Très souvent dans la description d'une usine de traitement d'eau potable ou résiduaire, figure la mention « addition de charbon actif » ou « traitement complémentaire au charbon actif ». À notre avis, ces appellations recouvrent des réalités très différentes selon les cas. En effet, les buts que l'on se propose en employant le charbon actif sont extrêmement variés.
Eau potable
Le but poursuivi en traitant au charbon est-il : la déchloration, l'élimination des goûts et des odeurs, la disparition des pesticides ; s’agit-il de faire face à une pollution accidentelle, journalière, saisonnière ou permanente ?
Eau résiduelle
Le but poursuivi en traitant au charbon actif est-il l'élimination des composés dangereux (mercure, pesticides, etc.), l'abaissement du seuil de la DCO au niveau réglementaire, veut-on donner à l'eau des caractéristiques jugées acceptables par la population (couleur, odeur) ou employer le charbon actif pour éviter le moussage et favoriser le conditionnement des boues dans les stations biologiques ?
Les différents buts ci-dessus peuvent être combinés ; par ailleurs, les quantités varient dans de très grandes proportions, il en est de même du coût financier supportable : on se rend compte combien, avant d’effectuer un traitement sur charbon actif, un diagnostic précis est nécessaire pour connaître ce qu'il est raisonnablement possible de demander au charbon actif et par quelle voie on peut parvenir aux résultats souhaités, mais rappelons que le coût d'un traitement croît exponentiellement en fonction de la pureté choisie.
Le plan que nous proposons est le suivant :
I Le charbon actif et son mode d'action II Comment le charbon actif travaille vis-à-vis de divers polluants III Différence entre le fonctionnement des charbons en poudre et en grains IV Quelques éléments pour choisir un des deux traitements dans le cas de l'eau potable V Exemples de traitement d'eau potable VI Exemples de traitement d'eau résiduaire
I — LE CHARBON ACTIF ET SON MODE D’ACTION
Le charbon actif est un adsorbant, c’est-à-dire qu'il contient un nombre considérable de cavités de taille moléculaire appelées pores. Ceci permet d’avoir une surface de contact considérable puisqu’elle est comprise entre 700 et 1 400 m²/g.
L'adsorption, en effet, est un phénomène de surface. Les molécules présentes dans une phase mobile, gaz ou liquide, viennent se fixer sur la surface de tout corps solide.
Au bout d'un certain temps un équilibre finit par s’établir entre celles qui se fixent et celles qui partent. Le taux de fixation de ces molécules dépend de la température, c’est ainsi qu'on définit un isotherme d'adsorption qui, à une température donnée, pour un adsorbant défini, exprimé en fonction de la concentration d'une molécule, donne la quantité fixée sur la surface du charbon.
Dans l'eau, pour un corps déterminé, on définit une équation appelée isotherme de Freundlich :
x/m = KC^1/n x/m = quantité de produit fixé par une masse M d’adsorbant C = concentration du corps à fixer à l’équilibre K = constante n = exposant de l'ordre de 2 à 10
La détermination de cet isotherme n’est malheureusement pas toujours possible et surtout, face à la multiplicité des cas possibles, pour des raisons de coût et de temps, il est parfois nécessaire de procéder autrement. Une méthode possible consiste à utiliser les différents indices fournis par les fabricants de charbon actif. Une méthode commune de détermination de ces indices n'a pas encore pu être mise au point mais des tentatives sont en cours.
