Une vision holistique de la station d'épuration révèle rapidement l'importance que peuvent avoir les retours en tête sur le fonctionnement général. Du fait de l'existence d'un phénomène de boucles, la valeur effective à prendre en compte est obtenue après stabilisation du système. Cette valeur doit être considérée dès la conception de la station sous peine de générer des dysfonctionnements chroniques. Il ressort alors rapidement qu'il est essentiel de dimensionner la filière eau en intégrant ces retours et de prévoir une filière de traitement des boues qui soit capable d'absorber une surproduction, afin d'éviter la création de goulots d'étranglement générateurs de situations qui entraînent et amplifient le dysfonctionnement de la station d'épuration.
La mise en application des nouvelles normes européennes va conduire à une épuration toujours plus poussée des eaux résiduaires urbaines. L'une des conséquences directes de cette orientation sera une quantité croissante de boues produites par les stations d’épuration.
Cette étude a été réalisée dans le but d’appréhender l'impact que peuvent avoir les retours en tête d'une filière de traitement des boues sur le fonctionnement de la filière de traitement des eaux.
Une station d’épuration a cette particularité de comporter un nombre important de boucles internes de rétroaction. Cette singularité a comme conséquence directe de nécessiter une considération globale du système épuratoire, sous peine de ne pas intervenir au bon endroit. La boucle des retours en tête présente dans ce contexte une importance essentielle.
Une approche quantitative des phénomènes sera abordée, dans laquelle sera soulignée l'importance du phénomène de bouclage ; viendra ensuite l'aspect qualitatif. Les répercussions que peuvent induire ces retours en tête sur le fonctionnement de la filière de traitement des eaux sont loin d’être négligeables et conduisent dans tous les cas à une situation de dysfonctionnement chronique de la station.
Bases de travail
Il a été nécessaire, afin de ne pas sombrer dans une étude trop générale, de travailler sur un cas concret. Une station de 100 000 Equivalents-Habitants (EH) constituera donc la référence. La filière de traitement qui compose cette installation est représentée sur la figure 1.
La station est composée d'un décanteur primaire de 33 m de diamètre, et d'un bassin d’aération de 4 000 m³. Le traitement est réalisé en moyenne charge (0,4 kg DBO₅/kg MVS), avec une concentration de 2,5 g/l de MVS dans le bassin d’aération.
L'objectif n’est pas ici d’entrer dans le détail de la filière de traitement des boues. Ces dernières sont issues du décanteur primaire, d'une part, et du traitement biologique, d’autre part.
Les flux de pollution considérés (tableau I) pour dimensionner la station résultent d’une moyenne effectuée à partir des valeurs rencontrées dans la littérature (J.L. Beseme et al., 1990).
Les calculs effectués dans cette étude sont réalisés à l'aide d’un logiciel mis au point au Centre International de Recherche Sur l'Eau et l’Environnement (CIRSEE). Les fluctuations des paramètres ont volontairement été limitées à la DBO₅ et aux MES, afin de rendre l'étude compréhensible. Toute étude particulière nécessiterait de considérer l’évolution spécifique de chacune des variables. L’objectif initial est ici de mettre en évidence l’importance du phénomène et non de spécifier de façon détaillée toutes ces caractéristiques.
Évaluation quantitative de l’impact des retours en tête
La première difficulté consiste à quantifier les retours en tête. Ils sont en fait tributaires à la fois de la filière de traitement considérée, mais également des conditions d’exploitation de cette filière. Les retours en tête seront donc exprimés comme un pourcentage x₁ de la charge de pollution entrant sur la filière de traitement des eaux.
Dans ce texte, x₁ variera entre 0 et 50 %. La première valeur est impossible, mais sera considérée pour les besoins de la modélisation. Quant à la seconde valeur, certains cas rencontrés dans des stations montrent qu'elle n’est pas aberrante et qu'il est même possible de relever des valeurs plus élevées en considérant un paramètre particulier (retours en MES évalués à 71 % dans le cas de digesteur anaérobie ; Lawler et al., 1984). Les valeurs retenues au CIRSEE selon différentes filières de traitement des boues sont répertoriées dans le tableau II. Le traitement des boues considéré comprend trois étapes successives qui sont un épaississement, une digestion et une déshydratation.
En opposition avec une conception traditionnelle qui consiste à considérer la station comme une série d’ouvrages indépendants, la chaîne de traitement sera définie ici comme un système global dans lequel les interactions sont nombreuses. Cette hypothèse est primordiale et permet d'emblée de quantifier l’importance des retours en tête du traitement des boues (figure 2).
À terme, c'est-à-dire sur un nombre infini de boucles, le pourcentage de retours en tête se stabilisera à une valeur limite effective égale à (x₁/1-x₁). Comme l’illustre la figure 3, ce phénomène augmente de manière significative la charge initiale x₁ des retours en tête (25 %) jusqu'à une valeur finale effective xₛ (33 %) intervenant sur la station.
