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L'épandage des boues de décarbonatation sur un terrain en cours de reboisement

28 decembre 1983 Paru dans le N°79 à la page 42 ( mots)
Rédigé par : D. LE NEL et M. MINEAU

Avec un triple objectif d’efficacité, de présence sur le terrain et d'obtention de résultats concrets, l'ANRED (Agence nationale pour la récupération et l’élimination des déchets) a choisi de promouvoir et de soutenir la mise en place de missions de valorisation agricole des déchets, au sein de structures départementales socio-professionnelles, Chambres d’Agriculture principalement.

À côté de travaux fondamentaux comme la réalisation d'un inventaire des déchets valorisables en agriculture, les chargés de mission interviennent pour installer et suivre des actions précises, à valeur exemplaire dans un premier temps.

L'exposé ci-après, présenté sous forme de fiche, en est une excellente illustration ; il se rapporte à une des premières actions réalisées, la persistance de ces essais autorisant la diffusion des résultats obtenus.

ETABLISSEMENT INTÉRESSÉ : Usine d’Oissel (Seine-Maritime) de la société Azolac

Activité à l’origine de la production des boues :

La présence de calcaire dissous dans l'eau peut être gênante pour l'industrie en provoquant des entartrages de conduites ou des défauts de fabrication. Pour

débarrasser l'eau du calcaire dissous, le traitement consiste, par addition de chaux, à précipiter ce calcaire qui se dépose au fond d'un bassin de décantation sous forme de boues.

Les boues de décarbonatation ne constituent pas des déchets spécifiques à un type d'industrie, mais à toutes les industries utilisant de la vapeur d'eau, ou faisant intervenir l'eau dans des procédés de fabrication.

Caractéristiques des boues produites (en pourcentages par rapport à la matière sèche) :

— Teneur en matière sèche ................ 86 % — Carbonates exprimés en CaCO₃ .......... 95 % — Calcium total exprimé en CaO ........... 55 % — MgO .................................. 0,57 %

Production et destination antérieure :

L'usine d'Oissel produit environ 200 tonnes de boues à 86 % de M.S. par an. Actuellement, les boues sont stockées en bassin de décantation et la quantité disponible est de l’ordre de 2 500 tonnes.

Utilisations agricoles possibles :

Les sols limoneux de la région ont une tendance acide et les pertes annuelles, qu’il faut compenser, sont évaluées à 500 kg de CaO/ha par an.

On sait que pour relever le pH d’une unité en terre limoneuse, il faut environ 2 tonnes de CaO, d'où l'intérêt d'utiliser ces boues de décarbonatation, qui peuvent agir de la même manière qu'un amendement calcaire classique. Ces boues apportent le calcium sous forme de carbonates, elles agissent donc comme des calcaires broyés, c’est-à-dire lentement, et conviennent bien à ces sols et aux chaulages d’entretien. La fréquence des apports dépendra du pH initial des sols traités et des quantités apportées. Pour une boue à 30 % de matière sèche (CaO : 50 % de MS), les quantités épandues peuvent aller de 25 m³ tous les 5 ans (4 t CaO/ha) à 40 m³ tous les 8 ans (7 t CaO/ha).

Action engagée :

Le département de la Seine-Maritime est particulièrement riche en forêts. Certaines d’entre elles présentent d’énormes besoins en chaux, notamment les forêts du Rouvray et de Roumare.

Ces deux forêts ont été largement dégradées au cours des siècles précédents et ont fait place à une lande aux sols très pauvres et très acides, donc peu favorables à un reboisement à base de chênes et de hêtres. Initialement le pH de ces sols était de 3,8 et la capacité d’échange de 4 milli-équivalents pour un total de bases échangeables de 0,7 milli-équivalents, donc très loin de la saturation, ce qui oblige à une utilisation massive d’amendements calcaires de l'ordre de 4–5 t CaO/ha par an.

