques ou en milieu neutre ou alcalin. Les polymères non ioniques sont plus polyvalents.

CRITÈRES DE CHOIX DES COAGULANTS ET FLOCULANTS

Ces propriétés intrinsèques peuvent être reliées à la faisabilité et aux résultats de la floculation, qui sont des paramètres de choix du produit et de sa mise en œuvre industrielle :

— solubilisation et facilité de mélange du coagulant et/ou floculant ; la mise en solution des floculants polymériques en poudre peut en effet conduire à la formation de grumeaux dommageables. Les solutions-mères de floculants sont très visqueuses (exemple : 1 à 7 Pa·s pour une concentration à 5 g/l de floculant). La dissolution et l'addition de floculant demandent une procédure industrielle adaptée pour une bonne mise en œuvre ;

— sédimentation des flocs, cohésion et épaississement des boues, filtrabilité, compressibilité des boues, clarification du surnageant obtenu ; l'amélioration de ces paramètres dépend directement du choix du floculant et de sa dose et conditionne les opérations postérieures à la floculation : décantation ou filtration des boues, lavage du gâteau de filtration, recyclage ou évacuation des phases liquide et solide ;

— teneur résiduelle de floculant dans le surnageant ; elle est liée à la pollution ou à la toxicité engendrée par les métaux ou les monomères synthétiques, qui restent en solution après floculation, et est préjudiciable à certaines applications, par exemple agro-alimentaires ou chimiques, qui demandent une pureté stricte du produit final.

CHOIX DES PRODUITS

MÉTHODOLOGIE EXPÉRIMENTALE

Compte tenu de la diversité des produits, il est nécessaire de procéder à des essais de laboratoire pour réaliser une sélection du ou des floculants, de déterminer la dose nécessaire à l'épaississement de la boue, puis l'aptitude à la déshydratation de la boue floculée.

Essai de floculation-décantation

Le choix du coagulant et (ou) du floculant est effectué à partir d’essais de sédimentation en éprouvette (figure 2) ou suivant la méthode du Jar-test. La procédure générale des essais pour un traitement à deux produits (coagulant et floculant) contient plusieurs phases décrites dans le tableau 2. Les essais de la seule coagulation ne comprennent pas les phases 3 et 4 ; de même, la floculation isolée est réalisée sans passer par les phases 2 et 3.

Tableau 2 : Plan d’essai de coagulation ‑ Floculation

Phase d'essais Agitateur
En éprouvette(s) Néant
Jar-test (en bécher(s)) Disque perforé — Série de pales rectangulaires
n° 1 Homogénéisation Inversion lente et complète — Va et vient vertical 1 min à 250 trs/min
n° 2 Addition de coagulant Dose(s) d'essai à la pipette
n° 3 Agitation Inversion — Va et vient 1 min à 150 trs/min
n° 4 Addition de floculant Dose(s) d’essai à la pipette
n° 5 Agitation 3 inversions lentes et complètes — Va et vient verticaux 1 min à 150 trs/min et 15 min à 50 trs/min
n° 6 Décantation 10 min
Observation visuelle de la grosseur et de la décantation des flocs et mesure de la vitesse de sédimentation
n° 7 Prélèvements pour analyses Surnageant : teneur en fines, turbidité, couleur, pH, température...Solides, flocs : déshydratabilité, cohésion, filtrabilité, analyses des toxiques
n° 8 Calcul d'efficacité Rendement de séparation liquide-solide
[Photo : Essai de floculation décantation en éprouvette.]

Il peut exister des variantes dans les conditions d’essais d'un laboratoire à l'autre ; l'important est de conserver la même procédure pour pouvoir comparer les résultats de toutes les séries de tests au témoin (essai sans addition de coagulant ou de floculant).

