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L'exploitation géothermique du Néocomien à Bruyères-le-Chatel

28 février 1984 Paru dans le N°80 à la page 43 ( mots)
Rédigé par : D. PENNEQUIN

Depuis une bonne dizaine d’années, l’usage de la géothermie basse et très basse température s’expérimente et se répand de plus en plus en France, surtout dans les bassins Parisien et Aquitain.

Jusqu’à présent, la géothermie a surtout servi à la fourniture de calories gratuites pour le chauffage, le refroidissement et la production d’eau chaude.

La puissance P fournie par la géothermie est directement proportionnelle à la différence entre la température à laquelle l’eau géothermale entre dans le premier échangeur de chaleur T1 et la température à laquelle elle ressort du dernier échangeur Tn :P = KQ (T1 – Tn)

où Q est le débit pompé et K est une constante. Il faut noter que cette puissance est souvent inférieure à la puissance maximum à fournir, par exemple lors de grands froids, d’où le besoin d’une source d’appoint ; cependant, puisque cette puissance maximum est rarement nécessaire, l’énergie géothermique peut représenter une importante partie de l’énergie totale consommée.

La géothermie et les « solutions géothermiques » ne sont pas seulement séduisantes parce qu’elles apportent des calories mais aussi parce qu’elles permettent, de par leur nature, l’élaboration d’installations complexes produisant de l’énergie à bon marché, ce qui est le cas de Bruyères-le-Châtel (91).

C’est ainsi que le centre du CEA-DAM de Bruyères-le-Châtel nécessite une puissance en chaleur de l’ordre de 15 000 kW qui, jusqu’à une période récente, était assurée par une chaufferie centrale fonctionnant au fuel lourd.

Dans le cadre de la recherche de substitution et d’économie d’énergies, une étude géologique réalisée en 1980 par le B.R.G.M. a démontré que dans une première phase, une solution géothermique exploitant la nappe du Néocomien, à raison d’environ 105 m³/h au maximum, peut rentablement couvrir deux tiers des besoins en chaleur du centre (10 000 kW ou 1 500 équivalents logements) tout en produisant du froid, de l’électricité et de l’eau potable. Le principe en est relativement simple : l’eau géothermale pompée apporte, via des échangeurs de chaleur, des calories à une centrale énergétique de surface, laquelle avec des pompes à chaleur mixtes gaz/électricité, des alternateurs et des sources d’appoint, produit l’énergie nécessaire et de l’eau potable à la température désirable.

Étant donné la composition géochimique favorable de l’eau géothermale, un doublet n’est pas nécessaire, et l’eau usée est tout simplement rejetée en surface.

Les travaux commencèrent avec le forage vers la fin 1980 et se terminèrent avec les dernières vérifications en 1983. La mise en œuvre du système débuta en mai 1983 pour la production d’eau potable en pompant 50 m³/h d’eau géothermale. La production de chaleur et d’électricité commença en septembre 1983.

LE FORAGE

Le forage, dans le Sannoisien, traverse environ 60 m de tertiaire et se termine dans le secondaire à une profondeur approximative de 750 m, afin de capter la nappe du Barrémien-Néocomien. La coupe géologique du terrain est résumée sur le tableau 1.

TABLEAU 1

Coupe géologique du terrain rencontré le long du forage de Bruyères-le-Châtel

0–60 m Marnes et argiles vertes, grises, noires, sableuses, calcaire, grès marneux et sable quartzeux du Sannoisien à l’Yprésien.
60–495 m Craie blanche à silex du Sénonien, craie et grès blanc du Turonien, craie grise, gréseuse et grès blanc glauconieux du Cénomanien.
495–515 m Argile noire sableuse glauconieuse du Gault.
515–605 m Sable grossier quartzeux, glauconieux de l’Albien moyen et sables quartzeux vert, pyriteux, argile sableuse ligniteuse, grès glauconieux de l’Albo-Aptien.
605–750 m Argiles de plusieurs couleurs, grès clairs, sables glauconieux pyriteux et silt ligniteux du Barrémien ; argile noire, sable fin, silt blanc ligniteux et pyriteux du Hauterivien (Néocomien) ; grès fin moyen et argile grise brune pyriteuse du Valanginien (Néocomien) ; calcaire dolomitique et argileux du Purbeckien.
[Photo : Coupe du forage]

