De nombreux articles ont été publiés ces derniers temps sur la géothermie. Pratiquement, tous font référence aux réalisations en cours et aux montages administratifs des opérations de géothermie. Cet article aborde un problème un peu plus méconnu, celui de l'aspect technologique et méthodologique de l'énergie géothermique basse enthalpie **.
LA GEOTHERMIE DANS LE MONDE
La crise de l'énergie de 1973 a provoqué dans de très nombreux pays une prise de conscience qui a entraîné la mise en place de plans d'économies d'énergie et l'élaboration de programmes de diversification des ressources énergétiques.
Tous ces plans prévoient une stabilisation, sinon une réduction, des consommations de combustibles pétroliers, et une plus grande utilisation d'énergies nouvelles, moins onéreuses et surtout moins dépendantes de la conjoncture internationale.
C'est dans ce contexte que s'est développée l'énergie géothermique dans le Monde au cours des huit dernières années.
En fait, l'utilisation des eaux chaudes souterraines n'est pas nouvelle, et de nombreuses manifestations hydrothermales naturelles ont été exploitées à des fins de chauffage ou thérapeutiques un peu partout dans le Monde (Islande, U.S.A., Hongrie, etc.). Ce n'est toutefois que très récemment
* GEOTHERMA (nouvelle dénomination de GEOSERVICES HYDROLOGIE).
** = température.
et en raison de la crise pétrolière que l’industrialisation de la géothermie a été envisagée, autant pour la géothermie haute température que pour la géothermie basse température.
Actuellement, de nombreux pays d’Amérique, d’Afrique et d’Orient ont des programmes d’utilisation et de développement de l’énergie géothermique, principalement haute température.
L’Europe, qui ne dispose pas de situations géologiques aussi favorables, se penche cependant activement sur l’emploi de la géothermie basse température. La France se situe dans ce domaine au tout premier rang des programmes géothermiques mondiaux basse température.
LES RESSOURCES GEOTHERMIQUES DE LA FRANCE
Afin de situer la nature et l’importance du potentiel géothermique français, il est indispensable de rappeler brièvement de quelles ressources dispose la France.
Deux grandes régions sédimentaires recèlent l’essentiel des ressources géothermiques basse température : le Bassin Parisien et le Bassin Aquitain.
Le Bassin Parisien, qui couvre d’Ouest en Est la plus grande partie de la moitié nord de la France, contient de nombreuses nappes aquifères pouvant être exploitées à des fins énergétiques. Plusieurs formations géologiques contiennent notamment des aquifères très productifs, capables de fournir des eaux à des températures comprises entre 50 et 90 °C.
L’aquifère du Jurassique moyen (ou Dogger), constitué de calcaires oolithiques, est actuellement la cible la plus classique des opérations géothermiques entreprises dans le bassin de Paris. Les températures obtenues dans le centre du bassin sont comprises entre 70 et 80 °C pour des profondeurs de 1 600 à 1 800 mètres au toit du réservoir. Les eaux captées ont une minéralisation comprise entre 10 et 30 g/litre.
Les niveaux aquifères du Trias, dont les faciès gréseux sont susceptibles de fournir également des productions intéressantes, font l’objet de projets géothermiques permettant de mettre en œuvre des eaux à des températures comprises entre 70 et 90 °C, à des profondeurs qui atteignent 2 000 mètres dans le centre du bassin de Paris. Le Trias constitue surtout un objectif géothermique lorsque le Dogger n’est plus en mesure, du fait de sa faible profondeur relative, de fournir des températures intéressantes.
Certains projets géothermiques dans le Bassin Parisien sont d’ailleurs à double objectif. Ils sont conçus par une exploration du Dogger et, en cas de résultats insuffisants, pour une poursuite de l’exploration au Trias. Les eaux du Trias ont une minéralisation de l’ordre de 60 à 100 g/litre.
Le Bassin Aquitain constitue quant à lui un ensemble sédimentaire beaucoup plus complexe, à la fois par la variété des faciès et par sa structure tectonique profonde. Il comporte des niveaux géologiques très fracturés permettant des circulations rapides et produisant par conséquent des eaux peu minéralisées, ne nécessitant pas de réinjection.
Les formations actuellement exploitées produisent des eaux à moins de 60 °C. Par contre, en bordure de la chaîne pyrénéenne, les formations sédimentaires se sont accumulées sur plus de 8 000 mètres de profondeur. Des températures de plus de 200 °C ont été enregistrées dans des forages pétroliers. Actuellement, la profondeur des forages à réaliser dans ces dernières formations, et le risque géologique important qu’ils comportent, n’ont pas permis d’envisager de projets d’exploration pour le moment.
