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L'influence des nitrates et de la nature du substrat carboné sur la déphosphatation biologique

30 avril 1985 Paru dans le N°91 à la page 53 ( mots)
Rédigé par : Michel FLORENTZ et Marie-claude HASCOET

Il n'est guère nécessaire de souligner l'effet d’eutrophisation dû aux sels minéraux de l'azote et du phosphore, ni la nécessité d’extraire ces éléments pour la préservation de la qualité de l'eau de certaines rivières ou des réserves d'eau potable ; l'eutrophisation est définie par l'abondance excessive dans les eaux de surface d’éléments nutritifs qui provoquent une croissance exagérée des algues et des plantes aquatiques ; ces végétaux empêchent le passage de la lumière et prélèvent alors dans l'eau des quantités importantes d'oxygène, au détriment de la faune et spécialement des poissons qui régressent progressivement puis disparaissent. Le phénomène peut affecter la plupart des eaux de surface, courantes ou non, et en particulier les lacs et les réservoirs. Aussi, devant ce problème complexe d’eutrophisation, il devient de plus en plus urgent d’explorer les voies et moyens qui peuvent mettre fin à son évolution.

Bien que les méthodes physico-chimiques soient séduisantes (en ce qui concerne le phosphore notamment) pour leur rendement, leur fiabilité et donc la qualité de l'effluent produit, il semble intéressant de développer les procédés biologiques puisque les pollutions azotées et phosphorées se classent dans la catégorie des pollutions biodégradables. Ils ont pour avantage de ne nécessiter aucun additif chimique (ce qui entraîne par conséquent un coût d’exploitation réduit) et de fournir une biomasse utilisable, notamment en agriculture.

Les procédés biologiques d’épuration consistent à intensifier un phénomène naturel, connu sous le nom d'auto-épuration, en apportant aux micro-organismes des conditions d’activité optimales. Pour cela, il est indispensable de bien connaître les micro-organismes concernés, la biochimie des réactions mises en œuvre et l'influence des principaux facteurs intervenant sur leurs activités.

L’élimination des phosphates par métabolisation dans les boues activées des stations biologiques classiques est relativement modérée. Les auteurs s'accordent pour dire qu'elle est de l’ordre de 1 % de la DBO éliminée, ce qui correspond à un rendement d’environ 20 % pour un effluent urbain type, basé sur 60 g DBO/habitant/jour, 15 g N/habitant/jour et 3 g P/habitant/jour. Cependant, les résultats obtenus dans différentes stations d’épuration et laboratoires révèlent une déphosphatation beaucoup plus importante. Cette surélimination du phosphore des eaux usées par les micro-organismes est actuellement expliquée par deux théories distinctes qui suscitent quelques controverses. Certains auteurs attribuent cette assimilation à un phénomène biologique dans lequel le phosphore éliminé est accumulé dans le matériel cellulaire ; on parle alors d’assimilation pléthorique ou « luxury uptake » des Anglo-Saxons, due à une perturbation du métabolisme des bactéries des boues activées, tandis que d’autres pensent que le phosphore en excès piégé dans les boues est probablement le résultat d'une précipitation chimique sous forme de phosphate de calcium. Cette forme d’élimination serait très dépendante du pH du milieu.

DIFFÉRENTS PROCÉDÉS D'ÉLIMINATION DU PHOSPHORE

À la fin des années 1960 et au début des années 1970, une multitude de données concernant l'élimination du phosphore, provenant d'installations réelles furent collectées par de nombreuses équipes : Vacker et coll. (1), Connell et coll. (2), Scalf et coll. (3), Millbury et coll. (4). Toutes ces installations étaient de type piston classique, recevant une forte charge et possédant un âge de boues très court. Vacker (1) sur la station de San Antonio constata un relargage de phosphore en tête de bassin et l'interpréta justement comme étant dû à un manque d’oxygène provenant de l'apport massif de pollution, mais n’utilisa pas cette observation pour la recherche d’un procédé permettant d’éliminer le phosphore. À partir de ces observations plusieurs procédés ont été développés, mixtes ou biologiques.

Procédés mixtes

Ce sont les procédés dans lesquels se déroulent simultanément une déphosphatation biologique et une précipitation physico-chimique.

