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L'incinération des déchets industriels et la récupération de l'énergie

28 septembre 1984 Paru dans le N°85 à la page 37 ( mots)
Rédigé par : Jean-bernard LEROY

Si beaucoup de déchets industriels peuvent être jugés comme « banals » et à ce titre être traités par des techniques analogues à celles qui ont pour objet les ordures ménagères, certains d’entre eux doivent suivre des filières tout à fait spéciales, en particulier physico-chimiques. Parmi elles, l'incinération a une place bien définie dans le traitement des déchets combustibles. Le résultat est intéressant puisque ses résidus consistent seulement en un certain volume de fumées dépoussiérées (voire traitées chimiquement) et en des mâchefers inertes parfois vitrifiés, dont le volume ne représente que 10 à 30 % de celui des déchets primitifs. Il s'agit donc d’un authentique procédé de traitement et d’élimination des déchets auquel la récupération d'énergie donne un attrait supplémentaire qui a pu dans certains cas éclipser ses autres avantages.

Le cas du Centre de traitement de Sandouville est intéressant car il a permis, à une échelle industrielle, de vaincre les difficultés techniques de l'opération et de se faire une idée plus précise des avantages à en attendre.

PRÉSENTATION DE L’USINE

Le Centre de Sandouville a été conçu et réalisé par un groupement d’industriels de la Basse-Seine et sous l’impulsion de l’Agence financière de bassin Seine-Normandie à la suite de la décision des Pouvoirs publics d’interdire désormais la mise en décharge des produits toxiques et de ceux qui dégagent des fumées nauséabondes lors de leur brûlage à l'air libre.

Dans cet esprit, un groupement d’industriels a fait procéder à un inventaire de déchets à traiter et, sur la base de cet inventaire a lancé la construction d’un Centre collectif de traitement.

C’est le groupement constructeur, Tunzini-Compagnie Générale des Eaux qui a été déclaré adjudicataire de l'appel d’offres correspondant ; l’exploitation du Centre a été confiée par la Semedi (Société propriétaire) à la Sédibex, filiale des deux Sociétés constituant le groupement constructeur.

C’est donc dans le cadre d'un montage particulièrement complexe que cette plateforme de traitement a vu le jour.

Inventaire des déchets

Deux inventaires de déchets ont été réalisés en octobre 1974 et juin 1975 et près de 110 déchets ont été ainsi recensés, ce qui a permis de dégager les lignes principales de l'évolution qui a été constatée, telle que nous la décrivons ci-dessous :

— Origine géographique (en t/an)

Les quantités indiquées comprennent les déchets qu'il était prévu de diriger dans une décharge contrôlée à proximité de l’usine (les chiffres ont été arrondis).

Octobre 1974Juin 1975
Le Havre …44 00024 000
Lillebonne …28 00020 000
Rouen ……1 5001 500
Total ……73 50045 500

— Aspect physique

ProduitsOctobre 74Juin 75
Solides et pâteux pelletables
 Tonnage ………………26 09417 638
 PCI (kth/t) ……………4,7956,645
 Capacité calorifique totale
 (kth/an) ………………125 120117 204
Liquides et pâteux pompables
 Tonnage ………………22 64214 201
 PCI (kth/t) ……………5,7706,230
 Capacité calorifique totale
 (kth/an) ………………130 64488 472

— Caractéristiques chimiques des déchets à incinérer (en %)

Octobre 74 Juin 75
Carbone .................. 53,60 64,00
Hydrogène ............... 7,90 9,90
Eau ....................... 24,80 14,20
Soufre .................... 2,60 0,60
Chlore ..................... 1,10 < 0,05
Acide sulfurique ......... < 0,06 0,10
Inertes .................... 10,00 11,20
100,00 100,00

L'ensemble de ces données montre que la plupart des déchets peuvent être incinérés, et que leur PCI est notablement élevé. De plus, ils contiennent peu de chlore et de soufre, donc les fumées pourront être rejetées à l'extérieur après un simple dépoussiérage ; ce taux d’inertes ne dépasse pas 10 % à 15 % du poids. Une récupération de chaleur peut donc être envisagée dans les meilleures conditions techniques.