Il est nécessaire de rappeler que la porosité du charbon actif se compose de pores de dimensions très variées. Dans un souci de simplification, on distingue trois types de pores :
- • les macropores de dimensions supérieures à 10 000 Å qui ne jouent pas un rôle très important dans l'adsorption,
- • les pores de transition de 100 à 10 000 Å qui jouent un rôle négligeable dans l’adsorption, mais non dans la cinétique, car ce sont les pores d’accès des micropores,
- • les micropores qui constituent les pores d'adsorption, que nous classons un peu arbitrairement en trois catégories :
- — les maxi micropores dont la dimension est comprise entre 25 et 100 Å ; ils sont capables d’adsorber les plus grosses molécules organiques, on caractérise ces pores par leur pouvoir décolorant vis-à-vis de la mélasse,
- — les moyens micropores dont les dimensions sont comprises entre 16 et 25 Å ; on les caractérise par le pouvoir décolorant vis-à-vis des pigments colorants tels que le bleu de méthylène ; bien entendu, cet indice prend en compte la totalité de la porosité au-dessus de 15 Å, donc les moyens, mais aussi les maxi-micropores,
- — les mini micropores sont tous les pores supérieurs à 5 Å. Ils sont caractérisés par l’indice d’iode qui, lui aussi, prend en compte non seulement ce type de pores, mais aussi les maxi et les moyens micropores.
Théoriquement, soit à partir des indices, soit à partir de la courbe de désorption à l'azote à –196 °C, il est possible de déterminer la répartition complète de la dimension d'accès des pores.
Une autre méthode utilisée consiste à définir la surface BET du charbon. On voit donc que définir un charbon par sa seule surface BET est très insuffisant : il s’agira d’un résultat global qui ne donnera qu'une idée très insuffisante des possibilités du charbon.
II — COMMENT LE CHARBON ACTIF TRAVAILLE VIS-À-VIS DE DIVERS POLLUANTS
@ Maxi micropores
Ce type de porosité, dans le traitement d’eau, est utilisé pour éliminer les algues microscopiques telles que la géosmine responsable d'un goût moisi de l'eau. Ce domaine de porosité est aussi intéressant lorsque l'on veut éliminer des acides humiques pour lesquels les dimensions d’accès sont encore supérieures à celles des pigments contenus dans la mélasse.
En première approximation, dans ce type de problème, on aura intérêt à considérer l’indice de mélasse en priorité. Voici quelques résultats obtenus sur différents charbons :
@ Poudre – quantité de charbon actif pour décolorer à 80 % une solution à 10 g/l de mélasse :
- — charbon actif à base de bois de pin à forte activité : 280 mg,
- — charbon actif à base de pin à activité moyenne : 400 mg,
- — charbon actif obtenu à partir de différents mélanges : 1 500 mg,
- — charbon actif obtenu à partir de tourbe : 800 mg.
@ Grains
- — charbon actif à base de noix de coco : 3 000 mg,
- — charbon actif à base de houille : 800 mg,
- — charbon actif à base de bois de pin : 650 mg.
@ Moyenne microporosité
Cette porosité est intéressante lorsque l'on se propose d'éliminer des molécules de tailles comprises entre 15 et 25 Å, c’est-à-dire des pigments colorés comprenant des hétérocycles accolés mais non des macromolécules ; dans la totalité des cas, on les caractérise par le pouvoir d’adsorption du charbon vis-à-vis du bleu de méthylène.
Voici quelques-unes des caractéristiques de ces charbons :
@ Poudre
- — charbon actif à base de pin à forte activité : 24 %
- — charbon actif à base de pin à moyenne activité : 15 %
- — charbon actif à base de tourbe à moyenne activité : 11 %
- — charbon actif obtenu par mélange spécial (traitement d’eau) : 11 %
Grains
- — charbon actif à base de noix de coco : 24 %
- — charbon actif à base de houille : 23 %
- — charbon actif aggloméré à base de bois de pin : 21 %
Microporosité
Cette porosité est intéressante lorsque les molécules à éliminer sont de petites tailles, telles que les détergents, les chlorophénols, les hydrocarbures halogènes.
Lorsque le charbon actif est utilisé pour déchlorer les eaux, opération qui consiste à transformer le chlore libre en ion chlore, c’est la surface totale du charbon qui est à prendre en considération, donc la microporosité.