Procédé Phostrip

Ce procédé, développé par Levin et Shapiro, utilise un bassin d'aération classique de type piston. L’aération doit être intense pour obtenir une concentration en oxygène dissous de 3 à 4 ppm à la sortie du bassin. Les boues décantées, riches en phosphore, sont extraites rapidement et admises dans un bassin anaérobie.

[Photo : Système Phostrip]

Le temps de séjour en anaérobiose varie entre 8 et 12 h. Sous ces conditions, le phosphore contenu dans les cellules diffuse dans le milieu extérieur. La biomasse, appauvrie en cet élément, est renvoyée en tête du bassin d’aération, et les phosphates concentrés dans le surnageant sont précipités et séparés dans un floculateur-décanteur.

Procédé par contact stabilisation

Le système de contact-stabilisation (figure 2) conçu pour la nitrification-dénitrification par Jones (6) a été

[Photo : Procédé de contact-stabilisation adapté à la déphosphatation]

adapté à la déphosphatation, la modification consistant à placer un bassin anaérobie entre le décanteur et le bassin de stabilisation.

Ce procédé a été testé sur étude-pilote, mais n’a donné suite à aucune réalisation à pleine échelle.

Procédés biologiques

Procédé Phoredox

Le procédé Bardenpho destiné à éliminer l'azote (figure 3) permet également l’élimination du phosphore. Des mesures de la concentration en phosphore dans les différents compartiments ont montré un relargage massif de phosphore dans le troisième bassin dans la mesure où celui-ci ne contenait pas de nitrates. Ce fut la première mise en évidence du rôle néfaste des nitrates sur le relargage des orthophosphates.

[Photo : Figure 3 – Procédé Bardenpho]

Pour créer le stress bactérien nécessaire à la déphosphatation, Barnard (7) plaça une zone anaérobie en tête de traitement ; ce procédé fut appelé Phoredox (figure 4).

[Photo : Figure 4 – Procédé Phoredox]

Procédé Phoredox modifié

Simpkins et Mc Laren (8), en expérimentant le procédé Phoredox, ont constaté que le taux de dénitrification dans le deuxième bassin anoxique est très faible comparé à celui du premier bassin non aéré. Ces auteurs ont suggéré de supprimer ce bassin et d’augmenter le volume du premier compartiment anoxique. Ce procédé comportant trois zones (anaérobie, anoxique et aérobie) est le procédé Phoredox modifié (figure 5).

[Photo : Figure 5 – Procédé Phoredox modifié]

Barnard (7) proposa une nouvelle modification de ce procédé (figure 6) car il constata qu'il n’était pas nécessaire que la totalité des boues passe par un stade d’anaérobiose : si une partie de la biomasse seulement est recyclée dans le bassin anaérobie, pour un temps de séjour donné, le stress sera plus prononcé et sera obtenu plus rapidement que lorsque la totalité de la biomasse y est admise ; en effet, le rapport DCO/masse de micro-organismes est plus élevé et la quantité de nitrates apportée dans le bassin anaérobie est plus faible, ceci étant dû au volume réduit de boues recyclées.

[Photo : Figure 6 – Modification du procédé Phoredox pour minimiser l'effet des nitrates]

Procédé UCT

Toujours pour minimiser l'effet des nitrates, Marais et coll. (9) proposent le procédé UCT (University of Cape Town) (figure 7).

Les boues secondaires sont recirculées dans le bassin anoxique et non dans le bassin anaérobie. Une nouvelle boucle de recirculation fut introduite entre ces deux bassins non aérés. En maintenant un taux de recirculation approprié, il est possible d’obtenir une concentration en nitrates nulle dans le bassin anoxique, et par conséquent aucun nitrate n’est recyclé dans le bassin anaérobie.

[Photo : Figure 7 – Procédé UCT]

Procédé UCT modifié

Lorsque le rapport NTK/DCO de l’effluent à traiter est élevé, la dénitrification est incomplète et la concentration en nitrates dans les boues recyclées est importante et suffit à charger le bassin anoxique à son potentiel de dénitrification ; la recirculation de la liqueur mixte (a) doit être réduite à zéro. (Le potentiel de dénitrification est la quantité maximale de nitrates qu'un bassin anoxique peut éliminer dans des conditions de charges et de flux constants).

