L’agréable floraison des colloques et salons autour de l’Environnement, depuis ce printemps 1990 (1), nous vaut une moisson d’informations des plus stimulantes. La plupart de ces manifestations nationales se déroulant en région parisienne, on peut se demander si l’Île-de-France se veut un exemple de maîtrise écologique ou bien si, au contraire, elle a besoin plus que d’autres de conseils et d’incitations dans ce domaine.
Les données du paysage régional
Les Franciliens, habitants de l’Île-de-France, qui appartiennent à l’une des régions les plus urbanisées et industrialisées d’Europe, sont soucieux des effets d’une telle concentration d’hommes et de produits au regard de la pollution. Paris est à la fois une ville-capitale et un département faisant partie d’un tissu urbain considérable, qui constitue l’essentiel de l’entité administrative dénommée « Région Île-de-France ». En effet, cette région ne représente en superficie que 2,2 % du territoire national, mais rassemble à elle seule 10 millions d’habitants, soit 15 % de la population et 22 % des emplois. Les capacités d’accueil d’industries nouvelles y restent très importantes, de l’ordre de 2 000 ha, réparties entre cinq villes nouvelles (Cergy-Pontoise, Marne-la-Vallée, Évry…) et quelques grandes zones industrielles (Limay-Porcheville, Mitry-Mory, Étampes…) et zones d’activités économiques.
Pour la ville de Paris, forte de 2,2 millions d’habitants, au cœur de cette région très dense et très active, bon nombre de ses problèmes d’environnement ne peuvent être dissociés de ceux qu’éprouvent les autres départements périphériques, et en particulier les trois départements les plus proches, dits de la « première couronne » très industrialisés, la Ville elle-même l’étant peu. Cette interdépendance se traduit au niveau des transports collectifs, de la fourniture d’énergie ou de chaleur, mais aussi de la collecte et du traitement des déchets liquides et solides ainsi qu’en matière de pollutions de l’air et des eaux. Aussi, développer l’économie de l’Île-de-France en agrémentant son environnement pour laisser cette terre ouverte à l’échange, attractive et accueillante, constitue un défi à l’échelle européenne. Ce défi, le projet de l’AURIF paraît l’avoir relevé en cherchant à développer trois grands axes autour des secteurs stratégiques en place (figure 1).
Mais le Francilien, produit cosmopolite indéfinissable, a-t-il l’âme régionaliste comme le Corse, le Basque ou le Breton ? La pression de l’environnement semblerait exercer une certaine unité dans les rangs. Le paysage industriel francilien se caractérise par la coexistence, dans un tissu urbain de mégapole, de grands établissements et de nombreuses petites entreprises traditionnelles. L’environnement s’y trouve très influencé par le cumul des pollutions d’origine urbaine, industrielle et agricole (l’agriculture couvrant 51 % de la superficie régionale et la forêt 23 %).
L’impact industriel
En Île-de-France, l’industrie de type « soft » est essentiellement tournée vers les activités dites aval, laboratoires de recherche, sièges sociaux, chimie fine, tout en disposant de 50 % des effectifs nationaux de la parachimie et de la pharmacie. En effet, la Chambre syndicale des industries chimiques y compte 250 sociétés adhérentes représentant 450 établissements, soit quelque 100 000 emplois et 10 % du montant total des investissements industriels de la région. Ces établissements, travaillant de faibles quantités de produits, apportent une forte valeur ajoutée sans être des sites de pollution notoires, si bien qu’on peut avancer que la région ne présente pas les critères d’une dégradation de la qualité de l’environnement menaçante pour la santé publique, comme c’est le cas assez fréquent des mégapoles mondiales, du type Mexico ou Athènes. Les flux de pollution qui y sont émis restent en
(1) Après le 1ᵉʳ Colloque National de l’ISEVE, « Journée d’Études sur l’Environnement » du 29 mars à Combs-la-Ville (Seine-et-Marne) et le grand MEI 90 de l’AFME des 23-27 avril au CNIT-Paris La Défense, on a pu bénéficier :
- — des Journées Nationales de l’Eau, organisées par les Associations des Élus du Littoral et des Maires de France, les 10-11 mai au Palais des Congrès à Paris,
- — du congrès Filtration Interfiltra des 5-8 juin à l’Acropolis de Nice, de la SFF,
- — du 41ᵉ Congrès des Ingénieurs des Villes de France, les 6-8 juin au Citexpo de Metz,
- — des journées de Formation continue de l’ENPC « L’Eau, la Ville, quelles politiques ? » des 6-7 juin à l’ISG de Paris,
- — du Colloque « Le nouvel essor de la Terre : de l’inquiétude à l’espoir » du 8 juin au CNIT-Paris La Défense (au cœur des préoccupations actuelles), à l’occasion des 25 ans de l’ENGREF ;
- — et du 1ᵉʳ SIG-GIS du BIRP les 19-22 juin au Palais des Congrès de Paris, qui fait état des systèmes d’informations géographiques appliqués au repérage, à la télédétection des polluants, ainsi qu’à la planification des ressources naturelles,
- — et aussi de la Conférence internationale BHRA de la CEE des 27-29 juin à Lyon « Advances in water treatment and environmental management », ainsi que de l’Exposition permanente de la Cité des Sciences et Techniques à La Villette (où les éd. Johanet tiennent un stand à l’occasion de l’Année de l’Eau).
