Annie TAZI-PAIN, René LEBORGNE — Compagnie Générale des EauxJean Noël BUTTÉ — OTV
Depuis quelques dizaines d’années, les techniques de séparation liquide/solide sur membranes sont utilisées dans de nombreux secteurs industriels grâce à leur vaste potentiel d’application : agroalimentaire, biotechnologies, traitement des effluents domestiques et industriels, électronique, etc. Dans le domaine du traitement des eaux potables, les possibilités d'utilisation de ces procédés de filtration sur membranes sont également intéressantes. Mise à part l'osmose inverse qui sert au dessalement des eaux de mer ou saumâtres, ce sont les membranes de micro (MF) et d’ultrafiltration (UF) qui ont connu récemment un essor important grâce à leur aptitude à clarifier et à décontaminer l'eau en une seule opération.
À Saint-Maurice-lès-Chateauneuf, en Saône-et-Loire (Syndicat des Eaux de la Vallée du Sornin), la Compagnie Générale des Eaux a construit une installation de microfiltration tangentielle sur membranes minérales. Cette usine, qui a été mise en service en janvier 1990, est capable de traiter 100 m³/h en débit nominal (figure 1).
Cette technologie a été préférée à un traitement classique, qui aurait été difficile à gérer en toutes circonstances, les ressources en eau étant de qualité très variable. Les eaux d'origine karstique distribuées à la population sont de très bonne qualité tout au long de l'année, sauf en période de fortes pluies où elles présentent des pointes de turbidité importantes, accompagnées de teneurs anormales en matières organiques, fer, aluminium et germes microbiens. Ce procédé a aussi été choisi pour ses nombreux avantages : rapidité de mise en œuvre, automatisation aisée et qualité constante du traitement.
La filtration sur membranes
La membrane constitue une barrière sélective qui selon sa porosité permet de séparer les constituants d’un fluide en fonction de leur taille. Le transfert entre les deux milieux séparés par la membrane est induit par une variation de pression. Les procédés à membrane peuvent être classés en fonction de la taille des constituants à éliminer :
- « la filtration, pour 10 μm et plus ;
- « la microfiltration, de 0,1 à 10 μm : traitement des suspensions, clarification, stérilisation ;
- « l'ultrafiltration de 0,001 à 0,1 μm ;
- « l'osmose inverse, de 0,00001 à 0,001 μm : dessalinisation, dénitratation, eau ultrapure (figure 2).
Tableau II
Caractéristiques physicochimiques de l’eau brute mesurées au cours des différents troubles
Paramètres | Unités | 14/2/90 | 20/6/90 | 30/10/90 | 23/11/90 |
---|---|---|---|---|---|
Turbidité | N.T.U. | 100 | 23 | 22 | 17 |
Matières organiques | mg O₂/l | 11,6 | 3,9 | 4,5 | 4 |
Fer | µg/l | 2 275 | 780 | 655 | 525 |
Aluminium | µg/l | 4 115 | 1 145 | 1 130 | 915 |
Manganèse | µg/l | 40 | L.D. | L.D. | L.D. |
L.D. : Limite de détection
Tableau III
Caractéristiques physicochimiques de l’eau traitée
Paramètres | Unités | 14/2/90 | 20/6/90 | 30/10/90 | 21/11/90 |
---|---|---|---|---|---|
Turbidité | N.T.U. | 0,25 | 0,3 | 0,2 | 0,3 |
Matières organiques | mg O₂/l | 1,97 | – | 0,9 | 0,7 |
Fer | µg/l | 15 | L.D. | L.D. | — |
Aluminium | µg/l | 35 | 20 | L.D. | — |
Manganèse | µg/l | L.D. | L.D. | L.D. | — |
L.D. : Limite de détection
Tableau IV
Qualité bactériologique de l’eau brute et de l’eau traitée par microfiltration tangentielle
Paramètres | Unités | 20/6/1990 | 21/11/1990 | 13/12/1990 | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Eau brute | Eau traitée | Eau brute | Eau traitée | Eau brute | Eau traitée | ||
Germes totaux 20 °C | nb/ml | 350 000 | < 6 | > 1 000 | < 6 | 1 500 | < 6 |
Germes totaux 37 °C | nb/ml | 10 000 | < 6 | > 1 000 | < 6 | 240 | < 6 |
Coliformes totaux | nb/100 ml | 5 000 | 0 | > 300 | 0 | 1 000 | 0 |
Coliformes thermo-tolérants | nb/100 ml | 1 500 | 0 | > 300 | 0 | 400 | 0 |
Streptocoques fécaux | nb/100 ml | 5 000 | 0 | 240 | 0 | 180 | 0 |
Spores de bactéries anaérobies sulfito-réductrices | nb/100 ml | 60 | 0 | 9 | 0 | 80 | 0 |
Dans un souci de standardisation du procédé, les modules ont été regroupés en deux sous-unités dénommées « skids » 1 et 2 (figures 5 et 6). Les modules de microfiltration, installés sur un circuit appelé boucle de recirculation, sont agencés en quatre séries de quatre modules fonctionnant en parallèle. Une pompe d’alimentation permet d’introduire l’eau brute dans cette boucle ; une canalisation de perméat collecte pour sa part l’ensemble des eaux traitées. Le débit dans la boucle de recirculation assure une vitesse de 3 m/seconde au niveau de la membrane.