LA TECHNIQUE DE L’INCINÉRATION

AVANT-PROJET DU CENTRE

Il avait été établi en fonction des considérations suivantes :

Objectifs et contraintes

Les objectifs, communs à tout centre de traitement, se ramènent à deux principaux :

— assurer un traitement dont les rejets solides, liquides et gazeux soient acceptables pour l’environnement, condition le plus souvent matérialisée par des règlements ;

- disposer d’installations aussi souples que possible pour amortir d’éventuelles variations des déchets en quantité et qualité et, dans la mesure où la technique le permet, récupérer au maximum ce qui peut l’être.

A cela, il faut naturellement ajouter le respect des règles d’hygiène et de sécurité, la recherche d'un prix de revient minimal tout en maintenant la fiabilité à un bon niveau, etc., qui sont inhérents à toute industrie. Les contraintes spécifiques aux Centres de traitement sont multiples, citons-en quelques-unes :

a) Il ne faut jamais perdre de vue qu’ils traitent des déchets, c’est-à-dire : un concentré de pollution, et un résidu dans lequel se retrouvent tous les corps étrangers, conséquences ou non des variations de composition des matières premières.

b) L'irrégularité de certains arrivages, annoncée dès le stade des inventaires, entraîne une modification constante des caractéristiques globales du mélange de déchets à traiter. Tenir compte de ces irrégularités dans les stockages permet certes d’écrêter les pointes les plus voyantes et surtout de recevoir les déchets dans des délais acceptables, mais au prix d’un investissement important.

Il faut donc envisager un compromis, c’est-à-dire une solution dont la valeur est liée à celle des hypothèses.

c) La présence éventuelle de substances indésirables : soit au regard de la législation sur les rejets (par exemple le soufre et le chlore), soit en ce qui concerne la tenue de certains éléments du four, en particulier des réfractaires très sensibles à certains corps jouant le rôle de fondant.

d) L'obligation de pouvoir prendre une décision rapide concernant l’acceptation ou le refus d'un déchet nouveau, et même un simple camion à son arrivée au Centre.

e) Les difficultés de combustion même pour des déchets de PCI élevé. Ce genre de combustible est plus délicat à manier que les ordures ménagères car on est obligé de mélanger des parties brûlant vite et des parties brûlant lentement, des corps dont l’inflammation est rapide, voire dangereuse (risques d’explosion), et des corps qui ne prennent feu qu’après un quart d’heure ou plus de séjour dans le four, des substances très homogènes et d’autres qui ne le sont pas... sans parler des déchets livrés en fûts. C’est là la principale raison du choix d’une installation dite « lourde » pouvant seule, par son inertie, supporter des chocs thermiques importants.

f) La nécessité de contrôler à tout moment une combustion qu’il faut mener à son terme et qui doit être d’autant plus régulière qu’une récupération d’énergie est envisagée.

L’examen des déchets sur le plan énergétique

La répartition presque égale des calories entre déchets solides et déchets liquides permettait d’envisager deux installations liées mais distinctes. Il restait à fixer les caractéristiques de la vapeur à produire et à en ébaucher le circuit. Le PCI du combustible (de l’ordre de 6 000 th/t) permet d’envisager une vapeur à moyenne pression et la production d’électricité. La construction d’une turbine à condensation a toutefois été rapidement écartée parce que, d’une part le canal de Tancarville était assez loin (plusieurs centaines de mètres) et d’autre part les tarifs consentis par E.D.F. aux producteurs d’électricité ne sont guère incitatifs ! Il a donc été décidé de produire l'énergie nécessaire à la marche du Centre et de livrer aux industriels de la zone voisine qui le désireraient le reste de l’énergie sous la forme la plus universellement utilisable après l’électricité : la vapeur.

La vapeur est produite par la chaudière au débit de 38 à 40 t/h à la pression de 40 bars et à la température de 320 °C ; elle s’échappe du turbo-alternateur à 22 bars et 230 °C et sa livraison est prévue à 16 bars et 200 °C, soit une enthalpie de 666 th/t.

[Photo : La réception des déchets solides et pâteux.]

