La filtration par membranes des effluents d'huile provenant des opérations industrielles de traitement de surface ou d'usinage des métaux permet aujourd'hui d'obtenir des résultats particulièrement satisfaisants. Le présent article, après avoir rappelé les possibilités offertes par la filtration tangentielle en fonction des divers types de membranes utilisées, donne deux exemples caractéristiques de ces applications.
La filtration tangentielle
La filtration tangentielle est caractérisée par le fait qu'elle constitue un moyen de séparation physique opérée par l'utilisation de membranes (en général minérales dans le domaine industriel) sans nécessiter l'emploi d'additifs chimiques (acides, détergents, électrolytes) (figure 1) ni de produits consommables, en phase de production.
On distingue cinq domaines de séparation :
- - La filtration classique qui retient les particules de 10 µm et plus,
- - La microfiltration qui retient les constituants de 0,2 à 10 µm et plus,
- - L'ultrafiltration qui retient les constituants de quelques nanomètres,
- - L'osmose inverse qui arrête les molécules de quelques Angströms.
Le spectre de séparation des différents constituants est porté sur l'encadré A.
Le cas de l'usine Mavilor
Leader dans la fabrication des vilebrequins, l'usine Mavilor, installée à L'Horme (Loire), comporte une application exemplaire des techniques à membranes de type minéral pour assurer le traitement par ultrafiltration des effluents d'huile de coupe.
Dans cette usine, les exploitants étaient confrontés, du fait du vieillissement et des insuffisances de l'installation existante, à un choix entre le traitement des déchets sur site ou leur enlèvement par une société spécialisée. C'est la première solution qui a été adoptée.
L'usine fonctionne en continu et les liquides à traiter sont des effluents d'huiles de coupe, des détergents et des huiles hydrauliques provenant d'une unité de fabrication (qui comporte un parc de 300 machines-outils) et dont le volume atteint 1 750 m³ par an (soit environ 40 m³ par semaine) avec une DCO moyenne de 200 g O₂ par litre ; il fallait atteindre, après filtration, un maximum de 2 000 mg.
Une préfiltration était déjà en place, composée de trois filtres à déroulement de papier.
La conception industrielle
Le choix de la membrane a été effectué dans ce cas particulier dans une optique d'optimisation du couple membrane-produit, en utilisant les membranes minérales particulièrement robustes dont les limites sont élevées :
- - pression d'éclatement < 100 bars *
- - température < 300 °C
- - pH 0-14
- - insensibilité aux solvants
Par rapport aux conditions d'exploitation des unités en cause : environ 5 bars et température de 15 à 85 °C.
La parfaite connaissance des valeurs intrinsèques des médias filtrants nous a permis de choisir la membrane minérale donnant les meilleurs résultats, dans une vaste gamme allant de quelques Angströms à quelques microns dans des textures fines d'alumine, oxyde de zircone, carbone...
Nous avons retenu des membranes de porosité 1 000 Å avec une surface membranaire de 5,6 m² en 2 boucles de 4 modules de 1,4 m² réalisés en inox de la nuance 304 L, disposés dans une ligne de filtration portée sur la figure 2.
Le pompage est assuré par une pompe d'alimentation et de circulation centrifuge, type de pompe choisi en raison de la faible viscosité du produit à traiter (en présence de hautes viscosités ou afin de protéger des milieux vivants ou sensibles au cisaillement, un pompage de type volumétrique aurait été préférable).
Parmi les autres problèmes posés par le pompage en ultrafiltration, la nature des garnitures (carbone/inox, carbure/carbure) arrosées ou non, simples ou doubles et les variations de vitesse sont à prendre en compte.
Les vannes sont choisies en fonction de l'application : manuelles ou automatiques de type papillon, à clapet, à membrane ou à boisseau. Dans le cas présent, elles sont manuelles ; cinq
d’entre elles sont de type papillon et trois à membrane. L’équipement de base du système comprend également un ensemble d'instrumentation comportant débitmètre, manomètre et thermomètre.
Le procédé retenu est de type batch (figure 2).
Le volume de produit à traiter est introduit dans le bac de lancement, le liquide est injecté sous pression dans la boucle par la pompe d’alimentation. La pompe de circulation assure la vitesse tangentielle (3 à 4 m par seconde) à la surface de la membrane. Le perméat (filtrat) est évacué en continu.
Enfin, la phase partiellement concentrée (concentrat) est recyclée vers le bac de lancement ou vers le poste de préfiltration. Séquentiellement, l’unité est vidangée, rincée à l’eau claire et subit un cycle de nettoyage chimique (encadré B).
Résultats
Installé en février 1992, cet équipement conçu et réalisé par nos soins fonctionne en continu depuis lors avec un maintien de ses performances initiales et des conditions de nettoyage particulièrement allégées.