Si la quantité de nitrates recyclés est supérieure au potentiel de dénitrification, ceux-ci sont présents dans le bassin anoxique et parviennent au bassin anaérobie par la boucle de recirculation (r).

[Photo : Figure 8 – Procédé UCT modifié]

Pour les rapports NTK/DCO très élevés, les chercheurs de l’université de Cape Town ont placé en série deux bassins anoxiques (figure 8) permettant de rendre indépendantes les recirculations (a) et (s). C’est le procédé UCT modifié.

Procédé A/O et A2/O

Le procédé A/O (figure 9) développé aux États-Unis (10) est simple, comparé aux systèmes précédents : il est composé d’un bassin anaérobie suivi d’un bassin aéré. Son originalité réside dans le fait qu’il est modulable, c’est-à-dire que le bassin de boues activées est divisé en modules que l’on peut aérer ou non, d’où sa souplesse de fonctionnement.

[Photo : Figure 9 – Procédé A/O]

C’est un procédé « forte charge » : les charges conseillées sont comprises entre 0,08 et 0,4 kg DBO soluble/kg MES/j. Ces charges, calculées sur la DBO entière, peuvent être cinq fois plus grandes (11). Le temps de séjour est

[Photo : Figure 10 – Procédé A2/O]

très court : inférieur ou égal à une heure dans la zone anaérobie, et de deux heures dans la zone aérée.

La mise en place de la nitrification dénitrification modifie ce procédé (figure 10) qui devient A2/O (anaerobic, anoxic, oxic).

Procédé à alimentation étagée (A.R.)

Dérivé du procédé O.T.V. à alternance de zones et à alimentation étagée, mis en place pour la nitrification-dénitrification, ce procédé permet de traiter des effluents dont le rapport NTK/DCO est très élevé (0,135 mg N/mg DCO).

La totalité de l'effluent à traiter et des boues recyclées est admise dans une première cuve non aérée, puis, après un temps de séjour suffisant, la liqueur mixte est introduite en différents points du réacteur de boues activées. Ce dernier comporte deux zones non aérées qui assurent la dénitrification de la liqueur mixte nitrifiée dans les zones précédentes.

Les résultats obtenus avec un tel procédé sont une élimination de 90 % de la DCO, 81 % de l'azote Kejdhal et 81 % du phosphore soluble.

ÉTUDE SUR PILOTE DE LABORATOIRE

Pour notre part, au vu des résultats disparates et parfois contradictoires de la littérature concernant l'explication du phénomène d’accumulation du phosphore à l'intérieur d'un système de boues activées, il nous a semblé intéressant, afin d’aborder les divers aspects microbiologiques et biochimiques, de développer sur le schéma proposé par Barnard, un pilote permettant d’éliminer le phosphore, et d’en étudier la biomasse spécifique.

Le pilote utilisé, d'un volume de 6,4 l, ne comporte qu'une seule cuve suivie d'un décanteur. L'eau épurée est obtenue par surverse à la sortie du décanteur secondaire (figure 11).

[Photo : Fig. 11 – Principe de fonctionnement du pilote]

En période d’aération, l'air est insufflé dans le réacteur biologique à l'aide d'un compresseur branché sur l'horloge de programmation ; le substrat concentré ainsi que l'eau de dilution sont envoyés dans la cuve des boues activées à l'aide de pompes péristaltiques. Une chasse journalière pour soustraire les boues en excès se fait par une prise sur le circuit de défilement devant la sonde à oxygène dissous, celle-ci permettant de contrôler la respiration des boues.

Nous avons transposé dans le temps ce qui se passerait normalement dans l'espace sur une installation réelle fonctionnant selon le principe de l'alternance de phases anaérobies-aérobies. Ceci a été obtenu en alternant séquentiellement (3 cycles/jour) les phases aérées-non aérées de la manière suivante :

Cycle de fonctionnement du pilote

(1) ALIMENTATION EN SUBSTRAT SYNTHÉTIQUE.

(2) ALIMENTATION EN EAU.