La rétention des particules dans la boucle provoque un enrichissement progressif de cette dernière en matières en suspension ; il est donc nécessaire de procéder régulièrement à des purges, de manière à déconcentrer la boucle. Pour décolmater les membranes, on effectue régulièrement des décolmatages à flux inverse qui sont accompagnés de purges de la boucle de recirculation. Lorsque la dérive du perméat devient irréversible, ou lors de la mise à l’arrêt de l’installation, entre deux épisodes de trouble, on procède à un nettoyage chimique des membranes avec de la soude puis de l’acide nitrique. Les quantités d’acide et de soude utilisées sont calculées pour s’autoneutraliser avant rejet.
L’exploitation
Pendant cette première année d’exploitation, l’installation a été maintenue sous étroite surveillance ; un système complet et automatique d’acquisition de données a permis d’enregistrer les différents paramètres de fonctionnement de l’installation et d’assurer un suivi de la qualité de l’eau.
Qualité de l'eau à traiter
La figure 7 présente le profil des turbidités de l'eau brute depuis février 1990.
Tout au long de l'année, les eaux de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf sont de bonne qualité et ne demandent pas de traitement spécifique, hormis une chloration bactéricide avant refoulement-distribution (tableau I). Pendant les périodes de fortes pluies ou de fontes des neiges, nous avons enregistré des pics de turbidité de 5 à 115 NTU, avec une augmentation très importante des teneurs en aluminium, fer et germes microbiens (tableau II).
Des analyses plus complètes de l'eau, au cours de certains épisodes pluvieux, ont montré que pour tous les autres paramètres étudiés, les sources de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf répondent aux normes de potabilité (solvants chlorés, pesticides, ammonium, nitrites, nitrates...).
Qualité de l'eau traitée
La microfiltration tangentielle produit une eau conforme aux normes de potabilité, dont les caractéristiques figurent sur le tableau III. On y relève notamment : une bonne retenue des matières en suspension : turbidité comprise entre 0,2 et 0,3 NTU. L’élimination du fer et du manganèse est quasi totale ; celle des matières organiques est comprise entre 60 et 80 %. Le résiduel d’aluminium est en général inférieur à la limite de détection, avec exceptionnellement une valeur de 35 µg/l en période de très forte turbidité.
La rétention des bactéries est totale sur les membranes (tableau IV).
Conditions de fonctionnement
Débit d’eau traitée
Les paramètres importants de fonctionnement (déterminés par des essais à échelle pilote) sont : la pression transmembranaire (3 à 4 bars), la vitesse de recirculation (3 m/s) et les purges. Des lavages à contre-courant périodiques permettent de régénérer en partie la membrane et donc d’obtenir des flux de perméat globalement plus élevés qu’en régime continu (figure 8). Ces lavages ont une durée de quelques secondes et sont espacés de plusieurs minutes. L'eau brute est conditionnée avec du polychlorure d’aluminium pour augmenter les débits de perméat, diminuer le colmatage des membranes et améliorer l’abattement des matières organiques.
Dans ces conditions de fonctionnement, l'installation est capable de traiter 100 m³/h en débit nominal.
Un premier bilan d’exploitation, réalisé sur l’usine de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf un an après sa mise en service, fait apparaître une consommation énergétique, selon la qualité de l'eau à traiter, comprise entre 0,5 et 0,7 kWh par m³ d’eau produite par microfiltration tangentielle.
Conclusion
Un an après la mise en service de l’installation de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf, les résultats d’exploitation ont montré la supériorité de la microfiltration tangentielle par rapport à une filière classique de traitement. En particulier, la qualité de l'eau traitée demeure en effet constante quelles que soient les caractéristiques physicochimiques de l'eau brute.
Les membranes de microfiltration permettent une très bonne rétention des matières en suspension, mais aussi des autres paramètres qui leur sont liés, comme le fer, l'aluminium et les germes microbiens.
Par ailleurs, ce procédé présente aussi de nombreux avantages : l’installation est compacte, démarre automatiquement et répond instantanément à un seuil de turbidité.
BIBLIOGRAPHIE
[1] BOURDON F., BOURBIGOT M.M., FAIVRE M. Microfiltration tangentielle des eaux souterraines d’origine karstique. L’EAU, L’INDUSTRIE, LES NUISANCES, n° 121, septembre 1988, p. 35-41.
[2] MOUTIN C., RUMEAU M. Préparation d’eau potable par microfiltration tangentielle sur membrane minérale. In : 8° Journées Information Eau « JIE 88 », t. 1, conf. AII, Poitiers, 28-30 septembre 1988, 14 p.
[3] SALVATO., LEBORGNE R. L’usine de microfiltration tangentielle par membranes de Saint-Maurice-lès-Châteauneuf (Syndicat du Sornin). Techniques, Sciences, Méthodes, vol. 85, n° 10, octobre 1990, pp. 495-501.
[4] TAZI-PANA., MOUTIN C., FAVRE M., RUMEAU, BOURBICOT M.M. Déferrisation des eaux souterraines par micro ou ultrafiltration tangentielle, in : 8° Journées Information Eau « JIE 90 », t. 1, conf. n° 15, Poitiers, 28-30 septembre 1990, 14 p.