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L'évolution du traitement des eaux phénolées

30 juillet 1986 Paru dans le N°102 à la page 31 ( mots)
Rédigé par : F. BERNE

Le rejet des composés phénolés est strictement réglementé par les différentes législations relatives aux eaux résiduaires industrielles, en raison de leur toxicité et de la formation de composés d’addition tels que les chlorophénols lors des traitements de désinfection par le chlore. Les industries concernées par ces effluents sont principalement la sidérurgie, avec ses cokeries, mais aussi les industries de raffinage, de gazéification de première génération, les fabrications de colorants et de certaines résines. Bien que selon les pays et les industries, les législations puissent différer, on peut considérer que l'arrêté français du 12 septembre 1973, relatif aux effluents du raffinage et qui impose un maximum de 0,5 mg/l de phénols à une raffinerie simple ou 1 mg/l à une raffinerie complexe, représente la moyenne des pratiques internationales. Cet élément est mesuré suivant la norme Afnor T 90 204 et concerne donc les phénols entraînables par la vapeur d'eau, référence que nous retiendrons donc exclusivement dans les valeurs mentionnées ci-après. Leur élimination est maintenant très pratiquée et met en œuvre des procédés très fiables que nous examinerons dans le présent article, mais qui dépendent surtout des niveaux de concentration initiaux, de la nature des autres polluants et quelquefois aussi de l'industrie considérée ; c’est pourquoi, nous considérons trois échelles de concentrations qui correspondent à la plupart des problèmes rencontrés :

  • — très fortes concentrations, au-dessus de 5 g/l ;
  • — concentrations moyennes, de 0,1 à 5 g/l ;
  • — faibles concentrations, en-deçà de 50 mg/l, sinon 5 mg/l.

TRAITEMENT DES EFFLUENTS À TRÈS FORTE CONCENTRATION

Il s'agit plutôt de liqueurs, telles que les liqueurs ammoniacales de cokeries et de gazéification ou les soudes usées phénolées de l’industrie du raffinage.

En cokerie, suivant le temps de cuisson et la température de piédroit, la concentration des eaux de formation (dites aussi de barillets) peut, en fait, varier de 0,2 à 4,5 g/l avec un pH de 9 à 9,2 (effet tampon des sels volatils d'ammonium) ; les débits concernés sont de 20 à 100 m³/h. En gazéification de première génération les effluents ammoniacaux peuvent aussi contenir de 2 à 4 g/l de phénols. Les soudes usées phénolées, résidu du lavage de gaz et de produits légers, peuvent contenir de 2 à 10 g/l de sulfures et surtout de 5 à 60 g/l de phénols (en moyenne 20), avec des pH de 12 à 14 ; les débits concernés vont de 0,5 à 4 t/h.

Pour réaliser le déphénolage des premières, si elles contenaient plus de 2 g/l de phénols, on avait depuis longtemps pratiqué l’extraction liquide-liquide des phénols par un solvant tel que le Phénol-Solvant, entre autres. Le coût extrêmement élevé de la récupération de ces produits ainsi que l'interdiction de diluer les eaux résiduaires (contenant encore de 25 à 60 mg/l de phénols) ont fait abandonner cette extraction au profit de l'épuration biologique, moyennant une éventuelle et faible dilution avant épuration.

Pour le traitement des secondes, on avait tenté leur incinération directe, eu égard à leur faible volume, mais ce procédé se trouve limité par les remplacements fréquents de produits réfractaires et l'épuration des fumées.

Sauf cas quelquefois envisageable de rejet, après neutralisation et désulfuration, dans les eaux résiduaires générales de la raffinerie et en amont d'une épuration biologique dimensionnée à cet effet, nous avons développé un procédé original en Europe et qui bénéficie maintenant de plus de trois ans d'expérience : il consiste en une extraction liquide-liquide, par un solvant, lequel ne doit toutefois pas être régénéré car il s’agit d'une coupe légère, le « Light Cycle Gas Oil » (LCGO) qui est un produit industriel et qui, après utilisation, peut être distribué commercialement.

Le schéma de la chaîne de traitement comporte (figure 1) :

  • — un réacteur d’acidification, le Turbactor (réacteur statique Degremont) sous pression, qui libère tous les sulfures en H₂S ;
  • — une séparation des « Sprung acids », composés phénolés insolubles ;
  • — un strippeur de H₂S libéré, alimenté en fioul gaz ;
  • — une colonne pulsée Eries d’extraction par le LCGO ;
  • — un coalesceur Degremont de déshuilage de finition.

