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L'incinération des déchets ménagers : quel avenir ?

30 janvier 1989 Paru dans le N°124 à la page 37 ( mots)
Rédigé par : J.m. REBILLAT

L’incinération est une technique de traitement des ordures ménagères qui a connu jusqu’à ce jour une progression constante. À partir de 1974 en particulier, la hausse importante des coûts de l’énergie a favorisé l’incinération avec récupération d’énergie. Le parc d’incinérateurs avec récupération d’énergie a ainsi doublé de 1975 à 1985. En France, 36 % des ordures ménagères sont traitées par incinération dans 283 usines, dont 65 avec récupération d’énergie. Ces dernières produisent 670 000 tep (tonnes d’équivalent pétrole) dont 450 000 sont valorisées.

L’arrêté du 9 juin 1986, qui institue des normes sévères sur les rejets atmosphériques, et la perspective d’une réglementation européenne encore plus stricte ne risquent-ils pas de porter un coup fatal à l’incinération ? C’est la question que l’on peut se poser en 1988 et ce, quelle que soit la taille des unités. La baisse importante du coût de l’énergie ne peut en effet a priori que constituer un frein supplémentaire au développement de cette filière.

*Dans la région parisienne, 1 759 000 tonnes d’ordures ménagères ont été incinérées en 1987, à Saint-Ouen, Ivry et Issy-les-Moulineaux dans les usines exploitées par la TIRU, et 270 000 tep ont été valorisées, soit 60 % de la quantité totale ainsi valorisée dans l’ensemble des usines d’incinération françaises.L’usine de Saint-Ouen, qui sera mise en service en 1989 avec une capacité nominale de 550 000 tonnes, bénéficiera des résultats de l’expérience acquise dans ces trois unités.*

[Photo : Usine d’Ivry-sur-Seine]

INTÉRÊT DE L’INCINÉRATION DES DÉCHETS MÉNAGERS

L’incinération des déchets ménagers constitue un moyen efficace de traitement.

Elle est probablement la seule technique à pouvoir répondre aux besoins de la collectivité dès que les quantités de déchets dépassent quelques centaines de tonnes par jour ; autant dire que l’incinération est particulièrement adaptée aux zones urbaines à forte concentration de population ; on peut rappeler à cet effet qu’en Europe occidentale, un habitant produit environ 1 kg de déchets par jour.

L’augmentation lente mais régulière de ce ratio de production de déchets ménagers et l’augmentation tout aussi inéluctable de leur pouvoir calorifique constituent des facteurs favorables pour l’incinération.

L’INCINÉRATION,TECHNIQUE PERFORMANTE ET PROPRE

Évolution de la technique

De 1965 à 1980, l’incinération des ordures ménagères a connu une évolution technique considérable qui peut être illustrée par quelques chiffres :

— le rendement des groupes fours-chaudières a atteint 85 % alors que rares étaient les installations qui en 1965 dépassaient 60 %,

— le taux d’imbrûlés dans les mâchefers est passé de 10 % (voire davantage) à moins de 2 %,

— le taux de poussières rejetées à l’atmosphère a été abaissé de 500 mg/Nm³ environ à moins de 50 mg/Nm³.

Cette évolution, dont on avait pu craindre à une certaine époque qu’elle ne se soit faite au détriment de la fiabilité, est obtenue aujourd’hui avec un taux de disponibilité de 85 %.

Ces résultats sont atteints grâce à deux facteurs :

— des grilles de combustion très performantes,

— une nouvelle conception des chaudières intégrées aux fours, présentant un large dimensionnement des surfaces d’échange.

Le traitement des effluents

Parallèlement à cet effort sur la qualité de la combustion et sur le niveau de la récupération d’énergie, des améliorations très importantes ont été mises en œuvre à la lutte contre la pollution par les usines d’incinération. En particulier, des traitements efficaces ont été mis en place sur le circuit des gaz de combustion afin que ceux-ci présentent une concentration en polluants aussi faible que possible. Il faut en effet rappeler que l’essentiel de la masse des déchets (70 %) s’échappe dans les gaz de combustion, principalement sous forme de dioxyde de carbone et de vapeur d’eau. Ces traitements concernent les rejets particulaires (poussières, métaux lourds) et les rejets gazeux (gaz chlorhydrique et éventuellement anhydride sulfureux, bien que ce composé soit en très faible proportion dans les fumées issues de l’incinération).

