Les essais présentés dans cet article ont été menés par les sociétés Ufiner-Cofreth et CNIM, avec des soutiens financiers de l'ADEME. Ils se sont déroulés sur les années 1992 et 1993, et ont consisté en l'évaluation des performances de la technologie du " Lit Fluidisé Circulant Pyroflow " pour l'incinération de déchets, tant en termes de qualité de la combustion que de la qualité des résidus solides et rejets gazeux.
Afin de valider sur une installation de taille industrielle les résultats encourageants obtenus lors d’essais réalisés en 1990 sur un pilote de laboratoire de la société Ahlström, les sociétés CNIM et Ufiner-Cofreth ont décidé de mener des essais sur l’une des chaudières à Lit Fluidisé Circulant (LFC) de Massy, exploitée par la société Curma(1).
Ces campagnes d’essais se sont déroulées durant le printemps et l’automne de l’année 1992, ainsi qu’au printemps de l’année 1993.
Principe du lit fluidisé circulant Pyroflow
Le lit, constitué essentiellement d’inertes, contient également le combustible : celui-ci, en général du charbon, a été remplacé par des déchets ménagers lors des essais présentés dans cet article. Ce lit est mis en circulation par un écoulement d’air, séparé des gaz dans un cyclone à la sortie du foyer et recyclé à la base de celui-ci par l’intermédiaire d’un siphon. Cette technologie est bien connue pour ses performances en matière de combustion et de protection de l’environnement.
Une chaudière à lit fluidisé circulant Pyroflow (figure 1) comprend essentiellement les éléments suivants :
@ Dispositif de stockage et d’alimentation du combustible
L’alimentation en combustible (charbon, tourbe, déchets divers ou autres...) s’effectue en général directement dans la boucle chaude au niveau du siphon.
@ Foyer
Les parois du foyer sont constituées d’écrans formés de tubes à ailettes soudés, qui constituent ainsi une enceinte entièrement étanche. Les parties situées dans les zones soumises à de forts risques d’érosion (changement de direction des fumées à la sortie du foyer en partie haute, zone à forte concentration en particules solides en partie basse) sont recouvertes d’un revêtement réfractaire.
Le foyer est équipé dans sa partie basse d’une grille de fluidisation, et, sur ses parois latérales, de buses d’injection d’air secondaire. Il comprend aussi un ou plusieurs brûleurs auxiliaires de démarrage, des lances de soutien alimentées au fuel oil ou au diesel oil, des buses d’injection de calcaire, et une buse d’injection de sable, utilisée avant le démarrage de l’installation.
Un système de régulation permet de moduler les injections d’air aux différents niveaux, pour maintenir la température du lit constante dans une large plage de charge (40 à 100 %) et diminuer la formation des polluants gazeux SO₂ et NOₓ.
La vitesse de fluidisation nominale est de l’ordre de 5 m/s, ce qui évite les problèmes d’érosion en assurant un fonctionnement correct à toutes les charges.
@ Système d’extraction des cendres sous foyer
L’évacuation des cendres s’effectue par un conduit disposé en partie centrale de la grille de fluidisation, puis par une vis d’extraction refroidie à l’eau et enfin, par transport pneumatique en phase diluée vers les silos de stockage.
@ Cyclone
Un cyclone, qui fonctionne par centrifugation, est installé à la sortie du foyer, et permet de capter la plus grande partie des particules en suspension dans les fumées et de les réintroduire dans le lit par l’intermédiaire d’un siphon étanche. Non refroidi, il est constitué d’une enveloppe en acier revêtue intérieurement de plusieurs couches de matériaux réfractaires et isolants.
@ Récupération de la chaleur des fumées
L’installation de récupération de chaleur sur les fumées, formée des tubes de la chaudière, est classique et comporte, selon les cas, des sur-
(1) Ufiner-Cofreth est une société de services du Groupe Compagnie des Eaux-Dumez, qui œuvre dans les domaines de la maintenance d’équipements techniques, de la production et distribution d’énergie (électricité, gaz, réseaux de chaleur...) ainsi que dans l’élimination et le traitement des déchets. Curma est une société filiale d’Ufiner-Cofreth.
(2) CNIM conçoit et construit des installations industrielles, notamment des unités d’incinération de déchets ménagers.
des déchets ménagers broyés, séchés, après un enlèvement des pièces lourdes (métaux, cailloux) par tri balistique et aspiration.
Les modifications apportées à la LFC d’essais
Les équipements nouveaux, représentés sur la figure 2, sont associés au système existant permettant la manutention et le stockage du charbon (transporteur T0 (1), fosse de stockage (4) et grappin (3)).
