Communication de M. le Docteur Jürgen SCHAAFHAUSEN, membre du Directoire de HOECHST AG, à la conférence de presse internationale le 26 avril 1978 à Frankfurt-Höchst (R.F.A.)
L'intérêt que porte l’opinion publique aux problèmes écologiques ne s'est jamais démenti, ainsi qu’en témoigne l’abondance du courrier que nous recevons presque quotidiennement...
Notre usine-mère de Frankfurt/Höchst accueille tous les ans quelque 8.000 visiteurs qui viennent s’informer des mesures que nous prenons sur le plan écologique.
La plupart d’entre eux n’ont d’ailleurs qu'une idée vague de nos réalisations dans ce secteur et émettent le désir de nous voir en parler plus fréquemment. Voilà donc une des raisons pour lesquelles a été organisée cette conférence de presse sur la protection de l’environnement, la 12ᵉ que nous organisons depuis 1965 dans cette région au confluent du Main et du Rhin.
DES RÉALISATIONS ET DES CHIFFRES
L’extension de la station d’épuration chimio-biologique des eaux usées de notre usine-mère de Höchst nous en fournissait l’occasion. Son projet a déjà été exposé et expliqué au public il y a deux ans, peu après le début des travaux. On peut constater aujourd'hui que les plans sont devenus réalité : la nouvelle station vient d’entrer en service en avril 1978 et fonctionne à plein régime.
Cette installation, dont le coût s’élève à 60 millions de DM, fait ainsi passer à environ 150 millions de DM le montant total des investissements consacrés, dans notre usine-mère de Höchst, à l’épuration des eaux usées provenant des installations de production.
L'épuration des eaux usées représente donc — et de loin — le projet le plus onéreux que nous ayons jamais réalisé dans cette usine. L’extension que nous venons d’achever permet maintenant de traiter dans la station toutes les eaux usées provenant des unités de production, et qu'il était prévu d’épurer par voie biologique.
La capacité d'introduction d’oxygène, soit 205 tonnes par jour, met l'installation de l’usine-mère de Höchst au second rang mondial des stations d’épuration des eaux usées industrielles. Au total, le groupe Hoechst dans son ensemble dispose maintenant de 30 grandes stations de traitement ou d’élimination des eaux usées, dont 16 se trouvent dans des usines de R.F.A. et 14 à l’étranger.
Nous avons d’autre part mis en service l’an dernier, toujours à l’usine de Frankfurt/Höchst, une installation fonctionnant en régime de production pour la récupération de substances valorisables issues de sous-produits de l’industrie chimique. Sa mise en service représente 20 millions de DM d’investissements. Si l’on y ajoute les coûts d’exploitation, les mesures de protection de l’environnement totalisent maintenant plus de 8 % des frais de production de notre groupe en Allemagne. Nous disposons en outre, à l’AGR de Francfort, de nouvelles installations de pulvérisation des chlorés et déchets de solvants, et, dans plusieurs de nos établissements, de sécheurs à vide pour résines, déchets et chlore liquide.
Dès 1971 – 1972 nous avons modernisé nos installations d’épuration des eaux résiduelles issues des procédés chimiques. À cet effet, nous avons investi plus de 350 millions de DM (le volume est passé de 228 à 372). Nous avons en outre pris un grand nombre de mesures visant à réduire le bruit dans nos unités de production.
Il va sans dire que toutes ces mesures occasionnent des coûts considérables. Rien qu’en 1971, à la filiale de construction « Immeuble Bau » de Hoechst AG, nous avons encore investi 12 millions de DM dans de nouvelles installations destinées à l’élimination des gaz d’échappement et des effluents contaminés. À l’échelon mondial, l’entreprise investit 125 millions de DM en faveur de l’environnement.
Les frais d’exploitation de ces installations fortement complexes augmentent eux aussi : en 1972, il nous faut dépenser 210 millions de DM pour Hoechst AG et 320 millions de DM pour l’ensemble du groupe.
Toutefois ces indications ne suffisent pas à donner l’intégralité des dépenses consenties en faveur de la protection de l’environnement ; il convient d’y ajouter les mesures de plus en plus coûteuses prises pour éliminer les produits résiduels. La recherche et le soin extrême apportés aux problèmes de sécurité des procédés de production entraînent également des coûts croissants, ainsi que l’établissement de nombreuses prescriptions, en majorité imposées par l’État, nous obligeant à mettre au point de nouveaux procédés.
Nous avons en particulier installé dans nos laboratoires de recherche un équipement unique dans l’industrie chimique pour l’étude des émissions et la mise au point de procédés alternatifs. À Höchst, une importante installation de traitement des résidus chlorés sera transformée en produits de substitution à haute valeur ; elle coûtera plus de 70 millions de DM et son rendement ne dépassera pas 15 000 tonnes de déchets par an.