D’autres bassins sédimentaires, moins importants quant à leur étendue, font l’objet d’études ou d’explorations géothermiques. Ce sont :
- — La Limagne, fossé d’effondrement récent situé en bordure de la chaîne volcanique des Puys, au cœur du Massif Central. Le premier forage dans ce bassin n’a malheureusement pas permis de découvrir des formations suffisamment perméables. Un deuxième forage est actuelle-
- — L'Alsace, autre fossé d’effondrement, mais de constitution plus ancienne. L'Alsace est la région de France où l’on a déterminé les plus forts gradients géothermiques (de 3,5 à 10 °C par 100 mètres). Un forage d'exploration récemment exécuté près de Strasbourg a mis en évidence une température de 140 °C dans les grès du Trias.
- — La Bresse, où les formations jurassiques carbonatées devraient recéler des ressources intéressantes.
- — Le Couloir Rhodanien, géologiquement très complexe, où un forage près de Valence a testé le potentiel des formations jurassiques, mais n’a pas permis de confirmer son exploitabilité ponctuelle,
D'autres régions enfin, comme le Languedoc-Roussillon, font l'objet d'études de synthèse et devraient bientôt être prospectées.
LA SITUATION DE LA GEOTHERMIE EN FRANCE
Ainsi que nous venons de l’exposer, les principales ressources géothermiques de la France sont constituées d'énergie basse température, généralement en dessous de 80 °C. La région parisienne se trouvant particulièrement bien placée, puisque située près du centre du vaste bassin sédimentaire qui porte son nom, c'est tout naturellement cette région qui a fait l'objet des plus importantes réalisations. On observe en effet que la région parisienne comporte d'importants ensembles de logements relativement bien groupés, et dont beaucoup totalisent plus de 3 000 logements.
Certains ensembles atteignent 5 000 à 6 000 logements, et l'un d’eux dépasse 15 000 logements au nord de Paris.
C'est donc l'habitat qui a fait l'objet des efforts les plus importants en matière d'utilisation d'énergie géothermique. Actuellement, 15 000 logements sont chauffés par la géothermie en France, 33 000 font l'objet d'opérations en cours de réalisation, et 36 000 font l'objet d'opérations décidées. On atteindra donc très rapidement le chiffre de 80 000 logements chauffés par la géothermie. L'objectif est de raccorder 1 million d'équivalents logements vers 1990.
Si la plus grande partie des logements à chauffer par la géothermie est actuellement située en région parisienne, de nombreuses réalisations sont en cours ou projetées sur l'ensemble du territoire national. C'est donc une prise de conscience remarquable de la part des utilisateurs et des pouvoirs publics que d’utiliser et d’encourager ce type d'énergie, particulièrement bien adapté au chauffage collectif.
L’aide de l'État est d'ailleurs passée de 3 millions de francs en 1977 à 55 millions en 1980. Parallèlement, l'industrie et l'agriculture commencent à développer l'utilisation de la géothermie basse température. Un ensemble de 170 000 m² de serres va être chauffé par géothermie près d'Orléans, et d'autres installations sont en projet.
L'industrie, quant à elle, pose des problèmes plus complexes que nous évoquerons plus loin.
En dehors de la géothermie des nappes profondes, permettant de réaliser des utilisations directes, l'exploitation des nappes semi-profondes et superficielles commence à se développer très activement grâce à l'emploi des pompes à chaleur.
L'emploi de ces nappes en géothermie assistée permet de chauffer de nombreuses installations de moindre importance dans tous les domaines d’utilisation, et par suite d'ouvrir très largement l’éventail des possibilités d’accès à ce type d'énergie nouvelle.
PRINCIPE D'EXPLOITATION DE LA GEOTHERMIE BASSE ENTHALPIE
Par rapport aux moyens traditionnels de chauffage, la géothermie présente deux caractéristiques particulières. En premier lieu, elle nécessite des investissements élevés, tout au moins pour les opérations importantes, mais des frais de fonctionnement faibles en raison de la gratuité de la ressource. En second lieu, la température du fluide géothermal est souvent plus basse que celle employée dans les installations traditionnelles. Ces deux particularités conduisent à rechercher, pour le premier cas une valorisation maximum des installations géothermiques, et pour le second cas une adaptation des dispositifs de chauffage.
Ce dernier point prend un relief particulier dans le domaine des constructions neuves. En effet, lorsque celles-ci sont susceptibles de bénéficier de l'énergie géothermique, le projet d'architecture peut prévoir un type de chauffage spécialement adapté à l'emploi de la géothermie, c'est-à-dire à l'utilisation de températures basses (chauffages par panneaux de sols et de plafonds, ventilo-convecteurs, radiateurs grandes surfaces, etc.). Ceci est valable aussi bien dans le domaine de l'habitat que dans celui de l'industrie et de l'agriculture. Dans ces deux derniers cas, les procédés de fabrication ou de production peuvent tenir compte des ressources géothermales disponibles localement et être conçus en conséquence. Dans le domaine des installations existantes, le problème se pose différemment car, les dispositifs de chauffage ou d'utilisation énergétique étant en place, il n'est pas facile, et souvent peu économique, d'en envisager la modification.