Au cours de la phase non aérée, un brassage continu évite la décantation des boues. Si l'on considère le chemin effectué par un floc de boues activées, celui-ci se trouve tout d’abord en tête du système en présence de toute la pollution carbonée dans une zone anaérobie. Ensuite, cette même bactérie passe dans un bassin d’aération où elle dégrade la pollution. Enfin, avant d’être recyclée en tête, cette bactérie séjourne dans le décanteur en absence d’oxygène dissous et de pollution dégradable, le temps nécessaire à sa décantation.

Les temps de programmation ont été calculés par rapport au temps de séjour moyen des boues dans un système réel. De plus, du fait de la reprise immédiate de la boue dans le décanteur par la pompe de recirculation, il nous a semblé nécessaire de placer dans notre système une zone anaérobie sans alimentation carbonée afin de simuler de façon aussi exacte que possible le décanteur dans la réalité.

L'unité pilote décrite précédemment a été ensemencée avec des boues prélevées à la station urbaine de Colombes. Afin d’alimenter le pilote avec une alimentation de composition constante, nous avons utilisé un substrat synthétique à base d’extrait de viande. Le tableau 1 représente les résultats obtenus sur une période de quatre semaines, après équilibre du système.

Tableau 1 :

Bilan de fonctionnement du pilote

DCO entrée (mg/l) 891 ± 19
DCO sortie (mg/l) 89 ± 16
Rendement d'élimination (%) 90
MES (g/l) 4,77 ± 0,6
Débit (l/j) 7,6 ± 1,5
Charge massique (kg DCO/kg MES/j) 0,22 ± 0,03
P-PO4 entrée (mg/l) 57,4 ± 1,9
P-PO4 sortie (mg/l) 15,3 ± 1,2
Rendement d'élimination (%) 74

n = 15, SD = déviation standard, I = SD

Ce tableau nous montre une élimination importante du phosphore : 74 % du phosphore de l’effluent d’entrée sont éliminés, ce qui correspond à 7,2 % de la DBO éliminée (valeur 5 à 6 fois supérieure à celle obtenue par un traitement biologique conventionnel). Par ailleurs, cette étude a permis les observations suivantes :

  1. Relargage important de phosphore dans le milieu extérieur au cours de la phase d’anaérobiose et nécessité de cette dernière pour l'assimilation par la suite en période aérée.
  2. Corrélation étroite entre la quantité de phosphore relarguée et la quantité piégée.
  3. Teneur en phosphore des boues élevée : 11 % de P/MEST (4 à 5 fois supérieure à celle habituellement obtenue dans une boue activée classique).
  4. Importance de l'apport de pollution carbonée au cours de la phase anaérobie afin d'engendrer le phénomène de « stress ».

INFLUENCE DES NITRATES SUR LA DÉPHOSPHATATION BIOLOGIQUE

De nombreuses études mentionnent le rôle perturbateur des nitrates pour la surélimination du phosphore. Leur présence inhibe le relargage des orthophosphates dans la zone non aérée qui

n’est plus en état d’anaérobiose. Trois hypothèses sont avancées par Osborn et Nicholls (12) pour expliquer ce phénomène :

  • - l’ion NO₃⁻ bloque certaines voies métaboliques du relargage,
  • - la présence des nitrates permet de sélectionner les bactéries dénitrifiantes au détriment des micro-organismes du phosphore. Cette hypothèse suppose que l’élimination du phosphore est assurée par des micro-organismes spécifiques,
  • - les micro-organismes ne subissent pas de stress anaérobie puisqu’il existe dans le milieu de l’oxygène lié. Il n’y a donc pas activation de la polyphosphate-kinase.

Cependant, contrairement à Davelaar (13), ces auteurs admettent qu'un apport de 2 mg/l de N-NO₃ (valeur minimale) ne modifie en rien le rendement d’élimination ; en fait, il semble que la quantité de nitrates admissible dans la zone anaérobie dépende de l’apport de pollution carbonée et du temps de séjour dans cette zone.

Afin d’approfondir les mécanismes d’inhibition par les nitrates, nous avons effectué divers essais en système statique. Six béchers d’un litre reçoivent 300 ml de biomasse et 100 ml de substrat synthétique (concentration : 1 000 mg/l DCO) ; 100 ml de nitrate de sodium sont ajoutés dans cinq béchers, la concentration exprimée en N-NO₃ est déterminée pour obtenir une concentration finale de 5, 10, 15, 25 et 50 mg/l N-NO₃. Le sixième bécher reçoit 100 ml d’eau distillée et sert de témoin. La concentration finale en DCO est de 200 mg/l. Cette série de tests est renouvelée pour des concentrations en substrat carboné de 250, 300 et 400 mg/l.