Iode | Détergent | Phénol
Charbon en poudre
Iode | | Détergent | | Phénol |
---|---|---|
Charbon actif à base de bois de pin à forte activité : 115 | | — | | — |
Charbon actif à base de pin à activité moyenne : 100 | | — | | — |
Charbon actif à base de tourbe à activité moyenne : 85 | | 23 | | — |
Charbon actif à base de mélange de diverses origines : 90,2 | | 12 mg | | 17,5 mg |
Charbon actif à base de noix de coco : 106 | | 32 | | 16 |
Charbon actif à base de houille : 108 | | 15 | | 30 |
Charbon actif extrudé à base de bois de pin : 105 | | 13 | | 28 |
(1) Quantité d’iode adsorbée par 100 g de charbon actif à partir d’une solution d’iode 16. (2) Quantité de charbon actif pour abaisser la teneur en détergent (lauryl sulfate de soude) de 1 l de solution de 0,23 mg/l à 0,025 mg/l. (3) Quantité de charbon actif pour abaisser la teneur en phénol de 1 l de solution de 0,1 mg/l à 0,01 mg/l.
III — DIFFÉRENCE ENTRE LE FONCTIONNEMENT DES CHARBONS EN POUDRE ET EN GRAINS
Charbon en poudre
Si pour l’utilisation du charbon actif en poudre, l’isotherme a une importance primordiale, la cinétique ou le temps de contact joue un rôle peu important.
Pour le charbon actif en poudre, selon la quantité de charbon actif, on arrive toujours pour un même charbon à un équilibre déterminé.
Exemple : soit une eau contenant 1 mg/phénol/l. On veut connaître la quantité de charbon actif à mettre en œuvre pour abaisser la teneur à 0,1 et 0,01 mg/l. L’isotherme indique :
x hauteur K —— = taux de chargement en équilibre avec : m 0,1 mg/l = 0,82 % 0,01 mg/l = 0,34 %
Sachant que x = 1 – 0,1 = 0,9 mg pour le premier cas, et 0,99 mg pour le second, on trouve m = 110 mg et 290 mg respectivement de charbon à ajouter par litre.
La quantité de charbon à utiliser croît très vite avec l’abattement désiré.
Une amélioration pourrait consister à procéder par bains successifs, par exemple de 1 à 0,1 mg/l, avec 110 mg/l de charbon dans le premier, puis de 0,1 à 0,01 mg/l avec 26 mg/l de charbon dans un second, auquel cas la consommation totale de charbon atteindrait 136 mg/l au lieu de 290 mg/l en une seule étape.
Cette manière de procéder n’est pas très fréquente, car l’économie en charbon ne justifie pas toujours les investissements supplémentaires en cuves, filtres, etc.
Charbon en grains et front d’adsorption
Par contre, lorsque l’on utilise du charbon en grains, les phénomènes cinétiques sont de la plus haute importance. Auparavant, il est bon de rappeler quelques éléments concernant l’adsorption sur charbon actif en grains.
La fixation par l’adsorbant des composés à adsorber ne s’effectue pas instantanément, on observe 3 zones :
Zone saturée 1
En début de colonne, l’adsorbant a atteint son taux de chargement maximum, taux qui peut être donné par l’isotherme, à l’équilibre avec la concentration initiale et non la concentration finale comme dans l’adsorption en statique.
c 0 ─────────────────── c concentration écoulement : concentration initiale
La concentration va en décroissant jusqu'à 0. C'est la zone de transfert ou du front d'adsorption. Les diverses couches de charbon ne sont pas en équilibre avec la concentration correspondante.
Zone vierge 3
L'adsorption n'a pas encore eu lieu, l'adsorbant est vierge.
Après saturation d'une première tranche d’adsorbant, le front d’adsorption d'équilibre s'établit, et va se déplacer parallèlement à lui-même à la vitesse correspondant à celle de la saturation. On conçoit que lorsque le front atteint la fin de la couche d’adsorbant, l'effluent commence à laisser passer du produit non retenu à la concentration limite fixée.
C'est le point de fuite ou rupture qui nécessite l'arrêt de la percolation. À ce stade, le taux d’adsorption moyen à la fuite est inférieur au taux de saturation. L'augmentation de l'épaisseur du lit d’adsorbant fait tendre le taux d’adsorption à la fuite vers celui à saturation.