Les aspects techniques

a) Réception et stockage

Dès l'arrivée au Centre les déchets doivent pouvoir être identifiés et pesés. On a donc prévu un laboratoire muni de l'appareillage nécessaire tant sur le plan technique que sur le plan contractuel. Il est très utile d'opérer des analyses de contrôle pour pouvoir tenir compte d'une éventuelle modification.

b) Incinération

La seule technique acceptable pour des déchets industriels solides et pâteux, dont beaucoup fondent avant de brûler, est celle du four tournant à aération longitudinale précédé d'un étage de préparation et de chargement. Les liquides sont injectés dans une tour dite de post-combustion. Les déchets sont reçus soit dans une fosse de réception, soit sur des aires de stockage (déchets solides ou en fûts nécessitant un contrôle ou une préparation), soit dans des bacs de stockage munis de dispositifs de réchauffage et d'électro-agitateurs. Deux bacs de charge de 6 m³ chacun, l'un pour les pâteux, l'autre pour les liquides, équipés d'électro-agitateurs et de réchauffeurs, servent de tampon entre les équipements de stockage et ceux d'incinération. De leur côté, les solides prélevés sur l’aire de stockage sont dirigés vers la fosse-silo, munie de deux ponts roulants équipés d'une benne à poche hydraulique d'un contenu de 800 litres qui pourra, outre son rôle d’approvisionnement du four, brasser les déchets dans la fosse afin de les homogénéiser. Les produits livrés en fûts non récupérables sont transférés de l’aire d’incinération dans le four-tambour au moyen d’un élévateur après ouverture des fûts. Les déchets solides nécessitant une préparation avant introduction dans le four — notamment ceux qui se présentent sous forme de bloc de grandes dimensions — seront traités sur les aires de stockage. Le four tournant est destiné à recevoir les déchets solides et les fûts, soit approximativement :

  • - solides en vrac : 9 200 t/an
  • - pâteux et pelletables en vrac : 16 100 t/an
  • - solides et pâteux en fûts : 800 t/an

donc au total : 26 100 t/an

Les fûts peuvent être envoyés directement dans le four à l'aide d’un ascenseur, qu’ils aient été préalablement vidés ou non.

Le four est constitué par une chambre cylindrique revêtue de briquetage réfractaire, légèrement inclinée sur l'horizontale et alimentée par un dispositif de chargement dont les dimensions ont été calculées à partir d'une allure moyenne de 3,5 t/h de déchets à 5 000 th/t, soit 17,5 kwh/t. L’allumage et le soutien éventuel de la combustion dans le tambour sont assurés par un brûleur spécial de 0,50 t/h pouvant être alimenté en déchets liquides ou éventuellement en fuel. Un circuit de télévision axé sur l'intérieur du four tournant permet la surveillance de la combustion ainsi que le déclenchement des opérations de chargement. Le plan masse permet l'installation de deux autres fours d'une capacité analogue.

Le four entraîné par un moteur de 60 kW a les dimensions suivantes : diamètre intérieur : 3,5 m – diamètre extérieur : 4 m – longueur : 12,5 m – volume environ : 120 m³.

La chambre de post-combustion est destinée à incinérer les déchets suivants :

  • - pâteux pompables : 18 600 t/an
  • - liquides en vrac : 3 850 t/an
  • - liquides en fûts : 200 t/an

soit au total : 22 650 t/an

Le PCI moyen des déchets correspondant à l’inventaire est de 5 800 th/t mais, dans les calculs, il a été arrondi par précaution à 6 000 th/t. La masse volumique reste voisine de 1 t/m³. La chambre de post-combustion est équipée de quatre brûleurs spéciaux

[Photo : L’ensemble de la filière de traitement. De gauche à droite : le four tournant, le four de combustion de liquides (post-combustion), la chaudière et l’électrofiltre.]

d’une capacité unitaire de 0,75 t/h de déchets liquides ayant un PCI de 6 000 th/t. Ces brûleurs sont du type à coupelle rotative à démarrage automatique par éclateur électrique et torche à propane, ils sont munis d’un contrôle de flamme par cellule et des dispositifs de sécurité habituels.

Les dimensions de cette chambre sont les suivantes : largeur intérieure : 4 m – longueur intérieure : 5 m – hauteur intérieure : 13 m (par rapport au débouché du four tournant) – hauteur totale : 20 m – soit un volume total de 260 m³.

Constituée par une charpente en profilés habituels, elle comporte un briquetage réfractaire de 500 mm d’épaisseur.

ADAPTATION DU DISPOSITIF AUX DÉCHETS RÉELLEMENT REÇUS

Dès les semaines qui ont suivi l’entrée du Centre en service industriel (octobre 1977), d’importantes distorsions sont apparues entre les inventaires qui avaient servi de base à l’établissement de l’avant-projet et les déchets effectivement livrés portant sur les points suivants :

— Régularité des apports Confrontée aux réalités très tangibles de la production, la livraison des déchets se devait de suivre sans autre régulation que les stockages chez les industriels (ceux-ci les souhaitent toujours aussi réduits que possible), si bien que la régularité annoncée pour les apports n’était qu’approximative. Pendant tout l’hiver 1978-1979, une partie non négligeable de l’activité des responsables du Centre a consisté à se concerter avec les industriels pour rendre les livraisons compatibles avec les installations.