La proximité de l'usine d'Azolacq permettait l'utilisation de ses boues sur la forêt de Rouvray. Ces considérations ont donc conduit Azolacq et l'O.N.F. à valoriser ces boues, et à conclure un protocole d’accord le 3 décembre 1979.

Depuis, un certain volume de boues calcaires a été épandu et un suivi de cette utilisation a été mis en place.

a) Quantités utilisées :

Les boues, du fait de leur siccité, étant difficiles à prélever en l’état, une installation permettant leur redissolution dans l’eau avait été retenue et l'épandage se fait avec des boues ramenées à 30 % de MS, mais elles peuvent se trouver plus ou moins concentrées.

La difficulté de maîtriser la concentration des boues se constate au niveau des résultats sur les sols, comme on le verra plus loin.

Il a été épandu : - en 1980 : 1 500 m³, - en 1981 : 2 150 m³, - en 1982 : 1 304 m³,

ce qui a permis de traiter moins de 100 ha en 1980, 120 ha environ en 1981, 65 ha en 1982, et on prévoit d'utiliser les boues sur 150 ha en 1983.

b) Résultats des analyses de sols :

Les tableaux suivants montrent l’évolution des horizons de surface des profils pédologiques concernés par l'utilisation des boues calcaires.

Les profils réalisés sous les pins sylvestres correspondent à des peuplements de pins installés depuis plus de 50 ans, contrairement à ceux de chênes rouges, qui sont récents (4 à 5 ans).

Les profils pris sous la lande labourée n’ont pas été mis en cultures. Quant à ceux prélevés sous cultures, ils avaient été laissés à la disposition d’agriculteurs.

Valeurs des éléments échangeables et du pH avant et après épandage des boues de décarbonatation (Ca, Mg, K en meq/100 g de sol) (Moyennes en italique)

Éléments Pins sylvestres Zone cultivée sans épandage Épandage 1979-1980 Épandage 1980-1981
Ca 0,3 à 1,1 (0,7) 0,3 à 4,2 (3,5) 4,0 à 10,0 (7,0) 3,8 à 17,3 (7,1)
Mg 0,03 à 0,21 (0,11) 0,32 à 0,48 (0,37) 0,32 à 0,57 (0,44) 0,40 à 0,59 (0,47)
K 0,046 à 0,261 (0,14) 0,023 à 0,093 (0,07) 0,029 à 0,099 (0,08) 0,050 à 0,079 (0,06)
pH 3,3 à 4,2 (3,6) 5,0 à 8,5 (5,1) 5,3 à 6,9 (5,6) 5,0 à 6,7 (5,7)

RESULTATS DES ANALYSES DE SOLS

Prélèvements effectués le 4 juin 1981

Eléments échangeables

Profil pédologique

... m.eq./100 g ...

CaMgKNaMn
I — Sous pins sylvestres
n° 71 horizon A10,0400,0200,0350,0560,026
n° 82 Ap20,1520,0600,1120,047
n° 83 A10,3130,0100,0430,0630,040
n° 84 Ab20,0420,0880,0640,076
II — Sous lande labourée
n° 50 horizon A10,2710,0250,0570,087
— Sous plantation de chênes rouges (1)
n° 5 horizon Ap0,4070,0320,0650,097
n° 59 Ap0,2720,0480,0730,084
III — Sous cultures, horizon Ap
n° 30,1800,0320,0640,0720,068
n° 622,8700,2950,1380,0730,080

(1) Zones qui ont été génotypées

II — ETUDE DES EPANDAGES DE BOUES

Prélèvements sur les horizons Ap

n° 6  - pas d'épandage
n° RV3
RV6
RV2
RV5

- épandage hiver 1979-1980
n° RV6
RV8
RV2
RV3

- épandage hiver 1980-1981
n° RV5
RV6

— plantation expérimentale

épandage fin avril 1981
n° RV3 .............................. 0,185
RV6 ..................................... 0,439
RV8 ..................................... 0,308

épandage 3 juin 1981
n° RV1 .............................. 27,3  |  10,68

N.B. : Traces de carbonates (CaCO3) dans RV1 et RV8.

avaient utilisé, pour leur fumure, une tonne de scories/ha et par an pendant 6 à 10 ans suivant les parcelles.