Les travaux de subsurface ont duré 31 jours, carottages et développement inclus. La coupe du forage ainsi que les équipements utilisés apparaissent sur la figure 2. Le forage est tubé en casing de Ø 18 5/8" jusqu'à environ 80 m de profondeur, puis retubé en Ø 13 3/8" × 9 5/8" jusqu'à environ 650 m de profondeur ; il est enrobé de 50 m³ environ de béton sur toute la longueur et se termine par des tubes d'extension et 70 m de crépines du type pétrole et gaz de Ø 6 5/8", slot 12 (0,3 mm), offrant une surface active de 8 % et des résistances respectives à la traction et à l'écrasement de 51 tonnes et 196 bars. Cette technique « pétrole - gaz » permet un débit théorique de 7 m³/h par mètre linéaire de crépine, sans perte de charge due à l'entrée du fluide dans la crépine.

Le faible coefficient d'uniformité du sable de la zone aquifère (moyenne 2) a rendu nécessaire la mise en place d'un massif de gravier filtrant afin d'empêcher des venues éventuelles de sable et d'optimiser le rendement du forage ; 14 m³ de gravier ont été utilisés à cet effet, ce qui devrait garantir une épaisseur minimum de 5" (127 mm) de massif filtrant autour de la crépine sur toute sa longueur.

Deux pompes fixes de 40 kW chacune, installées à 92 m et 102 m de profondeur dans le forage, assurent les besoins en eau géothermique.

Pendant l'avancement des travaux, plusieurs diagraphies ont été réalisées afin de déterminer au mieux les couches productrices à capter. Ainsi, une combinaison « densité neutron » et des mesures CNL-Gamma Ray ont permis de déterminer la porosité et les passées argileuses de 0 à 650 m de profondeur. De 300 à 650 m, des mesures acoustiques ont mis à jour la lithologie des divers horizons traversés ; enfin, dans la zone de production, des reconnaissances aux simultaneous neutron, densité log, microproximity log, microlog, et des diagraphies de production, telles que flowmètre, thermomètre et sonde de pression ont complété les études diagraphiques et aidé à établir en détail les caractéristiques de la zone aquifère à capter, qui sont reproduites ci-après :

Niveaux producteurs : 658 m - 735 m
Longueur captante : 50 m
Hauteur productive : 27 m
Niveau statique : – 21 m à – 14 m
Porosité moyenne : 30 %
Ø moyen des sables de l'aquifère : 0,2 mm
Perméabilité : 3,8 D
Débit moyen de pompage : 130 m³/h
Salinité moyenne : 0,4 - 0,5 g/l
Viscosité : 0,73 cp
pH : 7,8
Titre hydrométrique : 14° 22
Température : 33 - 35 °C
Résistivité : 2,768 Ohm/cm

ÉQUIPEMENT DE SURFACE

L’installation se compose essentiellement de trois circuits de base avec de nombreuses ramifications : le circuit géothermique/eau potable, le circuit évaporateur et le circuit condensateur. Un schéma partiel de l’installation est représenté sur la figure 3.

[Photo : Schéma partiel de l'installation]

La partie motrice du système comprend une centrale énergétique combinée avec six groupes complexes calorifugés, chacun comprenant sur une même ligne d'arbre un moteur thermique à gaz, un alternateur, un embrayage, un moteur électrique et un compresseur. Ces groupes sont raccordés deux par deux sur un même ensemble échangeur d'eau géothermale d'une

part, et thermodynamique ou pompe à chaleur (R12) de l'autre. Pour en augmenter la performance, ces trois ensembles sont raccordés en série du côté évaporateur et en parallèle du côté condenseur.

Des tours de refroidissement évaporatrices, ainsi que des circuits annexes récupérant en temps de besoin les effluents à haute et basse température, et la chaleur produite par les groupes moteurs, permettent d'améliorer le rendement de l'installation géothermique, et donc, de réduire encore les apports du réseau d'appoint (eau surchauffée).

FONCTIONNEMENT DE L'INSTALLATION

Pendant cette première tranche de l'opération (2/3 de l'énergie du centre couvert par la solution géothermique), les débits géothermiques pompés varient en général de 50 m³/h (production d'eau potable) à 105 m³/h. Cette eau pénètre dans le premier échangeur à plaques à une température de l'ordre de 33 °C, et ressort du troisième échangeur à 18 °C en fournissant un total d'environ 15 kcal par litre d'eau pompée. L'énergie ainsi extraite sert de base à l'installation de surface pour la production de chaleur et d'eau potable. L'installation de surface démarre soit avec les moteurs thermiques, soit avec les moteurs électriques.