— Diminution des quantités annoncées Les difficultés croissantes de la situation économique ont naturellement conduit les industriels à réduire dans la mesure du possible le tonnage des déchets, en particulier de ceux destinés à l’incinération ; il en est résulté la substitution aux déchets prévus d’autres de qualité inférieure ou plus délicats à traiter.

— Modification des caractéristiques prévues C’est peut-être l’aspect qui fut le plus gênant et ces modifications ont été très importantes sur quatre points :

a) Viscosité Plusieurs déchets annoncés comme « pâteux pompables » ne l’étaient qu’à des températures de 100 °C ou davantage. Le déchet envoyé par un industriel n’est pas toujours au terme de son évolution et souvent des polymérisations ou des combinaisons chimiques lentes se produisent en cours de transport ou de stockage. La présentation et les caractéristiques mécaniques peuvent en être profondément modifiées.

b) Hétérogénéité Au lieu du liquide homogène annoncé, certains déchets se sont présentés comme le mélange en proportions variables d’une phase effectivement très fluide et de caillots de dimensions diverses, parfois importantes. Dans certains cas on a pu les diriger dans les citernes de stockage après une filtration toujours délicate qu’il a été possible de pousser jusqu’à des mailles de 2 millimètres pour les liquides et 4 mm pour les pâteux, grâce à un système breveté ; mais il a fallu de temps en temps les diriger vers la fosse de réception des solides. Il était alors indispensable d’y verser aussi dans les meilleurs délais d’autres déchets « absorbants », tels que terres de filtration, matériaux expansés, etc., afin de pouvoir reprendre le mélange au grappin.

c) Humidité D’autres déchets, notamment des boues déshydratées, ont été livrés avec des humidités supérieures à ce qui avait été prévu. Les conséquences en étaient doublement dommageables, puisque le PCI du mélange était moindre et qu’il fallait des calories pour vaporiser l’eau de constitution. De plus, ces déchets suintaient parfois dans la fosse.

d) Diminution des PCI La crise énergétique de ces dernières années a eu pour conséquence évidente le désir des industriels d’utiliser au maximum les calories contenues tant dans les matières premières que dans les déchets. L’inventaire et l’avant-projet avaient été dressés avant cette crise. Si les solides correspondaient bien à ce qui avait été annoncé en moyenne, il n’en a pas été de même des liquides, dont le PCI était inférieur à la moitié environ de ce qui était prévu. Les conséquences en ont été graves, notamment en ce qui concerne la production de vapeur.

LES MALADIES DE JEUNESSE DU CENTRE

Même compte tenu des expériences antérieures dont a bénéficié le four de Sandouville, les inévitables adaptations au cas particulier des déchets de la zone industrielle intéressée ont coûté quelques peines et soins !

Ne mentionnons tout d’abord que pour mémoire l’adaptation du personnel lui-même à un travail qui, pour la majorité, était entièrement nouveau. Une mention particulière doit être faite pour le laboratoire : il a fallu une certaine période de tâtonnements avant de définir exactement quelles étaient les mesures et analyses à effectuer pour les nouveaux déchets, quels contrôles et à quelle fréquence il fallait les prévoir pour les anciens.

Le chargement des déchets dans le four a dû être perfectionné. Théoriquement en effet, le parcours dans le four se décompose en trois phases : séchage, brûlage et refroidissement ; les déchets solides introduits

dans le four avaient parfois un PCI moyen élevé par suite du mélange avec des goudrons trop visqueux ou des liquides hétérogènes très riches que leur consistance interdisait d’être dirigés vers la post-combustion, initialement prévue.

La phase « séchage » était dès lors très raccourcie, voire supprimée, et l’inflammation des déchets se faisait très en avant dans le nez du four, au risque de voir des laves remonter dans le joint. Plus avant dans le four on remarquait la cokéfaction de certains déchets.

L’évacuation des cendres et mâchefers est toujours délicate : la tour de post-combustion ne fonctionne pas comme elle le devrait puisque les liquides sont plus rares et moins riches en calories. La température des fumées ne peut donc être régularisée comme il a été prévu et la combustion dans le four est plus instable. Dès lors elle risque soit d’être trop basse, ce qui entraîne une prise en masse des cendres à l’intérieur même du four, soit d’être trop haute d’où l’émission de cendres volantes fondues qui se prennent en masse à la base de la tour de post-combustion.

