Depuis 1972 de nombreux auteurs spécialisés se sont penchés sur la « manne » supposée offerte par les ordures ménagères, filon de matières premières de toute nature et gisement de calories, pour en évaluer l'importance, en mesurer les difficultés de valorisation et finalement en fixer les limites marquées au coin du réalisme. Des différents procédés la récupération de chaleur au fil de l'eau — appliquée dans les grandes villes depuis les années 30 — est le plus répandu.
En 1976, le groupe de travail de l'A.E.E. posait à son sujet un certain nombre de jalons :
— le seuil limite de rentabilité correspond à l'installation de 2,5 t/h de capacité si le coefficient de valorisation est égal à 1 ;
— si le coefficient de valorisation n’est que de 0,5, le seuil de rentabilité s'élève à 4 t/h et 2 × 4 t/h pour atteindre 2 × 8 et 3 × 8 t/h pour les coefficients de valorisation inférieurs à 0,25 ;
— au-dessus de 2 × 4 t/h la production d'énergie électrique est excédentaire, et peut être utilisée comme source d'énergie.
Les exemples retenus vont nous permettre de faire une comparaison intéressante avec la situation actuelle. Il convient cependant de rappeler au préalable ce que nous a enseigné l'expérience, touchant le profil idéal de l'utilisateur de chaleur de récupération à partir des déchets urbains, profil dessiné par les caractères suivants concernant la pérennité de l'exploitation : celle-ci est liée à divers critères ;
Besoins : nettement plus importants que l'offre, donc existence d'une chaufferie en service prête à pallier les irrégularités ou arrêt de fourniture ;
Demande : étalée dans le temps au-delà des horaires de fonctionnement de l'usine de récupération nocturne, aussi bien que diurne, estivale aussi bien qu'hivernale ;
Économie : liée à la nature, donc au prix du combustible substitué ;
Proximité : le coût d'un réseau trop étendu grève l'investissement ;
Fidélité : engagement à long terme, lié à la pérennité, mais aussi aux procédés de fabrication etc.
L'expérience a montré que ces conditions n’étaient pas souvent réunies dans notre pays, beaucoup moins qu'en R.F.A. par exemple, où la Ruhr concentre, dans des zones d'habitat dense, les populations productrices de déchets et les industries consommatrices de chaleur.
L'expérience a montré également que les utilisateurs potentiels :
— réalisent très rapidement des investissements d'économie d'énergie ; il ne faut pas oublier de les prendre en compte dans une étude, d'où l'importance du critère « Fidélité » ;
— demandent à bénéficier d'une incitation financière non négligeable pour s'engager à acheter la chaleur de récupération.
Premier exemple : le Syndicat intercommunal de collecte et de traitement des ordures ménagères du nord-ouest Mayennais
Créé en 1981 dans le but d’apporter une solution au problème du traitement des ordures ménagères, le
Syndicat, assisté par la Direction départementale de l’agriculture de la Mayenne, a étudié les diverses solutions possibles pour finalement retenir l'incinération avec récupération de chaleur, destinée à l’une des deux laiteries installées sur son territoire, l'une à proximité du barycentre, l'autre appartenant à l’Union laitière normande (U.L.N.) plus importante, mais en périphérie.
Cette dernière a finalement été retenue, à juste raison, en fonction de son « profil » ; en effet, si les deux laiteries offraient les mêmes garanties de pérennité d'économie, de demande et de fidélité, la laiterie de l'U.L.N. répondait mieux aux exigences de « besoins » et de « proximité » :
- Besoins : l’apport de la récupération représente 17 % des besoins, ce qui laisse une marge importante pour absorber les fluctuations d’activité et les éventuelles économies d’énergie tout en assurant un coefficient de valorisation très élevé.
- Proximité : un terrain parfaitement adapté à moins de 200 m de la chaufferie.
Mais toute médaille a son revers : la nature de l’utilisateur et la proximité des installations, elles-mêmes très proches de la ville de Pontmain, ont conduit la D.R.I.R. et le maître d’ouvrage à opter pour un dépoussiérage par filtre électrostatique ramenant le taux de poussières dans les fumées à 0,60 g/Nm³ à 7 % de CO₂, soit dix fois moins que les recommandations de la circulaire du 6 juin 1972.