Du point de vue financier, le retour sur investissement est inférieur à six mois.
Ajoutons, ce qui reste le point primordial dans cette application, que la valeur visée de réduction de la DCO est tenue.
L’exemple présenté fait apparaître l’importance du rôle de l’équipementier partenaire de l’industriel pour assurer la réalisation d'un équipement optimisé techniquement et économiquement (figure 3).
La décontamination des solvants de dégraissage
Nous décrivons ci-après les diverses opérations menées dans le cadre de l’étude sur la décontamination, par ultrafiltration, des solvants chlorés uranifères stockés sur le site de Socatri, à Bollène (Vaucluse).
Les essais portés sur le tableau I avaient pour but d’obtenir un solvant présentant une concentration en uranium inférieure à 3 mg/l, pour permettre son élimination par un centre agréé. Ils étaient traités dans un équipement-pilote de 0,4 m² de surface filtrante (figure 4).
Ils ont été effectués sur des fûts représentatifs des solvants stockés sur le site. Les opérations de traitement se sont déroulées en deux phases :
- - préfiltration à 5 µm, afin d’éviter le colmatage des membranes d’ultrafiltration. À ce stade un premier bilan matière a été réalisé ;
- - ultrafiltration à 0,2 µm sur membrane minérale hydrophile ou hydrophobe (tableaux II - III - IV).
Les essais, qui ont mis en œuvre 1320 l de solvants contaminés, ont permis d’obtenir 1114 l de perméat (soit 84 % du volume entrant). Sur ces 1114 l, 920 l (83 %) ont pu être amenés à une teneur en uranium inférieure à 3 mg/l, et 194 l (17 %) ont donné une concentration en uranium de 11 mg/l (essais nº
4 et 5 Fûts 1584 dont un constituant est un azéotrope dissolvant l'uranium).
D’après les résultats obtenus, un avis favorable peut être donné à ce type de procédé, en mettant toutefois quelques réserves.
Les essais qui ont porté sur le fût Fuso 1584 ne sont pas concluants. Il serait intéressant de déterminer si ce fût représente une exception ; de plus, un essai d’ultrafiltration sur maillage plus fin devra être réalisé sur un pilote de laboratoire.
Si l’on ne prend pas en compte les essais effectués sur le fût Fuso 1584, on réussit à réduire d’un facteur 6 le volume des solvants contaminés ; par contre, il faudra étudier le devenir du rétentat, qui risque de représenter un volume non négligeable.
Les fûts les plus concentrés ayant servi de base à nos essais, on peut raisonnablement penser qu’un facteur de concentration 6 représente un minimum qui pourrait être fortement amélioré en production.
Application industrielle
Afin d’optimiser l’ultrafiltration au stade industriel, il est nécessaire de procéder en trois étapes (figure 5).
• décantation du volume à traiter, séparation des phases et analyses ;
• préfiltration du solvant : il est préconisé de préfiltrer à un seuil compris entre 50 et 100 fois la porosité des membranes, puis d’opérer une préfiltration de la phase non solvante, s’il s’avère que celle-ci est décontaminable par ultrafiltration ;
• ultrafiltration du solvant et, si cela est possible, ultrafiltration de la phase non solvante.
La phase non solvante peut être de l’huile, de l’eau, un azéotrope.
Dimensionnement
Le dimensionnement de l’installation est principalement régi par les débits à traiter qui eux-mêmes sont variables en fonction de la nature du solvant et de l’état d’encrassement des membranes d’ultrafiltration.
Lors de la campagne d’essais, nous avons ainsi obtenu un débit moyen d’environ 100 l/h pour 0,4 m² de surface filtrante. De plus, il est nécessaire de procéder périodiquement à un nettoyage du média filtrant. Lors de la campagne d’essais, et pour éviter la production d’effluents, les membranes ont été nettoyées par circulation d’un volume de 10 litres de …
Tableau I
Nature des polluants | Volume | Poids d’uranium | Essais |
---|---|---|---|
Baltane | 23 440 l | 4,039 kg | 1 à 5 |
Fréon (deldifréne, forane) | 8 340 l | 0,316 kg | 6 |
Gamlen | 6 780 l | 1,080 kg | 7 |
Divers | 16 969 l | 4,968 kg | 8 |
Total | 54 969 l | 10,403 kg | — |
Tableau II – Essai n° 3 (Baltane)
FF-T-AR640 – Fût 1588 (pilote RS US/2/1923)
Préfiltration 5 µm, 12/12/1993 – Ultrafiltration 0,2 µm hydrophile, 15/12/1993
Temps (min) | ΔPtot (bar) | ΔPmot (bar) | T (°C) | Vret (l) | Qvin (l/h) | KT (l/h m²) | CV (l/h) | RT % | U (µg/l perméat) |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
15 | 24 | 28 | 30 | 195 | 0,867 | 23 | … | ||
30 | 25 | 32 | 31 | 205 | 0,836 | 22 | … | ||
45 | 28 | 34 | 32 | 215 | 0,785 | 20 | … | ||
60 | 30 | 35 | 34 | 225 | 0,705 | 18 | … |
Observations : essai réalisé sur membrane hydrophile et concluant. La procédure d’ultrafiltration a été arrêtée dès apparition d’huile. Le perméat final contenant environ 25 % de cette huile est < 3 mg/l en uranium et susceptible de solubiliser l’uranium.