Les investissements et les coûts d’exploitation de la recherche représentent, tous pays confondus, environ 160 millions de DM par an. Actuellement, 2 600 chercheurs sont occupés à des études de production qui coûtent 2 millions de DM par jour pour la protection de l’environnement.
MAIS : UNE INCIDENCE SUR LA COMPÉTITIVITÉ
Ces frais doivent être récupérés d’une manière ou d’une autre ; ils ne disparaissent pas dans la nature. Chez Hoechst AG, leur répercussion moyenne sur le prix des produits s’exprime généralement par une majoration de 4 %. Ce chiffre pourrait paraître peu important au profane ; il n’en est pas moins que les dépenses écologiques n’en sont qu’à leurs débuts : la somme de ces coûts croissants, ajoutée aux charges structurelles différentes entre régions industrielles soumises à des réglementations plus ou moins strictes, pèsera lourdement sur notre compétitivité, surtout si l’on atteint 2 – 4 % du chiffre d’affaires dans certains pays. Nous pouvons nous attendre à ce que ces contraintes se renforcent dans les années à venir.
Jusqu’ici, la totalité des surcoûts de production n’a pas été entièrement répercutée sur nos clients allemands, notamment pour les produits pharmaceutiques et chimiques. Mais la situation est appelée à changer, et les surcoûts écologiques pèseront tôt ou tard sur les prix de vente.
Les contraintes élevées ainsi imposées dans tous ces secteurs exercent une influence de plus en plus importante sur notre compétitivité. Si l’on ajoute d’autres facteurs essentiels – charges sociales plus fortes, salaires plus élevés – nous passons désormais en tête, en termes de coûts, devant la moyenne européenne et même devant les U.S.A. (de 8 %) et le Japon (de 13 %). À cela s’ajoutent les variations monétaires, notamment la forte dévaluation du dollar, et la politique de dumping pratiquée sur certains marchés.
Tous ces facteurs placent l’industrie chimique dans une situation délicate, d’autant que la production se rationalise dans un contexte de récession internationale.
UNE INCIDENCE NÉGATIVE SUR L’EMPLOI
Il est parfois avancé que la protection de l’environnement stimule la création d’emplois. Certes, la construction et l’installation d’équipements d’épuration créent temporairement de l’activité. Mais, dans la durée, la main-d’œuvre requise est limitée. À Höchst, un investissement de près de 500 millions de DM ne permettra l’embauche que d’une centaine de personnes au plus. La fabrication de produits chimiques « propres » n’exerce qu’une influence marginale sur la situation de l’emploi ; en revanche, la mise hors production de certaines unités, à cause de normes écologiques trop strictes, peut entraîner des suppressions de postes. L’intensification de la politique écologique ne saurait donc être présentée comme une solution au chômage.
Il convient enfin de rappeler que, dans une branche fortement dépendante des exportations, des contraintes écologiques excessives compromettent directement les débouchés, donc l’emploi.
DES CONTRAINTES ÉCOLOGIQUES EXCESSIVES METTENT L’ENTREPRISE EN DANGER
Depuis 1971, l’autorisation d’exploiter des installations chimiques est soumise en RFA à la loi fédérale sur la protection contre les nuisances. Les exigences en matière de sécurité y sont plus strictes que dans d’autres pays industriels ; les contrôles sont approfondis. Les dépenses consacrées à l’épuration des eaux, par exemple, sont élevées. Il est indispensable que le législateur tienne compte de la nécessité d’aménagements possibles, dans le souci d’une protection efficace sans mettre en péril la compétitivité de l’industrie.
Les immissions que la directive « TA-LUFT » ont été rédigées « à chaud » en période de forte conjoncture économique, et en s’orientant trop unilatéralement sur les intérêts d’ordre écologiques. Les demandes d'autorisation sont devenues plus volumineuses et plus compliquées.
Jusqu’à 20 % du travail d’étude d'une nouvelle installation est aujourd'hui nécessaire pour établir les dossiers requis. C’est ce que nous appelons « l'ingénierie administrative ». Bien entendu, cet important volume de travail restreint notre souplesse, et ce alors que la situation économique est tendue et qu'il est indispensable de s’adapter particulièrement vite aux changements intervenant sur le marché.
On peut imaginer qu'une plus grande facilité serait donnée si l'on parvenait à « nuancer » cette procédure. Les projets de petite ou moyenne importance (soit 70 à 80 % de toutes les demandes effectuées par l'industrie chimique) pourraient par exemple être traités plus rapidement suivant une procédure simplifiée.