Dans la pratique, on ne considère comme zone de travail que la zone où, d'une concentration 100 on passe à une concentration 5 ou, d'une concentration 100 on passe à une concentration 1. Dans ce cas, on parlera d'un front d’adsorption 100/5 ; dans le deuxième cas, d'un front d'adsorption 100/1, la fixation dans la zone vierge étant considérée comme négligeable.
Cette zone varie considérablement, on peut noter trois facteurs principaux :
- 1°) le pourcentage éliminé pris en compte,
- 2°) la vitesse de circulation de l’eau à travers le charbon,
- 3°) la granulation du charbon,
- 4°) la porosité de transition du charbon ; c'est la porosité entre 100 et 10 000 Å qui, si on fixe les trois premiers paramètres, permettra de tester par comparaison les qualités du charbon.
IV — QUELQUES ÉLÉMENTS POUR CHOISIR UN DES DEUX TRAITEMENTS DANS LE CAS DE L'EAU POTABLE
On est obligé de faire une distinction entre eau superficielle et eau souterraine. Dans ce dernier cas, il s'agit d’eau assez pure ou même, si tel n'est pas le cas, d’eau ayant une pollution peu importante assez constante. Le taux de traitement, si on utilise du charbon en poudre sera toujours faible et la durée de vie des lits de charbon granulaire sera toujours longue.
Le choix entre un procédé ou l’autre dépend plutôt des problèmes d’exploitation que de ceux du coût du charbon proprement dit. Si on désire minimiser l'installation initiale, on aura intérêt à choisir le charbon en poudre, puisqu'il suffit d'un silo, d'un bac de préparation de barbotine, du charbon et d'une pompe doseuse.
Si on désire minimiser les frais de fonctionnement, on aura dans la majorité des cas intérêt à utiliser des lits de charbon granulaire ayant une épaisseur de 1,5 à 2 mètres qu’il est possible de changer tous les 18 mois ou tous les 2 ans, si le niveau de pollution est faible.
Nous allons ici résumer quelques-uns des avantages et des inconvénients du traitement sur charbon actif en grains et en poudre.
Avantages du traitement sur charbon actif en grains
- + Le charbon, si la zone de transfert dite de front d'adsorption n'est pas trop importante, est utilisé en équilibre avec la concentration en polluant à l'entrée et pour la zone de transfert à un taux intermédiaire entre celui de la concentration entrée et celui de la concentration sortie.
- + Le charbon actif est régénérable, donc les dépenses sont limitées au coût intrinsèque de la régénération et de la quantité de charbon actif que l'on doit introduire pour compléter les pertes.
Inconvénients du traitement sur charbon actif en grains
- 1 — En présence de polluants variés, une sélection s'opère, sélection de deux types :
- a) Certains polluants sont fixés en plus grandes quantités que d'autres et ont tendance à déplacer d'autres polluants ; c'est ainsi, par exemple, que les chlorophénols, très bien adsorbés, auront tendance à se substituer aux détergents précédemment fixés et, en fin de durée de vie par exemple, on pourrait avoir en sortie plus de détergents qu’à l'entrée, la concentration de chlorophénols étant bien entendu toujours nulle ;
- b) Certains produits sont très bien adsorbés, mais à une vitesse extrêmement faible ; le front d’adsorption théorique peut atteindre plusieurs mètres. C'est ainsi que des humates désorbérant très lentement certains produits de taille plus faible qui auront été précédemment adsorbés ; ceci peut être le cas pour les chlorophénols cités ci-dessus.
- 2 — Variation de concentration des polluants dans le tempsLes modifications, dans les concentrations en polluants, se traduisent par une sorte d'onde de pollution qui sera plus ou moins écrêtée selon l’épaisseur de la couche de charbon. Ce phénomène a été observé notamment durant la sécheresse de 1976.
Avantages du traitement sur charbon actif en poudre
- 1 — Possibilités d’ajuster le taux de traitement à tout instant en fonction de la pollution à éliminer. On peut envisager un système automatique de définition du taux de traitement en fonction de la qualité de l'eau que l’on désire préparer, le taux de traitement étant défini à partir de l’analyse en continu.
de l’eau à traiter, taux qui peut être déterminé par un programme automatique élaboré à partir de l’expérience du passé de l’unité.
