Nous présentons ici les grands traits de l'évolution constatée au cours des dernières années en matière de contrôle des procédés industriels, qu'il s’agisse des matériels, des méthodes ou de la qualification et de la formation du personnel.
Nous proposons quelques thèmes de réflexion concernant l'avenir prévisible.
L'INSTRUMENTATION
Au même titre que la production d'énergie, que la fabrication de produits chimiques, de ciment ou de papier, le traitement d'eau est un processus complexe mettant en œuvre des techniques et des matériels pour traiter et transformer la « matière première » (c'est le procédé) et des techniques et des appareils pour surveiller et piloter le procédé (c’est l'instrumentation).
Sécurité, qualité du produit, productivité, sont les principaux objectifs du fonctionnement des unités industrielles. Pour atteindre ces objectifs, les hommes affectés à ces missions de contrôle-commande utilisent l'instrumentation, en vue d’exécuter les tâches ci-après :
- — effectuer des mesures sur le procédé ;
- — transmettre et traiter les informations recueillies ;
- — agir sur le procédé par des actionneurs.
Nous nous intéresserons ici à la deuxième catégorie, tout en gardant à l’esprit qu’aucune n’est moins importante que les autres, car c'est le maillon le plus faible qui définit l’efficacité de l'ensemble : il ne sert à rien d'installer des systèmes de commande très sophistiqués si l'on utilise de mauvais capteurs. C’est maintenant un argument généralement accepté. Mais ce qui est peut-être moins reconnu, c’est l'argument symétrique, lequel mérite pourtant d’être médité : à quoi sert-il d'installer des capteurs fidèles et précis (et souvent coûteux) si l'on ne fait qu'un usage restreint (ou pas d'usage du tout) des informations qu’ils transmettent ?
Les usages en question sont surtout les suivants :
- — surveillance et pilotage, par l’intermédiaire d'opérateurs ;
- — automatisation, soit discontinue (procédures d’arrêts, de démarrages, de sécurité, ...), soit continue (régulation).
Avant de décrire comment les générations successives de matériels et de techniques ont permis d’automatiser les processus industriels, rappelons en quelques mots ce qu’est la régulation. Réguler une variable d'un procédé (la température d’un four, le niveau d'un réservoir, le débit d'une canalisation), c’est faire en sorte, en agissant sur une autre grandeur (la chauffe du four, le débit d’arrivée dans le réservoir, l'ouverture d’une vanne) que la variable en question, soit reste constante, soit suive au cours du temps un profil de variations défini à l’avance (la consigne) et ce, indépendamment des perturbations qui peuvent affecter la bonne marche du procédé.
On distingue la régulation en boucle ouverte et la régulation en boucle fermée.
Dans le premier cas, on calcule l'action à appliquer au procédé uniquement en fonction de la consigne :
Dans le second cas, on utilise, en plus de la consigne, la mesure de la variable à réguler, ce qui permet en particulier d’arrêter la modification de l’action lorsque la consigne est satisfaite, et ce qui définit la nature « bouclée » du système ainsi constitué.
Bien que schématique, et extrêmement simple quand on la compare à la complexité des processus de fabrication utilisés de nos jours, cette dernière représentation rend compte aujourd'hui encore de la grande majorité des boucles de régulation industrielle en service dans le monde.
Nous reviendrons sur ce décalage, mais il faut commencer par le commencement.
LA COMMANDE CLASSIQUE
La figure 3 donne la structure d'une commande classique de processus, dans laquelle chaque boucle de régulation est contrôlée à travers un régulateur analogique fonctionnant d'une manière autonome et dans laquelle :
TA : Transmetteur Analogique, convertit le signal physique (pression, température, …) issu du capteur en un signal pneumatique (200 à 1 000 mb) ou électrique (4 à 20 mA), qui sera l’entrée en mesure du régulateur ou simplement enregistré.
CA : Commande Analogique (vanne de contrôle, …) dont la réponse est élaborée par le régulateur suivant une fonction généralement PID (Proportionnelle, Intégrale et Dérivée) de l’écart Mesure-Consigne.
TL : Transmetteur Logique (pressostat, fin de course, …) fournissant un signal tout ou rien pneumatique ou électrique.
CL : Commande Logique (vérin, pompe, …) enclenchée à partir d'un traitement logique (pneumatique, électromécanique ou électronique) fonction des états logiques d’entrée issus des TL.
Les régulateurs sont placés soit directement sur le procédé, soit, lorsque le nombre de boucles devient important, dans une salle de contrôle (compte tenu du câblage, les structures de commande sont rarement modifiées après leur installation). Ces structures sont essentiellement constituées par des boucles monovariables PID qui suffisent d’ailleurs à résoudre la plupart des problèmes de régulation. Le suivi des variables se fait sur des enregistreurs-papier (ce qui ne facilite pas le problème de la synthèse ou du stockage des données).
LA COMMANDE NUMÉRIQUE CENTRALISÉE
Aux alentours de 1958, on a vu apparaître les premiers calculateurs numériques de commande de processus assurant plusieurs fonctions :
— acquisition et traitement des données,
— calcul de bilans et de points de consigne.