Le schéma classique d'exploitation de la géothermie consiste à utiliser la chaleur géothermale comme ressource énergétique de base, et à l'associer à une ressource traditionnelle (électricité, gaz, fuel, etc.). La géothermie assure donc la plus grande partie des besoins énergétiques de base (50 à 80 % par exemple), mais une puissance limitée par rapport aux besoins de pointe (40 à 50 %).
À l'inverse, la ressource traditionnelle assure les consommations de pointe avec de fortes puissances, mais avec une fréquence qui rend son utilisation quantitativement réduite.
Dans les stations géothermiques, on associe par conséquent une installation classique (chaufferie au fuel ou au gaz) à une installation géothermique, le surcoût de la seconde étant amorti par l'économie de combustible réalisée sur la première. On notera d'ailleurs que, sur le plan technique, les deux installations concourent à un rendement optimum, les chaudières ayant leur meilleur rendement lorsqu'elles sont utilisées à pleine puissance.
Ce dispositif est également nécessaire pour des raisons de sécurité. En cas de travaux sur les forages, l'installation reste opérationnelle du fait de la disponibilité de la chaufferie classique.
TECHNIQUE DE MISE EN ŒUVRE DE LA GÉOTHERMIE
Il n'existe pas de schémas standard de mise en œuvre de la géothermie. Chaque situation a ses particularités, aussi bien au niveau des ressources disponibles, qui sont rarement les mêmes d'un point à un autre d'une région, que des installations à alimenter, toutes aussi différentes par leurs systèmes de chauffage, leur situation géographique, leur répartition plus ou moins groupée, leurs températures, etc.
La conception d'une installation géothermique complète (production et distribution de la chaleur géothermale) est donc à chaque fois un cas particulier qui nécessite une analyse spécifique. L'objectif reste toujours le meilleur rendement, c'est-à-dire le meilleur rapport entre le coût de l'opération et l'utilisation énergétique.
À titre d'exemples, un schéma géothermique doit être élaboré en tenant compte :
- — de la nature de la ressource ; selon que celle-ci est minéralisée ou pas, il y aura nécessité ou non de réinjecter l'eau dans la nappe, et par conséquent obligation de réaliser un doublet (1 forage de production et 1 forage de réinjection),
- — de la réalimentation de la nappe ; si l'eau est peu minéralisée et la nappe bien réalimentée, la réinjection n'est pas nécessaire ; elle le devient par contre s'il faut maintenir la pression dans le gisement, d'où la construction d'un doublet,
- — de la nature des installations à alimenter ; selon l'éloignement des immeubles les uns des autres, il peut y avoir nécessité de créer un réseau de distribution de chaleur,
- — de l'importance et de la nature des besoins ; en fonction de ceux-ci, on peut être amené à rechercher des utilisations secondaires, comme par exemple la récupération d'énergie sur les retours par pompes à chaleur, etc.
En France, le schéma le plus courant de mise en œuvre de la géothermie est le doublet.
Constitué d'un forage de production et d'un forage de réinjection, le doublet peut être conçu de façons différentes, le choix d'un système par rapport à un autre étant souvent le fait de circonstances techniques et de coûts de réalisation. Ainsi par
exemple, en milieu urbain, on a généralement que très peu de place pour forer. On est donc amené à concevoir nécessairement un doublet par forages déviés, l'emplacement au sol étant très réduit globalement pour les travaux. On évite ainsi la mise en place de conduites de raccordement entre les deux forages et le déplacement de la machine de forage. Les forages déviés sont par contre sensiblement plus coûteux que les forages droits.
Que ce soit par forages déviés ou par forages droits, la tendance actuelle en France est à la réalisation presque systématique de doublets géothermiques. L'Administration considère en effet que, même pour des nappes contenant des eaux douces, il est utile de réinjecter afin de maintenir les gisements en pression et éviter la surexploitation.
La conception d'un doublet géothermique est complexe. La réinjection du fluide géothermal refroidi crée en effet autour du puits de réinjection une zone froide qui s’étend au fur et à mesure de l'exploitation, et finit normalement par atteindre le puits de production. L'espacement entre le point d'extraction et le point de réinjection doit donc être suffisamment éloigné pour que le refroidissement intervienne dans un temps économique acceptable, ce qu'on appelle durée de vie de l'installation.
On utilise à cet effet des modèles mathématiques en prenant en compte les différentes caractéristiques de la nappe et de son exploitation. La base de calcul est de 30 ans d'utilisation sans que les performances de l’ensemble soient affectées. Cela conduit par exemple, pour la nappe du Dogger qui est exploitée dans la région parisienne, à un écartement des forages de l'ordre de 1 kilomètre pour une profondeur de 1800 mètres.