Le problème a été résolu en prévoyant :

  • — une température d’environ 900 °C pour la marche permanente,
  • — un ringardage par quart,
  • — des décrassages périodiques (1 fois par semaine) par montée de la température vers 1 100 °C, ce qui a pour effet la formation de laves qui s’écoulent dans la fosse à mâchefers.

Le changement de composition des déchets a joué là aussi un rôle néfaste puisque les cendres et mâchefers représentent 25 %, parfois entre 30 et 40 % du poids des déchets au lieu de 5 à 10 % initialement prévus. La formation de laves, redoutée sauf pendant les décrassages, est d’autant plus minutieusement surveillée qu’elle peut se produire dès 850 °C, bien que le plus souvent elle ne soit pas à craindre en dessous de 950 °C.

La tenue des réfractaires a dû être examinée de très près : d’une part les « fondants » (essentiellement les alcalins et alcalino-terreux) étaient plus fréquents que ne le laissaient supposer les inventaires et analyses préliminaires, d’autre part la solidification prématurée des laves du four avait pour conséquence la formation d’un bourrelet qui, même de faible importance, gênait l’évacuation des flots en cours de combustion et provoquait des abrasions importantes. Le choix de la composition des briques et mortiers a fait l’objet de nombreuses mesures… et d’autant de discussions ; il semble que l’on soit arrivé à une solution satisfaisante (après bien des tâtonnements).

ADAPTATIONS TECHNIQUES

Stockages

Ils ont été revus en fonction des déchets réellement livrés par les industriels :

  • — les possibilités de réception des solides et pâteux pelletables ont été triplées mais comme le terrain est particulièrement difficile (il s’agit d’un remblai hydraulique rapporté sur un marais), il a fallu construire une deuxième fosse derrière le bâtiment-atelier du Centre ;
  • — une aire de stockage de fûts a été construite ; elle permet au Centre de disposer d’un volant de traitement de 1 100 tonnes représentant un mois ;
  • — enfin une citerne de réception de liquides à bas point éclair non chlorés a été installée : ce genre de déchets était fréquemment proposé par des clients extérieurs, en petites quantités unitaires.

Préparation des liquides

Les filtres ont été revus compte tenu de l’hétérogénéité effective des déchets. Il a fallu également prévoir des tuyauteries d’évacuation de la phase aqueuse des liquides stockés. Enfin certains déchets susceptibles de se polymériser, spontanément ou par réaction avec d’autres déchets ont dû être stockés séparément. Le dernier perfectionnement consiste en une tour de séparation entre liquides riches et pauvres, qui permet de mieux utiliser les calories disponibles.

Technologie du four

Le nez du four a été revu pour que les déchets soient introduits un peu plus en aval. En même temps une entrée d’air frais a été installée pour retarder l’inflammation des déchets les plus combustibles. Mais comme cet air, naturellement à la température extérieure, risquait de perturber la marche du four, il a fallu lui adjoindre un brûleur destiné à fonctionner pendant les périodes les plus froides, venant en appui du brûleur à fuel déjà prévu ainsi qu’un dispositif de pulvérisation d’eau qui peut arriver à faire reculer la zone de combustion d’environ trois mètres.

Pour faciliter l’évacuation des mâchefers, d’autres brûleurs ont été disposés près du cendrier, afin de maintenir les laves en température et, exceptionnellement, de découper le bouchon en cours de formation.

Enfin la nécessité de surveiller de très près la température de fonctionnement a conduit à placer plusieurs sondes thermométriques. Il est à noter que ces sondes devaient pouvoir résister aux phénomènes de corrosion et d’encrassement assez violents dans cette partie du four ; en fait, aucune solution pleinement satisfaisante n’a encore été trouvée.

Réfractaires

Le dessin du four fait ressortir deux parties car la virole de sortie est légèrement tronconique. La solution de continuité entre ces deux parties a été reconstruite en béton réfractaire qui supporte mieux les mouvements relatifs des deux éléments lors de leur dilatation.