Son originalité est double :

  • — emploi d'une unique colonne pulsée d’extraction au lieu des trois ou quatre ensembles mélangeur-décanteur nécessaires dans un schéma conventionnel ;
  • — efficacité et fiabilité du prétraitement utilisé dans des conditions sévères de corrosion.

Les performances garanties et celles qui sont obtenues effectivement figurent dans le tableau 1.

[Photo : Schéma original d'une chaîne de traitement (Raffinerie Lindsey)]

L'intérêt du procédé est donc de concerner des raffineries relativement complexes mais il pourrait être étendu à d'autres industries bénéficiant de leur voisinage.

Tableau 1 : Extraction par solvant.

À l'entrée Garanties
Demandées Tenues
Phénols : moyenne 12 g/l à 20 < 1 g/l < 0,25 g/l
S²⁻ 2,5 à 6 < 100 mg/l < 1 mg/l
pH 14 à 14 > 3 > 3
Température 20 à 30 °C < 75 °C < 75 °C

TRAITEMENT DES EFFLUENTS À CONCENTRATION MOYENNE

Ceux-ci sont constitués principalement par les eaux ammoniacales de cokerie qui, en raison de leur origine, contiennent de 250 à 2 500 mg/l de phénols et, accessoirement, par les condensats des unités de fluo-craquage (10 à 50 mg/l) ou les effluents de fabrication de résines phénol-formiques (1 000 à 2 000 mg/l) (tableau 2).

Historiquement, c’est sur les eaux de cokerie qu’ont débuté, vers 1968 en France, les premières réalisations par épuration biologique. Malgré les doutes de l’époque, ces installations se sont multipliées à travers le monde. Elles reposent toutes sur une épuration classique des boues activées à moyenne charge, réalisée souvent avec quelques précautions complémentaires observées pendant une dizaine d’années et portant sur les points suivants :

  • apport de phosphore ;
  • limitation par dilution de la teneur initiale en phénols à 750 mg/l ;
  • limitation correspondante de la teneur initiale NH₄ à 1 250 mg/l ;
  • prédosage éventuel de sels de fer ;
  • correction éventuelle de pH.

Simultanément, d’autres voies ont été testées en recherchant, en particulier, un procédé physique et surtout plus compact, à savoir, sans oublier la précédente extraction par solvant :

  • l’évaporation flash à multiple effet, qui s’est heurtée à une dégradation très rapide par corrosion, malgré les matériaux très nobles choisis ;
  • l’adsorption sur résine échangeuse d’ions, régénérée à la soude, laquelle a buté sur la contamination irréversible de la résine et le rejet des éluats sodiques ;
  • l’extraction à la vapeur et à la soude, avec production de phénate de soude, suivant un ancien procédé, qui présente les inconvénients spécifiques suivants :
    • difficulté de commercialiser le phénate de soude ;
    • surconsommation de soude ;
    • subsistance dans l’eau traitée des cyanures, des sulfocyanures et de 40 à 80 mg/l de phénols, tous composés dont l’épuration ultérieure est rendue plus difficile.

L’épuration biologique est maintenant la solution retenue malgré la nécessité d’un bassin d’aération impliquant un séjour de l’eau de l’ordre de la journée, et cela parce qu’elle assure la dégradation simultanée des cyanures, des sulfocyanures dans des conditions beaucoup plus stables et fiables que les autres traitements et qu’elle s’est affranchie depuis quelques années des limitations en concentrations initiales précédemment citées. Nous avons pu obtenir cet élargissement de son champ d’utilisation par plusieurs dispositions successives :

  • maîtrise du bon dégroudonnage initial, clé de la fiabilité de l’unité de strippage, maillon le plus sensible de toute la chaîne de traitement ;
  • adjonction entre le strippage et l’épuration biologique d’un réacteur de stabilisation de l’eau ;
  • meilleur maintien du pH dans l’aération, par la régulation de l’alcalinité.

Ceci permet maintenant d’éviter toute dilution et d’alimenter directement l’unité biologique avec des eaux contenant jusqu’à 2,5 g/l de phénols.

Dans toute la zone des concentrations traitées, le rendement de déphénolage demeure supérieur à 99 %, mais le nombre des décimales diminue inéluctablement avec les concentrations ; les valeurs résiduelles s’échelonnent entre 0,1 et 10 mg/l, ce qui, dans un cas limite rare, peut exiger un traitement complémentaire de finition. Le tableau 2 montre deux conditions extrêmes de fonctionnement.