L'usine d’incinération avec récupération de chaleur de Pontmain est équipée notamment d’un four Sobea 3000 de 3 t/heure et d'une chaudière à tubes d'eau produisant de la vapeur saturée à 21 bars ; son doublement est possible.
L'ordre de service a été lancé le 15 décembre 1982, et la mise en service a eu lieu au début d’avril 1984.
Les premiers résultats :
D’avril à septembre 1984, l'usine a traité 3 884 t d’ordures ménagères et livré 5 900 t de vapeur, soit un ratio de 1,52 tonne-vapeur/tonne d’ordures ménagères, très satisfaisant car il faut considérer les pertes dues aux arrêts fréquents d’une usine qui tourne à 40 % de sa capacité et à l’incidence du mois d’août (sans déchets industriels) sur cinq mois de fonctionnement seulement. On peut raisonnablement considérer que le ratio de production de vapeur en fonctionnement continu sera de 1,6.
Le maître d’ouvrage évalue à 12 000 t le tonnage à incinérer en 1985, soit une vente d’environ 20 000 t de vapeur et une recette de l'ordre de 2 millions de francs (valeur septembre 1984).
La vapeur est vendue 105 F à la chaufferie de l’U.L.N. avec une décote de 10 % par rapport à son prix de revient. La récupération d’énergie ainsi réalisée correspond à environ 1 500 tonnes de fioul. On voit que la recette ramenée à la tonne d’ordures est de 166 F : elle couvre donc largement les frais d’exploitation et compense une partie des amortissements.
Deuxième exemple : le district du canton de Lillebonne
Ici, l'usine d'incinération en chaleur perdue préexistait. Construite en 1973 sur la zone industrielle de Notre-Dame-de-Gravenchon, elle comporte deux fours de 1,8 tonne/heure, qui ont incinéré 17 500 t d’ordures en 1981, le PCI moyen étant de 1 500 kcal/kg.
C’est la présence à 700 m de l’usine d’un acheteur potentiel de chaleur (en l’occurrence la société française Hoechst) présentant le profil du client idéal : pérennité, besoins (40 t/h de vapeur), demande, proximité, fidélité, qui a déclenché chez le maître d’ouvrage et la Direction départementale de l’équipement de Seine-Maritime le projet de transformer l’usine existante pour récupérer la chaleur.
L'ordre de service donné au constructeur le 16 juin 1983 prévoyait la mise en place de deux chaudières à tubes d'eau pour production de vapeur à 22 bars effectifs, surchauffée à 250 °C, température nécessaire à la société Hoechst.
Les travaux, qui comprennent également l'addition des dépoussiéreurs multicyclones adaptés aux chaudières, la transformation de l'installation électrique, la construction d'une cheminée de 49 m, les modifications du génie civil et les démolitions correspondantes, se sont achevés en mai 1984. Cette opération a été menée en limitant à une semaine l'arrêt de chacun des deux fours pour réaliser le piquage de la chaudière. À noter que les équipements d'origine étant restés en place, chaque ligne d'incinération peut fonctionner à volonté en chaleur perdue ou en récupération.
L'étude de faisabilité basée sur un PCI moyen de 1 500 Mk/h/kg prévoit une production annuelle de vapeur égale à 27 000 t pour un tonnage incinéré de 17 400 t et une recette approximative de 155 F/t d'ordures, couvrant la totalité des frais d'exploitation et une partie de l'amortissement.
Les relevés effectués dans la deuxième quinzaine de décembre font apparaître une production de 1 410 t/vap. pour 938 t/OM incinérées, soit un ratio de 1,5. L'année 1985 verra vraisemblablement le tonnage traité approcher les 22 000 t et la production de vapeur les 35 000 t si le PCI se maintient en toutes saisons.
Troisième exemple : le Syndicat intercommunal des communes riveraines du lac d'Annecy (S.I.C.R.L.A.)
