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L'épuration par procédés à bactéries fixées au Japon

30 juillet 1990 Paru dans le N°138 à la page 43 ( mots)
Rédigé par : Frank ROGALLA

Le Japon connaît des problèmes d’assainissement considérables dus à l'extrême densité de sa population et à l'intensité de son activité industrielle. En outre et en raison de la topographie de l'archipel japonais, sa population de 100 millions de personnes se concentre sur une faible partie du territoire, soit 200 000 km². En 1985, seulement 35 habitants sur 100 étaient raccordés à un réseau d’assainissement (on atteint 80 % dans les villes de plus de 1 million d’habitants). Ce chiffre montre les besoins énormes d’équipement d’épuration surtout dans les moyennes et petites agglomérations.

Ce pourcentage (qui n’était que de 8 % en 1965) ne cesse de croître grâce à des investissements qui oscillent entre 0,5 et 1 % du PNB par an, ou près de 100 milliards de F/an, soit dix fois l’investissement annuel français en matière d'épuration et d’assainissement (1).

Outre la construction de réseaux, des stations d'épuration sont construites en grand nombre, et pour réduire à la fois leur emprise au sol comme leur impact sur l'environnement, de nouveaux procédés sont à l’étude. Deux grands programmes nationaux visent à intensifier les techniques correspondantes :

  • Aqua-Renaissance, patronné par le MITI (Ministère de l’Industrie et du Commerce International), doté de près de 500 millions de francs pour la période de 1985 à 1990, vise à combiner le traitement anaérobie avec la séparation par membranes.
  • Biofocus, lancé par le MOC (Ministère de la Construction), mobilise 30 entreprises afin de développer des procédés à bactéries fixées pour l’épuration et le traitement des boues, des nouveaux séparateurs et capteurs.

Percée d'une technique française : le biofiltre « Biocarbone »

Les obligations sévères du contrôle de la pollution industrielle, renforcé après plusieurs accidents de contamination de l'environnement, ont obligé les entreprises à épurer leurs effluents. Grâce à sa compacité et à ses hautes performances, le procédé français Biocarbone, développé par OTV à la fin des années 70 et appliqué aujourd’hui dans plus de 20 grandes stations d’épuration françaises (2), a été adopté pour l’épuration des eaux usées de nombreuses usines japonaises. Il combine des principes bien connus et éprouvés dans le traitement de l'eau pour en faire une application innovante et plus performante : par aération d'un milieu granulaire, le lit de matériau filtrant sert à la fois de support bactérien et de filtre pour la rétention des matières en suspension. Cette superposition de la dégradation biologique de la pollution avec la séparation physique des particules conduit à un ouvrage particulièrement compact. Un clarificateur en aval n’est plus nécessaire, ce qui élimine un bon nombre des limites des procédés classiques à boues activées. La concentration des bactéries n’est plus liée à la décantabilité de la boue, le recyclage de la biomasse devient superflu et le danger de perte de biomasse par flottation est éliminé...

La figure 1 montre le schéma du procédé. Après décantation primaire, l'eau à traiter traverse un filtre immergé de haut en bas. Un flux d’air est injecté à contre-courant dans la partie inférieure du lit granulaire. Le lavage périodique servant à éliminer les matières en suspension et la biomasse en excès retenus dans le lit s'effectue également à contre-courant. Les boues sont décantées et envoyées vers les traitements classiques.

[Photo : Schéma de traitement avec le procédé Biocarbone.]
[Photo : Réacteurs Biocarbone à la papeterie Ashikaga (12 000 m³/j)]

de stabilisation, de déshydratation et de valorisation. L'écoulement descendant, dérivé des filtres à sable, permet de réduire les besoins énergétiques et d’éliminer le colmatage des équipements.

Épuration d’effluents industriels

Ce procédé a été introduit au Japon au début des années 80 par trois partenaires d'OTV. Entre-temps, plus de cinquante installations ont été construites pour traiter divers effluents des industries : sidérurgiques, chimiques, textiles et de raffinage. Les plus grandes réalisations ont été faites en papeterie dont six exemples sont résumés dans le tableau. Les usines produisent souvent des cartons à partir de vieux papiers, et leurs rejets particulièrement polluants sont traités par floculation-décantation avant biofiltration (3). La première installation de Japan Paper Co., à Ashikaga (12 000 m³/j) est illustrée par la figure 2.

Ces grands ensembles épurent des débits souvent supérieurs à 10 000 m³/j et obtiennent des résiduels inférieurs à 10 mg/l en DBO et en MES. Les vitesses de filtration sont de l'ordre de 2 m/h, ce qui dépasse les vitesses normalement utilisées pour la simple décantation. Les filtres sont ainsi d'une taille inférieure à celle des bassins de clarification utilisés dans les autres systèmes d’épuration, et les charges appliquées sur les réacteurs sont plus du double de celles des procédés biologiques conventionnels.