rapport avec la population et les emplois concernés, vis-à-vis de l'ensemble de l'Hexagone (figure 2).
La région comporte 50 000 installations classées dont 5 000 soumises à autorisation, soit plus de 10 % du total national. L'inspection des installations classées est assurée par une quarantaine d’inspecteurs du service STIC de la Préfecture de Police pour Paris et la petite couronne, avec 25 ingénieurs DRIR pour les quatre départements de la grande couronne. Face à l’importance de son activité industrielle liée à un contexte d'urbanisation intense et imbriquée, l'Ile-de-France reste particulièrement sensible à la prévention des risques technologiques encourus par la population. Une quarantaine d’établissements industriels y ont été identifiés comme présentant d’éventuels risques technologiques majeurs, compte tenu de la nature de leur production. Plus précisément, l'Ile-de-France compte 17 établissements soumis à la Directive Seveso (Directive 82/501/CEE du 24 juin 1982) auxquels s’ajoutent d’importants dépôts d’hydrocarbures (figure 3) et une vingtaine d’autres sites industriels repérés par le DRIR Ile-de-France faisant l’objet d'une démarche préventive dans le cadre de la loi fondamentale sur le régime des installations classées (loi n° 76-663 du 19 juillet 1976, décrets du 21 septembre 1977 et 12 octobre 1977). Chacun d’entre eux s’est vu imposer la réalisation d’une étude de dangers (circulaire du 28 décembre 1983) comprenant un recensement et une description des accidents susceptibles de se déclarer, une estimation des conséquences et une présentation des mesures de prévention ainsi que des moyens de secours (Plan d’Organisation Interne, dit POI, de la circulaire du 2 août 1985) en regard de l'instruction ORSEC-Risques technologiques (Plan Particulier d'Intervention, dit PPI, destiné à l’administration, circulaire du 12 juillet 1985). Des dispositions ont été prises d’autre part pour éviter le développement de l’urbanisation aux abords immédiats de ces établissements.
Enfin, une liste signalant 130 établissements prioritaires sur la région a été établie pour le contrôle de sécurité et la surveillance des flux de pollution toxique.
Noria pour déchets en tout genre
La région Ile-de-France, c’est 10 millions de Franciliens rejetant plus de 4 Mt/an de déchets ménagers et c'est aussi 80 000 entreprises industrielles et artisanales implantées dans la région générant plus de 12 Mt/an de déchets industriels, toute nature confondue, octroyant une récupération de 70 Kt/an de verre creux ménager, 250 Kt/an de vieux papiers, 730 Kt/an de papiers-cartons repris par les professionnels (figure 4), 25 Kt/an de ferrailles désétamées d’incinération (TRU) et 80 Kt/an de solvants usés régénérés.