La différence entre la charge initiale S₀ et la charge effective finale Sₜ à considérer compte tenu des retours en tête prend rapidement des proportions importantes lorsqu’augmente la valeur initiale x₁ du pourcentage de retours (figure 4).
Si la différence reste relativement faible pour des valeurs initiales de l'ordre de 10 %, elle devient rapidement importante dès que cette valeur croît. La charge finale Sₜ à prendre en compte est ainsi de 2 S₀ lorsque les retours en tête sont initialement prévus à 50 %.
Si l'on considère le cas de la station de 100 000 EH qui sert ici de référence, une valeur initiale de 25 % de retours en tête conduit, lorsque l’état de stabilité est atteint, à une surcharge effective non négligeable (tableau III). L'impact hydraulique généré par les retours en tête a été négligé dans cette étude.
Cette constatation prouve que les retours en tête doivent être quantifiés de la manière la plus précise qui soit, mais aussi que l’étude doit être menée jusqu’à l’état de stabilité du système, sous peine d’être confronté ultérieurement, sur le site de traitement, à des situations pour le moins inattendues.
Évolution de la quantité totale de boues
Les quantités de boues primaires et biologiques à extraire sont évaluées en fonction de l’abattement sur les MES et la DBO₅. Il est important de constater que la quantité totale à extraire augmente de manière linéaire si l’on considère les valeurs initiales x₁ de retours en tête ; cette quantité évolue considérablement si sont prises en compte les valeurs limites (x₁/(1-x₁)) associées à chacun des pourcentages x₁ de retours en tête, valeurs qui interviendront réellement sur la station d’épuration (figure 5).
La production de boue déterminée sur cette filière se situe entre 85 et 90 g/EH·j, ce qui conduit à un ratio de 1,3 kg de boues par kilogramme de DBO₅ éliminé. Cette valeur est plus élevée que celle déterminée par le Cemagref (1991), qui est d’environ 1 kg de boues par kg de DBO₅ éliminé pour un procédé en moyenne charge ; elle est comparable cependant aux valeurs préconisées par l’ATV (Abwasser Technischen Vereinigung) en Allemagne.
Il est possible à ce niveau de remarquer que la quantité de boues à extraire pour maintenir une concentration constante en biomasse dans l’étape de traitement biologique variera considérablement selon le pourcentage de retours en tête. Pour une valeur moyenne de 10 à 15 % de retours en tête, cette quantité se situe à 95 g/hab·j, en considérant les valeurs de production limites. Dans le cas le plus défavorable de 50 % de retours en tête, une quantité à extraire de 169 g/hab·j est atteinte, ce qui conduit à une surproduction de près de 78 % par rapport à la valeur « normale » précédemment annoncée.
Dans cette première manière d’aborder les choses, il convient de souligner une variation de la qualité des boues, quantifiable par le calcul du rapport de la masse de boues primaires sur la masse de boues biologiques (figure 5).
Impacts des retours en tête sur le fonctionnement de la station
S'il est possible d’évaluer avec une relative précision l’impact quantitatif des retours en tête, l’aspect qualitatif est beaucoup plus
Tableau I
Flux de pollution considérés pour le dimensionnement
Paramètres | Charges considérées |
---|---|
Débit (m³/j) | 25 000 |
DBO₅ (kg/j) | 6 000 |
MES (kg/j) | 7 000 |
NTK (kg/j) | 1 500 |
Ptot (kg/j) | 400 |
Tableau II
Pourcentage de retours en tête pour différentes filières de traitement des boues
Filière | Épaississement séparé (1) Digestion Filtre-presse | Épaississement séparé (1) Digestion Filtre à bandes | Épaississement mixte (2) Digestion Filtre à bandes |
---|---|---|---|
Débit (%) | 6 | 10 | 9 |
DBO₅ (%) | 5 | 7 | 30 |
MES (%) | 2 | 14 | 17 |
NTK (%) | 15 | 7 | 25 |
Ptot (%) | 1 | 4 | 10 |
(1) Épaississement séparé : flottation des boues biologiques, épaississement gravitaire des boues primaires.
(2) Épaississement mixte : épaississement gravitaire des boues mixtes.
Tableau III
Flux de pollution à considérer sur une station de 100 000 E.H.
Paramètres | Sans retour | Retours en tête 25 % | Valeurs finales effectives |
---|---|---|---|
DBO₅ (kg/j) | 6 000 | 7 500 | 8 000 |
MES (kg/j) | 7 000 | 8 750 | 9 333 |
Le traitement biologique
La surcharge de pollution apportée par les retours en tête aura un impact direct sur le traitement biologique. Un suivi de la charge massique indique que le traitement biologique va subir de sérieuses modifications selon le pourcentage de retours en tête considéré (figure 6).
La variation de ce paramètre explique en partie les changements de la qualité des boues quant au rapport boues primaires sur boues biologiques.
