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L'installation de microfiltration tangentielle sur membranes de Saint Maurice les Chateauneuf: premier bilan après un an d'exploitation

30 mai 1991 Paru dans le N°146 à la page 48 ( mots)
Rédigé par : Annie TAZI-PAIN, René LEBORGNE et Jean-noël BUTTÉ

Annie TAZI-PAIN, René LEBORGNE — Compagnie Générale des EauxJean Noël BUTTÉ — OTV

Depuis quelques dizaines d’années, les techniques de séparation liquide/solide sur membranes sont utilisées dans de nombreux secteurs industriels grâce à leur vaste potentiel d’application : agroalimentaire, biotechnologies, traitement des effluents domestiques et industriels, électronique, etc. Dans le domaine du traitement des eaux potables, les possibilités d'utilisation de ces procédés de filtration sur membranes sont également intéressantes. Mise à part l'osmose inverse qui sert au dessalement des eaux de mer ou saumâtres, ce sont les membranes de micro (MF) et d’ultrafiltration (UF) qui ont connu récemment un essor important grâce à leur aptitude à clarifier et à décontaminer l'eau en une seule opération.

À Saint-Maurice-lès-Chateauneuf, en Saône-et-Loire (Syndicat des Eaux de la Vallée du Sornin), la Compagnie Générale des Eaux a construit une installation de microfiltration tangentielle sur membranes minérales. Cette usine, qui a été mise en service en janvier 1990, est capable de traiter 100 m³/h en débit nominal (figure 1).

[Photo : L'Usine de microfiltration tangentielle sur membranes de Saint-Maurice-lès-Chateauneuf (Syndicat des Eaux de la vallée du Sornin).]

Cette technologie a été préférée à un traitement classique, qui aurait été difficile à gérer en toutes circonstances, les ressources en eau étant de qualité très variable. Les eaux d'origine karstique distribuées à la population sont de très bonne qualité tout au long de l'année, sauf en période de fortes pluies où elles présentent des pointes de turbidité importantes, accompagnées de teneurs anormales en matières organiques, fer, aluminium et germes microbiens. Ce procédé a aussi été choisi pour ses nombreux avantages : rapidité de mise en œuvre, automatisation aisée et qualité constante du traitement.

La filtration sur membranes

La membrane constitue une barrière sélective qui selon sa porosité permet de séparer les constituants d’un fluide en fonction de leur taille. Le transfert entre les deux milieux séparés par la membrane est induit par une variation de pression. Les procédés à membrane peuvent être classés en fonction de la taille des constituants à éliminer :

  • « la filtration, pour 10 μm et plus ;
  • « la microfiltration, de 0,1 à 10 μm : traitement des suspensions, clarification, stérilisation ;
  • « l'ultrafiltration de 0,001 à 0,1 μm ;
  • « l'osmose inverse, de 0,00001 à 0,001 μm : dessalinisation, dénitratation, eau ultrapure (figure 2).
[Photo : Polluants rencontrés dans les eaux et principales techniques utilisées pour les éliminer.]
Lors d’une filtration classique frontale, la suspension à filtrer est amenée perpendiculairement à la surface filtrante sur laquelle se dépose, au cours du temps, une accumulation de matières en suspension. Cette accumulation tend à augmenter la résistance de la couche filtrante et à diminuer sa porosité finale ; le flux de perméat décroît alors. La filtration tangentielle permet de diminuer ce phénomène ; elle consiste à amener parallèlement au média filtrant la suspension à traiter. Cette circulation tangentielle crée au voisinage de la membrane une contrainte de cisaillement qui lui est parallèle et qui limite le dépôt et l’accumulation des particules sur le matériau filtrant. Le syndicat du Sornin Le Syndicat Intercommunal des eaux de la Vallée du Sornin regroupe 21 communes situées en limite des départements de la Loire et de la Saône-et-Loire pour une population totale de 10 000 habitants. Ce service, qui compte 5 500 abonnés pour une vente annuelle de 713 000 m³, est géré par la Compagnie Générale des Eaux depuis 1962. Les deux tiers de ses besoins sont couverts par l’eau des sources de Saint-Maurice-lès-Chateauneuf, le tiers restant par la nappe d’accompagnement de la Loire. La qualité des sources est particulièrement sensible aux perturbations météorologiques : elle subit normalement des variations très brutales de turbidité. Pour répondre à ce besoin spécifique, la Compagnie Générale des Eaux a construit une installation de microfiltration tangentielle sur membranes minérales, d’une capacité nominale de 2 000 m³/jour, pour un coût global de 5,5 millions de francs. Le caractère innovant de l’usine a conduit les pouvoirs publics à apporter leur aide, à travers une subvention du Conseil Général de Saône-et-Loire et de l’Agence de Bassin Loire-Bretagne. Technique mise en œuvre à Saint-Maurice-lès-Chateauneuf Les membranes Les membranes utilisées à l’usine de Saint-Maurice-lès-Chateauneuf sont des membranes minérales en céramique d’alumine (Al₂O₃). Elles sont constituées d’un support microporeux (15 microns) sur lequel a été déposée une peau sélective en alumine d’une porosité de 0,2 µm. Un élément filtrant (figure 3) se présente sous la forme de bougie de 19 canaux de 4 mm de diamètre dans lesquels circule l’eau à traiter. Le perméat est récupéré en périphérie de l’élément filtrant. La surface disponible d’un élément est de 0,2 m². Les éléments multicanaux sont regroupés au sein de modules cylindriques en acier inoxydable. Un module contient 19 éléments et présente donc une surface membranaire de 3,8 m² (figure 4).
[Photo : Un élément multicanal.]
[Photo : Schéma du montage en module de plusieurs éléments multicanaux.]
Tableau I Caractéristiques physicochimiques de l’eau brute hors période de trouble (prélèvement du 8/8/1990) Paramètres | Unités | Sources Turbidité | N.T.U. | 0,5 Matières organiques | mg O₂/l | 0,5 Fer | µg/l | L.D. Aluminium | µg/l | L.D. Manganèse | µg/l | L.D. L.D. : limite de détection L’installation Des essais préliminaires à l’échelle pilote, effectués sur le site, ont permis de dimensionner l’installation de microfiltration tangentielle pour une production de 2 000 m³/jour. Cette installation est mise en parallèle avec les conduites d’amenée des eaux de captage vers le poste de refoulement. Sa mise en fonction est déclenchée automatiquement à partir d’un seuil de turbidité mesuré en continu. L’usine développe une surface membranaire de 121,6 m², soit 32 modules d’une surface unitaire de 3,8 m². Pour accroître la souplesse d’utilisation, et