Ainsi le dépoussiérage par électrofiltre et le lavage des gaz, qui paraissent être le traitement le plus performant, conduisent aux rejets portés sur le tableau.

Tableau 1

Nature du polluant Teneur sortie chaudière (1) mg Teneur après traitement (1) mg
Poussières 3 000 30
Métaux lourds 300 3
Mercure 1 0,05
HCl 1 100 30
SO₂ 200 100

(1) Suivant la pratique courante en France, les teneurs sont rapportées au m³ à 1 bar et 0 °C avec une teneur en dioxyde de carbone de 7 %, l’eau étant supposée rester sous forme de vapeur.

[Photo : Pilote de déchloruration de l'usine d'Issy-les-Moulineaux.]

Ces teneurs se situent largement en deçà de la nouvelle réglementation française du 9 juin 1986, applicable aux installations nouvelles ou qui font l’objet de modifications importantes.

Les teneurs obtenues après le traitement respectent également celles inscrites dans le projet de directive européenne, malgré une restriction encore plus contraignante sur les rejets acides avec une teneur limite de 50 mg/Nm³ d’HCl pour les installations de forte capacité (capacité nominale égale ou supérieure à 5 t/h).

[Photo : Maquette de l'unité d'incinération d'ordures ménagères de Saint-Ouen II.]

LES RÉSIDUS URBAINS, UN COMBUSTIBLE NOBLE ?

L’utilisation énergétique des ordures ménagères donne lieu à des contraintes dues à leur nature même (produit hétérogène et fermentescible). Ces contraintes constituent un obstacle essentiel qui limite l’exploitation énergétique du combustible « déchet » pour certaines utilisations.

Différentes recherches ont été entreprises pour tenter d’atténuer ces sujétions et différents procédés, dont la plupart sont encore en cours de développement, sont maintenant proposés. Pour stabiliser (et augmenter) le pouvoir calorifique on peut avoir recours à plusieurs techniques, soit diminuer la teneur en humidité, soit ajouter un combustible d’appoint.

Parmi ces dernières, on peut citer notamment deux procédés maintenant bien au point : le procédé « CDF Énergie » où du charbon est injecté sous forme de fines par un système pneumatique au-dessus de la grille, et le procédé CNIM où le charbon est pulvérisé et injecté dans la chambre de combustion par l’intermédiaire de brûleurs. Dans les deux cas, le dosage de charbon peut être commandé directement par le besoin de vapeur. Les fluctuations liées à l’hétérogénéité des déchets sont ainsi effacées et un niveau de production de vapeur peut parfaitement être garanti.

CONCLUSION

Ces recherches témoignent du dynamisme dont fait preuve ce secteur d’activité. Cependant si les solutions techniques existent et si les contraintes de production d’énergie et de protection de l’environnement peuvent être techniquement résolues, les surcoûts induits peuvent détourner les décideurs de cette filière.

Dans l’immédiat une récente étude réalisée à la demande du ministère de l’Environnement pour mesurer les conséquences de la nouvelle réglementation (arrêté du 9 juin 1986) laisse supposer une stabilité du marché des fours de capacité supérieure à 3 t/h et la baisse du marché des fours de capacité comprise entre 1 et 3 t/h.

Le recul est encore trop limité pour mesurer les conséquences de cette réglementation, compte tenu des laps de temps nécessaires pour les prises de décision et la réalisation de ces opérations. On peut craindre néanmoins que le renforcement envisagé de la réglementation sur les conditions d’élimination des cendres volantes et des rejets solides de la déchloruration ne rende, cette fois-ci, la filière incinération vraiment trop coûteuse, du moins par comparaison avec les autres filières et en particulier avec la mise en décharge.

Cette situation est tout à fait propre à la France puisque, dans le même temps et dans les mêmes conditions énergétiques, la demande mondiale en faveur de l’incinération ne cesse de se développer, en particulier aux États-Unis où les coûts de mise en décharge sont devenus prohibitifs à la suite d’un renforcement des conditions d’exploitation de ces décharges.

Pour le maintien et le développement de la filière incinération en France, les collectivités territoriales devront vraisemblablement accepter de consacrer davantage de moyens financiers à une solution toujours plus fiable et moins polluante, à l’instar des autres pays industrialisés. De leur côté, les pouvoirs publics devront certainement renforcer les contraintes réglementaires et les contrôles exercés sur l’ensemble des filières de traitement.

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