Une série typique d'essais de traitement d'une boue comporte :

— des essais de coagulation avec des doses de 0 à 50 mg/l, qui permettent de connaître la dose minimale de coagulant apte à déstabiliser la suspension ; — des essais de coagulation-floculation à la dose coagulante minimale prédéterminée, — des essais de floculation effectués avec des doses variables de floculants (exemple : 0-50 mg/l ou 15 mg/g de matière sèche). On peut ainsi évaluer l'amélioration de la vitesse de formation des flocs, l'épaississement de la boue et la possible réduction de la dose de coagulant nécessaire.

Analyse des fractions séparées

Les résultats des essais comprennent un suivi visuel de la qualité des flocs, des analyses des phases liquide et solide pour calculer l'efficacité des séparations, apprécier des doses résiduelles de certains constituants et déterminer les propriétés des boues épaissies.

Le suivi visuel de la formation, du grossissement et de la décantation des flocs d'une part et de la clarification du liquide d’autre part, permet une appréciation rapide de l'efficacité de la floculation et de la gamme des doses de floculants à tester.

[Photo : Courbe de sédimentation en éprouvette.]

Après décantation des solides, on peut calculer l'efficacité massique E d'une séparation par floculation :

E = 1 − ((Vol tot − Vol flocs) × MES surnageant) / (Vol tot × MES initial)

et le taux de réduction volumique de boue R :

R = Vol flocs / Vol initial

à partir des mesures du volume de boue floculée et des teneurs en MES (matières en suspension).

Des analyses complémentaires du liquide et des flocs permettent de mesurer la pollution résiduelle en matières organiques biodégradables, en métaux lourds…, qui conditionnent le recyclage des fractions.

Propriétés des boues traitées

Les propriétés des boues floculées décantées ou épaissies sont intéressantes pour permettre de choisir les techniques de séparations ultérieures et adapter la dose de floculant facilitant ces séparations de sédimentation ou de filtration :

Vitesse de sédimentation des flocs

Elle peut être mesurée lors des essais en éprouvette en suivant dans le temps la progression du front de décantation ou, sur un volume plus grand, en colonne de décantation. À cette fin, on effectue en différents points de la colonne des prélèvements d’échantillons à intervalles de temps réguliers. Les analyses des teneurs en matières en suspension des échantillons permettent de calculer l’efficacité de la séparation et d’évaluer la surface de décantation pour une efficacité d'épaississement de boue donnée (2) (3).

[Photo : Essai de sédimentation en colonne – Efficacité de séparation.]

Aptitude à la déshydratation des flocs

Elle peut être évaluée rapidement par mesure du temps de succion capillaire (TSC). L'appareil de mesure contient un cône (réservoir de flocs à doser) dont la pointe ouverte est en contact avec un papier de grande capacité d’absorption (chromatographie) et située au milieu de deux cercles concentriques. Le TSC est la durée nécessaire à l'eau contenue dans la boue pour progresser radialement par capillarité dans le papier buvard d'un cercle à l'autre. Deux électrodes placées sur ces deux cercles sont reliées à un chronomètre qui donne le résultat du TSC ; plus le temps mesuré est faible, plus l’aptitude à la déshydratation des flocs est élevée. Cette mesure permet de faire des comparaisons très rapides de la qualité de la boue floculée.

Résistance mécanique de la boue floculée

Pour évaluer la résistance mécanique des flocs formés, des essais peuvent être réalisés, au cours desquels une boue floculée est soumise à une agitation (vitesse de rotation de la pale à 1 000 trs/min par exemple) par périodes successives de 10 s. En fin de période on mesure le TSC de la boue.

[Photo : Schéma de l'appareil de mesure du TSC.]

…du TSC en fonction de la durée totale d’agitation pour différents floculants utilisés à des doses variables permettent de suivre la dégradation de la boue obtenue par l’agitation (figure 6). Ce test rapide permet de choisir le conditionnement de la boue nécessaire pour préserver une filtrabilité, même par exemple, après une dégradation provoquée par pompage (4).

[Photo : Variation du TSC avec l’agitation d’une boue d’argile floculée.]