Tableau II

Caractéristiques physicochimiques de l’eau brute mesurées au cours des différents troubles

ParamètresUnités14/2/9020/6/9030/10/9023/11/90
TurbiditéN.T.U.100232217
Matières organiquesmg O₂/l11,63,94,54
Ferµg/l2 275780655525
Aluminiumµg/l4 1151 1451 130915
Manganèseµg/l40L.D.L.D.L.D.

L.D. : Limite de détection

Tableau III

Caractéristiques physicochimiques de l’eau traitée

ParamètresUnités14/2/9020/6/9030/10/9021/11/90
TurbiditéN.T.U.0,250,30,20,3
Matières organiquesmg O₂/l1,970,90,7
Ferµg/l15L.D.L.D.
Aluminiumµg/l3520L.D.
Manganèseµg/lL.D.L.D.L.D.

L.D. : Limite de détection

Tableau IV

Qualité bactériologique de l’eau brute et de l’eau traitée par microfiltration tangentielle

ParamètresUnités20/6/199021/11/199013/12/1990
Eau bruteEau traitéeEau bruteEau traitéeEau bruteEau traitée
Germes totaux 20 °Cnb/ml350 000< 6> 1 000< 61 500< 6
Germes totaux 37 °Cnb/ml10 000< 6> 1 000< 6240< 6
Coliformes totauxnb/100 ml5 0000> 30001 0000
Coliformes thermo-tolérantsnb/100 ml1 5000> 30004000
Streptocoques fécauxnb/100 ml5 000024001800
Spores de bactéries anaérobies sulfito-réductricesnb/100 ml60090800
[Figure : Schéma du fonctionnement de l’usine de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf]

Dans un souci de standardisation du procédé, les modules ont été regroupés en deux sous-unités dénommées « skids » 1 et 2 (figures 5 et 6). Les modules de microfiltration, installés sur un circuit appelé boucle de recirculation, sont agencés en quatre séries de quatre modules fonctionnant en parallèle. Une pompe d’alimentation permet d’introduire l’eau brute dans cette boucle ; une canalisation de perméat collecte pour sa part l’ensemble des eaux traitées. Le débit dans la boucle de recirculation assure une vitesse de 3 m/seconde au niveau de la membrane.

La rétention des particules dans la boucle provoque un enrichissement progressif de cette dernière en matières en suspension ; il est donc nécessaire de procéder régulièrement à des purges, de manière à déconcentrer la boucle. Pour décolmater les membranes, on effectue régulièrement des décolmatages à flux inverse qui sont accompagnés de purges de la boucle de recirculation. Lorsque la dérive du perméat devient irréversible, ou lors de la mise à l’arrêt de l’installation, entre deux épisodes de trouble, on procède à un nettoyage chimique des membranes avec de la soude puis de l’acide nitrique. Les quantités d’acide et de soude utilisées sont calculées pour s’autoneutraliser avant rejet.