La Société O.T.V. à Sisteron a déjà élaboré un tel système pour la gestion d’unités de traitement biologique à eau résiduaire et rien n’interdit d’appliquer le même modèle à la gestion du traitement d’eau sur charbon actif.
2 — Possibilités d’ajuster la qualité du charbon à la nature des produits à traiter
On pourra utiliser par exemple un charbon possédant une macroporosité importante mais avec une microporosité faible, c’est-à-dire à fort indice d’iode, mais à faible indice de mélasse, ceci tant que les produits à éliminer seront des détergents ou des chlorophénols et autres produits analogues. Le jour où, par contre, on aura des problèmes de géosmine ou de contamination jugés considérables d’acide humique, on pourra travailler sur un charbon ayant un indice de mélasse plus élevé ou contrôlé sur cet indice.
Inconvénients du charbon actif en poudre
Contrairement au cas du charbon en grains, le taux de chargement du charbon en poudre est celui qui est en équilibre avec la concentration en polluant après traitement. Il dépend très fortement de la pente de la droite isotherme et du pourcentage d’élimination en polluant que l’on désire obtenir. Si la quantité à éliminer est de l’ordre de 80 %, la différence avec le charbon en grains est faible. Si on élimine entre 98 et 80 % du produit initial, la différence est fortement liée à la pente de l’isotherme.
Pour des taux d’élimination supérieurs, l’utilisation du charbon en grains est en général préférable ; on ne doit pas négliger toutefois l’allongement du front d’adsorption qui en résulte.
Conclusion partielle
Dans le cas du traitement d’eau potable, il faut rappeler que la régénération du charbon actif, pour des questions de coût, ne s’effectue jamais sur place ; ce coût d’ailleurs est du même ordre que celui du charbon en poudre, soit de 2 à 4 F le kg.
Les taux pratiques de chargement étant sensiblement les mêmes, dans la majorité des cas, le choix entre un procédé ou l’autre sera fonction essentiellement de la composition de la charge polluante et de sa variation dans le temps : une faible variation avantage le traitement en grains et une forte variation, le traitement en poudre.
Bien entendu, la solution de loin la meilleure est de combiner les deux traitements. C’est d’ailleurs cette formule qui a été retenue dans les nouvelles unités d’eau potable traitant l’eau de Seine.
Un problème qui subsiste, c’est de fixer à partir de quel taux de pollution on décide de prétraiter au charbon actif en poudre. Actuellement, la tendance est de privilégier le traitement sur charbon en grains en réservant le charbon en poudre pour les cas de pollution accidentelle ou les pointes de pollution saisonnières.
Cette manière de faire est certainement la meilleure si l’on se propose uniquement d’éliminer essentiellement les mauvais goûts et les mauvaises odeurs. Si, par contre, on se propose d’éliminer une proportion plus importante des détergents et surtout des dérivés halogénés, un prétraitement au charbon en poudre devient nécessaire. On éviterait par ailleurs des relargages intempestifs provenant des lits granulaires. En effet, une colonne de charbon agit vis-à-vis des différents polluants comme une colonne de chromatographie.
V — EXEMPLES DE TRAITEMENT D’EAU POTABLE
Eau superficielle moyennement polluéeCas de la ville de Paris
Le but du traitement est double :
- a) fournir une eau ayant des qualités organoleptiques satisfaisantes ;
- b) éliminer le maximum de détergents et de chlorophénols.
Pour obtenir ce but, une injection de charbon actif est faite en tête du décanteur à vitesse accélérée. Le temps de contact entre l’eau et le charbon varie entre 30 et 40 minutes. Le charbon est éliminé tant dans les boues que sur les filtres à sable.
On a choisi un charbon polyvalent constitué par un mélange de charbon à indice de mélasse moyen et de charbons à fort indice d’iode.