Sortie des gaz et des cendres volantes vers dépoussiéreur, chauffeurs et/ou économiseurs.
Dépoussiéreur
Un dépoussiéreur (filtre à manches ou dépoussiéreur électrostatique) est placé avant la cheminée d’évacuation des fumées, afin d’assurer un dépoussiérage efficace des fumées. Cette technologie comporte, par rapport aux techniques de combustion classiques, des avantages appréciables :
- - une grande homogénéité des conditions de température pendant la combustion, en raison de la forte inertie thermique du lit ainsi que du puissant brassage des particules composant ce lit, homogénéité qui permet de régler les émissions de polluants gazeux très en-dessous des valeurs réglementaires, sans adjonction d’équipements spéciaux ;
- - l’utilisation d’une faible proportion de combustible par rapport au volume des matières en circulation permet l’emploi de combustibles de caractéristiques très différentes, avec d’excellentes performances en matière d’imbriolés.
Les combustibles testés
Les combustibles dérivés de déchets ménagers (CDD), testés durant ces trois campagnes d’essais, étaient de plusieurs sortes :
- - des déchets ménagers broyés et déferraillés ;
- - du fluff (refus de compostage) broyé et déferraillé ; ce fluff est donc dérivé des déchets ménagers, auxquels on a enlevé la plus grande partie des matières organiques fermentescibles.
Le matériel ajouté : déferrailleur Overband (2), trémie (5), transporteurs T1 (6) et T2 (8), niveleur de couche (7), vanne à double guillotine (10), vis d’alimentation (11), a été dimensionné en intégrant les fortes contraintes liées à son implantation sur une installation existante exiguë.
Principe de fonctionnement
Le CDD est transporté par une benne sur le quai de déchargement du charbon, repris par un grappin mobile sur le transporteur T0 et amené jusqu’à la fosse à charbon de l’usine. Nous avons ajouté à ce circuit un déferrailleur de type « Overband » au-dessus de la bande transporteuse afin d’éliminer une bonne partie des déchets métalliques résiduels contenus dans le CDD.
Le combustible est prélevé dans la fosse par le grappin de l’usine (dimensionné pour du charbon) qui le décharge dans la trémie tampon. Le grappin utilisé pour ce chargement a été équipé d’un peson permettant d’évaluer la consommation horaire de combustible.
Le CDD s’écoule ensuite de la trémie vers le transporteur T1. Afin d’homogénéiser l’alimentation, celui-ci est incliné de 35 ° par rapport à l’horizontale et il est équipé d’un système à barreaux tournant en sens inverse et permettant de niveler la couche de combustible à sa sortie.
Le CDD est ensuite acheminé par le transporteur T2 (à bande de caoutchouc) jusqu’à la goulotte de descente (9). Un sas à double guillotine assure l’étanchéité de ce dispositif et permet d’éviter les remontées d’air, de fumée ou de flammes le long de la chaîne de transport du CDD.
La vis d’alimentation bourreuse amène le CDD jusqu’à la goulotte d’alimentation utilisée pour le charbon. Cette vis permet la formation d’un bouchon comprimé de CDD, qui assure ainsi une certaine étanchéité.
Améliorations
Au cours des quatre premières semaines d’essais, nous avons effectué les quelques modifications mineures de ce dispositif, décrites ci-après, afin d’en améliorer le fonctionnement.
Deux canons à air, placés dans la trémie (5), suppriment la formation de voûtes de CDD. Ces problèmes, fréquents dans la phase initiale des essais, sont dus à la conception de la trémie (contraintes d’implantation) et aux irrégularités créées par son chargement par grappin. Toutefois, cette opération est restée délicate et nécessite une grande vigilance de la part des opérateurs.
La mise en place d’un système d’aspersion d’eau dans la vis d’alimentation, commandé par un capteur de température, réduit sensiblement les risques d’incendie causés par des remontées de flammes le long du dispositif d’alimentation. Pour limiter les bourrages de CDD dans la goulotte de descente située en aval de la vis d’alimentation, nous y avons installé des buses d’air. L’air comprimé prélevé initialement sur le compresseur alimentant en air les guillotines s’étant avéré insuffisant, nous avons [...]
été conduits à alimenter ces buses directement par le réseau d'air primaire.
D'autres problèmes sont survenus au niveau de la vis d'alimentation. En effet, nous avons été confrontés à quelques blocages qui ont entraîné des arrêts plus ou moins longs et dommageables pour les essais. L'origine de ces blocages était le plus souvent liée à la granulométrie trop importante et hétérogène du CDD : nous avons constaté par exemple la présence dans le combustible de morceaux de bois et de débris divers dont la grande taille a été la cause de plusieurs blocages de la vis (traverse de chemin de fer, étagères, billot de bois...).