L’exploitation

Pendant cette première année d’exploitation, l’installation a été maintenue sous étroite surveillance ; un système complet et automatique d’acquisition de données a permis d’enregistrer les différents paramètres de fonctionnement de l’installation et d’assurer un suivi de la qualité de l’eau.

[Photo : Vue des deux « skids » de filtration.]

Qualité de l'eau à traiter

La figure 7 présente le profil des turbidités de l'eau brute depuis février 1990.

Tout au long de l'année, les eaux de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf sont de bonne qualité et ne demandent pas de traitement spécifique, hormis une chloration bactéricide avant refoulement-distribution (tableau I). Pendant les périodes de fortes pluies ou de fontes des neiges, nous avons enregistré des pics de turbidité de 5 à 115 NTU, avec une augmentation très importante des teneurs en aluminium, fer et germes microbiens (tableau II).

Des analyses plus complètes de l'eau, au cours de certains épisodes pluvieux, ont montré que pour tous les autres paramètres étudiés, les sources de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf répondent aux normes de potabilité (solvants chlorés, pesticides, ammonium, nitrites, nitrates...).

[Photo : Profil de la turbidité des ressources en eau de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf pendant la première année d’exploitation.]

Qualité de l'eau traitée

La microfiltration tangentielle produit une eau conforme aux normes de potabilité, dont les caractéristiques figurent sur le tableau III. On y relève notamment : une bonne retenue des matières en suspension : turbidité comprise entre 0,2 et 0,3 NTU. L’élimination du fer et du manganèse est quasi totale ; celle des matières organiques est comprise entre 60 et 80 %. Le résiduel d’aluminium est en général inférieur à la limite de détection, avec exceptionnellement une valeur de 35 µg/l en période de très forte turbidité.

La rétention des bactéries est totale sur les membranes (tableau IV).

Conditions de fonctionnement

Débit d’eau traitée

Les paramètres importants de fonctionnement (déterminés par des essais à échelle pilote) sont : la pression transmembranaire (3 à 4 bars), la vitesse de recirculation (3 m/s) et les purges. Des lavages à contre-courant périodiques permettent de régénérer en partie la membrane et donc d’obtenir des flux de perméat globalement plus élevés qu’en régime continu (figure 8). Ces lavages ont une durée de quelques secondes et sont espacés de plusieurs minutes. L'eau brute est conditionnée avec du polychlorure d’aluminium pour augmenter les débits de perméat, diminuer le colmatage des membranes et améliorer l’abattement des matières organiques.

Dans ces conditions de fonctionnement, l'installation est capable de traiter 100 m³/h en débit nominal.

Un premier bilan d’exploitation, réalisé sur l’usine de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf un an après sa mise en service, fait apparaître une consommation énergétique, selon la qualité de l'eau à traiter, comprise entre 0,5 et 0,7 kWh par m³ d’eau produite par microfiltration tangentielle.

[Photo : Influence des décolmatages flux inversé sur les flux de perméat mesurés au cours du temps pour un skid de filtration (surface membranaire : 60,8 m² ; vitesse de recirculation : 3 m/s ; ΔP transmembranaire = 3 bars ; turbidité EB = 100 NTU).]

Conclusion

Un an après la mise en service de l’installation de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf, les résultats d’exploitation ont montré la supériorité de la microfiltration tangentielle par rapport à une filière classique de traitement. En particulier, la qualité de l'eau traitée demeure en effet constante quelles que soient les caractéristiques physicochimiques de l'eau brute.

Les membranes de microfiltration permettent une très bonne rétention des matières en suspension, mais aussi des autres paramètres qui leur sont liés, comme le fer, l'aluminium et les germes microbiens.

Par ailleurs, ce procédé présente aussi de nombreux avantages : l’installation est compacte, démarre automatiquement et répond instantanément à un seuil de turbidité.

BIBLIOGRAPHIE

[1] BOURDON F., BOURBIGOT M.M., FAIVRE M. Microfiltration tangentielle des eaux souterraines d’origine karstique. L’EAU, L’INDUSTRIE, LES NUISANCES, n° 121, septembre 1988, p. 35-41.

[2] MOUTIN C., RUMEAU M. Préparation d’eau potable par microfiltration tangentielle sur membrane minérale. In : 8° Journées Information Eau « JIE 88 », t. 1, conf. AII, Poitiers, 28-30 septembre 1988, 14 p.

[3] SALVATO., LEBORGNE R. L’usine de microfiltration tangentielle par membranes de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf (Syndicat du Sornin). Techniques, Sciences, Méthodes, vol. 85, n° 10, octobre 1990, pp. 495-501.

[4] TAZI-PANA., MOUTIN C., FAVRE M., RUMEAU, BOURBICOT M.M. Déferrisation des eaux souterraines par micro ou ultrafiltration tangentielle, in : 8° Journées Information Eau « JIE 90 », t. 1, conf. n° 15, Poitiers, 28-30 septembre 1990, 14 p.

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