Les analyses des éléments échangeables et du pH sur les horizons de surface dans la zone de reboisement avant et après l'épandage des boues de décarbonatation appellent une remarque importante : les quantités de boues réellement épandues sont très variables d'un voyage à l'autre puisque les teneurs en Ca²⁺ offrent une amplitude très grande allant de 3,8 à 17,3 meq/100 g. Les échantillons RV 9, 12 et 14 ont si peu de différences avec les zones non traitées que l'on peut se demander s'ils ont bien été chaulés.

Malgré tout, l'utilisation de ces boues a amené quelques améliorations :

— augmentation assez sensible des teneurs en calcium par rapport aux zones non traitées ; en dehors des valeurs trop élevées, le gain est, en moyenne, de 50 % par rapport aux valeurs initiales sous cultures (2 à 3 meq) soit, au total (culture + chaulage) des valeurs de calcium 10 fois supérieures à celles sous pins sylvestres,

— les autres éléments Mg, K, Na ne montrent aucune variation notable, les boues en étant dépourvues,

— variation plus faible, mais nette du pH. On note, en moyenne, un gain de 0,5 unité-pH (valeurs extrêmes 0 à 1,5 unité) soit, toujours en cumulant les effets culture + chaulage, un gain de près de 2 unités-pH par rapport aux sols sous peuplement résineux.

La comparaison des résultats entre les deux périodes d'épandage (hiver 1979-1980 et hiver 1980-1981) ne permet pas de dire s'il y a ou non lessivage et exportation du calcium apporté. En effet, les variations entre les échantillons d'une même période sont trop importantes.

Il faudrait suivre sur plusieurs années, dans une zone bien délimitée, l'évolution des teneurs en Ca et le pH pour apprécier la durée d’action d'un tel chaulage.

Intérêt économique de l'utilisation des boues en agriculture

La quantité disponible des boues en tonnage sec est de 2 500 t, soit en unités CaO : 1 300 000 unités CaO disponibles pour l’agriculture. Aujourd’hui, cela représente une valeur de 130 000 F d’unités CaO en se basant sur le prix de l'unité CaO des écumes de défécation de sucreries (10 centimes en 1983).

L'intérêt pour l'utilisateur est fonction de la teneur en CaO. Or, celle-ci peut varier de 15 % à 30 % suivant le degré de siccité des boues. Situons l’économie réalisable en raison de leur emploi par un agriculteur situé par exemple à 5 km d’une unité produisant des boues de décarbonatation à 20 % de CaO, et équipé d'une tonne à lisier de 6 000 l. Compte tenu des coûts d'utilisation d'une unité CaO suivant son origine, c’est-à-dire :

— marne ............................................... 23 c
— écumes de défécation .......................... 10 c
— boues de décarbonatation (dans ce cas) .... 4,2 c

et, à raison de 3 t CaO/ha, l’agriculteur économisera 565 F/ha en utilisant les boues au lieu de la marne et 174 F/ha en remplaçant les écumes par ces boues.

Les boues sont donc intéressantes à utiliser à la place de la marne, puisque dans les mêmes conditions d'utilisation, l'économie réalisée est de 18,8 c par unité CaO.

Conclusion

Une valorisation agricole des boues de décarbonatation a déjà été réalisée par la société Ato-Chimie à Harfleur. Ces boues sont utilisées par les agriculteurs qui sont regroupés en syndicat.

La valorisation agricole des boues de décarbonatation pourrait s'étendre à d’autres industries du département, ce qui permettrait d’amender les sols des forêts de Brotonne et du Trait Maulevrier qui sont bien situées par rapport aux lieux de production des boues.

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