Applications du Biocarbone aux effluents urbains

En parallèle avec les réalisations industrielles, les partenaires japonais ont demandé l'homologation du procédé avant de l’appliquer à l’épuration des eaux résiduaires urbaines. Avant d’obtenir cet agrément par le Ministère de la Construction, plusieurs étapes d’essais ont été définies par les autorités à l’échelle du laboratoire, du pilote semi-industriel et du prototype de démonstration. Cette dernière phase est actuellement en cours de fonctionnement sur une station de 1 000 m³/j et le rapport final est attendu à la fin de 1991.

Les deux premières étapes ont été franchies à la fin de 1988 et elles ont donné des résultats supérieurs à ceux des procédés classiques d’épuration (lit bactérien, boues activées ou disques biologiques) ; le Biocarbone utilisait moins de 30 % de la surface, et à peu près 50 % des besoins énergétiques. Avec des tailles d'usines entre 2 000 et 6 000 m³/j, les besoins d’électricité pour abattre 90 % de la DBO avec le Biocarbone se situaient autour de 0,16 kWh/m³ d'eau traitée. La moyenne des stations d’épuration en dessous de 50 000 équivalents-habitants consomme au-delà de 0,8 kWh/m³.

[Photo : Vue des pilotes Biofoss sur la plateforme d'essais du Ministère de la Construction]

Sur un pilote Biocarbone de 100 m³/j (figure 3), deux années d’essais menées par la Japan Sewage Works Agency ont abouti aux conclusions suivantes :

• un effluent d'un résiduel inférieur à 20 mg/l DBO a pu être atteint en partant d’une charge supérieure à 4 kg DBO/m³ ;

• un effluent situé en dessous de 10 mg/l pour la DBO et les MES a été atteint avec un temps de séjour inférieur à 2 heures ;

• un abattement supérieur à 90 % a été obtenu avec des vitesses de filtration de 2 m/h ;

• la production de boues était de l’ordre de 0,7 kg MS/kg de DBO éliminée ;

• la capacité de dépôt des MES atteignait 1 kg/m² ;

• le transfert d'oxygène était supérieur à 15 %.

[Photo : Pilote Biocarbone de la Japan Sewage Works Agency]

Plusieurs usines de traitement d’eaux domestiques ont été construites sur des lotissements privés ou à l'intérieur de grands immeubles. Dans quelques grandes villes, notamment à Tokyo et en raison du prix élevé de l’eau (20 F/m³), le recyclage des eaux devient rentable et les eaux de cuisines, de salles de bains et de refroidissement sont traitées et réutilisées dans les W.C. Cette technique nécessitant un traitement dans les caves d'immeubles, les biofiltres peuvent résoudre de façon élégante le problème : leurs performances, fiabilité et automatisation facile en font un traitement privilégié pour ce genre d'application (4).

Les réacteurs biologiques en développement

L'objectif de ce programme de recherches est de développer de nouveaux procédés de traitement des effluents des petites et moyennes collectivités. Le Ministère de la Construction a établi à cet effet un budget prévisionnel de coordination de l’ordre de 10 MF/an pour aider une trentaine d’entreprises à financer l'opération. Après une première phase de travaux en laboratoire, une plateforme de recherche a été implantée sur une usine de traitement près de la cité des sciences de Tsukuba près de Tokyo.

Tableau I : Grandes réalisations Biocarbone en papeteries.

UsinesTaiseiKagaJapanSankouHonshyuMitsubishi
SitesOkayamaIshikawaAshigakaFujiTokyoTokyo
Mise en service198619871985198819881990
Débit (m³/j)5 50020 00012 0006 00015 00034 000
Surface (m²)120360300400
Effluent à l’entrée
DBO (mg/l)1108517060
Charge (kg/m³/j)2,52,63,22,4
Eau à la sortie
DBO (mg/l)181210102010
Rendement (%)83809685
MES (mg/l)15155101010

Une quinzaine de réacteurs à échelle semi-industrielle avec des débits moyens de 50 m³/h y sont rassemblés, quelques autres étant implantés dans des usines de traitement à travers le pays. Plusieurs sujets y sont abordés, orientés par des recherches biotechnologiques :

  • — traitement accéléré des eaux usées,
  • — bioréacteurs de traitement des boues,
  • — séparateurs améliorés,
  • — banques bactériennes,
  • — techniques de fixation de bactéries,
  • — manipulation génétique des espèces,
  • — développements de biocapteurs,
  • — normalisation et documentation...

La plupart des expérimentations tendent à obtenir une plus forte efficacité du traitement par une meilleure fixation des bactéries. À cet effet, différents supports sont testés : céramiques, plastiques, gélatinisation des bactéries, formation de flocs granuleux...