L’amendement prévu de la « TA-Luft » a également mis les taux d'immission à l'ordre du jour, c’est-à-dire les valeurs limite admissibles de pollution de l'air que nous respirons. Certes l'audition d'experts en février de cette année a permis d’établir que les taux actuellement en vigueur sont largement inférieurs aux concentrations auxquelles un effet supposé commencerait tout juste à se manifester chez l'homme. Pourtant, d’aucuns semblent manifestement militer en faveur d’une sévérité accrue de ces taux ou des prescriptions de mesure et de dépouillement des résultats enregistrés.
Malheureusement, ces décisions sont prises en des lieux où nous n’avons pas accès. Nous tenons à mettre instamment en garde contre toute mesure qui aggraverait encore la situation et pourrait avoir, sur le plan économique, des conséquences imprévisibles et que l'on ne souhaite probablement pas. À la longue nous ne pouvons pas nous accommoder de décrets tels qu’ils ont été prononcés ou envisagés en Rhénanie du Nord-Westphalie.
Le Conseil des Ministres de R.F.A. a décidé, dans le contexte de la modification de la loi sur la protection contre les immissions et de la « TA-Luft », qu'il convenait de « trouver un juste équilibre entre les exigences écologiques et celles de l'emploi et de la croissance économique ». Il nous reste à espérer que cet équilibre sera trouvé, afin que la protection de l'environnement soit optimale et l'emploi assuré.
Nous ne pouvons considérer comme optimale une solution prévoyant l'application de critères différents pour juger des nuisances écologiques selon que les mesures de protection sont à la charge de l'industrie ou de l'État. Je me réfère au bruit. Le gouvernement fédéral a décidé de promulguer, en ce qui concerne le bruit de la circulation qui suscite la plupart des plaintes parmi la population, une loi spéciale relativement peu sévère, alors que les bruits d'origine industrielle tombent sous le coup de la directive « Ta Lärm », entrée en vigueur dès 1968 et qu'il serait urgent d’amender. Il est tout simplement faux de prétendre que cette réglementation a donné de bons résultats dans la pratique. Certes, c'est ce qu’affirme le Ministère de l'Intérieur. En fait, seuls le bon sens et la notion des réalités dont ont fait preuve jusqu’ici les Services d’Inspection du Travail ont permis d'éviter un éclat. S'il est facile de comprendre qu'il est impossible de fixer les mêmes taux de niveaux sonores pour la circulation et pour l'industrie — nous nous y refuserions nous-mêmes dans l’intérêt de notre voisinage — il n’en est pas moins indispensable d’adapter aux conditions pratiques les catégories de régions pour lesquelles ces valeurs sont fixées, faute de quoi nous serons bientôt dans l’impossibilité de trouver un seul nouveau lieu d'implantation sur tout le territoire de la R.F.A.
UNE IMPASSE POUR LES DÉCHETS INDUSTRIELS
L'élimination des déchets et des ordures est réglementée jusque dans ses moindres détails par une Loi Fédérale qui vient d’être remaniée l’an dernier, ainsi que par de nombreuses directives. Aux termes de cette loi les Länder doivent établir des projets d’élimination des déchets selon des critères suprarégionaux et fixer, entre autres, les lieux d'implantation des décharges. Cela semble raisonnable. La réalité est hélas toute différente. En dépit de tous les efforts déployés par le gouvernement du Land nous attendons depuis déjà des années en Hesse la décharge spéciale de Mainflingen, quelques habitants et les autorités communales en ayant jusqu’à maintenant empêché la réalisation ! Le législateur n’a manifestement pas envisagé une telle évolution dangereuse.
Nos usines de la région Rhin-Main ont un urgent besoin d'une solution valable à long terme pour se débarrasser des déchets qu’engendrent nécessairement nos unités de production. Nous sommes d'accord avec les autorités compétentes pour dire qu’une telle solution est réalisée à Mainflingen, et sans le moindre danger.
L’ÉLIMINATION DES PHOSPHATES
Il existe également une grande quantité de prescriptions dans le domaine de la protection des eaux. Je n’aborderai brièvement ici, si vous le voulez bien, que le problème posé par les produits lessiviels. Ceux-ci contiennent des détergents provoquant la formation de mousse. C’est la raison pour laquelle nous avons mis au point des produits biodégradables. Depuis, les montagnes de mousse ont disparu de nos cours d’eau.