Le problème se complique sérieusement dans les zones à forte densité d'utilisation, nécessitant la réalisation de plusieurs doublets dans un secteur limité. La conception d’ensemble conduit alors à la mise en place de doublets déviés, à la fois entre eux-mêmes et les uns par rapport aux autres. Dans un secteur urbain de 15 000 logements que nous avons à l'étude au nord de Paris, nous sommes amenés à prévoir la réalisation d'un ensemble de 7 doublets complexes. Le nombre de forages de production et de puits de réinjection n'est d'ailleurs pas forcément identique dans certains cas.
Cette technique du doublet est très intéressante. Certes, elle nécessite des coûts élevés de réalisation, mais elle apporte d'indiscutables avantages techniques et financiers à long terme. Ceci est confirmé par les faits. Le premier doublet géothermique français, réalisé en 1969 à Melun, n’a vu aucune modification de ses caractéristiques depuis 12 ans, notamment aucune baisse de température. La technique du doublet constitue d’ailleurs la principale originalité de la technique française en matière de géothermie.
TECHNOLOGIE DU FORAGE GEOTHERMIQUE
On ne peut évoquer l'utilisation de l'énergie géothermique sans parler de l’élément fondamental du système, le forage.
Les profondeurs à atteindre en géothermie sont souvent importantes, 2000 à 3000 mètres, parfois davantage. La technique de forage s'apparente donc, du point de vue du matériel à mettre en œuvre, à celle des forages pétroliers. L'objectif est par contre tout à fait différent, puisqu'il s'agit de mettre en production un gisement d'eau chaude dont les caractéristiques, à ces profondeurs, sont très particulières (minéralisation souvent importante, agressivité, pression, etc.). Cela nécessite de la part du Maître d'Œuvre de l'opération une très grande maîtrise des problèmes de forage en général et du captage des nappes profondes en particulier. On ne saurait en tous cas se référer en aucune façon aux seules techniques pétrolières pour effectuer ce genre d'opération, l'objectif étant fondamentalement différent.
Il faut insister à cet égard sur deux aspects essentiels du forage géothermique. Le premier est celui de la conception des ouvrages et le second de leur exécution.
Un forage géothermique est en effet conçu en fonction d'une hypothèse sur laquelle est basé tout le programme de l'opération : la coupe géologique prévisionnelle, la technique de forage utilisée, les matériaux employés, la définition des mesures à réaliser, etc., sont autant d'éléments à partir desquels va être conçu tout le programme d'exécution. L'exactitude de l'hypothèse et la façon dont le programme aura été conçu constitueront bien évidemment des éléments déterminants pour le succès de l'opération.
Mais l'exécution du programme est tout aussi importante que sa conception. Un forage géothermique est exécuté en continu 24 heures sur 24. La mesure des différents paramètres de forage s'effectue donc en permanence et l'interprétation de ces paramètres doit être instantanée, afin que toute prise de décision puisse être immédiate en cas d'incident technique ou d'imprévu géologique. Ce que nous appelons la maîtrise d'œuvre, ou encore direction d'opérations de forages géothermiques, constitue donc un point clé du succès ou de l'échec dans ce genre d'entreprise.
Il n'est malheureusement pas possible de développer tous les aspects techniques du forage géothermique dans le cadre de cet article. Il faut savoir toutefois que les contraintes techniques, économiques et administratives qui sont imposées pour la réalisation d'ouvrages géothermiques nécessitent la mise au point de programmes très élaborés et l'accès à un savoir-faire spécifique.
Chaque opération géothermique fait l'objet d'aides de l'État, lequel exige en contrepartie que le programme technique de forage prévoie un certain nombre de situations et réduise les risques au minimum. La protection des nappes aquifères qui sont traversées en cours de forage constitue une de ces précautions. La fiabilité des mesures, la qualité du Maître d'Œuvre, les techniques employées sont autant d'éléments décisifs pour la prise en compte des dossiers et l'attribution des subventions.
Ce souci de fiabilité des opérations se retrouve également au niveau des aides de la Communauté Économique Européenne, laquelle n'attribue de subventions pour des opérations géothermiques que dans la mesure où les programmes proposés sont techniquement et économiquement très étudiés.
D'ailleurs, sur le plan économique, l'incidence de la conception d'un programme géothermique et de sa bonne exécution est tout aussi représentative que sur le plan technique.
À titre d'exemple, nous avons utilisé en France, dans une de nos opérations au Mée-sur-Seine près de Paris, un système d'isolation thermique et anticorrosion des tubages par emploi d'un gel thixotropique. Le résultat technique s'est traduit par un gain de 2,5 °C entre la température du fond et celle de la sortie du forage. En réduisant ainsi la perte de température au cours de la remontée de l'eau géothermale dans le forage, nous avons gagné, par rapport à un système traditionnel, un supplément de puissance de 500 thermies/heure, ce qui est considérable sur le plan économique.