En matière de traitement des boues, les procédés visent à stabiliser et à réduire la quantité des boues produites et en faciliter l’utilisation finale : méthanisation, engrais, remblais.

Treize réacteurs sont consacrés à l’épuration aérobie de la pollution carbonée, avec pour objectif de réduire le volume nécessaire autour de 20 % des valeurs habituelles. Trois pilotes ont comme objet l’élimination de l’azote avec des temps de séjour de l’ordre de six heures afin de permettre la réhabilitation d’usines existantes. Les procédés anaérobies devraient réduire de moitié les besoins énergétiques et la production de boues. Trois digesteurs améliorent la stabilisation des boues, avec des temps de rétention qui devraient être ramenés à cinq jours. Pour réduire la concentration des particules admises en traitement biologique, trois systèmes constituent des séparateurs à haut rendement pour le traitement primaire.

Les résultats disponibles en fin 1988 montraient que, pour les réacteurs les plus performants, les temps de séjour restaient comparables à ceux du Biocarbone. Dans le traitement secondaire, les temps étaient supérieurs à une heure avec des charges inférieures à 5 kg DBO/m³/j. Pour l’élimination de l’azote, les réacteurs sont d’une taille double de ceux qui éliminent uniquement la DBO et les MES. Le procédé à biofiltration aéré peut être adapté également à l’élimination complète de l’azote, moyennant l’adjonction d’une première cellule anaérobie et la recirculation de l’effluent (5). La charge est alors inférieure à 2 kg de DBO/m³/j et le temps de rétention hydraulique de l’ordre de trois heures.

Les chercheurs japonais ont essayé également d’adapter le procédé Biocarbone aux objectifs d’épuration les plus poussés. Pour obtenir des résiduels de phosphore inférieurs à 0,1 mg/l et des concentrations de DBO, MES et NGL en dessous de 5 mg/l, ils ont testé un traitement tertiaire à plusieurs étapes. La mise en ligne d’un filtre aéré nitrifiant, d’un filtre biologique dénitrifiant et d’un décanteur pour précipiter le phosphore permet d’atteindre une qualité exceptionnelle dans le recyclage (6).

Compte tenu des normes habituelles concernant l’azote et le phosphore, une simple combinaison de traitement physico-chimique et d’un Biocarbone nitrifiant est suffisante, avec un temps de séjour global de trois heures sur un effluent classique urbain (7), avec un gain d’espace d’un facteur quatre ou cinq. Comparativement au traitement pour les boues, la faible emprise au sol des ouvrages facilite en outre leur couverture pour éviter les bruits et odeurs.

Les biofiltres granulaires aérés sont donc particulièrement adaptés aux traitements avancés dans des zones urbanisées à forte densité, où les disponibilités d’espace sont limitées et où le contrôle des nuisances est primordial.

Conclusion

La technologie de biofiltration, combinant dans un seul ouvrage le traitement biologique par bactéries fixées avec la rétention des matières en suspension, trouve de plus en plus d’applications. Les zones à fortes urbanisation et industrialisation constituent des sites d’application privilégiés pour ces stations d’épuration compactes et performantes, dont les nuisances se contrôlent aisément. De nombreuses réalisations au Japon démontrent les capacités et l’adaptabilité de ces bioréacteurs à haut rendement, qui ne sont pas encore dépassés par les efforts de recherches les plus récents.

BIBLIOGRAPHIE

(1) SIBONY, J. (1987), La situation de l’assainissement au Japon et les grands programmes de recherche nationaux, TSM Eau, 82, 7-8, 321-329.

(2) GILLES, P. et SIBONY, J. (1990), Application des Bactéries Fixées à Grande Échelle sur le Littoral Méditerranéen, Wat. Sci. Tech. 22, 1/2, 281-292.

(3) FUCHU, Y. et NAKAMURA, M. (1988), Application du Filtre Biologique Aéré pour l’Épuration des Effluents Industriels, Conf. WPCF, Dallas, 2-6 oct.

(4) ROGALLA, F. (1990), Les Chemins Parallèles — du Rejet des Eaux Usées à la Réutilisation de l’Eau, Le Génie Rural, n° 11, 51-56.

(5) GILLES, P. et BOURDON, Y. (1985), Nitrification et Dénitrification par Bactéries Fixées, L’Eau, L’Industrie, Les Nuisances, 93, 6-7, 53-57.

(6) FUCHU, Y., KIMURA, H. et TOCHIKUBO, E. (1990), Épuration Tertiaire par Filtre Biologique Aéré, 5e Congrès Mondial de Filtration, Nice, 5-8 juin.

(7) ROGALLA, F. et al. (1990), Nitrification et Précipitation du Phosphore avec Filtres Biologiques Aérés (Biocarbone), JWPCF, 62, 2.

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