Dans le cas où les moteurs thermiques sont utilisés, chacun des trois ensembles (pompe à chaleur — groupes moteurs — échangeurs) est indépendant des deux autres et peut fonctionner conformément à un des trois scénarios suivants :

  1. 1) production simultanée de chaleur (côté condenseur) et d'électricité,
  2. 2) production simultanée de froid (côté évaporateur), de chaleur (côté condenseur) et d'électricité,
  3. 3) production d'électricité.

À la limite, ces trois scénarios peuvent coexister.

Le premier scénario correspond surtout au fonctionnement hivernal quand les besoins en chaleur sont très importants ; les trois ensembles fabriquent alors en priorité de la chaleur en utilisant la ressource géothermique au maximum. Comme le rendement optimum d'un moteur thermique tend à être vers son régime nominal, ce moteur tourne au plus près de sa puissance nominale, entraînant le moteur électrique en marche libre, l'alternateur et le compresseur de la pompe à chaleur. De cette manière, avec les calories géothermiques et du gaz, chaque groupe fabrique de la chaleur et de l'électricité puisque le compresseur de la pompe à chaleur utilise rarement la totalité de l'énergie produite par le moteur thermique. La production électrique de chaque groupe correspond donc à la différence entre la puissance nominale du moteur thermique et la puissance absorbée par le compresseur, cette dernière variant avec les conditions climatiques.

Pour améliorer le rendement de l'installation, les effluents à haute température des moteurs thermiques ainsi que la chaleur produite par le fonctionnement des groupes sont récupérés sur le circuit condenseur, tandis que le circuit évaporateur récupère les effluents à basse température. La chaleur complémentaire nécessaire est produite par les équipements du réseau existant d'eau surchauffée. En hiver, un électrocompresseur annexe, refroidi par le circuit évaporateur des pompes à chaleur, assure les besoins de froid.

Le deuxième scénario s'applique principalement à la demi-saison, lorsqu'une pompe à chaleur est spécialisée dans la production simultanée de froid et de chaleur. Dans ce cas, l'eau géothermale n'est pas utilisée par cette pompe à chaleur, mais l'est par les deux autres ensembles qui continuent à fabriquer de la chaleur comme en hiver.

En cas de gros besoins en électricité ou d'incompatibilité des conditions climatiques (moins de 0 – 3 °C) avec le régime des températures des pompes à chaleur, les compresseurs sont désamorcés au profit des alternateurs. Dans chaque groupe, la production électrique correspond alors à la puissance nominale du moteur thermique : c'est le troisième scénario.

Alors que l'emploi des moteurs thermiques permet le fonctionnement indépendant des trois pompes à chaleur, les moteurs électriques, en été, contraignent ces dernières à travailler ensemble, soit pour la production de froid (côté évaporateur) avec en annexe une production de chaleur (côté condenseur), sans utiliser l'eau géothermale, soit pour la production de chaleur (côté condenseur) avec l'aide de l'eau géothermale.

En cas de surproduction de chaleur lors de fabrication de froid en été, l'excédent est évacué par les tours de refroidissement évaporatrices.

Étant donné la qualité de l'eau et les précautions prises (déferrisation, traitement au chlore), une partie de l'eau géothermale entre dans le réseau d'eau potable, le reste et les eaux usées sont rejetés dans le « Rué », un ruisseau adjacent au centre.

BILAN ÉNERGÉTIQUE ET ÉCONOMIQUE

La mise en service récente de l'installation ne permet pas encore de tirer un bilan définitif. Cependant, un bilan théorique a été calculé, qui permet de faire quelques observations. Ce bilan ne concerne que les deux tiers du centre qui sont couverts par la solution géothermique, et s'appuie sur des valeurs de décembre 1982.

De par sa structure, la nouvelle installation géothermique absorbe environ 28 % d'énergie de moins que l'ancien système qui fonctionnait au fuel lourd BTS 2. Si l'on ajoute à cela, l'énergie géothermique gratuite, la consommation d'énergie du nouveau système est ramenée à moins de 50 % de la consommation ancienne des deux tiers du centre.

d’énergie s’élevant à 1 470 TEP par an. Dans la nouvelle installation, la géothermie seule couvre environ 33 % des besoins d’énergie.