Si le strippage, consommateur de vapeur et de soude pour l’élimination de la totalité de l’ammoniaque, conduit (selon les modalités d’établissement des bilans) à des coûts opératoires de 30 à 40 F/m³, l’épuration biologique, plus frugale, n’entraîne, surtout au niveau des dépenses, que l’énergie d’aération et l’amortissement des équipements ; elles se situent entre 8 F/m³ et 10 F/m³ (valeur 1985).

[Photo : Schéma du dispositif d’épuration biologique dans une cokerie]

Tableau 2 : Composition d’eaux ammoniacales

Cokerie française – Débit de l’effluent : 60 m³/h – Débit de la dilution : 40 m³/h Cokerie italienne – Débit de l’effluent : 45 m³/h – Débit de la dilution : 0

Éléments Entrée Sortie Entrée Sortie
Phénols 250-400 mg/l < 1 mg/l 1 500-2 500 mg/l 5-10 mg/l
SCN⁻ 15-20 < 0,2 5-10 < 0,1
DBO₅ 80-100 2-5 10-40 < 30
DCO 2 500-3 000 200-300 3 600-5 800 250-300
NH₃ 200 < 130 1 000-1 800 idem

La production des boues en excès est relativement faible et, moyennant certaines précautions simples, elles peuvent trouver un exutoire local ; elles ne représentent, en matières sèches, qu'une proportion de l'ordre de 100 g/t de coke produit.

Ne comportant que des dépenses énergétiques (de l'ordre de 1,2 à 1,8 kW·h par m³ traité), n'entraînant pas de consommation notable de réactif et avec une production de boues négligeable, l'épuration biologique assure maintenant quasi exclusivement le traitement des effluents moyennement phénolés de cokeries, de gazéification, de fluocraquage et de production de résines formophénoliques et cela dans de très bonnes conditions de fiabilité.

Le développement, actuellement en cours, des épurations biologiques en cultures fixées permettra peut-être prochainement, non pas d’améliorer des performances déjà très bonnes, mais plutôt de rendre plus compactes des installations dont la fiabilité est maintenant bien confirmée.

TRAITEMENT DES EAUX À FAIBLE CONCENTRATION

En dessous de 50 mg/l de phénols et si la DBO₅ associée est négligeable, la conduite des épurations biologiques par boues activées peut devenir ou trop coûteuse ou trop difficile, ce qui explique, dans les raffineries en particulier, l'emploi de lits bactériens à remplissage de matériaux plastiques en vrac ou ordonnés (figure 3) dont le rendement en élimination de la DBO₅ est moyen (50 à 60 %). D'une exploitation en principe plus simple, ils supportent des charges hydrauliques de 1,5 à 3 m³/m²/h et des charges massiques de 1 à 6 kg de DBO₅/m³ matériau/j. Dans les raffineries, ils sont construits avec des diamètres de 12 à 20 m avec des hauteurs de matériau de 4 à 6 m et sont situés en aval d'une unité de déshuilage physico-chimique par flottation à l'air dissous.

[Photo : Fig. 3 – Coupe d'un lit bactérien.]

Leur mission principale est l'élimination de 40 à 60 % de la DBO₅ incidente, ce qui permet de satisfaire les seules DBO₅ de 30 à 40 mg/l mais leurs performances en déphénolage permettent rarement d'atteindre le seuil de 0,5 mg/l de phénols : il subsiste le plus souvent quelques mg/l de phénols qui doivent être éliminés par un traitement tertiaire ou de finition.

Les filtres à Biolite constituent précisément un outil en cours de développement pour assurer ce traitement tertiaire (figure 4). Ce sont des filtres sous pression, chargés d'un matériau granulaire, la Biolite, à structure macroporeuse et d'une taille effective de 1,5 à 2,5 mm selon les utilisations. Ils sont équipés d'un plancher à busettes permettant le lavage hydropneumatique dont l'efficacité est maintenant bien connue. Le matériau a la propriété de fixer les cultures biologiques nécessaires à une épuration et d'en conserver une quantité suffisante au réensemencement du milieu après le lavage périodique qui enlève les boues produites en excès et les matières en suspension.

[Photo : Fig. 4 – Schéma d'un filtre à Biolite.]

Le filtre de Biolite assure donc une double fonction : d'une part il permet d'éliminer les matières en suspension jusqu'à des niveaux inférieurs à 10 mg/l et d'autre part il réalise une épuration biologique complémentaire, particulièrement efficace sur les composés très biodégradables tels que les phénols.