D'autres dispositions techniques ont également des incidences économiques importantes, comme par exemple la conception du système de pompage, la protection anticorrosion, le régime d'exploitation, etc.
La technique et l'économie sont donc indiscutablement liées dans ce type d'énergie, et on ne saurait traiter l'une sans l'autre sous peine d'aller au-devant de sérieux déboires.
L'INGÉNIERIE GÉOTHERMIQUE
La réalisation d'une installation géothermique se présente sous deux aspects qui sont étroitement liés l'un à l'autre, mais qui sont cependant différents sur le plan technique. On a en effet d'une part les travaux relatifs au sous-sol, et d'autre part ceux relatifs aux équipements thermiques de surface.
Les installations de surface ne présentent pas, en géothermie, de difficultés particulières par rapport à des installations traditionnelles. Les thermiciens savent très bien se tirer d'affaire de l'utilisation des fluides énergétiques de toutes sortes qui sont mis à leur disposition, et ils ne faillissent pas à leur réputation en matière de géothermie.
Il en va tout autrement des problèmes de sous-sol, qui nécessitent une ingénierie très spécifique à ce type de travaux.
Une opération de géothermie fait l'objet, en France, de deux types de missions d'ingénierie :
1) Une mission d'ingénierie classique de conception et de maîtrise d'œuvre des travaux. Sa décomposition traditionnelle est la suivante :
- — Étude de l'avant-projet sommaire, nécessaire à la fois au Maître d'Ouvrage et aux organismes chargés de délivrer les subventions. Cette mission s'accompagne de l'étude de l'impact des forages sur l'environnement et des demandes de permis de forer et d'exploiter l'énergie géothermique, celle-ci étant soumise aux règles de concession et d'exploitation minière.
- — Étude de l'avant-projet détaillé, permettant de faire ressortir tous les éléments détaillés techniques et financiers de l'opération, avec la décomposition des différents travaux, le programme, les délais de réalisation, et toutes informations nécessaires à l'opération.
- — Établissement des données de consultation des entreprises, fournisseurs et services, ainsi que l'assistance au Maître d'Ouvrage pour la passation des marchés correspondants. Contrôle général des travaux au cours de l'opération, avec coordination des entreprises, réunions de chantier, information journalière et hebdomadaire du Maître d'Ouvrage. L'exécution d'une opération de géothermie implique normalement l'intervention d'une vingtaine d'entreprises, fournisseurs et sociétés de services spécialisées.
- — Opérations de maîtrise d'œuvre nécessaires en fin de travaux, comprenant la réception provisoire et définitive des travaux, ainsi que les rapports de fin de travaux et dossiers techniques nécessaires.
Les interventions classiques de l'ingénierie en matière de sous-sol s'intègrent dans le domaine de l'infrastructure habituelle des sondages et forages, mais sont compliquées par les techniques particulières aux forages géothermiques, notamment forages très profonds et forages déviés entraînant des complications technologiques.
2) Des missions complémentaires particulières aux forages géothermiques :
- — Surveillance géologique, conduite et coordination des opérations de chantier.
La réalisation de forages très profonds nécessite pour le Maître d'Œuvre de disposer d'informations très précises au fur et à mesure de l'avancement du forage, lequel est exécuté, ainsi que nous l'avons déjà indiqué, en continu 24 heures sur 24.
Dès lors, l'ingénierie doit pouvoir disposer heure par heure des informations techniques et géologiques pour assurer la conduite précise de l'opération, modifier éventuellement les programmes techniques prévus, pallier à tout moment les difficultés d'ordre géologique qui sont liées au sous-sol et qui restent imprévisibles malgré le respect total des règles de l'art.
L'ingénierie doit donc impérativement avoir du personnel spécialisé en permanence sur le chantier en cours d'opération, assisté d'un laboratoire d'analyses et d'appareils d'enregistrement des paramètres indicateurs fondamentaux de la bonne marche des opérations de forage.
Cette intervention constitue une mission spécialisée absolument indispensable.
- — Mission essais.
L'ensemble des travaux de forage étant réalisé, le réservoir géothermique peut être mis en production, d'abord séparément sur le forage de production et sur le forage de réinjection, puis sur les deux forages en même temps, ceci afin de s'assurer du bon fonctionnement du doublet, dont on doit connaître la capacité totale de production en circuit fermé.
Cette connaissance ne peut être acquise que par des essais de pompage spécifiques de durée plus ou moins longue, et qui font l'objet d'une interprétation hydrogéologique et géothermique particulière.
Ces interventions de contrôle et d'interprétation des essais constituent une phase également indispensable que seule l'ingénierie responsable de l'opération est capable d’assurer dans les meilleures conditions d’efficacité et de sécurité.