[Photo : Le laboratoire]

LES DIFFICULTÉS PARTICULIÈRES À LA RÉCUPÉRATION D'ÉNERGIE

Conséquences techniques de la production de vapeur en vue de sa livraison aux utilisateurs

Peut-être est-il bon de rappeler (ne serait-ce que pour mémoire) que le premier rôle d'une usine d'incinération est d’incinérer, produire de la vapeur ne venant qu’en second lieu ! Il est dès lors bien évident qu’une vapeur produite au fil de la fumée ne pourra être constante en quantité et en qualité, et que les clients (surtout s'ils sont en petit nombre) doivent s'accommoder de cet état de choses... En général, ils préfèrent avoir une vapeur d’enthalpie à peu près constante, quitte à prendre à leur charge les variations des livraisons et donc de la quantité à fournir par leurs soins. Il est en effet exclu, avec une production aussi capricieuse, d’avoir pour unique source la vapeur provenant de l’incinération (le problème est identique dans le cas du couplage entre une usine d’incinération d’ordures ménagères et un chauffage urbain) et cela suppose que la quantité de vapeur fournie par la chaudière de récupération ne dépasse pas le tiers, ou mieux le cinquième de la puissance totale installée, faute de quoi le client serait obligé de maintenir une partie de ses chaudières au minimum technique, réduisant d’autant plus la part venant de la récupération. De telles difficultés ont été rencontrées à l'usine de Sandouville, car si au stade de l’avant-projet le client pressenti envisageait le doublement de sa capacité de fabrication, la crise économique l’a fait renoncer à son projet. Il a donc été nécessaire de revoir l'ensemble de la régulation pour faire face à cette nouvelle situation.

Adaptation de la régulation

Pour écrêter des irrégularités inadmissibles vis-à-vis de notre client, il a été décidé de monter de deux bars la pression à l’intérieur de la canalisation de vapeur, et de prévoir à l’arrivée une vanne de détente qui se règle sur la pression de vapeur du client. La canalisation contenait ainsi un poids de vapeur supérieur ; l’inertie du système se trouvait accrue et par voie de conséquence, la facilité de son exploitation.

Si le turbo-alternateur avait fonctionné à sa valeur nominale, l'irrégularité des déchets aurait eu pour conséquence des disjonctions très fréquentes assorties d’autant de couplages, situation intolérable pour E.D.F. et pour le Centre. Il a donc été décidé de limiter la charge de la turbine de manière à ce que le Centre ne soit jamais complètement déconnecté du réseau public.

Bilan de l’opération

La liste de ces modifications — d’importance d’ailleurs inégale — peut paraître longue. Elle n’a toutefois rien de surprenant compte tenu notamment de la nécessaire adaptation du Centre à sa clientèle.

Cette adaptation des conditions d’exploitation a donné des résultats spectaculaires. On peut en particulier faire les remarques suivantes :

  • la durée de fonctionnement a régulièrement augmenté de presque 6 400 heures en 1978 à plus de 8 000 heures en 1981 pour se stabiliser ensuite autour de cette valeur, ce qui correspondait à n’arrêter l'usine que pendant les arrêts programmés par l’entretien ;
  • le total de la fourniture de vapeur a, lui aussi, augmenté de 53 000 t en 1978 à presque 110 000 t en 1982, malgré une baisse du PCI moyen des déchets de 5 kWh/t à moins de 3 kWh/t ;
  • la production d’énergie électrique, qui ne dépassait guère 500 000 kWh pendant les deux premières années et s’était effondrée à 154 000 kWh en 1981, est montée à plus de 2 000 000 kWh en 1982 et 1983.

Pendant ce temps, la meilleure maîtrise des phénomènes de combustion a permis d’obtenir une qualité de fumées en tout point conforme aux règlements qui étaient imposés, comme le concrétisent deux campagnes d’essais de l'APAVE de Normandie.

CONCLUSION

L'exploitation du centre de Sandouville montre que la récupération d’énergie est possible, même avec un combustible aussi difficile que les déchets industriels. Une condition primordiale reste toutefois d’avoir la sagesse de limiter ses ambitions, en particulier de ne pas vouloir augmenter au-delà du raisonnable les caractéristiques du fluide à récupérer, et la puissance électrique du turbo-alternateur.

Cette leçon de modestie ne doit pas faire oublier le mérite de tous ceux qui ont permis cette réussite, constructeurs, industriels, et surtout exploitants qui ont su acquérir peu à peu « l'intelligence du déchet » au sens philosophique du terme.

Décidément, comme le disait François Rabelais il y a plus de 450 ans : « Il n’est de richesse que d'hommes ».

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