Pour les résidus ménagers, la dimension exceptionnelle des réalisations vaut bien qu'on les signale. Le SYCTOM, Syndicat Mixte Central de Traitement des Ordures Ménagères de la Région Parisienne, assure l'élimination de 2 Mt/an de déchets produits par une population raccordée de 4,5 millions d’habitants de Paris et d'une soixantaine de communes de la région parisienne. Le mode de traitement retenu, pour 90 % du tonnage,
est l'élimination combinée à la valorisation énergétique (2), à savoir l'incinération des OM avec récupération de chaleur dans trois usines :
- l'usine d'Issy-les-Moulineaux desservant 1,465 million d’habitants, avec une capacité de traitement de 600 Kt/an et une charge de 5 Kt/an de déchets spéciaux (production de 1,1 Mt vapeur/an + 40 000 MWh d’électricité),
- l'usine d'Ivry-sur-Seine desservant 1,596 million d’habitants, imposant une charge de 750 Kt/an et acceptant 8 Kt/an de déchets industriels spéciaux dans les fours,
- l'usine de Saint-Ouen II desservant 1 million d’habitants avec une capacité de 630 Kt/an de déchets ménagers (production de 1,5 Mt vapeur/an + 15 000 MWh d’électricité, valorisation de 17 Kt/an de ferrailles + 150 Kt/an de mâchefers).
La quantité totale de poussières fines, d'imbrûlés, de métaux lourds et d’acides minéraux forts libérée lors de la combustion des ordures ménagères ne va pas sans poser des problèmes de pollution et de nuisances atmosphériques des fumées d'incinération.
(2) Les récentes réglementations sur les rejets atmosphériques des usines d’incinération d'ordures ménagères ayant défavorisé les collectivités locales promotrices et gestionnaires de réseaux de chaleur, un fonds régionalisé de financement des systèmes de dépollution sera créé à leur profit. Ce fonds sera alimenté par une taxe sur les déchets ménagers (3 F/t) et les déchets industriels (1,4 F/t) (P. Brana, Rapport au Premier Ministre de mission parlementaire sur la maîtrise de l'énergie et la valorisation des déchets, 06/1989).
Car, si les teneurs sont infinitésimales, les débits gazeux sont colossaux ! La destruction de 1,8 Mt/an d’ordures ménagères franciliennes dans ces trois usines entraîne en effet la gazéification de quelque 12 à 15 Kt HCl/an (5-10 kg HCl/t OM), d'où la nécessité de déchlorurer les fumées avant rejet (J. Gounon, Directeur SYCTOM — 1985) (3).
En ce qui concerne les déchets industriels, pour 1986 en Île-de-France, 387 Kt/an ont été réceptionnés par les éliminateurs SARP Industries, GEREP, SITREM, EMTA et France Déchets, y compris 12,6 Kt/an de solvants pour les trois centres de régénération Gerber, Fradin et Rodanet. Sur les 374 Kt/an restants, 337 Kt/an ont été éliminées dans les filières classiques de traitement dont 220 Kt/an mises en décharge et 50 Kt/an en incinération. L'Île-de-France est d'ailleurs bien équipée en centres collectifs de traitement des déchets spéciaux avec notamment deux décharges de classe 1 : France Déchets à Villeparisis (capacité de 300 Kt/an et valorisation de 4 000 m³/h de biogaz) et EMTA à Guitrancourt, plus trois importants centres de traitement : SARP I à Limay (près de Mantes) (capacité de 200 Kt/an), GEREP à Mitry-Mory (capacité de 80 Kt/an) et SITREM à Noisy-le-Sec.
(3) Procédés humides de déchlorhydratation TNEE pour Saint-Ouen, LAB-EDV pour Issy-les-Moulineaux et INOR-Ciba-Geigy pour l'UIOM de Massy-Antony. La taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique vient d’être reconduite et assujettit environ 870 établissements : les polluants taxés (SO₂, H₂S, NOₓ, HCl) le sont au taux de 150 F/t émis (130 MF seraient disponibles pour aider l'installation d'équipements dépolluants, SPP-AQA 03/1990).
Le contrôle des fluides vitaux : l'air et l'eau
En Île-de-France, le réseau actuel de mesure de la pollution atmosphérique et de collecte des informations météorologiques comporte 300 capteurs dont 100 à télétransmissions de données alors que Paris mobilise 131 capteurs dont 38 à télétransmissions.