Le déroulement des essais
Lors des trois campagnes d'essais, le camion laboratoire CNIM a réalisé des mesures en continu de la teneur des fumées en O2, CO, CO2, H2O, SO2, NOx, et HCl. De plus, l'APPAVE a réalisé, pendant certains essais, des mesures de N2O et CnHm.
Des prélèvements ont également été opérés :
- sur les combustibles (deux prélèvements par essai), pour analyses qui ont donné les résultats suivants : - les déchets ménagers bruts contenaient environ 25 à 35 % d'eau, 20 à 32 % de cendres, et avaient un PCI moyen de 2 000 kcal/kg ; - les déchets ménagers séchés contenaient environ 12 % d'eau, 30 % de cendres, et avaient un PCI moyen de 3 000 kcal/kg ; - le fluff contenait environ 22 % d'eau, 14 % de cendres, et avait un PCI moyen de 3 500 kcal/kg. - sur les cendres sous foyer et les cendres volantes, pour analyses et tests de lixiviation, réalisés par nos laboratoires ; - sur les fumées, pour analyse des dioxines et furanes, ainsi que des métaux lourds et des poussières.
Résultats des essais
Les principaux résultats de ces essais montrent qu'il est possible de réaliser une bonne combustion et des émissions gazeuses de qualité avec des déchets ménagers bruts (seulement broyés et déferraillés) ou du fluff :
émissions gazeuses
La réglementation en vigueur (25 janvier 1991) pour des fours d'incinération de plus de 3 t/h, a été respectée pour tous les polluants, sans traitement de fumées sophistiqué (l'installation ne comportait qu'un filtre à manches et une injection de calcaire dans le foyer).
Les émissions de dioxines et furanes dans une chaudière LFC sont équivalentes, voire inférieures, à celles d'une grille classique (de moins de 1 ng/Nm³ à quelques ng/Nm³).
qualité des cendres
- moins de 1 % d'imbrûlés carbone dans les cendres sous foyer ; - de 1 à 3 % d'imbrûlés carbone dans les cendres volantes ; - rétention importante des métaux lourds à la lixiviation : supérieure à 99,9 % pour Pb, Cu, Cd, Zn ; supérieure à 90 % pour Hg, Cr⁶, As.
Cela permet d'envisager, pour les cendres sous foyer, une valorisation directe en technique routière.
Pour les cendres volantes, seule la fraction soluble, qui était comprise entre 5 et 10 %, nécessite un traitement complémentaire, lavage ou inertage simplifié, avant la mise en décharge appropriée. Toutefois, notons que, dans cette fraction soluble, la chaux en excès compte pour près de la moitié, en raison de la méthodologie définie pour le test normalisé (X 31-210).
Les enseignements
Les principaux enseignements, autres que la qualité des émissions gazeuses et des cendres, qui ont été retirés de ces campagnes d'essais sont très importants ; en effet, l'hydrodynamique du lit circulant a permis d'obtenir de très bonnes conditions d'incinération :
- pas de problèmes de circulation des matières dans la boucle chaude (foyer-cyclone), du fait que les produits utilisés comme combustible avaient été préalablement broyés à une dimension cohérente avec celles du foyer et du cyclone ; - pas d'agglomération de cendres dans le foyer, la recirculation les faisant circuler jusqu'à ce que leur granulométrie soit assez fine pour qu'elles soient évacuées avec les gaz ; - pas d'accrochage sur les réfractaires du foyer, en raison de l'absence de points chauds ; - pas d'accrochage sur les tubes du foyer et de la chaudière (pour les mêmes raisons) ; - très bonne adaptabilité de la technologie LFC aux changements de combustible : après la mise en place d'une régulation adaptée aux déchets, il a été possible de passer du combustible “charbon” au combustible “déchets” (et réciproquement) en cinq minutes.
Conclusion
Nous possédons maintenant, avec le LFC, une technologie qui s'annonce bien adaptée à l'incinération efficace des déchets. Elle s'avère également très performante pour l'incinération des DIB (déchets industriels banals) : à la fois en termes de rendement énergétique, de qualité des émissions gazeuses et des cendres, et aussi en termes d'adaptabilité de la technologie à des produits variés.
Cette possibilité de développement de la technologie du Lit Fluidisé Circulant Pyroflow est également très prometteuse, compte tenu du gisement très important des déchets industriels banals dans nos pays développés.