Dégradation de la déshydratabilité
La fraction de boues biologiques augmente donc dans la boue totale (figure 5). Il faut souligner que les valeurs indiquées sont à tendance basse, compte tenu du fait que le ratio MES/DBO₅ dans les retours en tête a été considéré comme constant sur toute l’estimation quantitative. En effet, si l’on tient compte des phénomènes d’hydrolyse évoqués ci-dessus, la quantité de DBO₅ risque fort d’augmenter plus rapidement que la quantité de MES, ce qui aura comme conséquence directe une production accrue de boues biologiques dont le taux de MV augmente. Le rapport entre les masses de boues primaires et de boues biologiques aura donc tendance à diminuer. Or, il s’avère que toute boue biologique reste difficile à déshydrater. Le taux élevé d’eau liée aux flocs biologiques fait que ces boues se laissent difficilement concentrer par la seule énergie mécanique (Haubry, 1989). Les conséquences seront une consommation plus élevée en réactif de conditionnement, et/ou une baisse du taux de capture, et/ou une baisse de la siccité des boues traitées.
Dysfonctionnement et boucle de retours
Les points vus précédemment s’entendent sur une station fonctionnant à son optimum. Le problème est que, dès qu’un dysfonctionnement apparaîtra (aussi bien sur la ligne eau que sur la ligne boues), les retours en tête seront un moyen privilégié de transmettre ce dysfonctionnement, de l’entretenir et malheureusement souvent de l’amplifier. Il est difficile d’être exhaustif, aussi un scénario de « station à la dérive » pour laquelle le dysfonctionnement total final est intime-
…ment lié à l’existence de la boucle due aux retours en tête servira d’exemple. Une évolution en trois étapes, pour laquelle le passage d'une étape de propagation du dysfonctionnement à la suivante nécessite la boucle des retours en tête est présentée sur la figure 7 ; à chaque étape une hiérarchie d’apparition des phénomènes est établie par une numérotation. Les dégradations sont inscrites en colonne par rapport à chacun des ouvrages, avec des indices + ou – relatifs à l'importance des phénomènes.
Tant que des dispositions efficaces ne sont pas prises, la situation évolue et s’aggrave inéluctablement. À terme, la station trouvera un état stationnaire, pour lequel le point de régulation est un départ de boues par le clarificateur.
Dans de telles conditions, il apparaît que si les retours en tête ne sont pas considérés dans leur intégralité, la filière de traitement des boues est d’emblée sous-estimée. Dans ce cas, l'exploitant est dans l’obligation de laisser augmenter la concentration en boue dans le bassin d’aération. Les problèmes engendrés de ce fait peuvent, ici encore, être divers et multiples : capacité de brassage insuffisante, mauvaise oxygénation de la boue activée, nécessité d’augmenter le taux de recirculation des boues… Le tout s’accompagne d'une hausse importante des coûts énergétiques d’exploitation.
Dans ce cas également, le seul état d’équilibre de fonctionnement possible paraît être une autogestion du taux de boues par la station elle-même, par le biais de départ de boues inévitables. Seuls les paramètres DBO5 et MES ont été considérés dans cette étude ; la prise en compte de l’azote et du phosphore peut conduire à des situations graves.
Conclusion
Il est impératif de prendre en compte les retours en tête du traitement des boues dès la conception de l'installation. L’importance de leur impact apparaît clairement dès que l'on considère la station dans sa globalité ; la boucle des retours en tête induit une charge de pollution qu’il faut impérativement intégrer en considérant un état de stabilité du système. Cette constatation amène à déterminer une valeur finale effective obtenue par itération compte tenu du phénomène de bouclage.
Les conséquences découlant de cette surcharge seront multiples : augmentation des quantités de boues primaires et biologiques à extraire du système pour conserver les conditions normales de fonctionnement, changement de la qualité des boues issues de la filière de traitement des eaux. Ces modifications vont conduire à un état de dysfonctionnement chronique de la station, dont l’issue sera une dégradation de la qualité de l’eau traitée et/ou de la qualité des boues à évacuer.
La conclusion de ce tableau peu réjouissant sur l’influence de la filière de traitement des boues sur le fonctionnement global de la station est la suivante : il s’agit de prévoir, en plus d’une filière de traitement des eaux intégrant les retours en tête, une filière « souple » de traitement des boues, c’est-à-dire modulable en capacité à tous les stades de traitement (afin d’éviter les goulots d’étranglement). En particulier, des systèmes du type grille d'égouttage ou flottateur, dont il est possible d’ajuster le temps de fonctionnement, et un atelier de déshydratation automatisé et largement dimensionné permettront de limiter les dérapages précédemment évoqués.
BIBLIOGRAPHIE
Haubry A., Quantités et caractéristiques des boues produites dans une station d’épuration urbaine. Conférence aux journées de traitement des boues de Barcelone (1989).
Beseme J.L., Iwema A., Les caractéristiques des eaux usées françaises, TSM L’eau, n° 7-8 (1990), p. 340-344.
Lawler D.F., Singer P.C., Return flows from sludge treatment. Journal WPCF, vol. 56, n° 2 (1984), p. 118-126.
Groupe de travail Satese-Cemagref, Production et gestion des boues dans les stations d’épuration. Rapport de synthèse, année 1991.