— Missions sur incidents géologiques et miniers —
En cas d'apparition d'incidents géologiques liés aux difficultés du sous-sol, une recherche particulière de solutions peut se révéler indispensable. Elle implique alors une mise en œuvre de travaux supplémentaires qui sont déterminés en fonction de chaque situation.
Ces différentes missions nécessitent une très grande disponibilité de la part du Concepteur et Maître d’Œuvre, ainsi qu'une confiance réciproque entre les deux partenaires décideurs, le Maître d'Ouvrage et le Maître d’Œuvre.
Bien qu'une opération géothermique soit une opération ponctuelle, elle s’intègre nécessairement dans un double environnement :
— un environnement de surface lié aux besoins à satisfaire, aux installations existantes, aux contraintes techniques ou administratives, etc. — un environnement de profondeur lié à la nature du gisement aquifère exploité, aux conditions géologiques locales, à la présence d'autres exploitations, etc.
Un projet de réalisation géothermique oblige par conséquent, pour une opération déterminée, à un certain nombre d'investigations qui dépassent très largement le cadre du projet. Aussi n'est-il possible d'envisager une opération géothermique qu'à partir du moment où certaines données ont été acquises au préalable. Une bonne connaissance du sous-sol est bien entendu le minimum indispensable, mais une connaissance des conditions d'utilisation est aussi très utile.
Afin de se placer dans les meilleures conditions, on procède en France à certaines phases d'études qui se sont confirmées ensuite comme étant un processus particulièrement favorable au développement de la géothermie.
1ʳᵉ DÉMARCHE : L’INVENTAIRE DES RESSOURCES
La connaissance, même élémentaire, des ressources potentielles est à la base de toute utilisation de l'énergie géothermique.
On procède généralement par unités géologiques que l'on étudie dans un ordre de priorité qui tient compte des débouchés possibles et de l'intérêt économique.
L'investigation conduit à établir une cartographie des nappes souterraines : profondeurs, températures, épaisseurs, minéralisation des eaux, caractéristiques de production, etc. Les forages pétroliers ayant été réalisés constituent souvent la base des interprétations géothermiques.
Dans certaines régions, les informations sont toutefois insuffisantes pour apprécier la valeur économique des gisements, ce qui complique encore la situation lorsqu'on se trouve dans des régions dont la géologie est difficile. Une campagne d’exploration peut alors se révéler indispensable.
On ne saurait toutefois envisager sérieusement la réalisation d'un seul forage de reconnaissance pour apprécier les possibilités géothermiques d'un site. Si ce forage venait en effet à se révéler négatif, des conclusions hâtives pourraient en être tirées et conduire à des conclusions erronées. Un minimum de deux ou trois sondages paraît par contre justifier une interprétation beaucoup plus solide et permettre des conclusions, tout au moins locales.
En France, l’inventaire des ressources est déjà bien avancé, et les secteurs qui restent à analyser sont bien entendu les plus complexes. Nous étudions ainsi actuellement la région du Languedoc-Roussillon qui recèle des gisements profonds mais qui se trouve dans une situation géologique complexe. L'investigation porte sur une zone littorale de 250 kilomètres de longueur.
2ᵉ DÉMARCHE : LES ÉTUDES DE FAISABILITÉ
Les études de faisabilité sont considérées comme le préalable indispensable à toute opération géothermique en France. Elles sont de deux sortes :
1) Les études ponctuelles.
Elles sont établies en deux stades successifs :
— Les études de préfaisabilité, qui servent à évaluer sommairement les conditions technico-économiques d'une opération géothermique projetée. Au terme de l'étude de préfaisabilité, la fourchette de rentabilité de l’opération est déjà approchée avec suffisamment de précision pour que l’opération puisse être poursuivie ou non. L’étude de préfaisabilité prend en compte aussi bien les problèmes de sous-sol que les problèmes de surface.
— Les études de faisabilité, qui reprennent très en détail les premiers éléments d’analyse et conduisent à la définition technique du projet avant sa réalisation. Tous les éléments techniques, administratifs et financiers du projet sont alors préparés définitivement, et la rentabilité déterminée avec le maximum de précision.
L'étude de faisabilité ne s'arrête pas aux conditions technico-économiques de réalisation du projet, mais élabore en plus les conditions d'exploitation et d'entretien des ouvrages pendant toute leur durée de vie. Un bilan financier prévisionnel est établi, afin que le Maître d’Ouvrage puisse prévoir ses charges d'exploitation à long terme. Ce processus est indispensable en France pour obtenir les aides de l'État.
2) Les études régionales.
Notre Société a été la première en France à mettre au point une méthode d'études régionales qui s'est généralisée depuis. Cette méthode consiste à inventorier les ressources qui existent dans une zone déterminée (départements ou régions), à effectuer un recensement de l'ensemble des besoins énergétiques, et à analyser les besoins par rapport aux ressources.