Le débat s’est porté maintenant sur les phosphates contenus dans les produits de lavage. Les phosphates peuvent favoriser la croissance des algues dans les eaux stagnantes et entraîner par là l'eutrophisation de ces eaux. Toutefois, en R.F.A., 40 % seulement des phosphates se trouvant dans les eaux usées proviennent de produits de lavage, le reste venant essentiellement des eaux usées d'origine sanitaire ou d’eaux alluvionnaires. Pour protéger les lacs contre l’eutrophisation il faut éliminer tous les phosphates des eaux usées, ce qui est possible en faisant appel à des procédés modernes de précipitation. La seule réduction des phosphates provenant de produits lessiviels telle qu'elle est prévue par la loi n’apporte rien, sinon des inconvénients entraînés pour ces produits et les stations d’épuration par les substances de remplacement.
SOUS COUVERT D'ÉCOLOGIE, DOIT-ON DÉVOILER DES SECRETS À LA CONCURRENCE ?
Une grande quantité de prescriptions concernent d’autres groupes de produits. C’est ainsi, par exemple, que les produits pharmaceutiques, phytosanitaires et cosmétiques font l'objet de réglementations, de même que les emballages alimentaires et les jouets. La notion de « produits chimiques à incidence écologique » a été lancée dans l’intention de soumettre tous les produits à un contrôle de l'État.
Permettez-moi encore quelques remarques à ce sujet : l'industrie chimique ouest-allemande vient récemment d'introduire des notices techniques concernant la sécurité et permettant de protéger la clientèle — donc l’environnement — des dangers entraînés par un maniement incorrect des produits chimiques. Je tiens à souligner que cette action a été lancée dans le cadre des responsabilités qu’entend assumer l'industrie chimique donc sans la moindre contrainte. Nous accepterions par ailleurs toute procédure de contrôle qui s’appliquerait aux seules substances nouvelles susceptibles de constituer un réel danger pour l'homme et l’environnement. Encore faudrait-il que cette procédure soit unifiée au moins pour tous les pays des Communautés européennes. Dans ce contexte nous hésiterions toutefois, c'est compréhensible, à fournir des renseignements à des Autorités communautaires, par l'intermédiaire desquelles nos concurrents dans d'autres pays du Marché Commun — qui sont en partie des entreprises nationalisées — seraient immédiatement informés de l'existence des nouveaux produits mis au point par nos soins et de leurs domaines d'application.
De concert avec les Services Gouvernementaux de notre pays, nous sommes d’avis que les examens toxicologiques et écologiques effectués sur les nouvelles substances doivent être réalisés selon un plan comportant plusieurs étapes, en fonction du succès économique de ces produits et par là, des quantités mises en circulation. En d’autres termes, plus un produit se vend et plus il doit être contrôlé. Ce plan en plusieurs étapes devrait permettre d’éviter que les petites et moyennes entreprises, en particulier, se voient grevées à tel point de frais d’examen que le développement de produits nouveaux s’en trouverait freiné, voire empêché. L'industrie chimique vit de l’innovation, innovation qui est indispensable entre autres aussi dans l'intérêt même de la protection de l'environnement.
La communication de données concernant des produits ou des procédés recèle dès maintenant le danger d'une hémorragie du savoir-faire. Nous sommes préoccupés par la tendance selon laquelle, dans le cadre des procédures d’autorisation de nouvelles productions par exemple, il nous est réclamé de plus en plus de chiffres qui sont diffusés à un nombre croissant de personnes. Il devient de plus en plus probable que des concurrents prennent connaissance des résultats des travaux de recherche des entreprises, résultats acquis au prix de dépenses considérables dont l'utilité se trouverait de ce fait compromise. L'industrie chimique doit donc exiger que les renseignements à fournir soient strictement limités aux données effectivement nécessaires pour évaluer la conformité d'une unité de production sur le plan de l’écologie et de la sécurité du travail.
NÉANMOINS, UNE VOLONTÉ CONFIRMÉE DE COOPÉRATION...
Nous aurons encore à faire face, à l'avenir, à toute une série de problèmes concernant la protection de l'environnement. Dans ce contexte, l'industrie et les pouvoirs publics doivent tenir compte des leçons à tirer des erreurs du passé. Nous répétons que nous demeurons coopératifs. Des solutions adéquates ne peuvent être trouvées qu’au sein de commissions mixtes composées de représentants des Pouvoirs publics, de l'industrie et de la Recherche.
Nous comprenons parfaitement que les jeunes chimistes et ingénieurs frais émoulus de l'Université travaillant pour les institutions écologiques de l’État ne puissent être au fait des réalités pratiques des usines chimiques. C’est la raison pour laquelle nous sommes prêts à communiquer les connaissances indispensables à ces jeunes scientifiques, dans le cadre même de nos unités de production.
Dans l'intérêt des citoyens et d'une économie nationale saine, la politique écologique devra se fonder à l'avenir sur l'évaluation pondérée de l'utilité écologique, des dépenses administratives et des contraintes économiques...
Dr J. SCHAAFHAUSEN