Filtrabilité et compressibilité de la boue

Au cours de la déshydratation mécanique de la boue floculée par filtration à pression constante, la résistance à l’écoulement du liquide croît au fur et à mesure de la formation du gâteau de filtration et le débit de filtrat diminue progressivement. Les particules formant le gâteau sont plus ou moins rigides et leur compression augmente aussi la résistance hydraulique. Des essais de filtration permettent de faire une sélection de milieux filtrants pour obtenir une bonne rétention des particules floculées. On détermine les propriétés filtrantes de la boue pour évaluer les conditions et la surface de filtration nécessaires. Une cellule de laboratoire équipée d’un milieu filtrant donné (toile, plaque) choisi en fonction de la taille des particules, contient un volume connu de boue (figure 7). Après mise sous pression, on recueille le filtrat qui sera analysé pour déterminer l’efficacité de séparation et le seuil de rétention, et on note le volume de ce filtrat par unité de surface filtrante V en fonction du temps T. L’exploitation de la courbe (T/V, V) permet de calculer le coefficient de filtrabilité Fk, à partir de la pente de la droite (T/V, V) (norme NF T 97-001).

En mesurant les propriétés physico-chimiques du filtrat, de la boue et du gâteau formé, on peut calculer la résistance spécifique du gâteau α :

Fk = μ α V / ΔP

μ  viscosité du filtrat  
W  masse de gâteau séché déposé par unité de volume de filtrat  
ΔP pression  
Ω  surface filtrante.

En reproduisant cet essai pour différentes pressions, on détermine le coefficient de compressibilité du gâteau n défini par : α = α₀ ΔPⁿ

n = 0 : gâteau incompressible  
n ≃ 1 ou supérieur : gâteau compressible ; il y aura intérêt à filtrer sous pression réduite.

Un dispositif plus complexe, la cellule de compression-perméabilité, permet d’évaluer ces paramètres plus rapidement (figure 8). À cet effet, on commence par former à l’intérieur du cylindre un gâteau homogène (sans être gêné par la sédimentation existant dans l’essai de filtration décrit précédemment). On soumet alors le gâteau, par l’intermédiaire de charges sur le piston, à des pressions variables. Pour chaque pression, on mesure le débit constant de filtrat traversant le piston creux et le gâteau ; la pression agissant sur le gâteau est la somme de la pression due au poids du piston et des charges, et de la pression moyenne du liquide (moitié de la pression de charge). Le micromètre permet de déterminer la hauteur de gâteau sous cette pression et ensuite la masse de gâteau.

[Photo : Appareillage et détermination de Fk.]
[Photo : Cellule de compression – perméabilité.]

Des essais à l’aide de ces dispositifs pour différentes conditions permettent d’apprécier chacun des paramètres : teneur en solide dans le filtrat, fiabilité du mélange, résistance spécifique et compressibilité du gâteau. Ces résultats sont utilisés pour sélectionner la toile ou le milieu filtrant donnant une bonne rétention des solides, déterminer la surface filtrante nécessaire pour traiter les quantités de boues produites, choisir les conditions de pression favorables et le type de filtre le mieux adapté au traitement : alimentation du mélange, séparation et extraction des phases liquides et solides.

MISE EN ŒUVRE INDUSTRIELLE

Les installations industrielles de floculation de boues doivent être conçues pour faciliter le contact des macromolécules et des particules à agglomérer et éviter toute destruction des flocs.

Les points importants peuvent être ainsi résumés :

— préparation de solution de floculant : éviter la formation de grumeaux, choisir un disperseur pour alimenter en filet mince de poudre de floculant, l’eau de dissolution étant agitée lentement. Pour préparer un grand volume, on réalise une solution mère à 5-10 g/l qui sera diluée à 0,1-1 g/l avant emploi ; prévoir une durée de dissolution de 30 minutes environ. Les floculants liquides sont instantanément dissous ;

— dosage : l’alimentation de la solution de floculant dans la boue devant induire le minimum de cisaillement, on préférera une pompe piston ;

— addition : l’injection de la solution de floculant par étapes, ou bien répartie sur la largeur du courant ou la surface du bac, facilite la floculation ; le point d’addition doit être choisi de manière à éviter des zones turbulentes postérieures.

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