La figure 4 donne la structure générale d'une telle commande.
Ici, un ordinateur contrôle une grande partie, voire l'ensemble du processus, et l’opérateur a la possibilité, à l'aide d'une ou plusieurs Consoles de Réception et de Transmission (CRT), soit de mettre au point le programme de contrôle du processus, soit de piloter ce processus.
Une imprimante permet de sortir le listing des programmes ou bien des données d’exploitation (alarmes, historiques, bilan, etc.).
Une ou plusieurs unités éventuelles de disques permettent le stockage des programmes utilitaires ainsi que des fichiers d’informations (historiques, bilans, …).
La complexité des algorithmes de commande n’est plus limitée, puisqu’ils sont obtenus par logiciel ; d’autre part la précision globale du traitement s’avère meilleure.
Mais s'ils sont bien acceptés, et depuis longtemps, dans les centres de recherche et les industries « à haute technologie » (aéronautique, nucléaire, …), ces systèmes de commande utilisant des calculateurs se sont vus opposer de très fortes résistances de la part de l’industrie classique, résistances provenant de tous les acteurs de la production et portant sur différents aspects des changements à venir : on a craint que le personnel ne soit réduit et les tâches appauvries ; les techniciens et ingénieurs de procédé ont pensé qu’ils allaient devoir acquérir des compétences nouvelles en informatique et en mathématiques ; on a présumé (souvent à juste titre) que les systèmes de commande obtenus ne seraient pas fiables, etc.
LA COMMANDE NUMÉRIQUE DISTRIBUÉE, À CONDUITE CENTRALISÉE
Ces inquiétudes portant sur l’efficacité, l’emploi, les qualifications, ainsi que le développement des circuits intégrés de grande complexité et des microproces-
seurs, ont incité les constructeurs, à partir de 1975, à proposer des systèmes de commande de procédés qui bouleversent le moins possible les situations antérieures caractérisées par des salles et des tableaux de contrôle regroupant des boucles de régulation analogique PID monovariable. À cet effet, les termes « informatique » et « calculateurs » sont soigneusement omis, les compétences en programmation rendues non nécessaires, de même que les outils mathématiques de représentation, d’identification et de commande « numérique ».
Commandes Analogiques
Les applications standard sont elles-mêmes limitées comme si l’on voulait éviter d’effrayer les utilisateurs potentiels. Par rapport à la régulation industrielle classique, seules les différences qui sont perçues comme positives par tous, et de façon évidente, sont mises en valeur, par exemple la présentation synthétique des informations sur écran (figure 5).
Ces systèmes de commande distribuée, plus communément appelés systèmes numériques de contrôle-commande (ou même seulement : systèmes !) apportent des solutions techniques intéressantes aux objections des détracteurs de l’informatique industrielle :
- — pour des raisons de sécurité des installations, l’idée générale est de placer plusieurs régulateurs à microprocesseur ; chacun d’eux, pourvu d’interfaces entrées/sorties industrielles, contrôle un nombre réduit de boucles de régulation (de 8 à 16) ;
- — l’ensemble des régulateurs est relié par un bus de dialogue à différents périphériques tels que : poste ingénieur, postes opérateurs, imprimante, ... ;
- — chaque micro-ordinateur dispose d’un certain nombre d’algorithmes classiques préprogrammés tels que : PID, racine carrée, sommateur, multiplicateur, ..., permettant d’assurer la régulation et quelquefois diverses fonctions logiques utilisées dans le traitement séquentiel.
Au titre des avantages, on note :
- — une meilleure sécurité : en cas de panne, les risques sont limités à l’arrêt d’un petit nombre de boucles ;
- — une programmation, ou configuration, plus facile que sur les systèmes centralisés (pas d’informatique) ;
- — une possibilité de modification des boucles plus souple qu’avec une régulation analogique « câblée » ;
- — des moyens de reprise en secours adaptés aux situations industrielles.
Par contre, il est en général impossible de définir ses propres algorithmes, mais ceci ne devrait pas tarder à évoluer.
QUALIFICATION ET FORMATION
Du pneumatique ou de l’électronique analogique au numérique, le changement technologique est considérable, et nombreuses sont les questions qu’il suscite. Ce qui était facile à comprendre tant que les informations étaient transmises et traitées par de l’air comprimé ou des signaux électriques, ne l’est plus dès lors que des 0 et des 1 (les « bits ») se chargent de l’opération. On veut donc en priorité « comprendre comment ça marche », et ceci est vrai du haut en bas de la hiérarchie.
D’autre part, la spécialisation des systèmes numériques de contrôle-commande fait que le produit final peut être très différent d’un constructeur à un autre et que le choix du système dont on va équiper un procédé devient une opération cruciale. Choisir le système de commande qui soit le mieux adapté à leur problème est une des difficultés que rencontrent les utilisateurs.
Une autre difficulté concerne l’utilisation : d’une part au niveau des opérateurs dont la fonction et plus encore le poste de travail changent de nature ; d’autre part, au niveau des responsables de la configuration qui voient s’ouvrir de nouvelles possibilités de structures de commande.