Cette usine est actuellement en cours de construction par le groupement SOBEA-TNEE. Elle comprendra en première phase deux fours Sobea 4 500, attelés à deux chaudières Standart Fasel produisant de la vapeur à 18 bars effectifs, surchauffée à 260 °C, alimentant un turbo-alternateur à contre-pression de 350 kW, puis un échangeur de 9 000 th/h réchauffant l'eau du réseau de 80 à 109 °C. L'usine est reliée aux deux chaufferies urbaines de la ZUP de Champ-Fleuri par un réseau de près de 4 km, qui sera réalisé en partie en tubes fonte PAM pré-isolés et dans le parcours urbain en tubes acier W.I. Le génie civil est réalisé dès l'origine pour la mise en place d'une 3ᵉ ligne, identique aux deux premières. Cette usine comprend également une unité de déshydratation des boues urbaines, alimentée par une dérivation partielle des fumées de l'un ou de l'autre des deux fours.
L'étude de faisabilité exécutée par Rhône-Alpes Énergie et Beteralp, en liaison avec la direction des services techniques du S.I.C.R.L.A., est basée sur un PCI moyen de 1 600 Mk/h/kg, un tonnage annuel de 47 000 t de déchets et un taux de valorisation de 69 % soit 28 000 kWh/an ou 3 500 t de fioul lourd n° 2. À ce résultat il faut ajouter l'économie de force motrice réalisée par le turbo-alternateur.
Conclusion
Il est bien évident que l'économie de ces réalisations, et celles des projets à venir, est liée pour une part importante au niveau des subventions accordées diversement par les régions, les départements, l'AFME, l'Agence pour la qualité de l'air, et le taux d'intérêt des emprunts complémentaires. Leur diversité même et leur caractère aléatoire (puisque certaines sont liées à la novation de l'opération) nous ont interdit de les mentionner pour ne pas risquer d'induire le lecteur en erreur.
C'est pourquoi nous nous sommes abstenus de donner les plans de financement. Nous avons fait ressortir une recette brute ramenée à la tonne d'ordures ménagères traitée ; la sagacité du lecteur lui permettra de compléter lui-même son bilan économique.
Ceci dit, il est bien clair que les usines de Pontmain et Lillebonne bénéficient de deux facteurs très favorables : proximité et surtout valorisation (liée au critère « Besoins »).
Leurs recettes exprimées en tonnes de fioul sont en effet plus importantes — toutes proportions gardées — que celles prévues à Annecy. C'est le coefficient de valorisation qui explique cette différence. C'est aussi à cause du coefficient de valorisation que l'usine d'Annecy sera équipée d'un turbo-alternateur : ainsi une partie des calories non vendables sera transformée en kW, ce qui — à défaut d'augmenter la recette — diminuera les dépenses d'exploitation et améliorera le résultat. C'était d'autant plus nécessaire que l'usine d'Annecy est pénalisée par un réseau de grande longueur dont, heureusement il est vrai, une très faible partie en site urbain ; aussi le S.I.C.R.L.A. a-t-il accepté d'accroître son investissement pour améliorer le rendement financier de cette opération, qui repose sur un acheteur dont la pérennité et la fidélité ne prêtent pas à discussion.
On peut également déduire des chiffres cités que la décote incitative demandée par l'acheteur se situe généralement entre 10 et 20 % du prix de l'énergie substituée.
Enfin on voit que la notion de capacité plancher a beaucoup perdu de sa valeur au profit du coefficient de valorisation ; citons à ce sujet l'exemple de l'hôpital Louis Mourier à Colombes qui incinère ses déchets dans un ensemble four-chaudière de 4 tonnes/jour, la chaudière remontant la température de l'eau de retour du circuit chauffage et E.C.S.
De même — l'exemple d'Annecy le prouve — la longueur du réseau n'est pas forcément un obstacle insurmontable.
En fait les règles générales, qui permettaient d'apprécier grossièrement l'intérêt d'un projet sur la base de sa capacité, se sont estompées au profit d'une étude beaucoup plus fine à réaliser cas par cas, prenant en compte sans aucune exception toutes les données du problème, et excluant tout jugement a priori.