Cette épuration aérobie ne s'exerce, bien sûr, que dans le cadre de la concentration en oxygène disponible. Celle-ci est définie par la solubilité d'O₂ dans l'eau et le procédé prévoit donc d'augmenter la pression de l'eau brute à 4 ou 5 bars afin de pouvoir y dissoudre de 30 à 40 mg/l d'oxygène, lequel pourra être presque totalement utilisé au cours de l'épuration biologique.

Ces filtres sont construits avec des diamètres de 2 à 5 m ; ils supportent des vitesses élevées d'effluents en écoulement permanent.

Les performances en déphénolage de ces techniques sont les suivantes :

  • — en traitement biologique sur lit bactérien

Les rendements de déphénolage sont en général très supérieurs à ceux d'élimination de la DBO₅ et, par exemple, pour une charge hydraulique donnée, ils peuvent atteindre 80 % pour des teneurs initiales inférieures à 30 mg/l. On constate un abaissement rapide de ce rendement lorsque la concentration initiale en phénols s'élève au-dessus de 30 mg/l, ou

[Photo : Schéma du déphénolage de finition dans une raffinerie. 1 : API — 2 : Flottation — 3 : Filtre bactérien — 4 : Filtre à sable. a : bâche de recyclage sur lit bactérien — b : bâche d’alimentation des filtres — c : bâche d’eau filtrée — e : recyclage des eaux de lavage sur flottation — f : recyclage des eaux traitées vers circuit de refroidissement — g : by-pass du traitement biologique.]

Même son effondrement pour tous niveaux initiaux si le lit bactérien est encrassé, hypothèse malheureusement possible s’il a été mal conçu ou est mal exploité (alimentation avec des eaux huileuses par exemple). En pratique, pour des concentrations initiales en phénols variant de 10 à 50 mg/l (en moyenne 22 mg/l), le niveau moyen à la sortie est de 5 à 6 mg/l et une épuration complémentaire est nécessaire pour satisfaire à la législation.

– en traitement biologique sur filtre Biolite Deux hypothèses de fonctionnement sont possibles :

  • – traitement direct après épuration physico-chimique ;
  • – traitement de finition ou tertiaire après lit bactérien ou boues activées (figure 5).

Nous avons pu observer les résultats suivants :

  • — rendement de 75 % pour moins de 3 mg/l initiaux dans le premier cas ;
  • — rendement de 50 % pour moins de 3 mg/l initiaux dans le second cas où les phénols résiduels peuvent évoluer de 0,1 à 0,6 mg/l pour des valeurs initiales de 0,2 à 2,2 mg/l (figure 6).
[Photo : Exemples de déphénolage sur Biolite]

Parallèlement, on note un abaissement de la DCO indépendant de la DCO initiale et une bonne élimination des matières en suspension.

L’efficacité globale en traitement tertiaire peut s’exprimer par les résultats suivants relevés dans une raffinerie :

Tableau 3 : Résultats du traitement tertiaire relevés dans une raffinerie

Éléments — Sortie lit bactérien — Sortie Biolite
DCO — 187 mg/l — 121 mg/l
MeS — 15 à 30 mg/l — 1 à 10 mg/l
Phénols — 1 à 18 mg/l — 0,2 à 10 mg/l

Ces caractéristiques trouvent leur emploi dans le recyclage des eaux filtrées destinées à l’appoint de circuits de réfrigération des raffineries.

La figure 6 illustre d’ailleurs les résultats obtenus dans l’élimination des phénols selon que le filtre à Biolite fonctionne en épuration biologique directe ou tertiaire.

En conclusion, bien qu’il subsiste, dans des conditions particulières, des possibilités d’élimination économique, mais incomplète, des phénols par l’extraction liquide-liquide, la très grande majorité des épurations industrielles est réalisée grâce à l’épuration biologique aérobie. Vingt ans d’expérience des boues activées ont permis de connaître les causes d’inhibition et de rendre ces installations simples et fiables devant un éventail de concentrations initiales en phénols pouvant s’ouvrir de 5 à 2 500 mg/l.

Pour l’élimination de traces ou le maintien de seuils rigoureusement en dessous de 0,1 ou 0,5 mg/l, on dispose donc maintenant de traitements tertiaires biologiques qui peuvent, seuls ou complétés par l’utilisation de charbon actif en grains, assurer le niveau désiré de finition et ceci moyennant un faible coût additionnel.

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