Bilan global
Débit moyen : 78 l/h – Rendement : 70 % – Concentration volumétrique : 2,3
Perméat : U ≈ 3 mg/l Rétentat : U ≈ 648 mg/l
Tableau III – Essai n° 4 (Baltane)
Fût AR640 – Préfiltration 5 µm, 17/12/1993
Ultrafiltration 0,2 µm hydrophile, 21/12/1993
Temps (min) | ΔPtot (bar) | ΔPmot (bar) | T (°C) | Vret (l) | Qvin (l/h) | KT (l/h m²) | CV (l/h) | RT % | U (µg/l perméat) |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
20 | 25 | 32 | 27 | 41 | 192 | 0,895 | 31 | … | |
40 | 26 | 33 | 28 | 43 | 173 | 0,867 | 29 | … | |
60 | 26 | 34 | 30 | 43 | 155 | 0,786 | 27 | … | |
75 | 27 | 34 | 31 | 43 | 138 | 0,706 | 25 | … | |
90 | 26 | 34 | 33 | 43 | 120 | 0,748 | 23 | 18 mg/l |
Observations : à l’apparition de la phase légère, on constate une très forte augmentation de débit de perméat. La phase légère, de densité 1,015, est miscible à l’eau, bout à 90 °C et présente une odeur de solvant ; il s’agit donc d’un azéotrope dissolvant.
Bilan global
Débit moyen : 77 l/h – Rendement : 62 % – Concentration volumétrique : 2,1
Perméat : U ≈ 5 mg/l Rétentat : U ≈ 648 mg/l
Perméat prélevé lors de l’essai et ultrafiltré lors de l’essai suivant.
Étude technico-économique d’une unité de traitement
Caractéristiques
Unité de traitement : unité d’ultrafiltration à membranes minérales. Conduite automatisée.
Effluent : mélange d’huiles de coupe et d’huiles hydrauliques (total = 4 à 8 %). DCO initiale = 100 000 mg O₂/l.
Performances – Conditions de fonctionnement
Pression moyenne = 3 bars ; DCO du perméat < 2 000 mg O₂/l.
Tableau IV
Éléments | Unité de 125 m³/an | Unité de 875 m³/an |
---|---|---|
Investissement (1) | 85 000 | 180 000 |
Coût d’exploitation | ||
- Énergie | 1 000 | 7 000 |
- Produits de nettoyage | 225 | 900 |
- Eau | 15 | 100 |
Retraitement phase concentrée | 10 000 | 70 000 |
Coût d’exploitation annuel | 11 240 | 78 000 |
Coût de traitement et transport annuel sans UF | 100 000 | 700 000 |
Retour d’investissement | < 1 an | < 5 mois |
Coût de traitement après amortissement | 90 F/m³ | 89 F/m³ |
Gain annuel | 88 750 | 622 125 |
(1) Équipement UF standard hors cuve de travail avec préfiltration éventuelle.
Définition des cycles (exemple) :
Production = 80 heures/semaine ;
Nettoyage = 1 heure/semaine ; 52 semaines par an.
Rentabilité
La rentabilité d'une unité de traitement (en deux versions : 125 et 875 m³/an) est définie dans le tableau V.
Conclusion
Les deux exemples développés dans cet article montrent l'intérêt que présentent les techniques membranaires dans le traitement des effluents industriels. Ils sont représentatifs de la phase actuelle de l'évolution des techniques de filtration, caractérisée par la part essentielle qu'occupe l'ingénierie dans la réalisation de ces équipements qui sont entrés dans une phase de banalisation des membranes, après les succès obtenus par leur emploi dans l'industrie agro-alimentaire (figure 6).
Cette évolution entraîne actuellement l'utilisation de divers types de membranes, minérales ou organiques, avec une montée en puissance de la nanofiltration et l'émergence de nouvelles applications liées à l'écologie et au recyclage des eaux de procédés ou de lavage.
Dans cette nouvelle phase, nous l'avons vu, l'équipement, conseiller et détenteur du savoir-faire, joue un rôle primordial dans l'engagement de résultats qu'il s'assigne.