Les doses d’emploi varient entre 5 et 25 grammes par m³. Lors de la sécheresse de 1976, malgré une très forte augmentation de la pollution et la prolifération d’algues
comme la géosmine, la qualité de l'eau a pu être maintenue à un niveau acceptable avec une dose de traitement porté, il est vrai, à 40 g/m³.
Eau superficielle provenant d’un oued d’Afrique du Nord
Cas de Casablanca
Il s'agit là d'une eau polluée surtout en période de basses eaux contenant notamment des quantités importantes de géosmines qui donnent à l'eau un goût de moisi particulièrement désagréable. Le choix s'est donc orienté tout naturellement vers un charbon ayant une macroporosité relativement développée, c'est-à-dire caractérisée par son indice de mélasse. Il s’agit d’un charbon préparé à partir de bois de pin à activité moyenne.
Eau superficielle moyennement polluée
Cas de Morsang
Cette fois-ci on a mis en place une double filtration. 1er étage sur sable, 2e étage dit de finition, sur un lit de charbon actif à granulation contrôlée. Le but du 2e étage est d'une part de compléter la première filtration, d'autre part d’éliminer les goût et odeur. Un traitement sur charbon actif a été prévu en tête des décanteurs pour éliminer toute pollution accidentelle ainsi que les pointes de pollution saisonnières. Par ailleurs, si nécessaire, un traitement en continu pourrait être envisagé pour éliminer une partie des haloformes, des détergents, etc.
On doit noter d’ailleurs que lorsqu’il s'agit d’éliminer des mauvais goûts et des mauvaises odeurs, le charbon en grains donne d’excellents résultats.
Les conditions d'emploi sont les suivantes :
+ hauteur de couche : 130 cm + temps de contact : 10 mn + vitesse de passage : 8 m/h (13 cm/mn)
La durée de vie d'un tel lit est fonction non seulement de la pollution, mais aussi de ce que l'on souhaite éliminer.
Déchloration des eaux dans l'industrie des boissons gazeuses
L’eau du réseau contient, pour éviter tout risque d’infection, une dose résiduelle de chlore libre qu'il est nécessaire d’éliminer lors de la fabrication des boissons gazeuses. La déchloration s’effectue sur un charbon actif très microporeux, comme la noix de coco, avec une hauteur de couche de 150 cm et une vitesse de passage de 15 m/h.
Il est possible de déchlorer de l'eau durant plusieurs années.
Deux précautions sont nécessaires : stériliser à la vapeur le lit de charbon quand c'est nécessaire, travailler à pH neutre ou légèrement acide. Lorsqu’on traite des eaux neutralisées à la chaux, la durée de vie du charbon actif est fortement abrégée.
VI — EXEMPLES DE TRAITEMENT D’EAU RÉSIDUAIRE
Traitement sur charbon en grains
Les cas de traitement sont très divers et doivent être adaptés pour chaque cas particulier. Il est indispensable que s’établisse une étroite collaboration entre l'utilisateur, l'engineering et le fabricant de charbon actif.
Dans le cas de traitement secondaire, l'utilisation du charbon actif se limite à des cas de pollutions très particuliers, qu'il s’agisse d’effluents particulièrement toxiques ou non biodégradables, ce qui est d’ailleurs souvent concomitant.
La consommation de charbon nécessite en général de prévoir la régénération périodique du charbon. Cette régénération peut se faire hors du site, en général chez un fabricant de charbon actif, soit au contraire sur le site lui-même, l'utilisateur du charbon procédant à la régénération du charbon.
À notre avis, compte tenu des suggestions propres à la régénération (température élevée, poste continu), le seuil de rentabilité ne se situe guère à moins de 1 tonne de charbon à régénérer par jour.
Le charbon actif en grains est utilisé aussi en traitement tertiaire derrière une unité biologique. Le charbon élimine alors les produits non biodégradables ; c’est ainsi que dans l'Est de la France (Sollac) des effluents de cokerie renfermant des polyphénols, pas ou mal biodégradés, ont été traités sur charbon granulé avant rejet. Il est primordial que le fonctionnement du biologique soit parfait pour éliminer le maximum de produit biodégradable, ce type de traitement étant bien évidemment moins coûteux au kg de produit éliminé que l’élimination sur charbon actif.