La biomasse dont la concentration finale est de 3 g/l subit une période non aérée de 2,5 h (l’addition du substrat carboné représentant le temps t = 0), suivie d’une période d’aération de 5 heures.

La figure 12 présente la cinétique de relargage et d’assimilation du phosphore en présence de nitrates à différentes concentrations.

[Photo : Figure 12 : Cinétique du relargage et d’assimilation du phosphore en présence de nitrates à différentes concentrations]

Nous observons un relargage immédiatement après l’addition du substrat quelle que soit la concentration en nitrates dans la solution. Puis celle-ci cesse et les orthophosphates sont assimilés. La durée du relargage varie suivant la concentration du substrat et des nitrates :

  • - pour une concentration en DCO donnée (par exemple 250 mg/l), le début de l’assimilation commence d’autant plus tôt que la concentration en nitrates est importante ;
  • - pour une concentration en nitrates fixée (par exemple 50 mg/l N-NO₃), l’assimilation commence d’autant plus tôt que la concentration en DCO est plus faible.

Ainsi, contrairement à toutes les études portant sur ce sujet, un relargage des orthophosphates est observé en présence de nitrates. Deux hypothèses peuvent expliquer ce résultat :

  • - il est possible que l’oxygène des nitrates soit masqué par l’apport massif de pollution. Cet oxygène a une disponibilité moindre que l’oxygène dissous et le relargage observé proviendrait d’une partie de la biomasse incapable d’utiliser l’oxygène des nitrates. Les courbes observées montreraient la différence entre la vitesse d’excrétion des orthophosphates et la vitesse d’assimilation. Au départ, la différence est positive, puis s’annule et devient négative ;
  • - l’addition du substrat provoque une chute de potentiel d’oxydo-réduction de la liqueur mixte qui atteint une valeur suffisamment basse pour induire le relargage. Puis la DCO rapidement piégée est utilisée par les bactéries dénitrifiantes pour réduire les nitrates, les valeurs de potentiel d’oxydo-réduction s’élèvent, permettant à la biomasse d’assimiler le phosphore.

INFLUENCE DE LA CHARGE POLLUANTE ET DE LA NATURE DU SUBSTRAT SUR LE RELARGAGE EN ANAÉROBIE

Dans un système de boues activées subissant une alternance de phases anaérobie-aérobie, nous avons pu observer sur la figure 13 qu’il y avait une relation étroite entre la quantité de phosphore relarguée en période d’anaérobiose et la quantité assimilée en période aérée. D’après la littérature, la zone anaérobie aurait pour rôle de développer des substrats directement assimilables et ceci favoriserait la prolifération de certaines espèces ; il nous est donc apparu intéressant d’observer l’influence de différents substrats à courte chaîne carbonée sur le phénomène de relargage du phosphore. Pour cela, nous avons mis en contact les boues adaptées du pilote, prélevées en fin de période aérobie, avec ces différents composés dans un fermenteur non aéré durant une période de 2 h 30. Après cette période d’anaérobiose, l’aération est rétablie. Nous avons testé chaque composé à diverses concentrations, comprises entre 180 et 400 mg/l de DCO, gamme généralement observée dans les eaux résiduaires urbaines. Les résultats sont représentés sur la figure 13 ; outre l’absence complète de relargage pour la culture témoin en absence de pollution carbonée, nous observons que les résultats sont très différents suivant le type de substrat choisi.

L’excrétion maximum de phosphate dans le milieu extérieur, en période non aérée, est obtenue avec l’acétate pour une charge polluante comprise entre 450 et 200 mg/l en DCO. À même quantité de pollution et pour une concentration équivalente, le relargage du phosphate est nettement plus faible pour les autres substrats tels que le butyrate, le formiate ou le glucose, voire nul pour le glycérol et l’éthanol. Le rôle de l’acétate dans le phénomène semble primordial et confirme le modèle biochimique de Marais (1982) représenté par l’équation suivante (1) :

2 acétate + 2 ATP → acétoacétate + 2 ADP + 2 Pi — relargage

En ce qui concerne le glucose, celui-ci est tout d’abord dégradé jusqu’au stade pyruvate (en suivant la voie d’Embden-Meyerhof), lequel est dégradé ensuite jusqu’au stade acétate et l’on se retrouve alors dans le cas de l’équation (1).