Il se dégage alors d'une telle analyse un certain nombre de scénarios d'opérations géothermiques qui permettent aux Maîtres d'Ouvrages potentiels d’engager ponctuellement un processus d’étude plus approfondi et de procéder ensuite aux réalisations.
Nous avons procédé ainsi en 1978 dans le Département des Hauts-de-Seine, qui comporte une superficie peu importante (17 000 hectares, soit le 95ᵉ rang en surface parmi les 96 départements de métropole), mais une population de 1 500 000 habitants (4ᵉ rang français en population). Le résultat a été la mise au point, par association des besoins, de plus de vingt scénarios de faisabilité géothermique. Cela ne serait pas apparu ainsi dans le cas d'études effectuées isolément.
Cette méthode d'approche de la faisabilité géothermique est extrêmement intéressante, car elle permet à l'Administration de coordonner les réalisations et aux Maîtres d'Ouvrages de prendre conscience des possibilités d’économies que bien souvent ils ignorent.
Ces études sont en cours de généralisation, et incluent maintenant les possibilités d'utilisation de toutes les nappes souterraines, avec et sans pompes à chaleur. Le temps ainsi gagné dans la mise en œuvre de la géothermie est considérable.
3° DÉMARCHE : LES ÉTUDES PROSPECTIVES
Les études prospectives en matière de géothermie ont pour objet essentiel de donner un certain nombre d'éléments d’appréciation sur les possibilités d'emploi de cette énergie dans un contexte déterminé.
En effet, il ne servirait à rien de se lancer dans des études géologiques poussées et dans de coûteux programmes de reconnaissance sans savoir si a priori il existe des besoins, où, et dans quelles conditions économiques et techniques de mise en œuvre et d'utilisation.
À la limite, l'étude de ressources géothermiques dans des régions dépourvues de besoins à satisfaire ne pourrait avoir qu'un intérêt scientifique, mais aucune finalité économique à court terme.
L’étude prospective peut permettre par contre de mettre en évidence :
- — les zones d'intérêt dans lesquelles des investigations peuvent être entreprises valablement,
- — les particularités d'emploi de la géothermie dans ces zones,
- — le point des connaissances au niveau des ressources et la nature des études complémentaires à réaliser,
- — l'intérêt économique de l'énergie géothermique, compte tenu des ressources présumées, des conditions de mise en œuvre et de la nature des besoins.
En outre, des études prospectives plus spécialisées peuvent faire gagner beaucoup de temps pour l'exploitation de la géothermie, lorsqu'elles s'adressent à des applications envisagées dans certains créneaux économiques bien définis : industries spécifiques, usages agricoles, habitat, balnéothérapie, etc.
LA GEOTHERMIE DANS L'INDUSTRIE
Dès la crise pétrolière de 1974, les industriels se sont intéressés à l'énergie géothermique. L'industrie constitue en effet un consommateur important d'énergies de toutes sortes : fuel, électricité, gaz, charbon. L'intérêt des industriels s'est toutefois très vite modéré face aux problèmes techniques et économiques qui se sont posés à eux pour la mise en œuvre de l'énergie géothermique dans leurs établissements.
Sur le plan technique, deux constatations fondamentales sont apparues :
a) La plus grande partie de l'énergie utilisée dans l'industrie, hors énergie électrique, s'effectue à des températures supérieures à 80 °C. Or, la plupart des ressources géothermales n'atteignent pas en France ce niveau de température, la fourchette de 50/70 °C étant la gamme de températures disponibles la plus répandue. La réponse à ce problème était donc soit une utilisation partielle de la géothermie dans les gammes de températures basses, soit une modification des processus ou des installations, quelquefois les deux.
b) La distribution de chaleur dans les usines s'effectue le plus couramment au moyen de réseaux de vapeur dont les structures techniques sont bien entendu adaptées aux caractéristiques particulières de ce type de fluide. Utiliser des eaux chaudes en remplacement implique donc souvent la création de nouvelles installations de distribution dont le coût d’établissement dans une usine en service peut être élevé.
Sur le plan financier, les industriels candidats à l'énergie géothermique se sont trouvés en présence d'investissements extrêmement lourds, 10 à 20 millions de francs à cette époque. Or, dans l'industrie, des investissements de ce niveau sont difficiles à envisager pour faire des économies, aussi substantielles soient-elles. On imagine sans peine en effet que si un conseil d’administration devait s'engager sur un financement de 20 millions de francs, ce serait certainement en priorité pour l’outil de production avant l'économie d’énergie, sauf bien entendu dans des cas très exceptionnels dans lesquels le poste énergétique représente la plus grande part du coût du produit, ce qui arrive quelquefois.