Une utilisation plus originale est l'utilisation du charbon actif en grains comme support de lit bactérien. Le charbon actif présente, par rapport aux autres supports utilisés, la faculté de stocker des pointes de pollution et des toxiques facilitant ainsi le fonctionnement régulier du système.
Une application peu souvent mentionnée est l'utilisation d’un lit de charbon granulaire dans une boucle de recyclage. Le charbon actif permet le maintien de la qualité de l'eau dans la boucle en éliminant soit des colorants, soit des additifs, soit des produits de condensation. Ce procédé est utilisé en galvanoplastie dans la récupération de l'argent, dans les bains photographiques, dans les retours de condensats.
Traitement des eaux résiduaires sur charbon en poudre
Le traitement secondaire d'eau résiduaire sur charbon actif est peu fréquent en Europe, tout au moins, car les quantités mises en œuvre nécessiteront de prévoir une régénération, opération qui n’a pas encore été entreprise en Europe, contrairement aux États-Unis.
Actuellement, le charbon en poudre est utilisé en recyclage, retour de condensat, bains électrolytiques, etc.
On peut citer aussi l'utilisation du charbon actif dans le traitement d’eaux résiduaires très fortement concentrées, eaux résiduaires dans lesquelles on récupère des sous-produits. Cette récupération nécessite d'avoir éliminé complètement les impuretés organiques. Le traitement choisi par la Cogema se fait par double bain ; le charbon utilisé en épuration finale étant récupéré pour le traitement dans le premier bain. On a pu ainsi maintenir la consommation du charbon actif fortement activé à un niveau acceptable tout en ayant une excellente purification.
Une nouvelle application en Europe, mais déjà largement utilisée aux U.S.A., consiste à utiliser le charbon actif en poudre comme additif au traitement biologique.
Les améliorations recherchées peuvent être :
- — l’élimination de la mousse dans les aérateurs qui, à l’inverse des antimousses habituels, n’augmente pas la charge de DBO à traiter,
- — améliorer le niveau d’épuration de l'eau et la rendre ainsi conforme aux normes en période de surcharge,
- — permettre à une unité biologique d'encaisser des produits toxiques qui devaient être éliminés par une autre voie,
- — améliorer la qualité des boues en diminuant leur volume, surtout avant pressage,
- — améliorer la qualité de l'eau sur un point spécifique, couleur ou odeur.
Des essais industriels sous l'égide des Agences de Bassin sont en cours. Ils ont permis de montrer que des résultats très significatifs ont été obtenus avec des doses de l'ordre de 50 mg/m³.
On peut ajouter une mention spéciale pour l'élimination des mauvaises odeurs provenant des stations résiduaires. Un charbon actif imprégné avec des sels de fer piège efficacement tant l’H₂S que les mercaptans contenus dans l’air provenant des aérateurs.
VII — CONCLUSION
Nous avons essayé de donner un aperçu le plus complet possible de l'utilisation du charbon actif dans le traitement d’eau, cependant, nous sommes tout à fait conscients que des aspects importants ont été passés sous silence.
Dans le traitement des eaux potables où cette utilisation est déjà ancienne, le point le plus important à déterminer reste de savoir ce que l'on désire faire avec le charbon, et dans un deuxième temps, on cherchera à savoir comment et à quel prix, c'est-à-dire quelle consommation de charbon pour tel résultat.
Dans le traitement d'eau résiduaire il faut savoir que l'inconvénient majeur du charbon actif est de conduire à un prix très élevé du kg de produit à éliminer, par contre il varie relativement peu en fonction de la concentration ; on aura intérêt, dans tous les cas, à le reporter le plus loin dans la chaîne de traitement.
Bien entendu, le cas du charbon actif en poudre comme additif au traitement biologique est un cas spécifique qui n'est pas lié par les mêmes contraintes.