Comprendre, choisir, utiliser au mieux sont ainsi les problèmes des utilisateurs de SNCC. Un élément de réponse, des moins négligeables, s’appelle la formation.
C’est dans l’information et la formation que les décideurs, les techniciens et ingénieurs des services de contrôle, les opérateurs trouveront de quoi faciliter la résolution de leurs problèmes, à condition que certaines précautions soient prises, dont la première est l’indépendance vis-à-vis des constructeurs, au moins dans un premier temps.
L’indépendance vis-à-vis des constructeurs est indispensable pour une raison évidente : une information générale qui a pour but de démythifier, d’aider à choisir, puis à utiliser est incompatible avec la nécessité, légitime bien sûr, de promouvoir son produit et de le vendre. Les constructeurs conçoivent, fabriquent et vendent des matériels. Une des prestations qu’ils proposent est la formation à l’emploi de ces matériels.
Ceci est normal mais ne saurait être confondu avec l'information objective dont la nécessité vient d'être mise en évidence.
Une deuxième nécessité est la prédominance qui doit être accordée à la partie pratique, par opposition au style conférence. C'est par le contact physique avec les matériels que les techniciens, quelles que soient leurs fonctions ou leurs responsabilités, pourront comprendre, essayer, se tromper, poser les questions, tester les réponses.
Troisième précaution enfin, il faut porter une attention toute particulière au langage utilisé et à la présentation graduelle des notions techniques indispensables à la compréhension de l'ensemble. Cela signifie qu'on ne peut prétendre faire disparaître l'appréhension ou les interrogations de certains techniciens vis-à-vis de ces nouveaux systèmes de commande si l'on effectue sa démonstration, ou si l'on fait la promotion de cette formation, en s'appuyant sur des termes encore plus hermétiques (ex. : le « microprocesseur »). Dans la jungle des mots magiques diffusés par la presse technique et générale à l'usage des clients potentiels, il faut savoir se faire un honnête chemin, en expliquant, en ignorant ou en remettant à leur juste place, selon le cas, les termes rencontrés.
Ces trois principes, rigueur intellectuelle, accent sur la pratique, indépendance vis-à-vis des marques, sont à la base des formations que nous proposons à Arles sur les systèmes de commande distribuée.
ET L’AVENIR ?
L'avenir est fait d'évolutions très prévisibles et d'autres qui le sont moins.
Nous émettrons ci-dessous quelques idées sur les tendances.
En matière de matériel, une nouvelle génération de systèmes de commande n'est pas pour demain, car il faut songer à amortir les investissements récents aussi bien chez les constructeurs que chez les utilisateurs. La philosophie générale (architecture distribuée) ne devrait pas être modifiée. Par contre, des améliorations seront apportées, avec des systèmes toujours plus modulaires, intégrant de façon plus efficace les automatismes séquentiels aux automatismes continus, et permettant d'introduire des algorithmes spécifiques (un des avantages des calculateurs centralisés qui était absent des possibilités des SNCC). De même verrons-nous sortir des améliorations en ce qui concerne les problèmes d'interfaçage entre matériels, de communications et de réseaux locaux.
L'informatique industrielle, solidement installée donc dans les systèmes de commande, devrait effectuer une percée dans les systèmes de mesure, qu'il s'agisse de traiter la mesure au niveau du capteur, ou de vérifier l'état de l'appareil (autodiagnostic).
En ce qui concerne les méthodes, de très nombreuses possibilités existent, car le matériel est en avance sur la façon dont il est utilisé : outre l'implantation de méthodes de commande plus sophistiquées que l'approche de la régulation industrielle classique, du type commande multivariable, commande adaptive, ou optimisation en amont de la régulation, méthodes qui sont régulièrement utilisées maintenant dans certaines industries, souvent grâce à une collaboration fructueuse avec des établissements d'enseignement supérieur ou de recherche, il est vraisemblable que les années à venir verront les débuts d'application de principes très intéressants concernant :
- - la détection des pannes et le diagnostic sur l'état de marche des procédés, par utilisation de procédures d'identification en temps réel ;
- - la conception simultanée des nouveaux procédés et de leurs structures de commande, comme cela commence à être le cas en aéronautique.
Notre dernière « prévision » est plutôt un souhait. Elle concerne la formation initiale des techniciens et ingénieurs qui concevront et feront fonctionner les unités industrielles de l'avenir. Ce qu'il faut semble-t-il leur souhaiter, à eux et aux entreprises qui les emploieront, c'est qu'ils deviennent des spécialistes à la fois des procédés de fabrication et des techniques de mesure, d'automatisme et d'informatique industrielle utilisées pour surveiller et commander ces procédés.
Références :
Aubert (Y.) - Merisse (J.-P.), Régulation numérique des processus industriels, Tome 1, IRA, Arles, 1983.
Videau (J.-A.), Systèmes de commande distribuée et formation du personnel, Symposium IFAC « Composants et instruments pour les systèmes de commande distribuée », Paris, 1982.