En face de ces problèmes, la réaction logique des industriels a été d’entreprendre, pour commencer, la chasse au gaspillage et la récupération des énergies perdues. Des investissements relativement faibles, un peu d’imagination et de discipline ont permis dans de nombreux cas de réduire les dépenses énergétiques des établissements industriels de 10 à 20 %. On peut estimer que la période 1974/1980 a été essentiellement consacrée par les industriels à la recherche d’économies d’énergies.
Cette phase est maintenant terminée pour beaucoup, et en voie d’achèvement pour d'autres. Or, les prix des combustibles montent toujours, mettant maintenant les industriels en situation de procéder à des investissements générateurs d’économies d’énergie, notamment par substitution d'énergies nouvelles aux énergies traditionnelles, fuel en particulier. Les prochaines années seront donc décisives pour l’emploi de la géothermie dans l’industrie.
L'EXPLOITATION DE L'ENERGIE THERMIQUE DES EAUX SOUTERRAINES PAR POMPES A CHALEUR
Nous avons évoqué jusqu’à maintenant l’énergie géothermique en tant qu’énergie utilisable directement, nécessitant le recours à des nappes profondes de plus de 1500 mètres, et permettant ainsi de disposer d’eaux chaudes à des températures supérieures à 50 °C.
Or, il existe de nombreuses nappes souterraines moins profondes susceptibles d’être employées par l'intermédiaire de pompes à chaleur de type eau/eau ou eau/air, ce dernier système étant surtout utilisé pour les usages industriels.
Ces nappes semi-profondes et superficielles sont présentes sur des étendues géographiquement importantes et permettent d’envisager par conséquent des utilisations beaucoup plus nombreuses. Leurs températures sont variables de 12 à 50 °C selon la profondeur, et leurs qualités physico-chimiques sont également très diversifiées. L’emploi de ces nappes à des fins énergétiques ouvre très largement l’éventail des possibilités d’utilisations dans tous les domaines de l’habitat, de l’industrie et de l’agriculture. De très nombreuses installations sont en cours de réalisation et en projet pour le chauffage d’ensembles immobiliers.
LA POMPE A CHALEUR EAU-EAU EN RELEVE DE CHAUDIERE
de 100 à 1 000 logements, de bureaux, d'ateliers, de serres, etc. N'oublions pas que le chauffage de la Maison de la Radio à Paris, à partir de la nappe de l'Albien à 600 mètres de profondeur fournissant une eau à 26 °C, constitue l'exemple le plus célèbre d'utilisation énergétique d'une nappe semi-profonde.
Les techniques d'emploi de ces eaux à basses températures passent dans la majorité des cas par l'utilisation de pompes à chaleur. Celles-ci permettent le transfert énergétique de la source « froide » à une source « chaude », généralement 45 à 55 °C, avec un coefficient de performances qui dépasse normalement 3,5.
Dans le domaine du chauffage collectif, et lorsqu’on dispose d'une ressource accessible à des conditions économiquement intéressantes, ce procédé constitue actuellement un des plus rentables. En effet, et pour autant que l'installation soit bien conçue et bien réalisée, les temps de retour sont actuellement de l'ordre de 5 ans, avec des investissements compris entre 5 000 et 10 000 francs par logement-équivalent. Et encore s'agit-il de temps de retour bruts, c’est-à-dire ne tenant compte ni de l'inflation, ni de la dérive du prix des combustibles.
LA PLACE DE LA GÉOTHERMIE DANS LES ÉNERGIES NOUVELLES
Il faut être réaliste : la géothermie, ou dans un sens plus large l'utilisation de l’énergie thermique des eaux souterraines, ne permettra pas de couvrir un pourcentage important des besoins énergétiques de la France. Mais les quelques millions de tonnes de pétrole économisées grâce à elle pèseront d’un poids certain, aussi bien pour les utilisateurs que pour la collectivité nationale.
Ajoutée aux autres énergies, solaire, biomasse, nucléaire, charbon, hydraulique, la géothermie peut contribuer sérieusement à notre indépendance énergétique.
La place de la géothermie parmi les énergies nouvelles est cependant assez particulière. En effet, le développement de la géothermie n'est pas lié à l'avancement technologique d'un produit industriel comme pour le solaire (cellules) ou d'un procédé comme pour la biomasse, la gazéification du charbon, etc. Par contre, sa mise en œuvre nécessite l'accession à un savoir-faire spécifique, fait d'expérience, de technicité et de méthode.
Les ressources existent, et elles sont nombreuses si l'on veut bien prendre en compte l'ensemble des possibilités énergétiques offertes par tous les gisements aquifères, depuis les plus proches du sol jusqu’aux plus profonds. Il suffit donc de les mettre en œuvre et de les exploiter rationnellement pour bénéficier rapidement des économies d'énergie que ces gisements peuvent apporter.