Les investissements initiaux engagés pour réaliser le nouveau système se montent à 22,85 millions de francs. Il faut en déduire 5,35 millions de francs de subventions diverses et de part disponible du forage pour extension du projet (le troisième tiers des besoins en énergie du centre), ce qui réduit le montant des investissements initiaux à 17,50 millions de francs. Les économies annuelles d’énergie s’élèvent à 2,43 millions de francs (voir tableau 4). À partir de ces considérations, le temps de retour de l’installation géothermique est estimé à 7,2 ans.

TABLEAU 4Rentabilité économique de l’installation géothermique de Bruyères-le-Châtel

Ancien système Installation géothermique
Fuel lourd : 3,29 Gaz naturel : 1,32
Électricité : 0,33 Électricité : 0,13
Eau potable : 1,00 Eau potable : 0,34
Maintenance : 0,40
Total : 4,62 Total : 2,19
Économie annuelle : 4,62 – 2,19 = 2,43 (en M.F.)

D’après le CEA, l’espérance de vie du forage est de 30 années au moins. L’espérance de vie de l’installation de surface est plus difficile à estimer, vu sa complexité. Néanmoins, il est presque certain que l’installation fonctionnera sans problèmes majeurs pendant une période de 7 à 8 ans (et probablement beaucoup plus longtemps). D’ailleurs, même si la durée de vie de tout le nouveau système ne dépassait pas 8 ans (hypothèse très pessimiste), l’économie réalisée par rapport à l’ancien système serait de l’ordre de 5 % (investissements géothermiques initiaux compris). Cette économie s’élèverait à 15 % et 40 % pour des durées de vie respectives de 10 ans et 30 ans.

ÉVOLUTION DES RABATTEMENTS ET DE LA TEMPÉRATURE GÉOTHERMIQUE

Deux paramètres importants contrôlent le rendement de l’installation : la température de l’eau géothermale et le rabattement dans le forage d’exploitation. En effet, une baisse significative de cette température et un accroissement démesuré du rabattement dans le temps pourraient compromettre sérieusement le rendement de la centrale géothermique.

D’après une étude faite par le BRGM pour des débits d’eau géothermale de 50, 100 et 150 m³/h pompés 24 heures sur 24 sur une période de 30 ans, la baisse de température finale serait inférieure à 1 °C. Le rabattement dynamique final, par contre, augmenterait de 5 m (50 m³/h) à 14 m (150 m³/h) par rapport au rabattement dynamique initial.

Si l’on adopte le scénario le plus pessimiste, soit un surcroît total de rabattement de 14 m pour un débit de 150 m³/h exploité 24 heures sur 24 pendant 30 ans, des calculs simples montrent que le surcoût moyen annuel maximum dû à l’accroissement du rabattement dynamique ressort à 20 000 – 25 000 F. Cette somme supplémentaire ne représente qu’une augmentation d’environ 1 % des frais d’exploitation ; dans le cas de Bruyères-le-Châtel, il est donc évident que l’évolution des rabattements et de la température géothermale ne jouera aucun rôle significatif sur le rendement de l’installation, même après 30 ans d’exploitation.

CONCLUSION

En principe, la rentabilité financière de la centrale géothermique du centre CEA-DAM de Bruyères-le-Châtel semble être assurée, même si l’on envisage un scénario d’exploitation fort pessimiste (avec, par exemple, l’usure précoce des équipements de l’installation).

Cette centrale pourra servir d’expérience très instructive et ainsi ouvrir des perspectives à d’autres applications de la géothermie.

Enfin, le choix d’une « solution géothermique » pour alimenter en énergie le centre de Bruyères-le-Châtel entre dans le cadre des efforts déployés pour développer l’indépendance énergétique de la France.

Remerciements

Nous tenons à remercier le centre CEA-DAM de Bruyères-le-Châtel (et en particulier M. Couleaud pour son aimable assistance) ainsi que le BRGM qui nous a donné l’autorisation d’utiliser certaines données et de publier cet article.

BIBLIOGRAPHIE

1. AFME : Opération géothermique de Bruyères-le-Châtel.

2. AFME : La géothermie dans une nappe d’eau potable profonde avec relevé de température par pompes à chaleur mixtes gaz/électricité.

3. BRGM : 1978 Énergies nouvelles — La géothermie en France.

4. Filtres Crépines Johnson : 1982, Forage de Bruyères-le-Châtel, le Courrier Johnson n° 60.

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