Dans la ré-aération du milieu, l’assimilation du phosphore par les micro-organismes est immédiate sauf dans le cas du formiate ; une explication possible pourrait être la transformation d’une partie de l’acide formique présent en formaldéhyde, dont on connaît la toxicité vis-à-vis des bactéries.

Il est probable que pour la majorité des substrats carbonés présents dans une eau usée lors de leur dégradation, et ce par des chemins plus ou moins détournés, les voies métaboliques se retrouvent soit au niveau du pyruvate, soit au niveau acétyl-CoA, et qu’en présence d’oxygène les réactions se déroulent au niveau du cycle de Krebs et des chaînes respiratoires. Ainsi durant la période aérobie, l’acétoacétate stocké en anaérobiose est dégradé selon la réaction suivante :

1 acétoacétate + 4 O₂ + 8 NADH + H⁺ + 22 ADP + 22 Pi — assimilation → 4 CO₂ + 8 H₂O + 8 NAD + 22 ATP

ce qui signifie que pour chaque molécule d’acétoacétate dégradée, 22 molécules d’ATP sont produites. Si l’on se ramène à l’équation (1), nous constatons que pour 2 molécules d’ATP consommées à partir du pool de polyphosphate durant la période d’anaérobiose, 22 sont produites par la glycolyse aérobie. Ceci ne pourrait donc être possible sans un stockage de phosphore en période aérée à l’intérieur du cytoplasme cellulaire.

CONCLUSION

Ainsi les essais en laboratoire ou les expérimentations en grandeur nature ont démontré la faisabilité sans apport de réactif chimique, d’une surélimination du phosphore, dans un système biologique, par passages successifs en phases aérobies et anaérobies. Les essais, effectués sur pilote de laboratoire avec un effluent synthétique, ont en effet permis de piéger une quantité de phosphore sept fois supérieure à celle théoriquement nécessaire aux besoins nutritionnels des micro-organismes épurateurs, ce qui conduit à l’élimination d’un poids de phosphore correspondant à 7 % de la DBO₅ éliminée et un rendement de 75 % dans les conditions de l’essai avec une eau d’entrée titrant initialement 57 mg/l en phosphore.

Pour cette surélimination du phosphore, le rôle capital de l’apport de pollution carbonée en phase anaérobie a été constaté. Il est vraisemblable que cette phase non aérée permet de sélectionner une microflore anaérobie facultative qui transforme les polluants initiaux en substrats facilement assimilables pour certaines souches bactériennes capables de métaboliser de grandes quantités de phosphore telles que Acinetobacter calcoaceticus. Mais cette hypothèse n’a cependant pu être vérifiée du fait des difficultés d’isolement représentatif d’Acinetobacter dans les boues.

Concernant le rôle des nitrates, les essais en système statique ont montré que lorsque la biomasse est adaptée à l’élimination du phosphore, c’est-à-dire qu’elle relargue le phosphore en période anaérobie, un apport ponctuel de nitrates ne modifie pas l’assimilation du phosphore. Il modifie seulement le comportement de la biomasse en période non aérée, mais une concentration élevée en nitrates est compensée par une forte DCO qui provoque une chute du potentiel d’oxydo-réduction. Par contre, un flux continu de nitrates supprime le relargage, ce qui a pour conséquence de réduire l’élimination du phosphore. Il est donc nécessaire sur toute réalisation industrielle de déphosphatation biologique d’obtenir simultanément une dénitrification complète.

Enfin, compte tenu de la teneur importante de phosphore piégée par les micro-organismes des boues activées, il convient de se tourner vers la valorisation des boues produites en vue d’une utilisation en agriculture dans la mesure où elles remplissent toutes les garanties sanitaires concernant les germes pathogènes et les métaux lourds.

N.D.L.R. – La bibliographie sera fournie par les auteurs aux lecteurs intéressés.

[Photo : Influence de la nature du substrat sur le relargage et l’assimilation du phosphore]
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