Les paramètres mesurés sont, dans l’ordre décroissant du nombre des capteurs en service : l'acidité gazeuse forte (AF) et le dioxyde de soufre (SO₂), les particules fines en suspension (fumées noires FN), le monoxyde de carbone (CO), le plomb (Pb), les oxydes d’azote (NOₓ), l’ozone (O₃) et les hydrocarbures (HC). Plusieurs stations dites « stations multipolluants de référence » (SMR) effectuent un bilan complet de pollution atmosphérique. Globalement, en dépit de quelques rares épisodes de pollution aiguë, on voit déjà apparaître une évolution assez favorable vers la réduction de la pollution atmosphérique et des niveaux acceptables vis-à-vis des normes de qualité de l'air en vigueur. Cette décroissance régulière du paramètre SO₂ (de 61 µg/m³ en 1983 à 36 µg/m³ en 1988 pour les 13 stations AF de Paris) résulte de l'effet conjugué des mesures réglementaires (zones de protection spéciale, arrêtés d'alerte), des opérations de désulfuration d’installations de combustion et du développement du programme de production d’électricité d'origine nucléaire. Il est vrai, néanmoins, que des points noirs subsistent (Vitry-sur-Seine pour AF et FN, rue de
Picpus à Paris pour NOₓ, avenue des Champs-Élysées pour Pb) accentués par des facteurs d’ordre géographique (rôle de la Seine comme couloir de ventilation) ou climatique (pluviosité moyenne, faible ensoleillement, épisodes anticycloniques). Les organismes chargés de la surveillance des niveaux (Airparif, LHVP et LCPP) modernisent leurs réseaux tenant compte de la pollution d’origine automobile et créent un réseau de pollution de fond, un réseau de proximité (figure 5) et un réseau dit de « zone à forte fréquentation ».
Le système de distribution d’eau potable de la région parisienne dessert une agglomération de plus de 8 millions d’habitants alimentés par différents grands réseaux maintenant interconnectés : réseau SEDIF (Syndicat des Eaux d’Île-de-France), géré par la CGE, qui regroupe plus de 140 communes et 4 millions d’habitants ; réseau SAGEP qui délivre de l’eau à plus de 2 millions de Parisiens ; réseaux de grande couronne affermés à deux grands groupes de distribution, Lyonnaise des Eaux et Française des Eaux. L’agglomération tire le tiers de ses besoins, soit environ 1,2 Mm³/j, des eaux souterraines, en adductions lointaines réalisées au siècle passé pour Paris, et après traitement des nappes alluviales situées en aval de Paris pour la grande banlieue. À hauteur des deux tiers,
La région parisienne est donc tributaire des grandes rivières pourvoyeuses des eaux de surface, par le biais d'une quinzaine d’usines de potabilisation réparties sur la Seine, l’Oise et la Marne ; la Seine est la plus fortement sollicitée puisque plus de 50 % de l’approvisionnement en provient (figure 6).
L'utilisation des eaux de surface suppose l’élimination des pollutions permanentes ou chroniques (opérations « Seine-Propre », programme de recherches PIREN-Seine) et accidentelles (plans « Sécurité Eau », plans interdépartementaux d’intervention et d’alerte). Le cas très particulier de l'agglomération parisienne lui a fourni en matière d’épuration deux stations géantes : Achères et Valenton, auxquelles sont associés les concepteurs OTV et Degrémont. Car c’est en définitive plus de 15 millions d’habitants raccordés que cet ensemble épuratoire exceptionnel doit traiter sous forme d’effluent d’eaux usées, géré par le SIAAP (Syndicat Interdépartemental d’Assainissement de l'Agglomération Parisienne). Cet ensemble comporte en particulier, à côté des stations de Colombes et de Noisy-le-Grand :
- • Achères, seconde station au monde par sa capacité de traitement après celle de Chicago, commencée par la tranche 1, construite en 1935 et dont la tranche 5, pour l’horizon 1993, permettra de desservir 8 millions d’habitants avec un apport d’eaux brutes de 1,7 Mm³/j ;
- • Valenton, dont la seconde tranche prévue en 1992 portera le débit d‘eaux brutes à 0,3 Mm³/j.
« Tout cet environnement sauvegardé en terre francilienne est le fruit d'une concertation raisonnable entre les représentants de l'administration, les élus, les industriels, les spécialistes et les associations » (O. Philip, Préfet de la Région d'Ile-de-France, Préfet de Paris).